Moulay Slimane le Hassid -La periode classique- Joseph Toledano

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CHAPITRE IV

LA PERIODE CLASSIQUE

Ce n’est pas seulement en comparaison avec le règne dévastateur de son prédécesseur Moulay Yazid, Mézid, le malfaisant, que son successeur Moulay Slimane est resté dans les chroniques juives comme un Hassid, un Juste, mais bien dans l’absolu. On ne saurait y retrouver la trace de réserve, objet de commentaires passionnés parmi les lettrés de Meknès à toutes les générations, qu’implique le texte biblique attribuant le même titre à Noë : " Noë fat un homme juste dans sa génération" (La Genèse 6,9) – seulement dans la sienne…

En rétablissant la sécurité des biens et des personnes et en revenant à l’application stricte du pacte de protection, dhimma, il posait les bases pour le siècle suivant des relations entre les communautés juives et les sultans successifs jusqu’au choc de la modernisation sous la pression de l’Europe.

  1. MOULAY SLIMANE LE HASSID

Le nouveau souverain était certes un religieux rigoureux, mais un homme droit se contentant de peu. Au lendemain de son accession au trône, le 18 Adar, 12 mars il ordonna la suppression de tous les impôts et contributions institués par Moulay Yazid, car contraires à la religion, le Coran recommandant de ne pas pressurer les sujets. De même, il devait permettre aux Juifs qui s’étaient convertis sous la terreur de revenir ouvertement à leur religion, l’islam ne reconnaissant pas la validité des conversions sous la contrainte. Dès sa première rencontre avec la délégation des notables de la communauté de Fès, il les avait rassurés sur ses intentions, leur disant : "Je sais ce que vous avez sur le cœur et je suis décidé; Dieu voulant, à y répondre favorablement." Effectivement, avant de se rendre à Meknès pour y recevoir le serment d’allégeance de la ville, il avait demandé à la communauté de désigner trois de ses dirigeants pour l’accompagner dans son périple et discuter des modalités du retour de ses membres au mellah duquel ils avaient été chassés au profit des Oudaya transférés de Meknès. L’affaire fut vite conclue et les habitants du mellah de Fès retrouvèrent leur quartier comme le rapporte rabbi Obed Benattar dans son Mémorial pour les Enfants d’Israël. Restait l’épineuse question de l’immense mosquée édifiée au cœur du quartier pour en modifier définitivement le caractère. Le sultan prit une décision audacieuse sans précédent en en ordonnant la destruction, en se basant sur de nobles motifs religieux :

les maçons avaient été payés par les revenus de la mahya, boisson interdite aux mu­sulmans, que Moulay Yazid avait confisquée aux Juifs et le bâtiment édifié sur un ter­rain illégalement acquis, avec les pierres des tombes juives, alors que l’islam interdit la profanation des sépultures.

Les Juifs de Meknès ne tardèrent pas à leur tour à être témoins de ses bonnes dispo­sitions envers leur communauté. Trois mois avant son accession au trône, un terrible orage avait détruit un pan de la muraille entourant le mellah, exposant la communauté au risque de nouveaux saccages comme le relate un témoin contemporain anonyme :

"Nous vivions dans la plus grande angoisse et nous nous étions mobilisés

à tour de rôle pour monter la garde autour de la brèche. Les gardiens s'habillaient en Arabes avec un turban blanc autour de la tête pour faire croire qu'ils étaient des gar­diens préposés par les autorités, espérant ainsi dissuader nos méchants voisins…Mal­gré nos supplications et les offres de pots de vin, les autorités refusaient d'assurer notre sécurité, nous demandant de nous en char­ger nous -mêmes. Ce que nous avions fait conformément au commandement "vous veillerez sur vos vies", alors que nous ve­nions à peine de sortir du règne sanguinaire du tyran pire que Hamane, Moulay Yazid – que son nom soit effacé. Ses serviteurs et ses ministres nous regardaient comme lui d'un mauvais œil, comme l'a écrit le plus sage des hommes, le roi Salomon "Le souverain ac­cueille -t -il le mensonge, tous ses serviteurs sont pervers "(Proverbes, 22 :12). Parallèlement, la communauté avait réussi malgré la misère, à réunir la somme néces­saire pour la reconstruction de la muraille, mais le pacha avait interdit de commencer les travaux avant l'obtention de l'autorisa­tion officielle du nouveau sultan, incessamment attendu dans la ville. Dans l'intervalle, Moulay Slimane avait tout de même ordonné au pacha de poster des gardes autour du mellah aux frais du gouvernement, la communauté prenant en charge seulement leur nourriture.

Cette visite avait été retardée en raison de l'insécurité, car bien que monté sur le trône sans l'avoir cherché, presque malgré lui, Moulay Slimane saura le dé­fendre contre les incessantes révoltes qui jalonneront ses trente ans de règne mouvementé. Une des premières révoltes avait éclaté au Moyen -Atlas dans la région d'Azrou. A la tête de ses troupes, le sultan arriva enfin à Meknès où il était impatiemment attendu par la communauté juive qui ne demandait qu'à croire aux miracles – et sera cette fois exaucée :

".Cette situation dura jusqu'au premier jour du mois de Elloul et l'arrivée du sultan dans notre ville (septembre 1792). Mais immense fut notre effroi le jour de son arrivée, quand nous apprîmes qu'il était venu pour mater le soulève­ment de la tribu berbère des Zemmour, réputée pour le nombre et la qualité de ses combattants. La rumeur rapportait que dans le camp royal on appré­hendait beaucoup cet affrontement qui devait être décisif, toutes les autres tribus en attendant l'issue pour se joindre au vainqueur. Nous avons alors décrété des journées de pénitence et de prières pour implorer le secours de l'Eternel.

Entre temps, la vie continuait son cours normal, les uns célébrant la bar mitsba de leurs enfants, d'autres arrangeant des mariages. Parmi ces derniers, le sieur Itshak Aragonez qui avait trois filles en âge de mariage. L'aînée était fiancée à un étudiant de la yéchiba du nom de rabbi Haïm Maimran. Les parents avaient conclu la promesse de mariage avec la clause habituelle de dédommagement en cas de violation et fixé la date de la houpa. Quand elle arriva, les parents de la promise supplièrent ceux du futur époux de bien vouloir en repousser la date, n'ayant pas pour l'heure les moyens de cette célébration. Le même Itshak avait également cinq fils, dont un âgé de cinq ans et l'autre de trois ans. Comme à son habitude chaque vendredi soir, il sondait les connaissances de son jeune fils sur la péricope de la semaine. Alors que le jeune fils récitait les passages appris, le benjamin attentif écoutait et retenait tout.

Or dimanche matin, en se rendant à l'office avec ses enfants, Itshak céda aux implorations de son benjamin, le prit dans ses bras et alla à la porte du mellah pour lui acheter des beignets. Mais au moment où il en franchit le seuil, il se retrouva face au sultan à la tête de son armée partant en expédition. Un des serviteurs du roi voulut les arrêter, mais le souverain les rassura et se pen­chant vers le petit enfant, lui demanda de lui réciter quelque passage de la Torah d'Israël. Sans hésiter, ce dernier lui récita la première phrase en hébreu de la péricope de la semaine : "Quand tu iras en guerre contre tes ennemis, et que l'Eternel, ton Dieu, les livrera en ton pouvoir" (Deutéronome, 22) Quand le sultan entendit la traduction en arabe, il en fut ravi, y voyant un bon présage" Sa victoire effectivement fut totale, et c'est avec une joie débordante que la communauté accueillit le souverain au retour du champ de bataille avec des milliers de prisonniers. Le sultan n'oublia pas la famille Aragonez qui reçut force cadeaux qui lui permirent de célébrer à temps le mariage…"

A la tête de ses officiers, le sultan inspecta la brèche béante dans la muraille du mellah donnant sur la rue dite derb El ghndor et il ordonna au pacha de la reconstruire promptement aux frais du Makhzen. Deux mois plus tard, les travaux étaient terminés et l'argent auparavant mobilisé à cet effet par la communauté fut versé, partie à la caisse des pauvres, partie consacré au ren­forcement des édifices communautaires.

Mais à l'été de l'année suivante, 1793, éclata une nouvelle rébellion dans la région de Meknès, menée par le frère du souverain, Moulay Slama, avec le soutien de la tribu berbère des Amhaus connue pour sa haine farouche des enfants d'Israël. Il avait regroupé une armée de 4000 hommes dans la loca­lité d'Agouraï. Pour tenter de l'amadouer, les habitants juifs de ce bourg lui avaient offert un présent. A leur grand soulagement, le rebelle les reçut avec amabilité et leur promit que contrairement à leurs appréhensions, aucun mal ne leur sera fait. Il se rendit alors à Meknès avec son armée pour essayer de mobiliser à ses côtés les Abid, mais essuya un cuisant échec qui le contrai­gnit à prendre la fuite, entraînant la débandade de ses partisans. Les rescapés revinrent à Agouraï. Les Juifs les couvrirent d'injures, puis pour apaiser la haine, ils collectèrent pour eux des aumônes et leurs offrirent des vêtements pour couvrir leur nudité, se souvenant du précepte du Livre des Proverbes : "Lorsque ton ennemi tombe ne te réjouis point; s'il succombe, que ton cœur ne jubile pas " (24,17)

La periode classique- Joseph Toledano

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