Juifs marocains – le prix de l'exil

 

Juifs marocains – le prix de l'exil

Dans un récent article,l’historien Yigal Bin Nunrévèle les dessous de la négociation entre l’Etat d’Israël et les autorités marocaines pour l’évacuation des juifsdu Maroc.

 

Histoire

«

L’histoire des juifsdu Maroc aprèsl’Indépendance est marquée par l’évacuation presque totale d’unquart de million de juifsen direction d’Israël ».Comment une population enracinée dans une terre depuis près de 2000 ans a-t-elle été ame-née à la quitter en si peu de temps ? La question continue de préoccuper des chercheurstels que Yigal Bin Nun, convaincus que despans entiers de cette histoire restent à découvrir. Les raisons du départ massif des juifs ne sont pas simples à élucider. Seule une conjonction de facteurs – culturels, socio-économiques et historiques – permet de rendre compte del’état d’esprit qui a poussé cette population audépart.

Un avenir incertain.

Dans son dernierarticle intitulé «La négociation de l’évacuationen masse des juifs du Maroc », ce professeur del’Université Paris VIII dresse le catalogue des raisons de ce départ. Pour l’historien, « une des raisons que l’on n’évoque jamais mais qui reste primordiale est le changement démographique» :un processus qui avait débuté bien avant leXe siècle et qui avait conduit la populationjuive à migrer des campagnes vers les petitesvilles, ou des petites villes vers les grandes villes.Ces migrations intérieures expliquaient pour-quoi, à l’indépendance, Casablanca concentrait plus dela moitié de la population juive duMaroc. Tout était prêt en quelque sorte pour faciliter une émigration de masse. «

La grande majorité des juifs qui ont quitté le Maroc l’ont  fait pour améliorer leurs conditions de vie et leur situation socio-économique», explique Bin Nun.Un autre facteur de taille qui a facilité le départdes juifs est l’occidentalisation rapide de la communauté. Celle-ci fréquente, en effet, depuis1864, les écoles de l’Alliance universelle israélite où l’accès au savoir se fait par la langue française – devenue vecteur de la modernité. Imprégnés de la culture républicaine, les juifs aspirent désormais à l’assimilation avec lesFrançais. Cependant, la nationalité ne leur sera jamais accordée comme en Algérie, et les lois antisémites de Vichy pendant la guerre finiront de décevoir les espérances françaises dont certains se berçaient. Cependant, l’éducationqu’ils ont reçue n’en a pas moins contribué àcreuser un fossé entre eux et la majorité des musulmans.

Sentiment d’asphyxie.

Dès 1948, avec la création de l’Etat d’Israël, les exactions contre les juifs se multiplient au Maroc comme dansles autres pays arabes. En juin 1948, un mois seulement après la création d’Eretz Israël, ont lieu les événements sanglants de Jerada et d’Oujda qui feront 43 morts. Un autre incident, bien qu’il n’ait pas de lien direct avec leconflit israélo-arabe, est à déplorer le 3 août 1954 à Petit-Jean (Sidi Kacem) : six commerçantsjuifs sont tués. Quoi qu’il en soit, le panarabisme, en plein essor à cette époque, ajoute au malaise de la communauté. Vient alorsl’époque de l’Indépendance et son lot d’espoirs.Une certaine euphorie s’empare de la communauté. Un juif, Léon Benzaquen, est nommé ministre. Mais cet enthousiasme ne durera guère. En cause, pour l’auteur, la politique du jeune Etat indépendant marocain. Même si, d’après lui, «le Maroc est le seul pays où leschoses se sont passées différemment. Dans la plu part des pays arabes (Libye, Syrie, Liban), les juifsont été expulsés

». Cependant, certaines de ses premières décisions en tant nouvel Etat indépendant ne pouvaient pas rester sans conséquence. Plus particulièrement la promotion,dans les discours, de l’arabisation fera craindre aux juifs de perdre leurs avantages acquis grâ-ce à leur maîtrise de la langue française sous le Protectorat (la connaissance de la langue française était un atout pour travailler dansl’administration). Mais surtout, le Maroc va commettre l’erreur stratégique de bloquer l’octroi de passeports à ses citoyens juifs. Jusqu’en 1956, l’émigration vers Israël s’organisait sous l’égide de Qadima (organisation créée parle Mossad), qui avait des bureaux dans plusieurs villes importantes du Royaume. Mais la politique de blocage de l’octroi des passeports vapousser les juifs candidats au départ à entrer dans la clandestinité. Pour l’ensemble de la communauté, cette atteinte à la liberté de circulation crée un sentiment d’asphyxie, aggravé par la rupture unilatérale des relations postales avecl’Etat d’Israël à l’occasion de l’adhésion à l’union postale arabe. Finalement, ce sont des facteurs d’ordre psychologique – la crainte d’une «catas-trophe» – qui seront à l’origine de ces départs,plus que la réalité des événements eux-mêmes.

Extrait "La fin du judaïsme en terres d’islam" sous la direction de Shmuel Trigano

El Fassi et les jeunes  filles juives

 Au début des années soixante,alors que l’émigration était déjà légale bien que discrète, un phénomène nouveau vint ébranler lavie de la classe moyenne juive auMaroc. Ce furent quelques cas de conversions de jeunes filles juives àl’Islam. Ces cas seraient passes inaperçus si le nouveau ministre desaffaires islamiques, le chef du parti del’Istiqlal Allal El Fassi, fervent partisan du panarabisme et défenseur de l’Islam, n’avait décidé d’en tirer politiquement profit. Dans l’organe arabe de son parti, Al Alam , il publia quotidiennement les noms et les photographies de jeunes juives qui se convertissaient à l’Islam. Il alla même jusqu’à consacrer le stand de son ministère à la Foire internationale de Casablanca à une exposition de ces photographies, incitant par cet acte d’autres jeunes à se convertir. Les dirigeants de la communauté ne tardèrent pas à réagir durementcontre les méthodes de ce héros du Mouvement national marocain, don’t certaines opinions inquiétaient déjà la rue juive.

La Voix des communautés ,rédigé par Victor Malka, consacra trois numéros à ce problème et en fits on cheval de bataille contre leministre. David Amar ameuta l’opinion publique en publiant un supplément de l’organe descommunautés en arabe, destiné aux dirigeants politiques arabisants. Il accusa le ministre de vouloir tire rprofit sur ses adversaires politiques sur le compte de la communauté, au lieu de s’occuper des mosquées, des prêches et des pèlerinages. Ils’adressa au ministère de la Justice pour arrêter la publication de ces photographies dont quelques-unes,avec onze noms de jeunes juives,furent reproduites dans l’organe de lacommunauté.

 Opération Yakhin.

1961 marquera un tournant. L’année commence avec le naufrage du Pisces – un bateau transportant des juifs qui émigraient clandestinement – le 11 janvier et qui fait 43 morts. A cette occasion, le Mossad organise une opération de communication comprenant la distribution de tracts dénonçant la politique de blocage des passeports. Quelquesjours auparavant, la visite de Nasser, qui s’est accompagnée de nombreuses exactions commises par la police sur les juifs, a traumatisé la communauté (voir extrait). 1961, c’est aussi l’année de l’accession au trône de Moulay Hassan, plus pragmatique sur la question et assez ouvert à la possibilité d’une émigratio n«légale» dont il comprend qu’il peut tirer un bénéfice politique. Tous ces changements annoncent l’avènement d’une troisième étape dans l’histoire de l’émigration juive marocaine, celle de l’opération Yakhin (1961-1966) qui succède à celle de l’époque de Qadima (1948-1956), et celle, clandestine, de la Misgeret (1956-1961). C’est grâce à une longue série d’entretiens et de contacts entre agents israéliens et proches du Palais par l’intermédiaire de juifs marocains que tout cela a été rendu possible. Dès mai 1961, « commencèrent les premiers préparatifs pour contacter le ministre du Travail Abdelkader Benjelloun et le prince Moulay Ali Alaoui, tous deux proches du roi», écrit Bin Nun. Depuis le naufrage du Pisces, Israël est convaincu de l’intérêt de mener des négociations pour débloquer la situation. Le raisonnement de l’Etat juif est le suivant : puisque« le départ des juifs du pays porterait atteinte àson économie (…) par conséquent le Maroc devait être indemnisé ». Deux personnalités de la communauté seront chargées d’établir des contacts avec les autorités marocaines : Sam Benazeraf et Isaac Cohen Olivar. Entre la mi-juin et fin juillet, une série de pourparlers ont lieu entre les protagonistes. Un accord de compromis est trouvé. Cet accord secret – conclu oralement -prévoyait le versement d’un montant variant entre 100 et 250 dollars par émigrant juif aux autorités marocaines. L’organisation logistique de l’évacuation est assurée par la HIAS, au moyen de passeports collectifs. Ainsi, entre novembre 1961 et la fin de 1966, ce sont 97005 juifs qui sont évacués. Selon Yigal Bin Nun, les autorités marocaines auraient reçu pour les 26000 premiers migrants 100 dollars par personne puis ce montant serait passé à 200 dollars, puis 250 dollars. Plusieurs personnalité smarocaines d’envergure auraient été impliquées dans cette transaction : des ministres -dont bien évidemment Benjelloun – mais aussi le cousin du roi Moulay Ali. L’article de BinNun évoque notamment les avantages qu’ont pu en tirer certains hauts fonctionnaires don’t le directeur de cabinet d’Oufkir Abdelwahab Lahlali et des personnalités possédant des intérêts dans le secteur des transports.Au total, cette évacuation, qui a été menée en un temps record, aurait coûté à Israël entre20 et 30 millions de dollars de l’époque. Une telle précipitation était-elle vraiment nécessaire ? Pour l’auteur, « les juifs marocains ne couraient aucun danger. Tôt ou tard, ils auraient quitté le Maroc mais cela aurait pu se faire plus doucement" 

Le contexte troublé de la seconde moitié du XXesiècle explique peut-être une telle frénésie.

MAJDA FAHIM

Le test de la visitede Nasser à Casablanca

Extrait La fin du judaïsme en terres d’islam sous la direction de Shmuel Trigano

 

La visite du président égyptien à Casablanca fut un événement traumatisant pour la communauté. Il était le symbole du réveil nationaliste panarabe et del’effondrement de plusieurs régimes monarchiques. Cette tendance ne manqua pas d’inquiéter le régime marocain qui dut s’aligner, contre son gré, sur les tendances pro-nassériennes de son opinion publique. La politique anti-israélienne de Nasser rapprocha le conflit israélo-arabe du cœur des Marocains, ce qui renforça leur nationalisme arabe et suscita unecertaine hostilité envers l’Occident,imperceptible auparavant. Les juifs, deleur côté, attendaient avec angoisse l’ennemi d’Israël, pour voir comment sa visite pouvait avoir une influence surleurs relations avec les musulmans.Nasser atterrit au Maroc le 2 janvier 1961 mais, dès la veille, des témoignages avaient fait état d’exactions policières contre des passants juifs. Des policiers insultèrent des vieillards, des femmes et des enfants dans la rue parce qu’ils portaient des vêtements avec un mélange de couleurs bleue et blanche,rappelant, à leur avis, le Drapeau israélien. On leur reprocha aussi deporter des vêtements noirs, comme signe de deuil envers l’ennemi d’Israël.Des policiers insultaient le Premier ministre israélien Ben Gourion. On entendit parallèlement des policiers glorifier Nasser, le dirigeant du monde arabe. Il est nécessaire de noter à cesujet que cette atmosphère n’avait rien de spontané. Elle est la conséquence, au moins en partie, de la propaganda panarabe diffusée dans la presse en langue arabe des partis politiques, à laveille de la visite.

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