Sur les pas d’Andre Chouraqui a la decouverte d’une "terre inconnue

Sur les pas d’Andre Chouraqui a la decouverte d’une "terre inconnue"
Ce texte s’adresse a ceux qui n’ont pas (encore) eu le loisir de lire les 600 pages de l’ouvrage d’Andre Chouraqui « Histoire des Juifs en Afrique du Nord ». Cet ouvrage raconte l’exil des Juifs au Maghreb, vecu durant pres de trois millenaires, exil qui s’acheve en quelques decennies avec l’accession du Maroc, de l’Algerie et de la Tunisie à l’independance, coincidant avec la resurrection de l’Etat d’Israel.
« Qui sommes-nous ? D’ou venons-nous ? »
Telles etaient les interrogations d’Andre Chouraqui enfant, eleve du lycee d’Oran de 1917 à 1935, questions qui demeuraient sans reponses : aucun historien ne s’etait penche sur cette minorite juive vivant dans un ocean berbere et arabe, mais presente au Maghreb avant la conquete romaine et l’invasion arabe.
Pour combler cette lacune, Andre Chouraqui a ecrit ce livre, publie pour la premiere fois en 1985 et reedite en 1998. L’auteur nous confie qu’il a parcouru la region a la recherche d’archives disseminees sur un immense territoire, etendu de la Mediterranee a l’Atlantique et se prolongeant au sud par le desert du Sahara.
Les recits d’historiens romains, arabes, hebreux, espagnols sont parfois contradictoires et certaines de leurs affirmations paraissent invraisemblables. Andre Chouraqui s’efforce de distinguer la realite historique des mythes et des legendes.
Tâche delicate dont il mesure la responsabilite :
« Aussi n’est-ce pas sans trembler que l’on devient historien d’un tel passe, d’autant plus qu’il constitue sur les tables de l’humanite et sur celles meme d’Israel une terra incognita », ecrit-il dans les premieres pages de son ouvrage, devenu un ouvrage de reference.
Pour donner une idee de son contenu, nous repondrons aux sept questions que se posent les descendants des Juifs d’Afrique du Nord.
1- Quand les Juifs se sont-ils implantes en Afrique du Nord ?
Les origines sont multiples, les premiers flux migratoires remontent a l’antiquite, les derniers au XVeme siecle.
La premiere vague serait venue du Proche-Orient : avec les Pheniciens, originaires de Tyr des « colons » juifs auraient participe à la fondation de Carthage en 813 avant J.-C. puis au developpement de l’Empire carthaginois, jusqu’ a sa destruction par les Romains en 146 avant J.-C.
La deuxieme vague aurait fui la Judee après l’invasion perse et la destruction du premier temple par le roi Nabuchodonosor en 586 avant J.-C.
La troisieme est liee a la guerre des Juifs contre les Romains marquee par la destruction du deuxieme temple en 70 apres J.-C. Les conditions de vie precaires, la misere, la famine, l’insecurite, avaient contraint de nombreux Juifs a essaimer sur tout le pourtour mediterraneen, ou ils seront rejoints par des milliers de combattants prisonniers devenus esclaves des Romains.
Les quatrieme et cinquieme vagues sont venues d’Espagne apres la reconquete de la peninsule iberique par les Chretiens : en 1391 apres des massacres en Castille, en Aragon et aux Baleares, puis un siecle plus tard en 1492 a la suite du decret d’Isabelle la catholique donnant le choix entre l’expulsion, la conversion au catholicisme ou le bucher.
2- Qu’en est-il de la conversion des Berberes au Judaisme ?
Le proselytisme juif a ete autrefois une realite : plusieurs tribus berberes se sont converties au judaisme, mais nombre de ces berberes fraichement judaises adopteront la religion des conquerants islamiques.
La Kahena, reine berbere convertie au judaisme, qui dirigea le tres ephemere royaume berbere, menera la lutte contre les Arabes à la tete de guerriers juifs et berberes. Elle succombera devant les forces ennemies, mais ses deux fils se convertiront a l’islam et avec 12000 cavaliers berberes partiront a l’assaut de l’Andalousie.
Le nombre de Berberes judaises demeures juifs est impossible a chiffrer.
3- Qui a gouverne l’Afrique du Nord durant ces trois millenaires, et quel etait le statut des Juifs sous ces differents regimes ?
Du temps de Rome (de 146 avant J.-C. à 430 apres J.-C.), après une ere de tolerance, les persécutions ont repris avec la christianisation de l’Empire.
Fermons vite une parenthèse d’un siecle, l’ere des Vandales, barbares venus de Germanie, qui auraient ete plus deletere pour les Chrétiens que pour les Juifs.
Avec Byzance (533- 642) les Juifs sont a nouveau victimes des persecutions chretiennes.
Le règne de l’islam débute en 642. Il a été longtemps celui d’une mosaïque de dynasties arabes puis le Maghreb est tombé aux mains des Turcs de l’Empire ottoman à partir du XVème siècle.
« La survie des Juifs pendant leurs exils en pays musulman et en Europe constitue un miracle non moins important que leur sortie d’Egypte sous la conduite de Moïse ». Cette phrase citée par André Chouraqui n’a pas été écrite au XIXème ou au XXème siècle comme on pourrait le croire : son auteur est un théologien juif du XIème siècle, ce qui en dit long sur la condition des Juifs en Afrique du Nord et en Europe entre le septième et le onzième siècle. Le jugement de ce théologien demeure vrai sur une période encore plus longue, jusqu’en 1830, soit 21 siècles sous le joug islamique!
Cette survie s’explique aisément lorsque l’on sait que le sort des Juifs était différent suivant les périodes ou les dynasties, la pire ayant été celle des Almohades
« Ce qui, à un moment déterminé est vrai pour les Juifs du royaume de Tlemcen, est contredit au même moment pour ceux de Tunis, de Kairouan ou de Marrakech », comme nous le rappelle André Chouraqui.
Le statut de dhimmi, et ses humiliations, statut de sujets chretiens et juifs beneficiant d’une protection pour etre autorises à vivre en Terre d’Islam, etait appliqué de facon plus ou moins stricte. La djizzya était un tribut apporte annuellement par le représentant de la communauté juive en échange d’une… gifle. Ici ou là se sont déroulés des pogroms, mais ces explosions de violence n’étaient pas planifiées ; elles consistaient plus en pillages qu’en massacres ou en conversions forcées.
La ghettoïsation dans les mellahs du Maroc, qui comportait des avantages et des inconvenients pour leurs habitants, n’etait pas perçue comme une mesure coercitive, mais, avec la surpopulation, les conditions de vie y etaient devenues epouvantables.
Et l’on comprend que la conquete de l’Algerie par la France en 1830 et l’instauration d’un protectorat sur la Tunisie en 1881 et le Maroc en 1912 aient ete considerees par les Juifs comme une liberation : elles mettaient fin à 21 siecles de « dhimmitude » et constituaient une ouverture vers la modernite.
De plus le decret Crémieux. (octobre 1870) accordait la citoyenneté française à tous les Juifs d’Algérie. Ce décret qui avait déclenché la colère des antisémites, particulièrement virulents au moment de l’affaire Dreyfus, a été abrogé sous le gouvernement Pétain (octobre 1940) et il fallut attendre 1943 et le gouvernement de Gaulle pour que les droits des Juifs soient rétablis
En 1962 les Juifs d’Algérie ne pouvaient prendre le risque de devenir les sujets d’un Etat arabe et n’ont pas eu d’autre choix que de quitter leur terre natale, tout comme leurs coreligionnaires de Tunisie et du Maroc.
4- Des Juifs d’Afrique du Nord se sont-ils convertis à l’islam ?
Des conversions forcées ont eu lieu, mais il semble qu’elles aient été limitées à certaines périodes, notamment au cours de la dynastie des Almohades.
Le sentiment de communautés dispersées d’appartenir au même peuple a constamment prévalu, mis à part les conflits ou plutôt les rivalités entre autochtones et nouveaux arrivants d’Espagne sur des questions de rite religieux.
5- En quelles langues s’exprimaient-ils ?
L’hébreu n’a plus été la langue parlée, mais il est demeuré la langue de la prière et des livres religieux. Les langues parlées ont été l’arabe, le judéo-arabe, le judéo-berbère, le judéo-espagnol puis le français.
6- Ou vivaient les juifs d’Afrique du Nord et quelles etaient leurs professions ?
Certains etaient des citadins, d’autres des ruraux sedentaires ou semi-nomades, quelques uns, dans le sud tunisien ont ete des troglodytes.
Ils etaient commercants, artisans, cultivateurs dans des proportions sans cesse fluctuantes ; avec la presence française, de nombreux Juifs ont exercé des professions libérales ou sont devenus fonctionnaires de la République.
7- Que sont devenus les Juifs d’Afrique du Nord ?
A l’accession de l’Algeie, du Maroc et de la Tunisie à l’independance, une infime proportion de Juifs est demeuree au Maghreb : la majorite a quitte l’Afrique du Nord pour se rendre en Israel, en France, au Canada…, mais nombre de Juifs ont fait leur alya apres une etape plus ou moins longue en France ou outre Atlantique.
Avec le retour en Israel, « la boucle est bouclée », les Juifs d’Afrique du Nord sont revenus, après un long exil, sur la terre de leurs ancetres.
Erudition, impartialite, rigueur, tels sont les termes qu’inspire la lecture de « L’histoire des Juifs en Afrique du Nord », fruit d’un travail considerable de l’auteur aide par des chercheurs, Mme Colette Guigui et M. Gabriel Barel, qui ont contribue a reunir, a traduire et a analyser la riche documentation sur laquelle s’appuie l’historien.
Notes : André Chouraqui, né en 1917 à Aïn-Témouchent, nous a quittés en 2007, à l’âge de 90 ans, au terme d’une vie exemplaire : ce juriste de formation a ete l’auteur de traductions de la Bible et du Coran, de poesies et de nombreux ouvrages, parmi lesquels sa celebre autobiographie « L’amour plus fort que la mort ».
Il a fait son alya en 1958 ; en 1965 il a ete elu vice maire de Jerusalem.
Il existe une association des amis d’Andre Chouraqui vouee à perpetuer sa memoire.
Source : Paul Benaïm pour Guysen International News – Mardi 20 juillet 2010