Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo- Les premiers Agents du Mossad au Maroc

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Emissaires sous "couverture"

Shlomo Yehzquiéli

Les nouveaux agents, en nombre grandissant avec la diversification des activités, ne devaient plus arriver au Maroc comme Israéliens, mais naturellement comme des étrangers d'une autre nationalité, munis de différents passeports, selon leur connaissance des langues notamment. La moitié d'entre eux était originaire des kibboutzim. De la première délégation de 1955, nous sommes restés deux à la fin. Vous vous demandez comment il est possible de rester Israélien dans ces conditions au Maroc?

Tout celui qui connaît de près le travail clandestin sait combien il est difficile pour un agent secret agissant dans un cadre limité, de changer d'un seul coup de passeport et de personnalité et d'en adopter une nouvelle – alors que sa photographie se trouve dans les fichiers de police des étrangers. La raison pour laquelle j'ai voulu rester, organiser l'action de la Misguéret et ne pas repartir au bout de quelques mois seulement, est que je m'étais attaché aux juifs du pays, aux hommes de la Misguéret, à ma fonction – au point de ne pas pouvoir imaginer de repartir si vite. Mes supérieurs en Israël avaient aussi un problème: ils n'avaient pas encore trouvé de candidat pour me remplacer. J'ai pu ainsi les convaincre sans difficultés, que dans les conditions particulières de l'organisation de la police marocaine, prenant la relève des Français dans les services de sécurité, je ne courais pas de grand risque. A la suite d'une rencontre à Gibraltar, il a été décidé que je devais quitter le pays pour adopter une nouvelle identité, et qu'à mon retour au Maroc je prendrai des mesures de sécurité particulières jusqu'à l'arrivée de mon remplaçant, quatre mois plus tard.

C'était à la veille de la Campagne du Sinaï, mais naturellement nous n'en savions rien – et rien non plus des relations étroites nouées entre Israël et la France, plus particulièrement entre les armées et les Services Secrets de ces deux pays. Ce n'est que quelques semaines plus tard, après l'éclatement des combats, que nous avons compris le sens des instructions strictes que nous avions reçues sur les contacts avec les services secrets français à Casablanca. Les rencontres étaient entourées de mesures de précaution exceptionnelles, de vérifications poussées, au point que mon représentant, pourtant un agent très expérimenté, avait failli ne pas arriver à toutes les rencontres prévues. Cette idylle ne devait pas durer longtemps. S'il y eut des contacts opérationnels fructueux avec des agents français, cela devait être sur une base personnelle, non institutionnelle. Les Français sont distants par nature et ne s'intéressent pas aux affaires des autres – contrairement aux gens du Sud, comme les Italiens et les Espagnols, qui sont plus ouverts et plus curieux.

Si mon C.V. était plausible, il n'en était pas de même de ma couverture professionnelle. Je ne m'étais jamais occupé de commerce et j'avais peu de connaissances sur le travail d'un agent commercial et sur la correspondance dans ce domaine. J'étais encore moins familier des appareils ménagers et industriels que j'étais censé commercialiser au Maroc. La société pour laquelle j'étais censé travailler m'avait appris beaucoup de choses, mais ce n'était pas suffisant. J'aurais pu théoriquement me perfectionner auprès des membres locaux de l'organisation, mais le temps manquait et je n'avais pas la tête à cela. Il ne me restait donc plus qu'à compter sur mes précautions et la situation peu reluisante des services de sécurité marocains.

Tout cela ne devait pas éviter des situations embarrassantes. Un jour que je déambulai dans une rue très fréquentée de Casablanca, un jeune juif devait me saluer de l'autre trottoir par un retentissant "Shalom, M. Yéhzquiéli, comment allez-vous?" Ce n'était pas très plaisant, mais pas catastrophique. A mon aide étaient venue la foule dense et le fait que peu de gens pouvait savoir que c'était de l'hébreu.

Je partais donc pour l'Europe pour me familiariser avec ma nouvelle identité, mes nouveaux papiers, mon nouveau C.V., ma nouvelle profession, les évènements marquants de mon "passé" et mes déplacements du temps de mon "enfance". J'ai étudié avec mes supérieurs de nouvelles méthodes d'action et j'ai rencontré le responsable de la Alyah, Ephraïm Shilo, un homme de grande expérience du temps de la Alyah clandestine d'Europe. J'ai de même rencontré Hasdaï Doron, le responsable de la Misguéret à Tanger, et Hertzel Sher, le commandant de la Misguéret à Gibraltar, qui tous deux étaient indépendants de l'organisation au Maroc. Nous avons pu ainsi analyser ensemble les avantages et les inconvénients des différentes voies de sortie possibles du Maroc. A ma sortie d'un petit aéroport européen, on m'a pris mon passeport et demandé poliment d'attendre. Tous les passagers devaient passer les formalités et je restais en arrière, pas très rassuré, préparant ce que devrait être ma réaction. Après dix longues minutes, on me rendit mon passeport avec un grand sourire. A ce jour je ne sais de quoi on m'avait soupçonné.

A mon retour au Maroc, je me sentais plus sûr qu'auparavant comme Israélien. Cette fois je n'avais pas besoin de m'inscrire dans les services de police, et de ce fait ils n'avaient plus ma photographie dans leurs archives. Pour plus de précaution, j'ai débarqué à l'aéroport de Rabat et pas à celui de Casablanca. Je me suis installé dans l'appartement que l'on m'avait préparé. J'ai essayé de ne pas demeurer longtemps dans le même lieu, pour ne pas me faire trop de connaissances. J'habitais quelques jours par semaine à Rabat, le reste du temps à Casablanca. Je voyageais également dans d'autres villes et régions. Je choisissais toujours ma résidence dans les quartiers européens. Ma couverture professionnelle était satisfaisante et j'ai même réussi à l'améliorer d'une manière imprévue, avec l'aide de l'une de nos premières recrues dans la ville portuaire d'Agadir, un membre qui dénotait dans l'organisation.

Dans cette station estivale à 500 kilomètres au sud de Casablanca, vivait un jeune juif français – petit-fils d'un rabbin hollandais – du nom de Jacques Wajnaar. Après son service militaire dans la Légion Etrangère, il s'était installé dans son ancienne région de service – comme l'avaient fait d'autres légionnaires au sud du Maroc et à la lisière du Sahara. Quelques mots sur la Légion Etrangère pour mieux comprendre la suite: c'est une unité de l'armée française qui recrute des étrangers et est considérée comme une unité d'élite, qui attire des aventuriers au passé douteux ou ceux qui veulent acquérir ainsi la nationalité française.

La Légion Etrangère était surtout active dans les colonies françaises d'Afrique et de l'Extrême Orient. Les anciens de la légion restaient à jamais liés entre eux et s'entraidaient même après leur libération. Ils étaient le plus souvent adhérents de l'Amicale des Anciens de la Légion qui organisait des rencontres sociales, veillait aux droits de ses membres et à l'aide mutuelle. La loi non écrite était d'aider son prochain sans poser de question. Notre ami d'Agadir était actif dans l'Amicale et m'a procuré une carte de membre officielle en bon et dû forme et l'insigne de la Légion, il m'a donné tous les détails sur l'unité dans laquelle "j'étais censé avoir servi", des photos de groupe, des insignes et les grades que chacun est censé conserver pour ses petits-enfants (je les ai encore). Ces documents et ces insignes équivalaient à une assurance-vie – du moins en Afrique du Nord où étaient nombreux les anciens de la Légion et cela a contribué à renforcer mon assurance et ma tranquillité.

 

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