Tehila le David-Poemes de David Ben Hassine-Andre Elbaz et Ephraim Hazan

 

 

תהלה לדוד

DELIVRANCE MESSIANIQUE

Les souffrances de l’exil marocain ne suscitent pas seulement, chez David Ben Hassine, des réactions aussi désespérées. Le poète trouve sa consolation dans l’espoir messianique, étroitement lié, dans son oeuvre, au retour à Sion. Comme d’autres rabbins marocains con- temporains, il croit le salut d’autant plus proche que les malheurs de l’exil ont été plus grands:

 

"Un Libérateur viendra dans la ville de Sion …

Dieu (Lui-même) viendra vous sauver,

Vous tous qui vous tenez (devant Lui),

(Avec) vos enfants, vos épouses …

"O Mon peuple bien aimé! …

L’heure de Ma délivrance a sonné, Mon Salut approche.

Je vais Me hâter de vous rendre Ma faveur,

Et vous prendre en pitié.

Je mettrai en vous Mon esprit.

Je ramènerai vos captifs (dans leur patrie).

Le Messie annoncé par David Ben Hassine doit mettre fin à l’oppression et "libérer les prisonniers de la maison de servitude". Il redonne la souveraineté politique à son peuple, "soumet nos ennemis", ramène la joie à ceux qui portent le deuil de l’exil, et, surtout, les guérit de leur humiliation, en leur permettant à nouveau de marcher "la tête haute". Dans le premier des "chants splendides composés à la gloire du souverain dont nous attendons la venue, notre Messie de justice, incessamment, de notre vivant, Amen!", le poète, directement inspiré par les prédictions du prophète Isaïe, expose la plupart des thèmes messianiques qui lui tiennent à coeur, tous en contraste avec les infortunes de son exil:

Rassemble mes dispersés, mes expulsés,

Dieu Tout-Puissant! …

Accorde Ta miséricorde à Tes enfants,

Qui demeurent dans les ténèbres (de l’Exil),

En leur envoyant le Libérateur! …

Le Messie relèvera bien haut l’étendard de Juda,

Et deviendra notre souverain …

Les impies trembleront devant lui, réduits au silence.

Alors nous briserons les chaînes qui nous entravent…

Sur lui reposera l’esprit de Dieu …

Il châtiera les oppresseurs,

Et protégera les faibles et les malheureux.

Il lavera les souillures infamantes de la fille de Sion …

Pendant son règne, la sagesse de la Thora se répandra,

Sa parole sera entendue dans toute la terre.

Un peuple ne lèvera plus l’épée sur un autre peuple …

Mon Dieu! Hâte l’arrivée du Messie!

Qu’il vienne avant son heure sauver les pécheurs repentis! … Alors les enfants

(d’Israël) pourront revenir dans leur pays.

 

L’AMOUR DE SION

La perspective du rassemblement des exilés dans la Terre d’Israël pendant T ère messianique porte à son comble l’enthousiasme de David Ben Hassine. Son voeu le plus ardent? Etre libéré de sa captivité pour se rendre aussitôt dans "nos frontières", "notre terre", "ma patrie". Il consacre un ensemble de piyyoutim "à notre pays et au patrimoine de nos ancêtres, en l’honneur de notre Temple sacré, et à la gloire des justes enterrés à Tibériade". L’un d’entre eux, "’Ohil Yom Yom ’Eshta’é", écrit à la gloire de la ville de Tibériade et des grands sages d’Israël qui y sont enterrés, notamment le célèbre rabbin de Safed Hayyim Aboul‘afia (1660-1744), qui voulut rebâtir Tibériade en 1740, a connu depuis sa composition, vers 1770, une popularité remarquable, non seulement au Maroc mais dans toutes les communautés juives orientales. Présent dans la plupart des anthologies de piyyoutim, manuscrites ou imprimées, il a pu être inspiré à David Ben Hassine par un poème en judéo-espagnol de Ya‘aqov Beirav, "Ordenar quero un cantar", ou par l’une des nombreuses gravures représentant les lieux de pèlerinage en Terre Sainte, qui étaient répandues par les rabbins-émissaires en visite au Maroc. L’un de ces derniers, Shalom ‘Amar, originaire de Meknès, installé à Tibériade, a sans doute donné au poète des précisions topographiques sur l’emplacement des tombes sacrées, lors de sa visite dans sa ville natale, vers 1770.

A son tour, " ’Ohil Yom Yom ’Eshta ’é" va inspirer plusieurs imitations. Shir Yédidot, l’anthologie poétique la plus répandue au Maroc, contient un piyyout anonyme en l’honneur de Rabbi ‘Aqiva, et un chant composé par Eliahou Hazan, émissaire de Terre Sainte, à la gloire de Jérusalem, qui tous deux suivent la mélodie et la structure, et même reproduisent des vers entiers, du poème de David Ben Hassine. Un matrouz, ou poème bilingue, alterne les strophes hébraïques de David Ben Hassine avec des strophes en judéo-arabe.121 Un autre piyyout alterne les strophes originales avec d’autres strophes hébraïques à la gloire de Rabbi ShinTon Bar Yohay.

David Ben Hassine ne chante pas seulement la Terre d’Israël, mais ses représentants, les shadarim – les rabbins-émissaires qui rendent régulièrement visite au Maroc, et qui constituent à cette époque un lien essentiel entre les communautés marocaines isolées et le reste du monde juif. Outre les rabbins de Tibériade et de Safed, il honore les émissaires de Hébron, David Ben Mergui et ‘Amram Diwan, que David Ben Hassine considère comme un maître et un ami, ainsi que Sévi Ha- Lévi et Ya‘aqov ‘Ayyash, émissaires de Jérusalem.

Dans tous ces poèmes, la Terre Sainte représente une sorte de pays merveilleux où David Ben Hassine aimerait vivre, dans la dignité et la liberté retrouvées, en somme l’antithèse de l’univers hostile de l’exil marocain abhorré. Cette image idéalisée de la Terre d’Israël a justement pour but de consoler les exilés juifs désespérés. L’espoir millénaire de l’arrivée du Messie et du retour à Sion constituent les seuls remèdes que le poète puisse proposer à la tragédie de l’exil, car il ne peut imaginer, à son époque, une amélioration quelconque du sort réservé aux siens, au Maroc.

ELOGE DES VIVANTS ET DES MORTS

Dans Téhilla Lé-David, plus de quarante-cinq piyyoutim chantent les louanges de personnes diverses. Alors que ces poèmes de louange étaient considérés en Espagne comme des poèmes profanes, ils prennent ici le caractère nettement religieux de l’ensemble de la poésie nord- africaine. La plupart de ces poèmes sont chantés à la synagogue, à l’occasion de l’appel à la Thora de la personne louangée, et on y retrouve les thèmes dominants de l’exil et de la rédemption messianique.

Plusieurs textes honorent les amis intimes du poète, ou des mem- bres de sa famille: son beau-père, 7 son fils Aharon, ses petits-

fils, un de ses beaux-fils, etc. D’autres vantent, de façon exagérée, les mérites de rabbins contemporains comme Shélomo Shalem, le dayyan séphardi d’Amsterdam, ou Shaoul Yéshou‘a Abitbol, de Sefrou, ou encore ceux de ses nombreux mécènes: EPazar Ha-Lévi Ben Sefat, qui lui permet de survivre à la terrible famine de 1780-81, le grand négociant Shélomo Sebbag, les puissants courtiers du sultan Shalom de la Mar, Mordekhay Shriqi, Mes‘od Ben Zekri, et d’autres encore, anonymes.

Certains poèmes font l’éloge de toute une collectivité: une "con­grégation qui pare un Séfer Thora de superbes rimonim et d’un beau manteau", la communauté de Marrakech, qui construit une école, celle, généreuse, d’El-Qsar, ou encore "les membres de la sainte con­frérie charitable, qui enterrent les morts et divertissent les nouveaux mariés".

Naturellement, nombre de ces poèmes de louange ont été écrits "à la demande" expresse, comme le précise David Ben Hassine lui-même à plusieurs reprises, d’individus fortunés qui lui donnaient une rétribution. Parfois, c’est le poète lui-même qui dédie ses vers à une personnalité qu’il désire honorer, ou dont il espère la bienveillance.

David Ben Hassine a composé une quarantaine d’élégies, la plupart à l’occasion de la mort de sommités rabbiniques et de notables communautaires de son époque, ce qui confère à ces poèmes une grande valeur historique. Quatre élégies émouvantes sont consacrées à des femmes. Le poète prie Dieu de considérer la mort d’une défunte "comme un sacrifice d’expiation pour tout Israël". Il la traite ainsi sur un pied d’égalité avec les plus grands saddiqim, dont la mort, selon le Zohar, peut expier les péchés d’Israël. En général, la vie des per- sonnes louangées est érigée en modèle à suivre.

POEMES LYRIQUES

On trouve enfin dans Téhilla Lé-David quelques poèmes lyriques, plus personnels. Le poète s’émerveille devant la grandeur et la beauté de la nature, dans les oasis du Tafilalet, dans les hautes montagnes où gambadent les chamois et où ruissellent les eaux vives, "dans un navire, devant les merveilles de l’abysse". Il entonne "un chant nouveau sur le vin", et ses méfaits chez ceux qui en abusent, et même profère des imprécations contre les franc-maçons de la ville de Gibraltar! N’oublions pas ses chants d’amitié, et le très tendre "Chant d’amour", véritable hymne à la beauté et à la grâce d’une jeune épousée. Enfin, David Ben Hassine épanche sa douleur au cours d’un pèlerinage ardent sur la tombe du saddiq d’Aguiga.

Ces textes émouvants, mais peu nombreux, nous donnent des indications précieuses sur les états d’âme du poète, ses aspirations et sa vision du monde. Comme dans le reste de l’oeuvre de David Ben Hassine, le leitmotiv reste l’attente de la délivrance messianique, qui parfois supplante insensiblement le thème explicitement annoncé par l’auteur.

CONCLUSIONS

Au terme de cette analyse détaillée de l’oeuvre de David Ben Hassine, qu’il nous soit permis de récuser les jugements condescendants d’un Ya‘aqov Moshé Tolédano, ou ceux d’un Abraham Elmaleh, qui trouvait cette oeuvre bien médiocre quand il la comparait à celle d’Ibn Gabirol, de Yéhouda Ha-Lévi ou d’Al-Harizi. L’étude approfondie de cette oeuvre a mis en évidence la place privilégiée du piyyout dans la vie de la communauté juive maghrébine. Elle nous a révélé, non seulement un créateur de talent, sensible aux vicissitudes du destin de son peuple, qui le considérait comme son porte-parole, mais également un grand érudit, nourri de science rabbinique, et un virtuose de la langue hébraïque, qu’il savait faire vibrer au gré de son humeur de poète.

Si David Ben Hassine ne peut certes rivaliser avec les géants de l’Ecole classique espagnole, dont il se considère néanmoins comme un des continuateurs, son oeuvre poétique constitue un maillon important dans la longue histoire de la littérature hébraïque, telle qu’elle s’est développée en Afrique du Nord, et au Maroc en particulier. La postérité lui a assuré un succès enviable. Deux siècles après sa mort, ses piyyoutim sont encore chantés par les juifs marocains, qui reconnaissent en lui l’interprète de leurs joies, leurs peines et leurs aspirations. Dans tous les pays qui ont accueilli la diaspora juive marocaine, en Israël, en Europe ou en Amérique du Nord, David Ben Hassine, chantre de l’exil, de l’espoir messianique et du retour à Sion, reste encore aujourd’hui le poète maghrébin le plus populaire.

Tehila le David-Poemes de David Ben Hassine-Andre Elbaz et Ephraim Hazan

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