Memoires Marranes-Nathan Watchel- Resurgences marranes au Portugal

Du groupe de Yacov faisait partie un autre journaliste, Luis Gonzaga Dourado Rocha qui, dans un article publié en 1985 dans la principale revue de la communauté juive de Sâo Paulo, évoquait le projet de « réunir les crypto-juifs du Brésil […]. La première rencontre des « marranes » du Brésil a pour but de rassembler tous ceux qui ont conscience d’avoir des origines juives […]. Beaucoup d’entre eux souhaitent revenir au sein de la communauté, d’autres ont déjà accompli leur retour, et peut-être y a-t-il ceux qui n’ont pas encore pris connaissance de ce mouvement et qui viendront accroître les rangs de la communauté juive du Brésil».
Helio Daniel Cordeiro est né en 1963, à Americana, à l’intérieur de l’État de Sâo Paulo. Son père l’instruisit très tôt à la lecture de l’Ancien Testament, et il répétait avec fierté : «Ton grand-père était juif. » Ce grand-père paternel, venu du Portugal au Brésil, était originaire de Bragance, où il avait très probablement été un adepte d’Artur Carlos de Barros Basto, à l’époque où celui-ci y suscita la création d’une communauté juive. Dans un entretien, Helio Daniel Cordeiro explique ainsi sa vocation :
A douze ans, j’ai mieux pris conscience, plus nettement, de mon identité. A surgi en moi une sympathie pour l’Etat d’Israël, que j’ai liée à l’Israël biblique, et à une solidarité pour les Juifs victimes de l’Holocauste. Dès lors, j’ai étudié l’Ancien Testament, l’Inquisition, les Juifs portugais et leurs descendants au Brésil.
II s inscrit d abord a l'université de Campinas, où il suit des cours de théologie et de philosophie, puis il travaille comme journaliste dans diverses publications de la communauté juive de Sâo Paulo (O Hebreu, Informe Bnai-B’rit, Brasil-Israel). C est alors aussi qu’il se joint au groupe qu’anime Yacov et qu il publie, en 1986, un petit livre, Judaismo e Humanismo. Après le départ de Yacov pour Israël, il fonde le SHEMA, qui trouve rapidement un vaste écho : en 1992, donc en l’espace de deux ans, la Société avait déjà reçu deux cent cinquante lettres envoyées de tout le Brésil. Un peu plus tard, en 1995, il publie un autre ouvrage, Os Marranes e a Diaspora Sefardita. Estudo introductôrio sobre a identidade étnica criptojudaica, conçu comme un manuel destiné aux « descendants des nouveaux- chrétiens en quête de leurs racines»; symboliquement, cet ouvrage est dédié à la mémoire de Baruch Spinoza.
Avec David de Andrade, nous sommes en présence d’un cas moins fréquent: venu directement du Nord-Est, c’est à Sâo Paulo qu’il trouva sa voie religieuse. Il est né en effet à Arneiroz, en 1963, dans le lointain sertâo de Inhamuns, au Cearâ, fils du négociant Francisco Elias de Andrade et de Maria Valda Monteiro de Chaves, tous deux issus de familles éminentes de la région. La famille Andrade, liée à l’Église catholique, compte parmi ses membres plusieurs prêtres (un grand-oncle de David était evêque). Quant aux Chaves, on sait que leurs ancêtres sont venus au xviiie siècle de l’Alagoas (qui avait ete occupe par les Hollandais) pour coloniser dans le sertâo du Cearâ les vastes étendues de la Cachoeira de Fora.
– La foi religieuse de David de Andrade l’incita tout d’abord à entrer au séminaire catholique, où il se joignit aux adeptes de la «théologie de la libération». Il devint aussi le correspondant d’un journal de Fortaleza, ce qui l’amena à dénoncer les atteintes aux droits de l’homme commises par un fonctionnaire local ; à la suite de quoi il dut s’enfuir et chercha refuge à Sáo Paulo. Cette rupture bouleversa l’orientation de sa vie : d’une part, il suivit des cours de philosophie à l’université de Sáo Paulo, puis d’économie, et fut reçu à un concours difficile pour un poste élevé dans l’administration publique ; d’autre part, son nouvel environnement, à Sáo Paulo, le conduisit à s’interroger, lui aussi, sur certaines coutumes pratiquées dans sa famille.
Cependant ses parents, et surtout son frère, lui déconseillaient vivement de s’affirmer comme juif: «Tu veux donc, l’avertissaient-ils, humilier notre famille?» David de Andrade entra néanmoins en relation avec Helio Daniel Cordeiro, qui venait de fonder le SHEMA et l’introduisit auprès de Francisco Corrêa Neto. À son tour, David de Andrade se mit à étudier la religion juive au Beit Chabad de Sáo Paulo, puis partit pour Israël, muni d’une recommandation du même rabbin Abraham Anidjar, de Rio de Janeiro, qui avait prononcé la conversion de Francisco Corrêa Neto. Mais, à la différence de ce dernier, David de Andrade refusait de se soumettre à la procédure formelle de conversion ; or se posait le problème, inévitable pour tout descendant de nouveaux-chrétiens, des preuves de son ascendance juive. Après beaucoup d’efforts, David de Andrade réussit néanmoins à être reconnu comme juif non pas à la suite d’une «conversion», mais au titre d’un «retour».
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