His. des juifs de Safi-B. Kredya


Histoire des juifs de Safi-B. Kredya

PAGES DE L'HISTOIRE DES JUIFS DE SAFI

Pour satisfaire aux exigences du ministre plenipotentiaire espagnol Merry y Co loin, on entama les preparatifs pour l'execution de la sentence, en presence du pacha de la ville, de nombreux representants des consulats des pays etrangers installes a Safi et aussi des soldats des deux navires ancres safidans la rade.

Au matin du 3 septembre 1863 , la peine de mort du juif Youssef fut appliquee, sur la place de la ville de Safi. Une autre source affirme que cette mise a mort fut faite par les soldats des navires espagnols precites. Suite a ces evenements, il fut interdit aux juifs de traverser la rue ou se trouvait le consulat espagnol. Le vice-consul espagnol alia meme jusqu'a chasser les juifs qui y habitaient.

Le second accuse, le juif Elias, fut conduit sur l'un des navires de guerre a Tanger ou les ambassadeurs des pays etrangers au Maroc avaient leurs sieges. Le 13 septembre, il subit le meme sort que Youssef: il fut decapite sur la place publique pour satisfaire l'orgueil et l'arrogance de l'Espagne, pour laver la pretendue atteinte a son honneur et pour que les representants (ambassadeurs et consuls) etrangers constatent de visu combien l'Espagne etait crainte et respectee au Maroc et combien ses volontes etaient obeies

A peine le pays avait-il repris son souffle apres ce probleme et mis fin a ses consequences, qu'une nouvelle crise inattendue surgit.

II decoula de la condamnation des deux juifs et de la fagon humiliante dont elle fut executee, un bouleversement au sein de la communaute juive de Safi qui representait alors, environ le tiers des habitants de la ville. Ils se mirent, d'apres un rapport du gouverneur Benhima,  – a tuer les juifs sous protection… sous des pretextes mensongers– – De meme, une agita-tion colereuse naquit parmi les juifs de Tanger apres ce qu'ils avaient vu et entendu. Leurs notables et leurs personnalites communiquerent les nouvelles aux organisations juives en Europe et en Amerique, lancant des appels au secours aux gouvernements europeens, principalement britannique et frangais; ils contacterent des personnalites juives influentes comme Sir Montefiore, Adolphe Cremio et le Baron de Rothschild. La presse europeenne se mit a attaquer avec force l'Etat espagnol, l'accusant de fanatisme religieux et de barbarie. Les organisations juives en Europe et en Amerique publierent" des rapports emouvants sur la situation des juifs au Maroc; le sultan lui-meme ne fut pas epargne par ces attaques violentes, ni ses ministres, ni ses gouverneurs "

Certains pays europeens n'hesiterent pas a exploiter cette affaire au plus haut niveau pour leurs interets coloniaux. La France, l'ltalie et l'Angleterre exprimerent leur colere par la voix de leurs representants a Tanger. L'Angleterre considera le jugement des deux juifs comme injuste. A ce propos, l'adjoint de son representant a Tanger s'exprima, dans un arabe defectueux  " La condamnation a mort de ces juifs a ete executee avec hate, et sans tenir compte des lois en vigueur dans le jugement. Si c'est ainsi, il n'en sortira que le mecontentement de la Grande-Bretagne et de ses sujets qui aiment le sultan.

Par suite des violences et de la succession de ces evenements et de leurs developpements, emergea une celebre personnalite juive en vue, Sir Hai'm Moses (Moussa) Montefiore qui proposa sa mediation pour contenir l'affaire des juifs de Safi et y mettre fin, de facon a retablir la situation de tous les juifs du Maroc.

 Toutes les organisations juives europeennes donnerent leur benediction a sa proposition. Le gouvernement de son pays lui accorda son approbation et sa sollicitude. Cela l'encouragea et le rassura a tel point qu'il se mit a devancer les evenements, declarant avec conviction et calme, qu'il considerait sa mission reussie, sans exageration et sans reserve. Probablement, son optimisme etait-il du a :

L'Angleterre, qui encourageait et suivait l'initiative de Montefiore, se presentait, contrairement a la France et a l'Espagne, comme etant l'amie du Maroc. Et en fait, son representant a toujours " ete le conseiller du sultan qui lui demandait son avis dans de nombreuses affaires Internationales, et meme dans des affaires internes "

2  L'Angleterre etait a cette epoque le pays europeen qui avait le plus de penchant et de bienveillance pour les juifs. La reine Victoria, contemporaine de ces evenements – dont la mere etait juive de la famille des Sealfeld -, employa pour cette raison tous les moyens dont elle disposait, en consideration et en pouvoir, pour donner aux juifs de son pays plus de droits, leur accordant « l'egalite dans les droits civils et dans les fonctions politiques avec leurs concitoyens.

-3      Les organisations et les personnalites juives qui avaient ceuvre pour faire bouger l'opinion publique europeenne, reussirent a amener beaucoup de gouvernements a sympathiser avec l'affaire des juifs marocains, au point que l'Espagne exprima ses regrets et declara etre prete a renoncer a ses droits dans cette affaire.

־           L'initiateur de la demarche, Sir Montefiore, connu pour sa defense des juifs ou qu'ils se trouvaient dans le monde, etait d'origine marocaine

 II etait de la famille juive Sebbagh, venue du village Oufrane dans le Souss [Ifrane de 'Anti-Atlas] a Essaouira. II avait des liens d'alliance avec des familles marocaines dont Jdala, Medina et Aflalou.

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L'histoire des juifs de Safi (Maroc) est aussi ancienne que la ville elle-même. Malheureusement, peu d'écrits lui ont été consacrés. Brahim Krhdya, historien amoureux passionné pour sa ville, tente de relancer la recherche dans ce domaine. Il ne cesse de piocher dans les rares manuscrits disponibles safiet incite les chercheurs à suivre son exemple

Malgre son age avance, qui approchait a l'epoque les 80 ans, Montefiore entreprit, dans le but de faire triompher l'affaire des juifs de Safi, de nombreux et penibles voyages, qui durerent six mois et qui le conduisirent a Madrid, a Tanger puis a Marrakech.

II se rendit a Madrid ou il discuta avec le gouvernement et avec la reine espagnole et en obtint une reponse satisfaisante. Suite a cela, il se transporta a Tanger pour recevoir du representant espagnol dans cette ville, une decision par ecrit renoncant a son droit dans la condamnation des juifs emprisonnes a Safi, impliques dans l'affaire Mantilla.

Apres cela, il embarqua de Gibraltar sur un bateau de guerre pour Essaouira, puis alia a Marrakech pour rencontrer le sultan Sidi Mohammed Ben Abderrahman, qui le recut avec un honneur peu commun. II l'accueillit sur la place du Palais, avec une revue militaire d'environ six mille soldats, fantassins et cavaliers, portant leurs armes et leurs habits d'apparat.

Montefiore tint deux reunions avec le sultan. A ce propos, sa majeste dit de lui : « Montefiore est venu interceder pour deux juifs emprisonnes a Safi, accuses dans la mort d'un Espagnol et sollicitant de notre Seigneurie, Elevee par la grace de Dieu, et nous recommandant les juifs. Nous avons repondu favorablement a sa demande par la liberation des deux prisonniers que leurs accusateurs ont innocentes et nous avons accepte ses recommandations.

Ainsi, Montefiore respecta sa promesse et obtint plus qu'il n'esperait de ces voyages. II fit liberer les deux juifs emprisonnes a Safi, porta le sultan a promulguer un dahir (edit) le 5 fevrier 1864 – premier du genre dans l'histoire du Maroc et reserve uniquement aux sujets juifs de son royaume ,alors qu'il se trouvait encore a Marrakech. Nous reproduisons ci-apres le point le plus important dans cet edit sultanien unique en son genre :

« Nous ordonnons a quiconque recoit notre presente lettre… tous nos sujets, nos gouverneurs et les charges de nos affaires, de traiter les juifs de tout notre royaume avec equite et d'appliquer les obligations que Dieu, Gloire a Lui, nous impose, par l'observance de la balance du droit, I'egalite avec les non-juifs dans les arrets de justice pour que nul d'entre eux ne subisse le poids d'un atome d'injustice, qu'il ne soit oppresse, que nul mal et nulle injustice ne les atteignent, que nul ne les attaque dans leurs corps ou dans leurs biens, qu'on n’emploie les artisans [juifs] qu'a leur gre et a condition de leur verser le salaire qu'ils ont merite par leur travail, car les injustices sont les tenebres du Jour Dernier et nous ne les approuvons pas, ni contre eux, ni contre autrui et nous ne 1'admettons point, parce que, pour nous, tous les hommes sont egaux en droit. Si quelqu'un fait acte d'injustice contre eux ou se montre malveillant envers eux, nous le punirons, par la volonte de Dieu. Cet ordre que nous avons decide, que nous avons clarifie et explique est une loi connue et ecrite, mais nous y avons annexe cet ecrit afin de rappeler les obligations, notre insistance et notre menace pour quiconque voudrait leur nuire, et notre fermete pour que les juifs beneficient de plus de securite. De cela, notre ordre, est ecrit le 26 du mois sacre de Chadbane de l'an 1280.

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L'histoire des juifs de Safi (Maroc) est aussi ancienne que la ville elle-même. Malheureusement, peu d'écrits lui ont été consacrés. Brahim Krhdya, historien amoureux passionné pour sa ville, tente de relancer la recherche dans ce domaine. Il ne cesse de piocher dans les rares manuscrits disponibles et incite les chercheurs à suivre son exemple.

Ainsi, il s'est intéressé à toutes les composantes de la popula­tion de Safi à travers les âges, en essayant de mettre en valeur les personnalités qui ont joué un rôle prépondérant dans cette ville, en respectant la vérité historique, sans préjugé ni parti-pris.

Entre autres travaux, il a retracé le rôle joué dans l'histoire du Maroc par les sept saints juifs, les Oulad Ben Zmirro, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, lesquels ont fait prospérer l'éco­nomie régionale sous l'occupation portugaise et se sont imposés comme les médiateurs entre l'occupant et les chérifs saâdiens à Marrakech, d'une part, et les tribus environnantes, d'autre part.

Le sultan Mohammed IV fit ainsi honneur a son hote « en raison de la consideration » dont il jouissait dans son pays et ailleurs et parce que « son seul souci etait de faire le bien ». Et bien que le dahir elogieux n'ait ete qu'une recommandation de rappel, ne depassant nullement ce qui se faisait au Maroc, a travers les differentes dynasties et les siecles, « pour garantir la securite des juifs et conforme juridiquement, en tous points avec la loi de la Dhimma [le protectorat des non-musulmans] ». Et malgre que ce dahir « ne faisait que confirmer une realite existante sans intervention etrangere et sans pression exterieure », certains gouvernements europeens l'avaient salue comme un privilege et « une initiative courageuse » de la part du Sultan et un grand succes de Montefiore, qui pouvait essuyer les larmes de l'injustice et des mauvais traitements des juifs du Maroc

En regardant de pres le tumulte souleve a propos de ces racontars et pour mettre en evidence leur falsification visant a creer le trouble

1 .־ Les notabilites juives du Maroc recopierent le dit dahir,« en prirent de nombreuses copies qu'ils distribuerent a tous les juifs du Maroc lesquels les afficherent, a leur tour, sur les murs de leurs synagogues et de leurs magasins 

2         ־           Montefiore envoya des copies du dahir du Sultan traduites aux grands journaux anglais pour en publier le texte et pour propager le bienfait par lui accompli. A son retour en Europe, il prit contact avec les rois d'Espagne, de France et d'Angleterre et les mit au courant de « son ceuvre magistrate », les priant d'intervenir pour le controle de !'application des clauses du dahir

3         –           Le ministre plenipotentiaire anglais au Maroc, Drummond-Hay, adressa egalement a son gouvernement des copies du dahir, ainsi qu'aux pays qu'il y representait, dont l'Autriche, le Danemark et la Hollande

  1. – Les membres du Conseil General anglais accueillirent le dahir du sultan et l'etudierent. Ils exprimerent ensuite leur satisfaction et leur consideration pour son contenu et ils le remercierent pour « sa clemence et sa sollicitude pour les juifs de son pays 

Les approbations ne se limiterent pas aux eloges pour le dahir et a une grande estime pour son auteur, le sultan Mohammed IV, mais les organisations juives europeennes – et celles des juifs marocains qui les suivirent – et les pays colonisateurs etrangers, y trouverent le moyen pour ebranler les bases des relations de tolérance, de coexistence et de cohabitation qui caractérisaient la vie commune des musulmans et des juifs marocains depuis les nombreux siècles passés. Ils prétendirent que le dahir donnait l'égalité des droits entre les non- musulmans protégés (« Ahl Eddhimma ») et la majorité des musulmans au Maroc, et de ce fait, « changeait la situation juridique des juifs marocains » et les dispensait des obligations de la loi de protec­torat « Eddhimma ». Plus grave encore, certains juifs, aveuglés, s'imaginèrent « au-dessus du pouvoir du Sidtan et de ses gouverneurs

Les Juifs de Safi et les consequences du dahir du 5 Fevrier 1864

Les efforts de ces organisations se sont ligués pour faire sortir les stipulations du dahir du domaine des recommandations et « des dispositions internes pour les placer dans les engagements internationaux », afin de se donner une voie juridique acceptable qui leur permettrait de s'ingérer dans les affaires internes de l'État du Maroc, de resserrer leur pression diploma­tique autour – et ainsi, l'obliger à la concession de nouveaux privilèges, et pour s'imposer comme les tuteurs d'une partie des sujets du Sultan. Cela créa une situation de tension et d'affrontement entre les musulmans et juifs marocains. Il en résulta que :

1.- Certains juifs se montrèrent « impertinents, dépassant les limites », s'élevèrent contre l'autorité du Makhzen, « et voulurent se réserver le droit de juger eux- mêmes les Juifs ». Ils se mirent à créer dans leurs mellahs un État dans chaque ville. Ainsi, les juifs de Tétouan nommèrent des gouverneurs à leur tête par insolence et par défi au Makhzen. Ainsi procédèrent également les juifs de Rabat. En ce qui concerne ceux de Safi, ils déclarèrent leur rébellion contre le gouverneur de la ville, Taïb Benhima, en 1870, demandèrent de « sortir de son autorité pour quelqu'un d'autre » et ils déléguèrent des représentants au sultan Sidi Mohammed Ben Abderrahman. À leur retour à Safi, ils furent accueillis par une troupe de leurs coreligionnaires. Ils entrèrent en ville « montés sur des mules caparaçonnées, portant des turbans et des lithams [voiles de la face] criant de toute leurs forces des [paroles] qui auraient peiné et fait pleuré quiconque avait le moindre attachement pour l'islam ». Une telle hardiesse constituait une transgression évidente des conditions régissant les « gens protégés » (« Ahl Eddhimma »). Elle représentait aussi la menace d'une discorde religieuse nationale qui fut la première du genre dans l'histoire du Maroc, d'un côté ; et une calamité dont on ne pouvait évaluer la portée et les conséquences, de l'autre

2.- Certains juifs querellèrent verbalement et affron­tèrent le public musulman et les gouverneurs du Makhzen, poussés en cela par les étrangers à l'affût qui « rejetaient la responsabilité sur les gouverneurs alors qu'ils ignoraient totalement les provocations répétées des juifs ». Il en résulta effectivement des tueries dont furent victimes aussi bien des musulmans que des juifs, dans diverses régions du Maroc. En 1867, 17 juifs furent tués dans la banlieue de Safi ; quatre autres massacrés et leurs biens pillés. Trois musulmans furent abattus

Un recensement indique que le nombre total des juifs tués dans ces affrontements dans l'ensemble du Maroc s'éleva à 300, entre les années 1864 et 1880

3.- De nombreux juifs du Maroc se mirent à porter des accusations mensongères, à inventer diverses injustices fallacieuses et à en inonder les représen­tants des pays étrangers à Tanger. Plus encore, les juifs de Safi implorèrent le secours de la France, lui demandant d'intervenir pour mettre fin aux injustices des musulmans de la ville dont ils étaient victimes. À cette fin, ils envoyèrent une délégation à Paris en 1869. C'était une première dangereuse : la communauté juive du Maroc n'eut jamais aupara­vant un tel comportement, étrange et suspect, qui donnait un prétexte à l'intervention étrangère et lui offrait une hache aiguisée pour casser l'unité de la population et la souveraineté marocaines

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Safi 1Et c'est ainsi que les fourbes étrangers attendaient le moment favorable 

  1. a) Voilà le Consul Général de l'Amérique qui adresse au Sultan par l'intermédiaire de son Premier ministre une mise en garde dans laquelle il disait 

« Vous savez qu'il y a de grands troubles aussi bien en Europe qu'en Amérique suite aux nouvelles qui arrivent quotidiennement, relatives aux mauvais traitements et à la persécution sans raison que les sujets de votre majesté infli­gent à la population juive connue pour sa tranquillité et son adresse… Dieu a créé les juifs en ce monde avec les mêmes membres physiques et les mêmes aptitudes intel­lectuelles que le reste des gens ; ils vivent et meurent comme le musulman et le chrétien. Pourquoi les maltrai­terions-nous et pourquoi les dédaignerions-nous ? Cela est contraire à la loi divine… Aussi est-il nécessaire que vous preniez des dispositions urgentes et efficaces pour que de tels événements ne se renouvellent jamais… Sinon, je vous assure qu'ils ne tarderaient guère à devenir "protégés" des nations étrangères, car il n'est plus admis qu'ils soient maltraités, méprisés et tués uniquement parce qu'ils sont israélites. J'ai reçu des ordres de mon gouvernement pour veiller sur la condition des juifs et pour leur offrir mes bons offices. Dieu seul sait jusqu'où cela pourrait aller, si vous ne trouvez pas une solution rapide aux souffrances qu'ils ressentent journellement. Les juifs disposent de frères puissants à travers le monde, leurs voix sont entendues et ils réagis­sent ensemble. Mais seuls les imbéciles pensent qu'ils n'ont pas de valeur. Si vous accordez une excellente protection à vos sujets, ils ne chercheront pas une protec­tion ailleurs et ils en seront heureux ainsi que le pays et le gouvernement… Voilà tout ce que je vous demande de faire parvenir au Sultan.. . 

  1. b) Et voilà aussi que le représentant de l'Angleterre, Drummond -Hay, demande aux consuls de son pays et aux représentants des autres pays étrangers d'accorder facilement le « protectorat consu­laire » aux juifs marocains. Il envoya un ordre dans ce sens à ses vice-consuls, affirmant

« Nous avons été grandement secoués quand nous avons appris certains événements qui se sont produits ces derniers jours, exerçant la haine contre les juifs… Or les temps de la haine et de l'injustice contre les croyants d'autres religions sont passés et il ne convient pas de les ressusciter dans l'État de Marrakech [Le Maroc] et de les ranimer… Nous vous donnons l'ordre d'avertir les gouverneurs du Makhzen dans le lieu de votre travail et de votre résidence que la haine et l'injustice sont toujours courantes contre les juifs. Vous leur direz aussi qu'il est certain que nous vous ordonnerions, nous et également les représentants des autres pays, d'accorder le "protectorat consulaire" à tous les juifs, si nous apprenons un manque d'équité dans les jugement 

Sous l'effet de ces développements, le Makhzen essaya d'agir pour arrêter cette discrimination mena­çant d'anéantissement l'ambiance de tolérance et de coexistence entre ses sujets juifs et musulmans 

1.- L'État marocain manifesta son mécontentement au sujet des empiétements et des interventions suspectes dans les affaires de ses sujets juifs et Sidna (le Sultan), que Dieu l'assiste, déclara : « Comment d'autres interviennent-ils dans les affaires des juifs et trouvent-ils les agissements louables de ceux parmi les juifs égarés qui accusent des gouverneurs loyaux et dignes de confiance

« Sidna m'a donné l'ordre de discuter sérieusement de cette affaire avec l'ambassadeur d'Angleterre qui a écrit à ses représentants dans les ports au sujet des juifs, ce qui a ajouté à leur arrogance, et Sidna a dit : "Est-ce que l'un des sultans [rois] chrétiens intervient dans les affaires des autres sultans ? Non ?! " »

           Le Makhzen central appela ses représentants dans les villes et dans les campagnes, gouverneurs et caids, à avertir sévèrement les « satans juifs » qui usent de mensonges, de fausses accusations et d'imperti­nence envers la population et le Makhzen, ainsi que d'autres faits susceptibles de provoquer des troubles entre eux et les musulmans. Il n'oublia pas de recommander aux dits gouverneurs les juifs pauvres, connus pour leur calme et s'occupant à gagner leur vie

–          Le Makhzen durcit ses avertissements aux gouverneurs au sujet de leurs abus éventuels contre les juifs. Ainsi, le sultan Moulay Al Hassan s'adressa violemment au pacha de Meknès en ces termes : « Ce fait venant de vous nous a étonnés et nous ne l'avons pas cru, car un tel fait ne provient que de celui qui ne consi­dère pas les conséquences de ses actes et qui ne sait pas que la fonction et le service des gouverneurs est de donner aux ayants-droit leur dû, et que le musulman et le non- musulman "protégé" sont égaux en droits

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Le Makhzen réitéra plus qu'en aucun autre temps le rappel des droits des juifs et de leurs enga­gements écrits dans la loi des « gens protégé

            D'après Germain Ayache, « El Akalia Elyahoudia Fi Maghrib Ma Kabla Istiamar » (« La Minorité juive du Maroc avant la colonisation »), Revue Dar Al-Niaba, n° 12, 1986, p. 11

[1]         Le sultan Moulay Hassan Ier demanda, au sujet des droits des « Ahl Eddhimma », l'avis d'un ensemble de savants dont Jaâfer Al Kettani, Mohamed Guennoun, Ahmed Bel Haj et Abdellah Al Ouadghiri. Dans leur réponse, on relève : « Le Sultan a édicté un dahir chérifien détaillant ce que les juifs ont perpétré en faits inconvenants reniant leurs engagements, et demandant aux gens du savoir ce que la loi "Chraâ" prévoit en la matière… Quand l'ordre supérieur par la grâce de Dieu nous est parvenu, nous l'avons accueilli très volon­tiers et nous avons examiné l'affaire avec attention. Nous avons constaté que les juifs "Ahl Eddhimma" ont dépassé les bornes par leurs agissements, renié leurs engagements et bafoué le pouvoir de leur gouverneur musulman, élevant leur puissance (Dieu les confonde !) par-dessus. Ils se sont déclarés les exécuteurs comme s'ils étaient les juges responsables. Ils ont atteint ce qu'ils visaient en corruption, instituant cela sur les bases de la trahison et de l'entêtement, croyant que le Prince des Croyants n'est pas vigilant et que leurs actes ne pourront être réprimés. Il est nécessaire de les punir sévèrement et de repousser leurs méfaits. S'ils récidivent, ils mériteraient les pires sanc­tions. Leurs actes sont égarements évidents et leur persévérance est un bouleversement dans la religion. La situation des "Ahl Eddhimma" est établie, et dans les registres des savants clairement inscrite, et le pacte institué par Notre Seigneur Sidna Omar, Dieu l'agrée, en est la base… » [D'après le manuscrit : « Eddourar al Jawharyafi madh al khilafa al hassanya » de Ahmed Ben Mohamed ben Hamdoun Bni Lhaj, Bibliothèque Royale, n° 512.]

À ce propos, le sultan Moulay Al Hassan affirma, à l'occasion du début du nouveau siècle de l'hégire 

« Les gens protégés ont été appelés ainsi parce qu'ils sont sous la responsabilité de l'islam, il faut les préserver et les défendre ; verser leur sang et voler leurs biens sont interdits

Et en une autre occasion, il déclara, rappelant leurs obligations 

« Ils sont tenus à des engagements et à des conditions qu'ils doivent respecter et appliquer; autrement, leur violation pourrait induire un mal auquel leur commu­nauté n'échapperait pas et de ce fait, il n'y aurait plus de protection

5.- Le Makhzen appela ouvertement les juifs, à s'adresser directement au Sultan pour exposer les abus et les plaintes. Dans ce sens, il est mentionné dans une lettre du Ministre des Affaires étrangères de Moulay Al Hassan, adressée aux juifs de Marrakech 

« Vous êtes "des gens protégés" et vous êtes de ses sujets. Le Sultan, que Dieu l'assiste, n'aime pas qu'une oppression, une injustice ou un mal vous atteignent de quiconque ; mais au contraire, il faut que vous en soyez préservés et en sûreté, vivant dans de bonnes conditions, une vie satisfaisante… Le Sultan, Dieu le glorifie, m'a ordonné de vous écrire pour que vous nous signaliez par écrit les faits vous concernant pour que je les rapporte à son illustre connaissance

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Le Makhzen, par ces efforts empressés qui parais­sent exceptionnels, n'est guère sorti des procédures habituelles de la loi relative à la « Dhimma », ni tombé dans l'imbroglio des interprétations intéressées et mensongères du dahir du 5 février 1864 ; mais il a voulu faire perdre au colonialisme européen l'occa­sion qu'il espérait pour l'occupation du pays et de la population. La parution du dahir a représenté une occasion importante que les Européens entendaient exploiter au maximum, car ils pensaient qu'elle les mènerait à paralyser l'autorité et la souveraineté du Makhzen et à sortir une partie de la nation de son pouvoir et de sa juridiction. En voici les détails :

            Les étrangers à l'affût purent acquérir l'adhésion de nombreux juifs dont la plupart des notables et des richards, en leur accordant leur protectorat avec tous les avantages et tous les droits inhérents, minimisant l'autorité du Makhzen sur eux alors qu'ils étaient ses sujets. Lesdits étrangers avaient infiltré par le canal des écoles de l'Alliance Israélite Internationale plusieurs des grandes villes marocaines dans le but de dénaturer l'identité culturelle et nationale des juifs, d'en faire des « résidents » et de les préparer à servir leurs ambitions au Maroc, en les utilisant dans la réalisation de ce qu'ils projetaient, dans la planifica­tion de leurs avantages. Cela conduisit les juifs trompés à espérer arracher les mêmes privilèges économiques que ceux accordés aux étrangers. S'imaginaient-ils devenus quasiment les sujets d'autres nations, comme l'Angleterre ?

           La promulgation (forcée) du dahir précité constituait probablement le fruit d'une préparation réfléchie dans le cadre d'une vaste tactique coloniale, visant des pays dans le but de les occuper. Parmi ceux-ci, le Maroc. Autrement, comment expliquer ces hasards ? Voilà l'Empire ottoman, 25 ans avant la parution de notre dahir, qui se trouve obligé par les forces coloniales à publier un édit (firman) sultanien en 1840, déclarant « de cesser les mauvais traitements et la torture » contre ses sujets juifs, et 27 ans après, le Bey de Tunis, forcé sous la pression militaire françai­se, de proclamer le pacte de 1857, s'engageant à déclarer l'égalité entre les juifs et les musulmans de Tunis et les exonérant de toutes les taxes imposées aux non-musulmans. Sept ans plus tard, vint le tour du Maroc et la promulgation du dahir de 1864. Bien que ce dahir confirmât la loi régissant les « Ahl Eddhimma » en vigueur depuis des siècles, les étran­gers et ceux qui suivirent leur voie parmi les juifs marocains, le lurent et l'interprétèrent de la même façon que l'édit sultanien et le pacte du Bey et s'en servirent pour créer les troubles et l'agitation au Maroc.

3.- Les pays étrangers voulaient par ce tumulte mensonger fait autour de « l'injustice, les mauvais traitements et la torture des juifs du Maroc », expéri­menter un nouvel outil qui sera ajouté aux autres pour anéantir la souveraineté et l'honneur du pays. Ce prétexte était celui des « minorités religieuses maltraitées », expérimenté auparavant en Orient, minant l'Empire ottoman de l'intérieur, ce qui avait facilité son morcellement, permis la colonisation de certaines parties de cet Empire, et créé des troubles dans de nombreuses localités. Afin d'arriver à ses fins, l'étranger s'était mis à faire circuler des racon­tars au sujet du « juif maltraité», « méprisé » et « abandonné », qui subissait diverses sortes de mauvais traitements et de tortures ; cela pour dispo­ser d'un argument lui permettant d'augmenter sa pression sur le Maroc et de chercher de nouvelles voies pour s'imposer et s'introduire dans le pays, ce qui affaiblirait davantage le Makhzen, le déshonore­rait et en ferait une proie facile pour la colonisation.

Les juifs de Safi et la pieuvre des protectorats consulaires au cours du dix-neuvième siècle

Chapitre V

Les juifs de Safi et la pieuvre des protectorats consulaires au cours du dix-neuvième siècle

Le protectorat consulaire vit le jour pour la première fois au Maroc au temps de Sidi Mohammed Ben Abdellah (1757-1790) et c'était, à l'époque, l'un des privilèges accordés par ce sultan aux consuls et aux négociants étrangers dans une tentative de confi­gurer sa politique mercantiliste et de la faire réussir par tous les moyens, en s'ouvrant sur le commerce européen et américain et en tirant profit au maxi­mum d'un marché aux vastes horizons sur l'océan Atlantique. Cela, afin d'alimenter les caisses du Trésor public du pays qui étaient vides à cause de la crise de trente années qui suivit la mort du sultan Moulay Ismaïl et pour assurer un revenu abondant et permanent sans que cela nécessitât des efforts administratifs ou militaires.

  1. Le mercantilisme est une théorie économique dont les idées se sont propagées en Europe Occidentale au XVIe siècle, après les découvertes géographiques. Selon celle-ci, la puissance de l'État dépend de ses biens monétaires et des métaux précieux.

Et pour cela, il convient de donner la priorité au commerce extérieur et d'en élargir les horizons, de multiplier et de diversi­fier les activités industrielles. L'État doit veiller à la protection de ce secteur et à son amélioration qualitative. Parmi les promoteurs de cette théorie, Jacques Baudoin, Thomas More et le ministre français Colbert. Il est certain que le sultan Sidi Mohammed eut connaissance de cette théorie et fut convaincu de son efficacité. Des sources nous indiquent qu'il se documentait constamment et demandait les raisons pour lesquelles l'Europe nous dépassait dans tous les domaines : « Il se réunissait avec les négociants chré­tiens, alors qu'il était khalifa de son père à Safi, et se renseignait sur la situation dans leurs pays, sur le commerce maritime et sur l'administra­tion des impôts dans leurs contrées. » De plus, il convoquait tous les soirs un juif nommé « Bouzaglou De Paz » pour qu'il l'entretînt sur les affaires européennes dans les domaines politique, militai­re et commercial. Leurs discussions duraient jusqu'au milieu de la nuit. Peut-être sa foi dans le mercantilisme le poussa-t-elle très tôt, alors qu'il était encore prince héritier, à ouvrir le port de Safi, sa résidence, au commerce européen et à encourager ses activités par tous les moyens possibles, à tel point que le nombre des navires débarquant à Safi atteignit 176 entre 1748 et 1755. Le premier accord commercial entre le Maroc et le Danemark fut signé en son nom, à Safi, en 1751.

Après le décès du sultan Moulay Ismail, le Maroc traversa une période difficile qui dura trente ans (de 1727 à 1757). L'armée noire, les « Boukharis », s'arrogea les affaires de l'État, confisqua les richesses des princes, fils de Moulay Ismail, nomma et destitua. Sept sultans la reconnurent durant cette période ; ce sont : Ahmed Eddahbi, Abdelmalek, Abdellah, Ali Laâraj, Mohammed, Al Moustadyi et Zine el Abidine. Parmi ceux-là, il y en eut qu'elle porta sur le trône du Maroc plus d'une fois : le sultan Abdellah fut intronisé sept fois, Al Moustadyi, quatre fois, et Eddahbi, deux fois. Des troubles, des guerres et des déplacements de tribus suivi­rent ces événements ; l'économie s'effondra, le Trésor public se vida et il y eut plus de misère et de souffrance dans la population.

Le sultan Sidi Mohammed employa d'autres moyens pour alimenter le Trésor public ; notamment le système des « Moqataâ »

pour faire entrer les impôts de ses sujets, dont la dîme, les taxes,

les droits de douane et la capitation due par les juifs. Ce système

consistait à vendre le droit de perception des impôts à qui paierait le plus parmi les caids, les gouverneurs, les commerçants musul­mans, juifs ou chrétiens. Le concessionnaire versait à l'État la somme convenue et percevait à sa place les impôts. Il s'arrangeait pour que les sommes recueillies fussent supérieures à ce qu'il avait payé au Trésor, pour en tirer bénéfice. L'État gagna par ce système une entrée des recettes plus rapide et la garantie d'une collecte régulière. Et il évita ainsi d'entrer en confrontation armée avec les tribus, ce qui perturbait la sécurité générale.

Histoire des juifs de Safi-Brahim Kredya

Pour réaliser cette volonté, le sultan Sidi Mohammed signa un ensemble de conventions commerciales avec un grand nombre de pays d'Europe et d'Amérique, dont les textes autorisaient ces derniers à envoyer au Maroc leurs consuls et leurs commerçants et leur garantissaient la liberté de s'installer et de se déplacer où bon leur semblerait dans les ports du pays. Plus encore, et c'est l'objet de notre étude, ils leur donnaient la possibilité de choi­sir leurs auxiliaires parmi les Marocains (interprètes, secrétaires, courtiers, gardiens, serviteurs et autres…) et de leur attribuer le protectorat de leurs pays. Ainsi, ces derniers étaient exonérés des impôts et des charges qui frappaient leurs concitoyens ; ils ne pouvaient être jugés qu'en présence de leurs protecteurs, « et il ne leur était pas interdit de pourvoir aux besoins des consuls et des commerçants où qu'ils se trouvaient ». Par ce système de privilèges divers, le Sultan avait l'ambition de consolider les relations commerciales de son pays avec l'Europe, d'en élar­gir les horizons et d'en augmenter les revenus, sur la base d'une perspective choisie d'intérêts à long terme, et sur le respect de l'indépendance, de la puissance et de la volonté, car le déséquilibre des forces entre le Maroc et l'Europe n'était pas encore patent et l'avantage consenti aux protectorats consu­laires ne représentait aucun danger à l'époque, comme cela se produisit au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, et plus précisément après les défaites de l'armée marocaine dans la bataille d'Isly en 1844 et dans celle de Tétouan en 1860. Cette dernière révéla clairement la faiblesse des institu­tions de l'État et de leur système archaïque et, selon l'expression de Ahmed Al-Naciri, « retira le voile d'honneur au pays du Maroc, donna la supériorité aux chrétiens et mit en déroute les musulmans comme cela ne s'était jamais fait. Les protectorats se multiplièrent provoquant un grand désastre ».

Annotation    Le sultan Sidi Mohammed contracta beaucoup d'engagements commerciaux (plus de vingt) avec les États du Danemark, d'Angleterre, de Suède, de France, d'Espagne, du Portugal, de Hollande, des États-Unis, de Gênes, de Toscane, de Venise, d'Autriche, de Hambourg, de Brème, de Prusse, de Sardaigne, et bien d'autres.

Annotation    Parmi les autres systèmes que Sidi Mohammed utilisa

pour renforcer sa politique commerciale : l'ouverture des ports

atlantiques aux négociants étrangers ; la diminution des droits de douane à l'importation et à l'exportation et l'annulation totale de ces droits après qu'il eut déplacé et centralisé le commerce maritime au port d'Essaouira ; l'abolition du « jihad » en mer et de l'esclavage des marins ; les efforts pour le rachat des prisonniers musulmans et chrétiens dans les pays européens et auprès des willayas turques en Algérie, en Tunisie et à Tripoli.

Plus encore, le Sultan fut le premier à appeler – fait sans précédent -, les puissances européennes à abolir l'esclavage par la signature d'un traité international pour l'interdire. Cela amena un journal français contemporain à en faire l'éloge, le commentant ainsi : « Les principes des droits sacrés des nations sont passés des ouvrages des philosophes aux cours des rois du Maroc. Ces principes priment dans leurs affaires. Les litiges religieux entre les peuples n'entravent plus la voie de rapprochement entre eux; et ces mêmes musulmans qui n'acceptaient des païens que la capitidation ou l'épée. Actuellement, nous n'entendons chez eux que des mots d'amitié, de compréhension et d'amour. Bref, l'Empereur du Maroc a écrit qu'il souhaitait que le mot abhorré d'esclavage disparaisse de la mémoire des hommes et que cela soit signé de son nom. »

Durant l'instauration des privilèges des protecto­rats, et jusqu'au moment où ils étaient devenus un danger menaçant la sécurité et la souveraineté du pays, les juifs comptèrent parmi les sujets marocains qui y adhéraient et qui se précipitaient pour profiter de ces avantages. Cela peut s'expliquer par des raisons multiples, exposées ci-après :

1.- L'État marocain encourageait ses sujets juifs – à l'exception des musulmans -, à communiquer avec les étrangers chrétiens, à traiter avec eux en créant des relations et des affaires, pour deux motifs, à notre avis :

1.1. Les sultans du Maroc pensaient que la fréquentation des sujets musulmans avec les étran­gers « mécréants », même si elle était source de profits, pourrait nuire à leur conviction religieuse, les éloignerait des valeurs de l'islam et de ses traditions, et les conduirait à combattre avec force la puissance religieuse conservatrice. Pour cette raison, le sultan Mohammed III, à l'instar de ses prédécesseurs, limita les contacts entre les musulmans et les étrangers, et leur interdit de se rendre en Europe pour des affaires commerciales et même de débarquer sur son sol en cas de besoin, et « il réserva cela à ses sujets Ahl Eddhimma ».

Histoire des juifs de Safi-Brahim Kredya

1.2. Les sultans étaient convaincus de l'habileté des juifs et de leur sagacité dans les affaires commer­ciales, dans les finances et dans les négociations avec les étrangers. Ainsi, ils leur faisaient particulièrement confiance pour des missions commerciales et diplo­matiques en Europe. Le sultan Sidi Mohammed s'appuya sur leurs compétences pour animer et faire réussir sa politique commerciale, soit en les introdui­sant dans le service des négociants étrangers, soit par le système de « commerçants du roi" ». Il les nomma également, comme son fils le sultan Moulay Abderrahman, consuls en Europe, chargés des missions diplomatiques difficiles.

         Les « commerçants du roi » (« Tujjar Al-Sultan ») est une expression qualifiant une élite de grands négociants juifs et les juifs fortunés qui avaient un contact direct avec le Makhzen central et aussi avec le Sultan. Cette élite bénéficiait d'avantages écono­miques divers, dont l'exonération des impôts de capitation, l'exclusivité dans l'importation et dans l'exportation de certaines marchandises, l'octroi de prêts sans intérêts accordés par le Trésor public pour le commerce extérieur, des facilités dans le rembour­sement des crédits et dans le paiement des arriérés des droits de douane… En contrepartie, le Makhzen les chargeait de développer le commerce extérieur et d'en élargir les horizons, ce qui augmen­tait les recettes des douanes et des autres impôts. Les familles Sombil de Safi et Corcos de Marrakech, Aflalou d'Agadir et Ben Soussan de Rabat (« commerçants du roi ») se sont illustrées sous le règne de Sidi Mohammed Ben Abdellah.

En considération de leurs services, ils accordaient à certains d'entre eux des dahirs d'honneur et de respectabilité et les exemptaient de toutes les taxes et de tous les impôts.

.- Les commerçants et les consuls étrangers préféraient traiter avec les juifs marocains dans leurs affaires commerciales et dans le domaine diplomatique, pour les raisons suivantes :

  1. Le désir des étrangers de profiter des compé­tences des juifs dans le commerce et le courtage et de les utiliser pour élargir leurs activités commerciales dans les régions du pays, eu égard à leur connaissan­ce précise et détaillée des lieux de vie de la population marocaine et à leur facilité d'accès à toutes les contrées – que ce soient les campagnes, la montagne ou le désert -, pouvant pénétrer dans toutes les agglomérations, proches ou lointaines, sans se préoccuper des obstacles naturels.
  2. De nombreux négociants juifs, par leur solide et vieille expérience dans les affaires d'importation et d'exportation, étaient considérés par les commer­çants étrangers comme de véritables concurrents qui pouvaient leur nuire, et « il convenait de s'en approcher et de les associer à leurs commerces ».
  3. De nombreux juifs marocains, en plus de parler la langue nationale, l'arabe et les dialectes amazighs, connaissaient quelques langues européennes comme le français et l'espagnol. Bien plus, le seul fait de connaître « quelques mots des langues européennes» suffisait pour que les consulats et les commerçants les engagent en qualité d'interprètes, de courtiers, et même de représentants consulaires dans les ports.
  4. Certains des négociants juifs importants et riches entretenaient des rapports étroits et directs avec beaucoup de personnalités du pouvoir à l'échelon local ou central. De telles relations profitaient aux commerçants étrangers en aplanissant les difficultés qui pouvaient gêner leurs marchés ou freiner l'exten­sion de leur commerce.

3.־ De nombreux juifs marocains aspiraient à se placer sous le protectorat consulaire afin de réaliser des profits dans leurs affaires personnelles. On notera :

3.1. Le désir de certains juifs de profiter des richesses que les courtiers recevaient des maisons de commerce, et des négociants qui leur accordaient leur protection pour acheter des marchandises maro­caines et pour s'acquitter des droits d'exportation. Les juifs s'excusaient au moment de régler les droits de douane et demandaient des délais supplémen­taires pour le paiement, ce que le Makhzen acceptait. Ils investissaient les sommes qu'ils conservaient dans leurs affaires commerciales ou dans leurs pratiques usurières.

3.2. La tentative de certains juifs, surtout les plus riches, d'échapper aux taxes que le Makhzen leur imposait. Plus même, une partie de ces Marocains réussit à se débarrasser définitivement de l'autorité du Makhzen et de ses conséquences juridiques et financières, après s'être rendus et avoir séjourné quelque temps dans l'un des pays d'Europe, et en en obtenant la nationalité. Ils retournaient ensuite dans leur patrie, libérés de ses lois et de ses devoirs, jouissant des mêmes droits que les étrangers en consi­dération, respect et avantages. Cela au préjudice du reste de leurs frères marocains, musulmans et juifs.

Histoire des juifs de Safi-Brahim Kredya

On remarque que les menaces des puissances étrangères s'étaient accentuées au cours de la deuxième moitié du safiXIXe siècle. Cela transparaissait notamment dans la profusion des protectorats accordés particulièrement aux juifs marocains. Les États européens se mirent à « appeler an secours pour tirer les juifs du Maroc de la situation inhumaine qu'ils vivaient par suite des injustices, des mauvais traitements et du mépris ». L'Angleterre fut la première à s'ériger en défenseur des juifs marocains à l'époque du règne du sultan Moulay Abderrahman, suivie par d'autres puissances, y compris les États-Unis d'Amérique qui se mirent à expliquer au Makhzen avec orgueil et arrogance : « Les juifs sont des humains qui possèdent la même constitution physique et les mêmes aptitudes intellectuelles que le reste des hommes. Ils vivent et meurent comme le musulman ou le chrétien. », lui enjoignant en outre : « Pourquoi les maltraiterions- nous ou les mépriserions-nous ? »

Ces puissances invoquaient, pour démontrer que le Maroc méprisait les juifs depuis des siècles, que : ceux-ci vivaient dans l'isolement, presque prisonniers dans des quartiers entourés de murs, les mellahs, érigés tant dans les villes anciennes que les plus récentes, comme Fès et Essaouira ; ils se voyaient interdits de choisir leurs tenues vestimentaires, car ils étaient obligés de porter des habits déterminés, d'une couleur définie qu'ils ne pouvaient changer, la dernière étant le noir ;

 Les juifs ont souvent varié les couleurs de leurs habillements.

Nous relevons de sources diverses qu'à l'époque d'Al Mansour Essaâdi, ils se distinguaient par des vêtements bleus et portaient une grande coiffe qui couvrait leurs têtes ; sous son successeur Al Moutawakkil, ils portèrent des habits jaunes avec des turbans de la même couleur ; sous les Ouattassides, ils se coiffèrent d'un turban noir avec un cordon ou un tissu rouge ; après cette pério­de, ils se vêtirent de vert jusqu'à ce que Moulay Al-Yazid el Alaoui les en empêchât, considérant cette couleur comme celle des « Chorfa » (nobles du monde musulman), et depuis, ils portèrent le noir, uniquement pour leurs jellabas, leurs coiffes et leurs babouches.

L'ouvrage « IthafAâlam ennass… », dans son 3e volume, indique qu'un dahir promulgué par le sultan Hassan Ier imposa aux juifs « protégés » de porter des vêtements français pour les distinguer. Quant aux femmes juives, de tout temps, elles se trouvaient libres du choix de leurs habits, qui étaient plus beaux que ceux des femmes musulmanes ; et mieux soignés du fait que les juives s'adonnaient à la couture et y excellaient. Pour cette raison, on choisissait parmi elles les couturières des harems des palais des sultans et des princes.

  • il leur était proscrit de monter les chevaux et les mules et même dans certaines régions, les ânes ; il leur était imposé de mettre pied à terre à l'approche d'une mosquée, d'un mausolée ou de la résidence du gouverneur de la ville ou du cadi ;
  • ils étaient obligés de se déchausser et de marcher pieds nus en passant devant une mosquée ou le tombeau d'un saint, comme il leur était défendu de s'approcher d'une mosquée ou de pénétrer dans un cimetière musulman ou d’emprunter leurs chemins respectifs ;
  • il leur était interdit d'élever la voix en parlant avec un musulman ou d'échanger avec lui des mots, des invectives ou des insultes, quelles que fussent les raisons et les circonstances.

De telles obligations qui contraignaient les juifs dans leur habillement et dans leurs actions, étaient considérées par les étrangers comme des signes de mépris, d'avilissement, de mauvais traitements et d'injustice, et sur cette base, ils justifiaient leurs menaces d'accorder des protectorats. Le Ministre plénipotentiaire espagnol poussa même l'arrogance jusqu'à déclarer que son siège était un lieu de protection et de défense pour tous ceux qui le souhaitaient. Il affirmait à ce propos dans un arabe défectueux : « Celui qui demande le protectorat du consulat espagnol est pareil à celui qui se réfugie dans le sanctuaire d'un saint et l'affaire de quiconque s'y réfugie sera obligatoirement satisfaite. »

Histoire des juifs de Safi-Brahim Kredya

En conséquence de ces considérations et d'autres, les étrangers se mirent à accorder des protectorats à tour de bras et juifs-de-safidans de nombreux cas, ces derniers « se vendaient publiquement comme n'importe quelle marchandise ». Plusieurs consuls et plusieurs négo­ciants y trouvèrent « une marchandise qui se vendait rapidement… et qui générait des bénéfices sans peine, beau­coup plus qu'un appareil importé ou une peau exportée ». Dans une lettre du gouverneur de Safi, Tayeb Benhima, adressée au Ministre des Affaires étrangères du Maroc, celui-ci disait : « Le consul espagnol résident à Safi a exagéré l'octroi des protectorats en ville et dans des campagnes, illégalement… et les jugements sont paralysés par la multitude des demandeurs de protection consulaire, indûment» D'autre part, le consul français, le docteur Allard « vivait de ce que lui rapportait le commer­ce des protectorats ; il plantait sa tente dans le souk de Khemis Zemamra, dans les Doukkala, surmontée du drapeau français et il y exposait des cartes de protection comme on exposait des marchandises ».

La quantité de « protégés » atteignit parmi les habi­tants de Safi « le nombre de cent cinquante individus » entre les années 1863 et 1900, dont la moitié étaient des juifs. C'était un effectif considérable par rapport à l'ensemble de la population de la ville qui approchait les deux mille cinq cents personnes et où les juifs en représentaient le quart. Pour l'exemple, nous citerons ci-dessous quelques noms de juifs de Safi « protégés » :

1- Des États-Unis d'Amérique : les membres de la famille Ben Zakar dont le chef, Ishaq, était l'adjoint du Consul américain à Safi en 1872, remplacé ensui­te par son fils aîné Yaacob jusqu'en 1888. Son frère Moshé lui succéda dans cette fonction. Étaient égale­ment protégés des États-Unis, Chlomo Amsellem Al Mergani qui a été adjoint du Consul des USA à Safi en 1890, et les commerçants Abraham Ben Dawid Ohayon et Moshé Harzan27.

  1. – De la Grande-Bretagne : Moshé Bou Ouadnine et Lahbib Bensabat qui étaient interprètes ; Said Azoulay, Lahbib Attias, Hadane Cohen Rbati, Abraham Ould Lhazzane, Yaacob et Said Ben Abraham Ben Said Ohanna, Makhlouf Tanjaoui et Youssef Ould Ishaq Ben Saâoud, Haron Ould Mimoun Ohayon : ils étaient tous courtiers des négociants ou des sociétés commerciales anglaises.

–          De l'État espagnol : Massoud Ben Âaddi El Asafi, Yaacob Leibi Tetouani, tous deux interprètes auprès du Consulat ; Sellali Ben Ikane, Zahra Beitone, Ishaq Tanjaoui, Brahim Mimrane, Mimoun Ben Lhazzane, Brahim Ohayon, Nessim Liwy, Youssef ould Brahim Liwy, Chamâoun Cohen, Shalom ould Liwy, Abraham Moshé Bou Ouadnine et Youssef ben Yahouda Souiri.

4.- De l'Italie : les interprètes Lyaho ben Dawid Ohayon et Mardoshé Lewy ; les courtiers Yahoda old Haïm ben Ishaq, Yahoda Ben Hammo Lamjadli et Nessim ben Moshé Hmizzo (le dernier était celui du frère du délégué consulaire italien).

  1. – De l'État français : Salomon Attya, interprète adjoint au Consulat français en 1880 et 1881 ; Makhlouf Ohayon, Haroun Boukdada, Ishaq Liwy, commerçants ; Massoud Ben Khalifa, courtier du docteur Allard précité ; Dawid Sarwilas, Massoud Elbaz, courtiers du juif tunisien « protégé français » : Israël Lalouz.
  2. – Du Portugal : Yahoda Ben Sabbah Tetouani qui était interprète.

– De la Belgique : Haroun Chriki, interprète.

8 – Du Danemark : Massoud Bahdoud, interprète.

9.- De la Suède et de la Norvège : Abraham Shlomo, interprète en 1884, et Abraham ben Mimrane Mesfioui, également interprète en 1892.

10 – De l'Allemagne : Sellam Ohayon Mesfioui qui était courtier pour deux négociants allemands en 1904.

Nombre des protégés juifs comparé à celui des

protégés musulmans de safi à la fin du XIXe siècle

Pays protecteurs

Protégés juifs Protégés musulmans Total
U.S.A. 10 7 17
Angleterre 12 25 37
Espagne 21 1 22
Italie 9 4 13
France 15 15 30
Portugal 1 5 6
Belgique 1 4 5
Allemagne 1 4 5
Hollande 1 1
Danemark 1 1
Suède 2 4 6
Autriche 2 1 3
Brésil 6 6
Totaux 75 77

152

Histoire des juifs de Safi-B. Kredya

Comme leurs congénères protégés, les juifs de Safi, poussés par les étrangers, se montraient irrespectueux etjuifs-de-safi dédaigneux dans leur comportement avec les représentants du Makhzen moribond et impuissant, et s'appropriaient les biens de Marocains indigents. Nous n'aurons pas de mal à citer quelques exemples relevés dans des récits ou dans les allusions de certains documents. Nous reconnaissons qu'ils sont limités, mais ils ne représentent sans doute qu'une petite partie d'un tout dont nous n'avons pu percer tous les secrets.

Parmi les abus des juifs protégés de Safi, nous relevons :

1.- L'impertinence de Yaacob Ben Ishaq Ben Zakar, adjoint du Consul américain, vis-à-vis du gouver­neur de Safi, Tayeb Benhima, au point que ce dernier s'en trouva impuissant et chercha le moyen de s'en débarrasser. Dans une lettre adressée au sultan Moulay Al Hassan Ier, il disait : « Dieu a donné à ce Ben Zakar une nature méchante, un caractère grossier et une mauvaise arrière-pensée… et chaque fois qu'il vient me trouver, il le fait avec grossièreté et s'adresse à moi avec hauteur. » Ben Zakar ne s'arrêta pas à ces légèretés, mais il s'appropria les biens du Makhzen par la violence. Dans une seconde lettre au sultan Moulay Al Hassan, Tayeb Benhima écrivit : « Ben Zakar, le consul des Américains… a outrepassé les limites dans son comportement, dans la confiscation des biens, et parmi ces abus, il s'est mis à construire un "Hri" [entrepôt]… Et il a mis la main sur trois boutiques voisines, prétendant les avoir achetées, et les a démolies pour les intégrer au dit entrepôt ».

  1. – Le mépris de l'autorité du Makhzen « en refusant de se soumettre aux juridictions et en se gaussant des jugements ». Les juifs protégés de Safi organisèrent une manifestation condamnant les méthodes utili­sées par l'autorité locale dans l'interrogatoire de juifs accusés du meurtre du citoyen espagnol, Mantilla. Ils invitèrent le gouverneur de Safi à juger les suspects avec équité, le menaçant de s'adresser aux puissances européennes s'il n'obtempérait pas. Leur impertinence fut appuyée par les délégués des Consuls anglais et français à Safi.
  2. ־ Le vol des biens de la population sous des prétextes fallacieux, par la fraude et les falsifications. À titre d'exemple, l'utilisation de Moshé Bou Ouadnine, protégé anglais, « de l'usure et de l'escroque­rie des biens des citoyens sous des allégations mensongères" », avec toutes les conséquences qui en découlaient, en particulier la confiscation des biens de ceux qui ne pouvaient payer leurs dettes. L'usurier s'appropriait une partie des biens, d'autant plus que les consuls « protecteurs » n'hésitaient pas à assister les créditeurs et les usuriers placés sous leur tutelle, « mettant à leur disposition le poids diplomatique de leurs pays et parfois même leur puissance militaire. Ils les aidaient à piller les gens illégalement, sous le couvert de la loi internationale et de la défense des droits des "protégés", de leur exonération des impôts et des juridictions inscrite dans les accords ».

–         Les dommages portés aux affaires de leurs conci­toyens musulmans, l'atteinte à leurs lieux saints en ne respectant pas les traditions en vigueur. « Les insolents parmi eux, se livrèrent à des actes de défi et d'impertinence à l'égard des musulmans et à l'iniquité dans les affaires. » Ils portèrent, pour provoquer les musulmans, atteinte à certains mausolées de grands saints de la ville, « comme le fait de traverser la porte de l'un des saints, Sidi Abderrahman Ben Brahim, qu'ils ne traversaient guère auparavant. Ils se mirent à la traverser ».

–         Les juifs protégés possédèrent un nombre consi­dérable de biens immobiliers et de terrains dans la ville de Safi, dans sa banlieue et dans ses campagnes, la plupart du temps par escroquerie et par ruse. Certains d'entre eux furent cédés aux étrangers qui devinrent propriétaires de plus de trois cents hectares de terrain à la fin du règne de Moulay Al Hassan Ier .

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