Histoire des juifs de Safi-B. Kredya
Comme leurs congénères protégés, les juifs de Safi, poussés par les étrangers, se montraient irrespectueux et dédaigneux dans leur comportement avec les représentants du Makhzen moribond et impuissant, et s'appropriaient les biens de Marocains indigents. Nous n'aurons pas de mal à citer quelques exemples relevés dans des récits ou dans les allusions de certains documents. Nous reconnaissons qu'ils sont limités, mais ils ne représentent sans doute qu'une petite partie d'un tout dont nous n'avons pu percer tous les secrets.
Parmi les abus des juifs protégés de Safi, nous relevons :
1.- L'impertinence de Yaacob Ben Ishaq Ben Zakar, adjoint du Consul américain, vis-à-vis du gouverneur de Safi, Tayeb Benhima, au point que ce dernier s'en trouva impuissant et chercha le moyen de s'en débarrasser. Dans une lettre adressée au sultan Moulay Al Hassan Ier, il disait : « Dieu a donné à ce Ben Zakar une nature méchante, un caractère grossier et une mauvaise arrière-pensée… et chaque fois qu'il vient me trouver, il le fait avec grossièreté et s'adresse à moi avec hauteur. » Ben Zakar ne s'arrêta pas à ces légèretés, mais il s'appropria les biens du Makhzen par la violence. Dans une seconde lettre au sultan Moulay Al Hassan, Tayeb Benhima écrivit : « Ben Zakar, le consul des Américains… a outrepassé les limites dans son comportement, dans la confiscation des biens, et parmi ces abus, il s'est mis à construire un "Hri" [entrepôt]… Et il a mis la main sur trois boutiques voisines, prétendant les avoir achetées, et les a démolies pour les intégrer au dit entrepôt ».
- – Le mépris de l'autorité du Makhzen « en refusant de se soumettre aux juridictions et en se gaussant des jugements ». Les juifs protégés de Safi organisèrent une manifestation condamnant les méthodes utilisées par l'autorité locale dans l'interrogatoire de juifs accusés du meurtre du citoyen espagnol, Mantilla. Ils invitèrent le gouverneur de Safi à juger les suspects avec équité, le menaçant de s'adresser aux puissances européennes s'il n'obtempérait pas. Leur impertinence fut appuyée par les délégués des Consuls anglais et français à Safi.
- ־ Le vol des biens de la population sous des prétextes fallacieux, par la fraude et les falsifications. À titre d'exemple, l'utilisation de Moshé Bou Ouadnine, protégé anglais, « de l'usure et de l'escroquerie des biens des citoyens sous des allégations mensongères" », avec toutes les conséquences qui en découlaient, en particulier la confiscation des biens de ceux qui ne pouvaient payer leurs dettes. L'usurier s'appropriait une partie des biens, d'autant plus que les consuls « protecteurs » n'hésitaient pas à assister les créditeurs et les usuriers placés sous leur tutelle, « mettant à leur disposition le poids diplomatique de leurs pays et parfois même leur puissance militaire. Ils les aidaient à piller les gens illégalement, sous le couvert de la loi internationale et de la défense des droits des "protégés", de leur exonération des impôts et des juridictions inscrite dans les accords ».
– Les dommages portés aux affaires de leurs concitoyens musulmans, l'atteinte à leurs lieux saints en ne respectant pas les traditions en vigueur. « Les insolents parmi eux, se livrèrent à des actes de défi et d'impertinence à l'égard des musulmans et à l'iniquité dans les affaires. » Ils portèrent, pour provoquer les musulmans, atteinte à certains mausolées de grands saints de la ville, « comme le fait de traverser la porte de l'un des saints, Sidi Abderrahman Ben Brahim, qu'ils ne traversaient guère auparavant. Ils se mirent à la traverser ».
– Les juifs protégés possédèrent un nombre considérable de biens immobiliers et de terrains dans la ville de Safi, dans sa banlieue et dans ses campagnes, la plupart du temps par escroquerie et par ruse. Certains d'entre eux furent cédés aux étrangers qui devinrent propriétaires de plus de trois cents hectares de terrain à la fin du règne de Moulay Al Hassan Ier .