com.juives sahariennes.M. Abitbol
L'examen des compositions poétiques et des autres pièces documentaires présentées dans notre étude révèle un pouvoir de suggestion virtuellement illimité, une pensée fortement condensée, une accumulation d'émotions, un réseau serré de références, de formules tendant à la plus haute concentration possible de sens, de connotations renvoyant hors des frontières du texte, à un univers symbolique et allégorique très allusif, à des traditions littéraires et des paysages culturels qu'on a plaisir à découvrir — notre travail visant précisément à la recherche du substrat traditionnel, au collationnement et à l'interprétation des sources.
Chaque mot de cette culture intériorisée est un écho répondant directement ou allusivement à un appel, à un besoin de dire et de s'exprimer. On y perçoit, par ailleurs, le soin d'adapter l'élément exotique, parfois mythique au paysage maghrébin et aux traditions de l'espace environnant, le souci de procéder, en quelque sorte, à son éthnicisation, d'intégrer un événement et un personnage étrangers dans l'univers local, de manière à rendre l'histoire plus familière.
Il en va ainsi, dans nos pièces judéo-arabes du Maroc, des héros exemplaires bibliques ou des saints et thaumaturges palestiniens (le Mardochée de notre Mi-kamoha, le Job de notre chronique historique, le Bar-Yohay de notre qissa de Tingir etc….), de l'iconographie de la Haggadah de Pesah (Sefo/ç, simple forme verbale hébraïque y devient, dans l'imagination populaire, tantôt un saint vieillard légendaire, tantôt une figure démoniaque).
Les traductions elles-mêmes dela Biblesont une vision autochtone des textes scripturaires sacrés, une manière personnelle de les lire, de les concevoir et de les interpréter, intégrées qu'elles sont au cadre de la vie existentielle, à l'environnement linguistique et socio-confessionnel, à une aire géo-politique déterminée.
Tous les textes retenus racontent, à leur façon, une histoire. La dominante religieuse, dont nous avons noté l’emprise sur toute la création poétique hébraïque émerge ici dans les genres à caractère pédagogique et didactique cultivés en tant qu'auxiliaires de l'enseignement scolaire, biblique et talmudique, qui se prolonge par celui des adultes au moyen de la prédication et de la littérature éthique et homilétique; elle culmine dans les pièces liturgiques. L'intérêt porté aux événements en tant qu'hisoire humaine est assez remarquable.