maroc


LE FABULEUX PÉRIPLE D'HANNON


  1. histoire-du-marocLE FABULEUX PÉRIPLE D'HANNON

Il est bon de publier à nouveau ce texte d'interprétation si difficile. Si le début peut être admis, à partir de Cerné, on entre dans la fable.

« Il a plu aux Carthaginois de faire naviguer Hannon au delà des colonnes d'Hercule pour y fonder des villes lybo-phéniciennes. C'est pourquoi il accomplit ce voyage à la tête d'une flotte de soixante navires à cinquante rameurs emmenant avec lui trente mille hommes ou femmes, des vivres et des marchandises.

Quand nous eûmes dépassé les Colonnes d'Hercule, et après une navigation de deux jours, nous fondâmes une ville à laquelle nous donnâmes le nom de Thymaterion ; elle dominait une vaste plaine.

 De là nous prîmes vers l'Ouest et nous ralliâmes près du cap libyen de Soloeis couvert d'épaisses forêts. En ce lieu nous élevâmes un temple à Neptune et nous continuâmes ensuite notre voyage vers l'Est. Après une demi-journée nous parvînmes à un lac situé non loin de la mer et couvert de joncs élevés où paissaient un grand nombre d'éléphants et de bêtes féroces.

Nous dépassâmes ce lac dans une journée de course et nous peuplâmes de nouveaux colons les villes du littoral : Karikon, Gytte, Mélitta et Arambys.

De là nous entrâmes dans l’embou­chure du Lixus, grand fleuve qui vient de l'intérieur de la Libye. Les Lixites, peuplade nomade, faisaient paître leurs troupeaux sur le bord de ce fleuve. Nous établîmes des rapports d'amitié avec ce peuple au milieu duquel nous séjournâmes quelque temps.

Plus loin dans l'intérieur des terres se trouvent les Éthiopiens, peuple inhospitalier habitant une région remplie de bêtes sauvages et entrecoupée de hautes montagnes où le Lixus prend sa source; dit-on. Au milieu de ces montagnes vivent des hommes d'une structure particulière appelés Troglodytes.

Les Lixites prétendent qu'ils sont plus rapides à la course que les chevaux. Nous prîmes des interprètes chez les Lixites et nous longeâmes pendant douze jours, dans la direction du Sud, des côtes désertes; puis ensuite nous navigâmes pendant un jour vers l'Est; en cet endroit au fond d'un golfe, nous découvrîmes une petite île de cinq stades de circuit à laquelle nous donnâmes le nom de Cerné et où nous fondâmes une colonie… La durée de la traversée de Carthage aux Colonnes d'Hercule et de ce point à Cerné est la même.

De là, après avoir navigué à l’embouchure d'un grand fleuve appelé Chrétès, nous entrâmes dans un lac dans lequel se trouvaient trois îles plus grandes que Cerné. Nous les dépassâmes et après une journée de navigation, nous atteignîmes l'extrémité du lac, dominée par de hautes montagnes habitées par des hommes sauvages, couverts de peaux de bêtes féroces, qui à notre approche nous jetèrent des pierres et nous empêchèrent de débarquer.

En continuant notre navigation, nous atteignîmes un autre fleuve… fourmillant de crocodiles et d'hippopotames. De là nous revînmes sur nos pas et nous regagnâmes Cerné.

De là, nous navigâmes pendant douze jours du côté du Sud en longeant une côte habitée par des Éthiopiens qui prirent la fuite à notre vue. Les Lixites qui étaient avec nous ne comprenaient pas leur langage. Le dernier jour, nous débarquâmes au pied de hautes montagnes boisées. Les arbres étaient d'essences diverses et leur bois odoriférant.

Nous cotoyâmes ces montagnes pendant deux jours et nous atteignîmes un golfe immense dont les deux côtés étaient en plaine… Nous fîmes de l'eau et, après avoir côtoyé cette région pendant cinq jours nous entrâmes dans un grand golfe que les interprètes nous dirent s'appeler la corne du Couchant. Dans ce golfe était une île spacieuse; dans cette île un lac salé, renfermant une autre île. Nous y débarquâmes et pendant le jour nous n'y vîmes que des forêts; mais pen­dant la nuit, nous aperçûmes de grands feux et nous entendîmes un grand bruit de trompettes e: de cymbales, où se mêlaient de grandes clameurs. Alors la frayeur nous gagna et les prêtres nous conseillèrent d'abandonner l'île. »

http://www.pheniciens.com/persos/hannon.php

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hannon_(navigateur)

http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1994_num_138_2_15385

La conversion forcée des jeunes filles juives-Yigal Bin Nun

יגאל בן נון 2Le poids de l’islam dans la constitution marocaine
Malgré les déclarations apaisantes des autorités, les dirigeants de la communauté juive ne pouvaient pas ignorer le fait majeur que le Maroc indépendant est défini dans sa constitution comme un état musulman dans lequel l’Islam jouissait d’un statut particulier, bien que le premier article de la constitution définît le Maroc comme un royaume constitutionnel démocratique et social et que l’article 5 déclarât expressément que tous les Marocains étaient égaux devant la loi. En outre, les Juifs, très sensibles à la question de la liberté de circulation, ne trouvèrent pas dans l’article 9 aucune référence au droit de quitter le Maroc ou d’émigrer, mais uniquement au « droit de s’installer librement dans tout le royaume ». Le problème n’était pas d’ordre juridique uniquement. Le Maroc post-colonial était une société dans laquelle la religion occupait une place primordiale et toute sa culture reposait sur l’Islam. Cette réalité socioculturelle ne laissait plus de place aux non-Musulmans, ni même aux laïques, comme dans les pays occidentaux. De ce fait, toute tentative de surmonter le problème de l’existence d’une communauté juive dans une société musulmane était vouée à l’échec. L’intelligentsia juive tenta un certain temps d’ignorer le problème, dans l’ardeur enthousiaste de l’indépendance, mais elle dut vite déchanter. La classe dirigeante du pays fut un temps partagée entre sa volonté d’adopter le principe occidental de démocratie, et la fraternité panarabe qui soufflait de l’Orient, mais les contrecoups du panarabisme et du panislamisme n’épargnèrent pas le Maroc. Son adhésion à la Ligue arabe, la rupture des relations postales avec Israël et le processus d’arabisation de l’administration firent pencher la balance et écartèrent toute chance de voir les Juifs jouir dans le nouvel état indépendant d’un statut laïque et démocratique, pareil à celui des Juifs d’Europe occidentale.

La conversion forcée des jeunes filles juives
Au début des années soixante, alors que l’émigration était déjà légale bien que discrète, un phénomène nouveau vint ébranler la vie de la classe moyenne juive au Maroc. Ce furent quelques cas de conversions de jeunes filles juives à l’Islam. Ces cas seraient passés inaperçus si le nouveau ministre des affaires islamiques, le chef du parti de l’Istiqlal, Allal Alfassi, fervent partisan du panarabisme et défenseur de l’Islam, n’avait décidaé d’en tirer politiquement profit. Dans l’organe arabe de son parti, Al ‘alam, il publia quotidiennement les noms et les photographies de jeunes Juives qui se convertissaient à l’Islam. Il alla même jusqu’à consacrer le stand de son ministère à la Foire internationale de Casablanca à une exposition de ces photographies, incitant par cet acte d’autres jeunes à se convertir. Les dirigeants de la communauté ne tardèrent pas à réagir durement contre les méthodes de ce héros du mouvement national marocain, dont certaines opinions inquiétaient déjà la rue juive. La Voix des communautés, rédigé par Victor Malka, consacra trois numéros à ce problème et en fit son cheval de bataille contre le ministre . David Amar ameuta l’opinion publique en publiant un supplément de l’organe des communautés en arabe, destiné aux dirigeants politiques arabisants. Il accusa le ministre de vouloir tirer profit sur ses adversaires politiques sur le compte de la communauté, au lieu de s’occuper des mosquées, des prêches et des pèlerinages. Il s’adressa au ministère de la justice pour arrêter la publication de ces photographies dont quelques-unes, avec onze noms de jeunes Juives, furent reproduites dans l’organe de la communauté.
Le juriste Carlos de Nesry publia une série d’articles dans La Voix des communautés et dans la revue parisienne L’Arche où il expliqua la gravité du problème. Se fondant aussi bien sur la halakha juive que sur la shari‘a musulmane, il ne s’opposa point au fait qu’une personne majeure puisse adopter consciemment et par conviction une autre religion que la sienne. Cependant, lorsqu’il s’agit d’une jeune fille mineure, de moins de vingt ans, qu’on enlève de sa famille pour la marier à un Musulman et ensuite la forcer par divers moyens à se convertir, cette situation devient insupportable, la conversion n’étant en fait qu’un détournement illicite et abusif . Même l’hebdomadaire satirique Akhbar dounia, souvent critique envers la communauté, jugea nécessaire de critiquer le ministre des affaires islamique qui prétendait que telle « mineure » avait embrassé l’Islam « par pure conviction ». Le reniement de la foi ne manqua pas d’éveiller dans l’imaginaire juif l’image héroïque de la jeune Sol Hatchouel (Solica la juste 1820-1834) de Tanger, décapitée sur la place publique à Fès parce qu’elle refusa de renier sa religion et de se convertir à l’Islam . Le problème des conversions forcées, tout négligeable qu’il soit, ne manqua pas de secouer l’opinion publique juive au début des années soixante, à une époque où l’émigration était déjà légale et bâtait son plein. Si jusqu’alors ce n’étaient que les classes sociales les moins favorisées qui s’empressaient de partir, le drame des conversions forcées ébranla la quiétude des classes moyennes qui voulaient avant tout assurer l’avenir de leurs enfants.

Histoire du Maroc -M.Terrasse

  1. histoire-du-marocLE RÉCIT DE SCYLAX

Le récit de Scylax, taxé de faux, n'est pourtant pas moins vraisemblable que le périple de Hannon ; qu'on en juge :

« De Carthage aux Colonnes d'Hercule, dans d'excellentes conditions de navigation, on compte sept jours et sept nuits… »

« La traversée, le long de la côte, des Colonnes d'Hercule au cap d'Hermès, dure deux jours. Du cap d'Hermès au cap Soloeis, elle en dure trois; du cap Soloeis à Cerné elle dure sept jours. Toute cette traversée des colonnes d'Hercule à Cerné est donc de douze jours. Pour ce qui est au delà de Cerné, on ne peut y parvenir à cause des bas fonds, de la vase et des algues. Ces algues sont larges d'une palme, pointues par en haut et piquantes. Les commerçants sont phéniciens; quand ils arrivent à Cerné, ils amarrent leurs vaisseaux ronds et dressent des tentes dans l'île. Ils déchargent leur cargaison et la transportent à terre dans de petites embarcations. Il y a là des Éthiopiens avec qui ils font des échanges. Ils échangent leurs marchandises contre des peaux de cerfs, de lions et de léopards, contre des peaux ou des défenses d'éléphants, contre des peaux d'animaux domestiques. Les Éthiopiens se parent de tatouages et boivent dans des coupes d'ivoire. Leurs femmes se parent de colliers d'ivoire… Ces Éthiopiens sont les hommes les plus grands que nous connaissions; leur taille dépasse quatre coudées; certains même atteignent cinq coudées. Ils portent la barbe et ont de beaux cheveux… Ils sont bons cavaliers, lancent le javelot, et sont bons archers. Ils se servent aussi de traits durcis au feu. Les commer­çants phéniciens leur apportent de l'onguent, de la pierre d'Égypte, des poteries attiques, des congés (grands récipients). On vend ces poteries à la fête des congés. Ces Éthiopiens mangent de la viande et boivent du lait, ils font beaucoup de vin de leurs vignes que les Phéni­ciens exportent. Ils ont aussi une grande ville où vont les vaisseaux des marchands phéniciens. Certains prétendent que ces Éthiopiens s'étendent de là jusqu'en Égypte sans interruption, que cette mer est continue et que la Libye est une péninsule. »

  1. LE COMMERCE MUET DE L'OR

Les Carthaginois racontent encore ceci : il y a en Libye, au delà des Colonnes d'Hercule un pays qu'habitent des hommes. Lorsque les Carthaginois arrivent chez ces peuplades, ils déchargent leurs marchandises, les rangent le long du rivage, puis remontent à bord et allument des feux pour faire voir la fumée. Lorsque les indigènes voient la fumée, ils viennent sur le bord de la mer, placent de l'or vis à vis des marchandises et s'éloignent. Les Carthaginois débarquent alors et vont se rendre compte : si l'or leur semble égal au prix des marchandises, ils le prennent et s'en vont, sinon ils remontent à bord et attendent. Alors les indigènes reviennent et ajoutent de l'or à celui qu'ils ont mis jusqu'à ce qu'ils soient d'accord. Ni les uns ni les autres ne sont malhonnêtes : les Carthaginois ne touchent pas à l'or tant qu'il ne leur paraît pas payer leurs marchandises et les indigènes ne touchent pas aux marchandises avant que les Carthaginois n'aient pris l'or.

Jean-Louis Miège – LA Bourgeoisie Juive du Maroc au xix siecle Rupture ou continuité

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Cet enrichissement, cette sécurité sont d'autant plus facteurs d'ascension sociale que les Juifs, incarnent de plus en plus les valeurs nouvelles, celles promises à l'avenir, celles qui s'imposent aux Musulmans encore réticents: les valeurs de l'occidentalisation. Cette occidentalisation se fait par le contact avec les européens, avec les écoles multipliées — et il faudrait longuement parler des écoles de l'Alliance après 1862—par les voyages à l'étranger, par la presse tangéroise, enfin, toute entière, à une exception près, aux mains des juifs.

L'effet s'en marque partout dans les moeurs. Le changement des costumes en est la première manifestation depuis longtemps notée. Même dans les petits centres l'évolution est rapide dans les habitudes journalières. Michaux Bellaire l'a noté excellement à El Ksar dans le Gharb au tout début du siècle.

Le juif sera—et cela ne contribue pas peu à son enrichissement — le diffuseur des novations notamment des novations alimentaires qui prennent, une part croissante dans le volume d'un commerce pratiquement décuplé entre les années 1830 et les années 1890 (de 8 à 80 millions). Le thé, le sucre qui l'accompagne, certains tissus de cotonnades sont les produits nouveaux les plus remarquables. Selon la tradition les Afriat, originaires d'Ifran firent répandre, au XIXe siècle, dans le sud marocain et le Sahara l'usage du Khourt et du Kalamoun qu'ils fabriquaient ou faisaient fabriquer à Manchester mais aussi à Madras et Pondichéry.

Parmi bien d'autres traits il conviendrait de relever la poussée démographique de la minorité juive. Tous les indices prouvent que par l'évolution de son revenu, par l'urbanisation, par l'usage croissant de la vaccine, une évolution différentielle s'établit dans le dernier quart du XIXe siècle entre la population juive et la population musulmane.

Le schéma d'ascension de cette nouvelle classe juive rappelle celui de la bourgeoisie européenne au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. Toutes choses égales, il s'établit selon un même procès ou agissent des forces semblables: hausse longue des prix, utilisation habile des cycles économiques dans leur phase d'expansion comme des brusques crises (les faillites permettant des acquisitions à bas prix par saisie de gage), constitution de fortunes mobilières et foncières, renouveau idéologique (les emprunts aux idées européennes jouant ici assez exactement les rôles des lumières dans l'Europe du XVIIIe siècle), extension rurale d'un capitalisme à racine urbaine. Avec un certain décalage il s'appliquera d'ailleurs bientôt à la bourgeoisie naissante musulmane; mais la bourgeoisie juive marocaine, en partie grâce au ferment des judéo-andalous mais aussi par sa situation spéciale, son intelligence et ses aptitudes a été la première à saisir le sens de l'évolut­ion, à l'utiliser et à se perpétuer. Elle joue pleinement de ses deux grandes forces millénaires la force conservatoire et celle de l'adaptation. Elle a pu appliquer à une situation nouvelle les acquêts d'une situation ancienne. Cette bourgeoisie remplit à nouveau pleinement ce rôle d'intermédiaire sinon intercesseur entre deux mondes, celui du Maroc profond et celui de l'Occident, ceux aussi de la tradition et de la novation.

Ainsi retrouvons-nous notre interrogation initiale. Continuité ou rupture? En réalité continuité et rupture. N'est ce pas là la marque du génie juif marocain de conservation et de ferment qui le fait vivre, dans ce Maghreb à la fois ami et hostile, le long des siècles, constamment à l'heure juste de son destin.

Il etait une fois le Maroc-David- Bensoussan-La protection consulaire ou Hamia

LA PROTECTION CONSULAIRE OU HAMIA

La protection consulaire était très recherchée par les autochtones

La protection consulaire ou hamia valait son pesant d'or. La protection consulaire signifiait non seulement une protection contre l'autorité despotique des autorités locales mais aussi une exemption d'impôts locaux. Quant aux consuls, ils avaient droit à des égards particuliers et devaient se présenter en audience avec de magnifiques cadeaux. Lors de sa première descente à terre, un consul était accueilli par 21 coups de canon. On raconte qu'au milieu du XIXe siècle, un officier indigène força le passage dans la demeure du consul le sabre à la main et il en résulta que la sentinelle en eut le doigt coupé. Le gouverneur emprisonna le délinquant qui eut droit à 64 coups de bâton octroyés en public avant de rejoindre sa cellule.

Parmi les protégés consulaires, citons Abraham Corcos qui fut très proche du sultan et était vice-consul des États-Unis; le rabbin Joseph Elmaleh était négociant, chef des anciens de la communauté juive – le ma'amad – et représentait la dynastie des Habsbourg; son fils Réuben Elmaleh lui succéda dans sa fonction consulaire. En 1864, il y avait 165 sujets britanniques à Mogador, dont la moitié avait des noms juifs marocains; 35 étaient nés dans la ville et 65 à Gibraltar. Indépendamment de leur statut de protégé consulaire, une trentaine de familles juives de Mogador obtinrent la nationalité française au XIXe siècle.

Comment la protection consulaire était-elle perçue par les souverains marocains?

Les souverains marocains bénéficiaient grandement des frais de douane engendrés par le commerce extérieur géré par de nombreux marchands juifs bénéficiant de la protection consulaire. D'un autre côté, ils tenaient à leur communauté juive. Au XIXe siècle, tout Juif qui quittait le Maroc devait payer 4 dollars. Ce montant passait à 166 dollars dans le cas d'une juive. Ces mesures visaient à retenir et à ne pas perdre des membres de la communauté juive considérés comme extrêmement utiles au royaume. Pour les puissances étrangères, la protection consulaire permettait de pénétrer des marchés traditionnellement fermés, de consolider leur influence, voire même d'intervenir militairement au besoin.

Quant aux nationaux étrangers, les traités de 1767 entre la France et le Maroc ou celui de 1836 entre les États-Unis et le Maroc leur offraient une certaine protection juridique dans le cas d'un différent les opposant à des Maures. En 1856, l'Angleterre obtint l'exonération d'impôts aux consuls et la création d'un tribunal international des consuls étrangers pour juger des litiges entre Anglais et autres ressortissants étrangers. Ces privilèges furent étendus à l'ensemble des puissances signataires du traité de Madrid en 1880.

Comment la protection consulaire pouvait-elle cohabiter avec le statut de dhimmis des Juifs et des Chrétiens?

La législation islamique prévoyait des limitations spéciales aux juifs et aux chrétiens ainsi que des interdits religieux contre les musulmans. Les consuls ne bénéficiaient pas toujours d'immunité. La législation islamique fut appliquée tant que le Maroc fut puissant et redouté et devint plus lâche lorsque les puissances européennes s'affirmèrent au cours du XIXe siècle. Certains incidents méritent d'être rapportés pour brosser un tableau du statut des consuls au Maroc.

En 1767, le consul de France Louis Chénier força le passage de la porte de la ville de Salé l'épée à la main lorsque les gardes s'opposèrent à ce qu'il entre dans la ville monté à cheval, cette monture du prophète étant l'apanage des seuls musulmans.

Le juif anglais Phillips qui fut commandant du port de Mogador insistait pour avoir le droit de monter à cheval et de ne pas avoir à se présenter déchaussé devant le sultan.

Le Gouverneur de Mogador pensait avoir tous les droits en regard d'un attaché consulaire de nationalité française d'origine algéro- musulmane ne respectait pas ces interdits. Bien que la France suggéra de démettre et l'attaché et le Gouverneur, l'attaché fut rappelé mais le Gouverneur fut maintenu en fonction.

Originaire de Tunisie, le juif français Hayim Victor Darmon représenta à Mogador des maisons de commerce juives de Marseille. Il était agent consulaire d'Espagne à Mazagan. Il fut arrêté et condamné à mort en 1843, pour s'être battu contre un musulman qui l'accusait d'avoir eu des relations sexuelles avec une musulmane car, à ce titre, il était passible de la peine de mort. Il s'enfuit, fut repris et exécuté. Son corps fut exposé en public et l'Espagne menaça de déclarer la guerre. L'on prétendit par la suite qu'il fut tué après avoir tenté de s'échapper des mains de ceux qui étaient venus l'arrêter. Le Gouvernement français exigea et obtint une compensation pour la famille et le limogeage du Gouverneur de Mazagan. Dans ce cas particulier, il faut préciser que le sultan cherchait une excuse pour démettre ce Gouverneur du nom de Haj Mousa qui avait commis bien des impairs et dont la conduite abusive semblait reposer sur le fait qu'il avait sauvé le sultan dans sa jeunesse… Il n'en demeure pas moins que cette humiliation de l'Espagne aura été un des facteurs à l'origine de la guerre hispano-marocaine de 1859.

En 1899, le notable israélite Lumbroso, sujet italien, voulut passer la journée dans l'île du port de Mogador. Le caïd de la ville s'y opposa en soutenant que « les autres Européens ne sont pas des Juifs, et que M. Lumbroso est juif. » Une plainte fut déposée par un ministre italien au sultan qui ordonna au caïd de présenter des excuses.

Le Gouverneur de Mogador tenta d'interdire aux Européens de fumer durant le Ramadan car les Musulmans risquaient de sentir le tabac. Aussi, bien qu'officiellement les étrangers étaient soumis à la législation religieuse du pays, dans les faits, il fallait avant tout s'accommoder d'un certain laisser-faire et ne pas faire de vagues… mais surtout éviter d'avoir à confronter les officiels sur des sujets délicats.

Soulignons que dans le cas particulier de Mogador, le consul de France à Mogador M. Lebey assistait à toutes les réunions du comité de la communauté et y prenait une part active.

Il est intéressant de noter que les souverains marocains défendirent leurs sujets juifs à l'étranger. Ainsi, un certain Sofate prit part à une rébellion au Portugal en 1828. Il fut condamné à mort. Suite à l'intervention du sultan, sa peine fut commuée aux travaux forcés, mais le sultan ne fut pas satisfait. Sofate fut libéré après deux ans et demi de prison.

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010 Qu'en fut-il des contacts avec le mouvement sioniste?

 

Qu'en fut-il du sionisme chez les non-Juifs?

En toile de fond, un certain sentiment de commisération prévalut envers la situation des Juifs en général pointait en Europe. Cela se traduisait par des sentiments de compassion envers leurs souffrances, notamment dans des contrées où l'Europe avait des intérêts. Sous Napoléon, les Juifs devinrent citoyens et l’empereur envisagea le rétablissement des Juifs dans leur terre ancestrale. Rappelons enfin qu'un certain libéralisme émergea en Angleterre où l'on reconnut aux Juifs leur passé glorieux. Par ailleurs, les Protestants ont toujours eu une plus grande affinité avec la Bible hébraïque et de nombreux Protestants des deux côtés de l'Atlantique envisagèrent favorablement le retour des Juifs à Sion. Ainsi, en 1839, Lord Palmerston, alors secrétaire d’État aux Affaires étrangères, instruisit le premier vice-consul de Jérusalem afin qu'il accorde sa protection aux Juifs en général. Il cita alors à la jeune reine Victoria le verset 23-6 de Jérémie : « En son temps, Judah sera sauvé et Israël vivra en sécurité dans sa demeure.» Lorsque Moses Montefiore revint du Maroc avec un édit de sultan proclamant la justice pour ses sujets juifs, le journal Daily Telegraph imprima un article sur le thème : « Qu'est donc le christianisme si ce n'est des actions telles que celle-ci ! »

Dans l'Amérique du XIXe siècle, certaines écoles de pensée protestantes virent dans le sionisme l'accomplissement des prophéties bibliques. L'Amérique elle-même était considérée comme une nouvelle terre de Canaan où coulent le lait et le miel, mariant ainsi le rêve du pionnier américain à celui du pionnier sioniste. Ainsi, pour l'écrivain Herman Melville, les idéaux démocratiques de l'Amérique étaient analogues aux idéaux bibliques dans un monde idolâtre : « Nous, Américains, sommes l'Israël de notre temps. Nous supportons les arches de la liberté du monde.» D'autres virent dans le foyer juif un besoin humanitaire visant à redonner la liberté à un peuple vivant dans de terribles conditions tant en Europe que dans l'Empire ottoman.

Les Musulmans ont généralement bien compris le besoin que les Juifs avaient de vénérer leurs lieux de pèlerinage. En fait, le verset 5-21 du Coran stipule en parlant des Juifs : « Ô mon peuple, occupez cette terre sainte qu'Allah vous a assignée.» De même, dans le verset 17-14 : « Nous avons ordonné aux Enfants d'Israël : Peuplez cette terre en attendant l'avènement de l'Heure où nous vous rassemblerons tous, vous et eux ! » Souvent, ces versets sont ignorés ou réinterprétés avec de nombreuses contorsions. Par ailleurs, un certain courant radical refuse qu'une terre conquise par les Musulmans ne puisse être réclamée par des non Musulmans. Ceci signifierait que l'Espagne, la France au sud de Poitiers et l'Europe des Balkans à l'Est de Vienne ne seraient rien de plus que des terres musulmanes. Il est fort intéressant que cette interprétation ne soit retenue quasi exclusivement que pour refuser aux Juifs le droit d'avoir un pays en Terre d'Israël.

DE L'ENSEIGNEMENT TRADITIONNEL JUIF AUX DÉBUTS DE L'ENSEIGNEMENT DE L'ALLIANCE ISRAÉLITE UNIVERSELLE

Qu'en était-il de l'enseignement traditionnel juif?

À l'école juive ou Talmud Torah, ou tout simplement dans le logis du rabbin, l'enfant apprenait l'alphabet sur une planchette de bois. Puis l'on passait à l'étude des Écritures : Le Pentateuque, les Juges, les Rois, les Prophètes et les Hagiographes. L'instruction était prodiguée en espagnol ou en arabe, langues retranscrites en caractères hébraïques. La Bible était chantée et traduite en judéo-arabe ou en judéo-espagnol. La mémorisation des textes et de leur traduction était obligatoire et les punitions sévères. La grande majorité des filles juives n'étaient pas instruites.

Durant la phase secondaire, les discussions, commentaires et interprétations de la loi orale, Mishna et Talmud, étaient potassés et les textes hébraïques ou araméens étaient traduits en judéo-arabe ou en judéo- espagnol. Les commentaires bibliques classiques ou locaux étaient fouillés. La casuistique talmudique affûtait les esprits, quand bien même les questions débattues n'avaient que peu d'application dans la vie courante. Certains des finissants s'orientaient vers le rabbinat, le notariat ou l'abattage rituel. Ceux qui poursuivaient leurs études dans les villes de Fès, de Marrakech et de Tanger avaient un énorme compendium judaïque à leur disposition, incluant l'étude de la philosophie, de la cabbale, des contes historiques et des commentaires rabbiniques touchant aux Écritures, au droit, au calendrier, à la grammaire ou à la poésie. On étudiait également la pensée juive, tel l'ouvrage Les devoirs des cœurs d'Ibn Paqouda, le Kouzari de Yehouda Halévi et le préambule du Traité des Pères de Maimonide. En mission au Maroc, l'orientaliste Joseph Halevy notait : « Les Israélites de ce pays n'ont jamais atteint le degré de bigoterie fanatique qui repousse les sciences profanes comme contraires à la religion… L'obscurantisme absolu est inconnu au Maroc.»

L'éducation traditionnelle permettait la formation de juges rabbiniques, d'éducateurs, de chantres, de notaires, de copistes des rouleaux sacrés et de toute une panoplie de spécialistes rattachés à des fonctions ou des services religieux : Abattage rituel, circonciseurs, confréries du dernier devoir (Hévra), homélistes etc. En 1930, la taxe sur les produits dits casher gravitait autour d'un franc le kilogramme de viande et d'un quart de franc par kilogramme de pain azyme. Cette taxe spéciale était prélevée pour venir en aide aux nécessiteux.

Quant aux écoles de l'Alliance, elles suivaient le curriculum français : arithmétique, histoire, géographie, physique, chimie et des notions de littérature, l'instruction de l'hébreu étant donnée par des rabbins. Les enfants juifs récitaient : « Jadis la France s'appelait la Gaule et nos ancêtres les Gaulois…» Plus de 80% des enfants juifs étaient scolarisés.

Qu'en était-il des écoles européennes?

Dans la majorité des villes côtières, les écoles espagnoles étaient pour la plupart gérées par des Franciscains. L'anglais fut enseigné dans des écoles anglaises à Mogador et à Mazagan. Quant aux écoles françaises instituées après le Protectorat, elles suivaient le même enseignement qu'en France métropolitaine. On y chantait l'amitié avec tout un chacun « même s'il n'est pas né en France.»

Quelle était la mission de l'Alliance?

L'extrait du texte fondateur de l'Alliance Israélite Universelle, définit sa mission : « Rassembler tous les cœurs généreux pour lutter contre la haine et les préjugés. Créer une société de jeunes Israélites idéalistes et militants qui se sentiraient solidaires de tous ceux qui souffrent par leur conviction de juifs ou tous ceux qui sont victimes de préjugés quelle que soit leur religion. Faire enfin que la culture supplante l'ignorance de quelques fanatiques, pour le bien de tous… Si vous croyez que ce serait un honneur pour votre religion, une leçon pour les peuples, un progrès pour l'humanité, un triomphe pour la vérité et pour la raison universelle de voir se concentrer toutes les forces vives du judaïsme, petit par le nombre, grand par l'amour et la volonté du bien, venez à nous, nous fondons l'Alliance Israélite Universelle.» L'Alliance Israélite Universelle dont le siège social est toujours à Paris, s'engagea à ouvrir de nombreuses écoles juives d'expression française dans le monde, essentiellement dans les pays du bassin méditerranéen et jusqu'en Iran. 14 écoles furent fondées entre 1860 et 1870. Fondée en 1868, l'École normale israélite orientale fut en charge de la formation d'enseignants pour les écoles de l'Alliance. En 1900, l'Alliance scolarisait 26 000 élèves dans 100 écoles. Ce nombre passa à 48 000 élèves dans 188 écoles à la veille de la Première Guerre mondiale et à 51 000 élèves dans 135 écoles en 1948.

Au Maroc en 1867, il y avait 310 garçons et 1077 enregistrés à Tétouan, soit 5 ans après l'ouverture de l'école de l'Alliance. Trois ans après sa fondation, l'école de Tanger comptait 436 élèves et celle de Mogador 100 garçons et 40 filles. Une école fut ouverte à Safi et l'expansion de l'Alliance fut depuis lors, fulgurante.

Comment l'Alliance fut acceptée au départ?

Dans certaines villes comme à Salé et à Meknès, il y eut opposition à l'Alliance car les parents craignaient que l'enseignement des valeurs religieuses se relâche. Il y eut quelques hésitations parfois, mais lorsque les parents comprirent les bienfaits d'une éducation moderne qui ne soit pas exclusivement centrée sur la religion, il y eut des ruées quasi incontrôlables pour inscrire des jeunes élèves dans le réseau scolaire de l'Alliance Israélite Universelle. L'enthousiasme suscité par les écoles de l'Alliance dans les couches populaires fut indescriptible. Déjà en 1906, soit cinq ans après l'ouverture de la première école de l'alliance à Marrakech, Louis Gentil auteur de l'ouvrage Explorations du Maroc, notait : « J'ai vu très fréquemment les élèves de l'école (de l'Alliance), je les ai interrogés à maintes reprises, j'ai causé avec eux bien souvent. Ce qui m'a le plus surpris, c'est de voir aux cours d'adultes des hommes de 30, 40 ans et plus, qui après une journée de labeurs fatigants venaient apprendre à lire, écrire et parler notre langue. J'ai été réellement étonné de l'attention avec laquelle ils écoutaient leur professeur et des résultats auxquels arrivaient la plupart d'entre eux. J'en ai vu qui, au bout d'un mois de ce travail, parvenaient à écrire une lettre de clarté et de précision suffisantes.» Dans l'ouvrage Au Maroc avec le général d'Amade paru en 1908, le journaliste Reginald Rankin rapporta : « Il n'y a pas de mots pour exprimer le désir brûlant du parent juif de donner à son fils une éducation. À Mogador, il est notoire qu'un père a hypothéqué sa propre djellaba pour pouvoir payer les frais de scolarité de son fils.»

Le réseau scolaire de l'Alliance engloba rapidement l'ensemble de la communauté juive et cette mutation à la francisation s'accompagna d'une occidentalisation qui allait changer le visage du judaïsme marocain et lui faire espérer de meilleurs jours.

Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010 Qu'en fut-il des contacts avec le mouvement sioniste?page 133-136

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