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Meknes-portrait d'une communaute juive marocaine-Joseph Toledano-ed Ramtol 2017-Une fiscalite ecrasante

 

UNE FISCALITE ECRASANTE

Malheur général, semi consolation dit l'adage rabbinique. Pourtant, moins impliquée et s'iden­tifiant moins avec les ambitions politiques du souverain, la communauté juive ne pouvait que ressentir plus lourdement et comme discrimi­natoire le poids des impôts arbitraires prélevés à tout propos pour financer les guerres et les constructions.

Un curieux épisode de cette "avidité à avoir de l'argent" est rapporté dans les écrits de l'un des plus célèbres esclaves chrétien de l'époque. Offi­cier de l'armée espagnole fait prisonnier en 1708,

José de Leon avait réussi au bout de quelques an­nées de captivité à gagner la confiance du sultan qui l'avait chargé de l'entretien de ses armes. Il rapporte qu'il y avait à Meknès une famille juive exemptée du paiement de tout impôt, car descen­dant de l'une des épouses juives du Prophète, les Ben Sarrat ( ?) Le sultan demanda un jour au chef de la famille de produire le document attestant cette dispense. Lorsqu'il vit que le nom de Mohammed était recouvert d'une tâche, il entra dans

une terrible colère et décida en représailles de…confisquer tous les biens de la

famille.

Aussi justifié soit -il, ce sentiment de discrimination, doit être relativisé, le poids des impôts et leur arbitraire étant le lot de toute la population comme en témoigne l'audacieuse critique adressée dès 1684, au souverain par le docte ouléma de Fès, Hassan Al Youssi. Il lui rappela qu'une des premières obligations du souverain musulman est "de recueillir les impôts et de les dé­penser d'une façon juste" Or il n'en était rien :

" Que notre Seigneur procède à un examen : les impositions de son gouver­nement ont attiré la peur de l'iniquité sur tous ses sujets. Elles ont mangé leur chair, bu leur sang, sucé leurs cerveaux, elles n'ont rien laissé à personne, ni biens de ce monde, ni religion. Les biens de ce monde leur ont été enlevés. Quant à la religion, elles les ont excités à se révolter contre elle. Ce n'est pas là une opinion, c'est une chose que j'ai vu de mes propres y eux… Si sous un règne, l'homme est privé de deux choses : un peu d'avoir et le bonheur, il désire la fin de ce règne…

Dans son réquisitoire, l'intrépide censeur berbère rappelait également les ex­cès des ponctions fiscales sur les Juifs contraires aux dispositions du pacte de protection, la dhimma. Cette description aux couleurs apocalyptiques n'était pas très éloignée de l'image que s'en faisaient les communautés juives du Ma­roc comme en témoignent les Chroniques de Fès deux décennies plus tard :

" L'année 5461 (1701) marqua le début des calamités qui fondirent sur nous sous le règne de Moulay Ismaël. Au mois d'avril, nous parvint la nouvelle de la bataille qu'il avait livrée aux Turcs. Il imposa à se sujets juifs une contribu­tion spéciale de cent quintaux d'argent. Cette mesure nous jeta dans le désar­roi le plus complet. La joie de la veille de Pessah se transforma en affliction. Toutes les communautés firent parvenir au sultan cadeaux et présents, dans l'espoir qu'il transigerait d'un tiers ou d'un quart; mais sans succès. Le sultan, disait -on, avait juré, en s'engageant à répudier sa femme, que les Juifs paie­raient la somme intégrale. La communauté de Fès se vit imposer du quart de la somme…Le recouvrement commença au milieu du désarroi et des pleurs. Par nos iniquités, le jour de Shabouot nous ne priâmes pas à la synagogue… " Aux faits de l’empereur, devaient s'ajouter dans les autres villes les rapines de ses fils imprudemment nommés à des postes d'autorité dont ils devaient se servir pour pressurer leurs administrés et parfois pour se révolter – autre calamité du règne. Siège de la Cour, Meknès eut moins à en souffrir, offrant souvent un refuge – pas toujours très sûr – aux notables de la communauté de Fès, comme le rapportent les Chroniques de Fès :

" En 1703, Moulay Hafid, fils du sultan est venu à Fès; car c'est l'habitude des princes royaux de passer chez nous pour nous dépouiller. Quelque temps plus tard, il fut nommé gouverneur de Fès -la -Neuve et fit son entrée dans la Ville. Le lendemain, ses serviteurs et ses gens envahirent le mellah; commirent toutes sortes d'excès et de dépravations en se réclamant mensongèrement de  leur maître. Ils nous rendirent la vie insupportable par leurs exactions, si bien que nous finîmes par ne plus oser sortir dans la rue et ne pouvant même rester dans nos maisons; fuîmes avec nos hardes et nos enfants de terrasse en terrasse pour nous cacher. Moulay Hafid nous envoya un de ses officiers pour exiger quatre mille onces, la communauté prise de panique, les paya en une seule nuit…Voyant cet état de choses, les notables décidèrent de fuir à Meknès dans l'espoir que l'un d'entre eux réussisse à en informer Moulav Ismaël…Ils montèrent à la casbah du sultan et se mirent à crier. Entendant leurs clameurs, le sultan les fit amener en sa présence : Ils commencèrent par lui dire : "Les notables et les collecteurs d'impôts nous ont dépouillés; ils ont ruiné nos maisons Aussitôt, le sultan ordonna que les notables et les collec­teurs d'impôts comparaissent devant lui…Il chargea Abraham Maimran de porter son ordre par écrit à Fès…Introduits devant le sultan, les notables e: les collecteurs se répandirent en supplications. Le sultan commanda à ses ser­viteurs de tirer sur les Juifs; deux furent tués; un troisième gravement blesse Cette scène, jointe aux clameurs de l'autre jour, ne firent qu'exacerber la co­lère du sultan et il condamna les notables survivants à être brûlés vifs dans le four à chaux. On les emmena, puis on les fit revenir. Le sultan se tourna vers l'un de ses officiers et lui dit : je te les livre ainsi que toute la communauté de Fès, jusqu'à ce que tu aies levé sur eux vingt quantar d'argent dont ils me sont redevables…"

Trois jours plus tard, l'irritation du sultan s'étant apaisée, le Naguid Abraham Maimran retourna auprès de lui et le supplia de pardonner aux Juifs. Il ac­quiesça, mais exigea absolument des tentes en toile.

La mort providentielle quelque temps plus tard de ce cruel prince Moulay Hafid ne devait mettre fin aux exactions sur la communauté de Fès, son suc­cesseur Moulay Moutawakil allant sur ses pas et ce fut encore une fois un notable de Meknès qui évita la catastrophe :

" Ils mirent la main sur deux Juifs pauvres qu'ils amenèrent chez Moulay Moutawakil qui leur dit : "Apportez -moi une da'ira; sinon je vous ferais brûler vifs". Les Juifs se rendirent avec ses serviteurs à Fès -la -vieille et cherchèrent de l'écarlate, mais n'en trouvèrent pas car les Gentils, pris de peur eux aussi, avaient caché leur marchandise et tous leurs biens. Les Juifs retournèrent au­près du Prince et l'informèrent qu'ils n'avaient point trouvé d'écarlate. Il les fit alors jeter dans un abreuvoir. Rabbi Abraham Tolédano intervint en leur faveur. Le Prince fit retirer les Juifs de l'eau et exigea d'eux deux mille onces. Sur une nouvelle intervention de rabbi Abraham, il rabattit ses prétentions à deux cents once et une da'ira qu'ils lui donnèrent…"

Mais même la protection de son Naguid, le favori du roi Abraham Maimran ne pouvait pas toujours mettre même sa propre communauté; à l'abri des exactions en cette seconde partie du règne comme en témoigne un contempo­rain cité par rabbi Yossef Messas :

" Au mois de kislev 5464 (1704,) il y eut de grands désordres dans la ville, car les esclaves du sultan ont fouillé toutes les cours et toutes les maisons et se sont emparés de l'argent et de tout objet de valeur, des ustensiles en or, cuivre, objet métallique, y compris les Hanoukiot. Ils se sont pris également aux jeunes filles, aux vierges et aux jeunes hommes, faisant d'eux ce qu'ils voulaient. D'épouvante, nombre de femmes ont avorté; d'autres sont tombées malades. De plus, ils ont souillé toutes nos réserves de vin cacher. Et nous n'avons même pas eu la force de les supplier et de les implorer pour qu'ils cessent leurs exactions, terrorisés par les lames des épées sur nos gorges sous leurs rires moqueurs …. "

Meknes-portrait d'une communaute juive marocaine-Joseph Toledano-ed Ramtol 2017Une fiscalite ecrasante

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Le mellah de Meknès fut attaqué une nouvelle fois au mois de Hechban 1737, le jour de l'enterrement du grand rabbin Moshé Dahan, sans cette fois faire de victimes, les assaillants avant tout préoccupés de pillage.

L'insécurité, l'anarchie, la coupure des routes et une période de trois ans de sécheresse devaient faire de la grande famine des années 1737 -38 une des plus grandes catastrophes de l'histoire des communautés juives du Maroc, tragiquement ressentie à Fès et à Meknès, beaucoup trouvant refuge à Tétouan.

" Chaque jour il meurt de faim dix personnes et davantage et elles restent gisantes sur le sol sans sépulture. J'ai vu de mes propres yeux des femmes porter un cercueil sur les épaules.. .Les enfants réclament du pain en pleurant et il n'y en a point.. .La famine sévit à un tel point que nul ne connaît plus son prochain et son parent. Quelqu'un verrait ses fils et ses frères expirer de faim qu'il n'y prendrait point garde. Nous avons vu de nos yeux des pères battre leurs enfants en leur disant : "Débarrassez -moi de votre présence et allez re­nier votre religion… "

Comme dans toutes les périodes de grande disette; la conversion à l'islam ap­parut en effet à un nombre non -négligeable comme la seule chance de survie, les apostats étant pris généreusement en charge par la mosquée. En plus de l'impact immédiat sur le moral de la communauté, ces conversions devaient poser à plus long terme d'épineux problèmes religieux. Tel par exemple le cas des conséquences d'un divorce de divorce que rapporte le docteur Maury Amar dans son livre sur les taqanot de la communauté de Meknès :

A la mort (en 1740) du frère d'un converti sans laisser de descendant, s'était posée la question du lévirat, ïboum, la loi juive commandant au frère du dé­funt n'ayant pas laissé d'enfants, d'épouser la veuve afin d'en assurer la des­cendance. En cas de refus, il doit alors se soumettre à la cérémonie humiliante dite de halitsa, déchaussement, au cours de laquelle la veuve ôte la chaussure du récalcitrant en lui crachant au visage.

Dans le cas présent, le père de la veuve, un certain Itshak Azérad, avait son­dé les autorités musulmanes qui avaient fini par accepter que le converti se prête à la cérémonie du déchaussement afin de libérer la veuve, à condition que cela se fasse dans la plus grande discrétion. Mais en fin de compte, sans doute de crainte de remous en cette période de troubles, une autre solution fut trouvée en statuant que dans ce cas précis la conversion annulait le devoir de lévirat qui est de perpétuer le nom en Israël du défunt et sans possibilité de lévirat, nul besoin de déchaussement.

En 1747, nouvelle révolte ramenant l'insécurité. Le mellah de Meknès fut de nouveau livré au pillage, puis en raison de l'insécurité, il devait rester coupé du monde pendant huit mois, comme le rapporte un témoin contemporain, rabbi Moshé Tolédano : "Que l'Eternel dans sa bonté nous ouvre les portes de la miséricorde, car nous sommes dans la plus grande détresse; nos voisins

Philistins (Berbères) nous ont dépouillé de tout et nous assiègent depuis plus de cinq mois, nul ne peut sortir de la ville et les assiégeants nous guettent…" En 1749, une épidémie de peste décima pendant six mois la communauté faisant jusqu'à 20 victimes par jour et contraignant les survivants à trouver refuge sous les tentes dans la campagne. Le même rabbi Moshé Tolédano rapporte qu'il a dû fuir avec sa famille dans une autre ville et qu'à leur retour ils souffrirent de la famine qui se poursuivit jusqu'en 1751.

LIMITATION DE LA CONSTRUCTION DE SYNAGOGUES

Pour prier Dieu ce n'était pas les synagogues qui manquaient; bien au contraire il fallait réfréner le zèle constructeur des particuliers. Sur fond de détresse économique et de crainte que la construction de nouveaux lieux de culte ne soit interprétée par les autorités comme un signe extérieur de ri­chesse justifiant de nouvelles ponctions fiscales, les dirigeants de la commu­nauté adoptèrent en 1750 une taqana interdisant la construction de nouvelles synagogues. Une mesure semblable avait déjà été adoptée à Fès en 1745, mais à la différence de Meknès où elles étaient propriétés familiales, les synago­gues de Fès étaient le plus souvent propriété de la communauté; construites sur ses fonds et dirigées par des parnassim nommés par elle :

" En conséquence, nous avons décidé que pour une période de 10 ans, nul n'aura le droit de construire de nouvelle synagogue, ni de restaurer celles qui tomberaient en ruines; ni de fonder en aucune manière un lieu de prières en son domicile. Tout contrevenant d'une manière ou d'une autre à cette inter­diction absolue, sera exclu de la communauté d'Israël et la malédiction sera sur lui et sur ceux qui se joindront à lui. Il ne sera réintégré à la vie de la com­munauté qu'après versement d'une amende de 1000 onces pour la caisse des pauvres. En foi de quoi nous soussignons :

Rabbi Yaacob Tolédano, rabbi Shélomo Tolédano, rabbi Moshé Tolédano et tous les rabbins reconnus de la ville.

Au bout des dix ans, la taqana devait être reconduite ans et prolongée pour une décade supplémentaire jusqu' en 1771.

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  1. UN REGNE REPARATEUR

Successeur incontesté de son père, héritant d'un pays las des guerres et des pillages, Sidi Mohammed Ben Abdallah (1757 -1790) ramena la paix et la stabilité et avec elles la prospérité, en reconstituant une armée nationale, en mettant au pas les abid de la Garde Noire et en allégeant le poids des im­pôts. Grand ami des Juifs, il mit fin aux extorsions fiscales, ne prélevant que l'impôt de capitation prévu par le pacte de protection, renouant largement avec la tradition des Juifs de Cour. Convaincu alors qu'il était gouverneur lu Sud des bienfaits du commerce international, il devait transférer le centre le gravité des villes traditionnelles de l'intérieur à celles du littoral, remettant en activité le port de Mazagan évacué par les Portugais après un long siège. L'Angleterre devint le premier partenaire commercial. Pour contrôler le commerce extérieur, il fonda le port de Mogador et y installa les "commer­çants du roi" tajer sultan, munis de grands privilèges. Il avait demandé aux grandes familles de négociants juifs du Maroc qui avaient fait leurs preuves, de dépêcher des représentants pour faire fonctionner le nouveau port. Dans la liste des 10 premiers tajar es sultan venus de Safi, Rabat, Marrakech, Aga­dir, Tétouan, ne figure aucun représentant de Fès ni de Meknès. Si toutefois forte de son infrastructure artisanale et commerciale et de son titre retrouvé de capitale, Fès conservait un certain rôle national, Meknès périclitait, alors que Marrakech profitait de sa proximité de Mogador, la nouvelle porte vers l' Europe.

Bien que son règne ait été largement réparateur pour l'ensemble de la com­munauté juive marocaine, il fut toutefois, du point de vue de la communauté de Meknès, bien loin de l'image idyllique qu'en a laissé rabbi Moshé Elbaz dans son livre Kissé Mélakhim comme "très grand ami d'Israël, son carrosse riait toujours précédé des montures de ses dix conseillers juifs somptueuse­ment vêtus." 

L EGALITE DEVANT L'IMPOT

Sortie ruinée des années de guerre de succession de Moulay Ismaël, la com­munauté de Meknès n'avait pas eu le temps de se relever de ses épreuves ou une nouvelle contribution exceptionnelle exigée par le sultan en 1768 pour financer le siège de la dernière enclave portugaise, le port de Mazagan, mit encore plus à mal ses finances. Il ne resta d'autre alternative pour s'en acquitter que de vendre aux particuliers les biens immobiliers communau­taires, dont les revenus servaient au financement de la caisse des pauvres. La troisième taqana édictée par les rabbins et les notables de la ville motivait ainsi cette décision :

Face à la multiplication infinie des (mauvaises) intentions de nos voisins oui s'abattent en torrent sur les membres de notre communauté, et à notre incapacité à supporter le fardeau des impôts, nous nous sommes réunis, nous les représentants de la communauté, et avons décide pour essayer d'alléger ce fardeau face aux exigences renouvelées du sultan et des grands, de vendre aux particuliers les magasins du mellah appartenant au public. Dans ce cadre, nous proclamons que les acheteurs jouiront en toute propriété sans aucune restriction des biens ainsi acquis et pourront en disposer à leur guise, les louer, les vendre, en faire donation ou les transmettre par héritage …" Signataires, les rabbins Yaacob Tolédano, Shélomo Tolédano, Shélomo Tapiéro, Yékoutiel Berdugo, Shélomo Hacohen et Abraham Halioua auxquels se joignirent les notables Aharon Ouakrat, Yossef Ben Haki, Yaacob Anidjar, Moshé Benlahcen, Méïr Tsadok, Shélomo Attia, Mo­shé De Avila, Yossef Hacohen, Abraham Ben 'Olo, Ephraïm Lazimi. Les magasins furent effectivement cédés à Yahya Ben Itah et à Shélomo Shémla;

Dix ans plus tard, le poids des impôts s'alourdissant de nouveau, la commu­nauté devait vendre des terrains lui appartenant situés en dehors du mellah à rabbi Yékoutiel Berdugo et son frère rabbi Raphaël, et à Moshé Maimran, Messod Oliel, Hassan Ben Hassine, Moshé Benshloush et Baroukh Tolédano. C'est à propos de l'établissement de l'assiette des taxes et impôts internes que la communauté de Meknès fit un pas de plus dans son autonomie judiciaire par rapport à celle de Fès, en adoptant le principe de l'égalité absolue devant l'impôt; chacun devant contribuer au prorata de sa fortune. Alors qu'à Fès et à Tétouan, pour ne pas désigner l'homme le plus riche de la communauté à la convoitise des autorités, il ne devait acquitter qu'une quote -part égale à celle du second en rang des contribuables.

Dernier vestige de l'époque de gloire de Moulay Ismael, un grand négociant originaire de Tétouan, établi à Meknès, rabbi Moshé Maman, avait acquis une fortune colossale dans le commerce avec l'Europe; ayant le monopole de l'exportation de la cire et des cuirs bruts, bénéficiant d'un rang enviable à la Cour. La roue de la fortune avait tourné et se prévalant des précédents de Tétouan et de Fès, il avait sollicité d'être imposé comme le second en rang. Face au rejet de sa demande par le tribunal de Meknès, il avait porté l'affaire devant le tribunal de Fès qui statua en sa faveur.

Mais les chefs de la communauté de Meknès refusèrent de transiger : Malheu­reusement le pressentiment des rabbins de Fès devait se justifier. Sa fortune avait suscité tant de jalousies dans le peuple, que retiré dans sa ville natale, Tétouan, rabbi Moshé Maman fut assassiné en 1763 dans sa maison par un voleur musulman..

ATTEINTE A LA COHESION INTERNE

En 1769, nouvelle taqana illustrant l'érosion de la cohésion de la communau­té conséquence des troubles politiques et de la détresse économique favori­sant l'apparition d'une classe de nouveaux riches sans scrupules. Elle visait à rappeler la nécessité du respect du principe de non -ingérence des étrangers dans la vie communautaire et l'interdiction absolue de porter des conflits entre Juifs devant les instances des Gentils :

" Nous avons déjà statué au mois de Hechban dernier que tout membre de la sainte communauté de Meknès qui s'adresserait aux instances des Gentils ou solliciterait l'intervention de leurs puissants, sera exclu de la communauté d'Israël, et ses biens saisis au profit des indigents de notre ville – sanctions également applicables à ses éventuels complices. Cette taqana qui portait la signature de notre maître rabbi Yaacob Tolédano et de tous les lettrés et les notables de la ville, avait été proclamée dans toutes les synagogues et inscrite au livre des taqanot. Mais hélas, depuis lors se sont levés de vils individus pour enfreindre la foi et contrevenir à cette taqana. Les sieurs Abraham Perez, son frère Moshé et Messod Benzikri ont ainsi ont sollicité l'intervention de nos seigneurs les chérifs (descendants de leur prophète) dans l'affaire du dit Messod. Après avoir répudié sa femme selon les règles de la Halakha; il avait voulu la reprendre de force. Sous la menace de ces mêmes puissants, il avait contraint le père de son ex -épouse à renoncer au versement de la pension alimentaire pour sa fille…De plus, des témoignages concordants confirment que les dits frères Abraham et Moshé s'étaient par ailleurs rendus coupables de dénonciations et délations à l'encontre de coreligionnaires et avaient tenu publiquement des propos malveillants envers les rabbins et la sainte Torah… Suite à ces violations de la taqana et à leurs autres méfaits, nous proclamons leurs biens mobiliers et immobiliers en déshérence et autorisons tout membre de la communauté à leur causer des dommages de toute nature : vendre ou hypothéquer leurs biens, se saisir de tout ce qui leur appartient – ceci jusqu'à ce qu'ils fassent repentance totale; car ils ne sont pas à leur premier méfait comme nous en avons les preuves."

Signataires les rabbins ShléomoTolédano, Moshé Tolédano, Yékoutiel Berdugo et Raphaël Berdugo.

En fin de compte, aucune des parties ne voulant aller jusqu'au bout, elles de­vaient s'arrêter au bord de l'abîme et arriver à un compromis. Les contreve­nants acceptèrent de faire repentance et de reconnaître le principe de l'autori­té exclusive des rabbins. De son côté, le tribunal – de crainte de la réaction des puissants – ne leur infligea qu'une amende avec sursis, mais imprescriptible, payable "quand les circonstances le permettront, par les redevables ou leurs héritiers après eux. "

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INTERDICTION DU PRET A INTERET ET DES JEUX DE CARTES

Les abus liés à la détérioration de la situation économique avaient amené en 1786, les rabbins à rappeler en cette période de sécheresse propice aux abus, l'interdiction des prêts à intérêt entre enfants d'Israël, sous des formes dégui­sées, demandant double vigilance aux notaires rédacteurs des tels actes :

" Nous avons vu la plaie du prêt à intérêt se répandre et trouver de nombreuses brèches dans les fils de l'araignée et en premier lieu dans les prêts hypothécaires où le prêteur n'avance la somme qu'après en avoir déduit les frais d'un loyer fictif."

Une brèche colmatée ( ?), il fallait en affronter un autre. Pour essayer de déra­ciner le fléau endémique des jeux de cartes, la taqana de 1786 allait beaucoup plus loin que les précédentes sur le même sujet :

" Nous avons hélas vu l'ampleur de ce vice qui s'est répandu dans notre peuple, n'épargnant ni les grands ni les petits, que sont les jeux de cartes – vice duquel découlent d'autres péchés d'une extrême gravité.. Nous avons en conséquence solennellement décidé pour déraciner cette plaie de proclamer que quiconque s'adonnerait à ce jeu au cours des deux prochaines années, sera maudit et excommunié sans espoir de pardon de la part de l'Eternel… Ce n'était pas, et de loin, la première condamnation aussi catégorique de ce jeu de hasard – le retour sur les mêmes taqanot est le symptôme des temps de crise – mais la sanction cette fois était sans précédent, signe de la gravité de la situation. En effet, au -delà des admonestations et des amendes habituelles, l'argent gagné au jeu devait être considéré comme larcin, donnant droit au perdant d'en réclamer la restitution intégrale. Le tribunal pourra, à sa discré­tion, soit restituer cette somme au perdant, soit la transférer, intégralement ou en partie, à la caisse des pauvres de la communauté. Comme cette sanction originale était juridiquement contestable, mais apparaissait indispensable dans les circonstances, les rabbins avaient pris la précaution d'en limiter la validité dans le temps : deux ans seulement.

PROPRIETE PUBLIQUE ET PROPRIETE PRIVEE

Quatre ans plus tôt, en 1772, la situation économique de la communauté s'était relativement rétablie et en bons gestionnaires soucieux de l'avenir, ses dirigeants avaient décidé d'investir à nouveau dans l'immobilier en construi­sant des magasins dans la rue commerçante attenante au mellah, au souk des bijoutiers, Sékakine. Aux termes de la nouvelle taqana, ces magasins resteront propriété collective à la disposition de la communauté qui pourra en disposer selon ses besoins, en écartant les appétits des particuliers :

" Alors même que la construction des dix derniers magasins au souk des bi­joutiers n'a pas encore été achevée, certains particuliers cherchent déjà à les accaparer. Aussi, nous les membres du tribunal soussignés, proclamons nuls et non avenus leurs titres (éventuels) de possession, car ils sont propriété du public qui seul peut en disposer sans restriction à sa guise. Il est clair que cette taqana est valable non seulement pour les dits dix magasins, mais également pour ceux qui viendront à être construits en dehors de la porte du mellah, qui relèveront uniquement de la gestion publique. En cas de nécessité absolue, le public pourra en céder les deux -tiers à des particuliers, le tiers restant à jamais inaliénable, consacré au financement de la caisse des pauvres

En aucun cas, le public ne pourra porter atteinte en aucune manière à cette part réservée au soutien des indigents. En foi de quoi nous soussignons : Rab­bins : Shélomo Tolédano, Moshé Tolédano, Yékoutiel Berdugo, Mimoun Berdugo, Raphaël Berdugo.

LES DERNIERS JUIFS DE COUR

Meknès ayant perdu son rang de capitale, c'est désormais dans les villes du littoral que le souverain recrute les agents juifs pour le développement des re­lations commerciales avec l'Europe, comme Yaacob Benider de Gibraltar -Tétouan pour le commerce avec l'Angleterre; Bouzaglo de Paz de Safi -Agadir, l'intrigant Yacob Attal de Tunis. Seul le chef de la communauté de Meknès, Mordekhay Chriqui conserva une influence à la Cour au point de se per­mettre de monter à cheval, superbement habillé forçant par son allure altière le respect – et la jalousie même des musulmans. Il se servit de son énorme prestige pour venir au secours de ses coreligionnaires étendant sa protection sur la communauté.

Mais derrière le brillant des "dix compagnons du sultan somptueusement habillés précédent son carrosse " et la part prépondérante prise par les Juifs de Cour dans les relations diplomatiques et commerciales avec l'Europe, le bilan de ce règne n'avait apporté aucune amélioration sensible à la condition générale des Juifs du pays même dans les villes du littoral, Mogador en tête, et encore moins à Meknès éloignée du centre de décision. Sa communauté sera par contre la première à payer le prix des intrigues, malversations et de l'arrogance de ces sahab es sultan, les amis du souverain qui avaient nourri la haine et la rancune de son terrible successeur.

Meknes-portrait d'une communaute juive marocaine-Joseph Toledano-ed Ramtol 2017-page-87

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