Meknes-portrait d'une communaute juive marocaine-Joseph Toledano-ed Ramtol 2017

Le mellah de Meknès fut attaqué une nouvelle fois au mois de Hechban 1737, le jour de l'enterrement du grand rabbin Moshé Dahan, sans cette fois faire de victimes, les assaillants avant tout préoccupés de pillage.

L'insécurité, l'anarchie, la coupure des routes et une période de trois ans de sécheresse devaient faire de la grande famine des années 1737 -38 une des plus grandes catastrophes de l'histoire des communautés juives du Maroc, tragiquement ressentie à Fès et à Meknès, beaucoup trouvant refuge à Tétouan.

" Chaque jour il meurt de faim dix personnes et davantage et elles restent gisantes sur le sol sans sépulture. J'ai vu de mes propres yeux des femmes porter un cercueil sur les épaules.. .Les enfants réclament du pain en pleurant et il n'y en a point.. .La famine sévit à un tel point que nul ne connaît plus son prochain et son parent. Quelqu'un verrait ses fils et ses frères expirer de faim qu'il n'y prendrait point garde. Nous avons vu de nos yeux des pères battre leurs enfants en leur disant : "Débarrassez -moi de votre présence et allez re­nier votre religion… "

Comme dans toutes les périodes de grande disette; la conversion à l'islam ap­parut en effet à un nombre non -négligeable comme la seule chance de survie, les apostats étant pris généreusement en charge par la mosquée. En plus de l'impact immédiat sur le moral de la communauté, ces conversions devaient poser à plus long terme d'épineux problèmes religieux. Tel par exemple le cas des conséquences d'un divorce de divorce que rapporte le docteur Maury Amar dans son livre sur les taqanot de la communauté de Meknès :

A la mort (en 1740) du frère d'un converti sans laisser de descendant, s'était posée la question du lévirat, ïboum, la loi juive commandant au frère du dé­funt n'ayant pas laissé d'enfants, d'épouser la veuve afin d'en assurer la des­cendance. En cas de refus, il doit alors se soumettre à la cérémonie humiliante dite de halitsa, déchaussement, au cours de laquelle la veuve ôte la chaussure du récalcitrant en lui crachant au visage.

Dans le cas présent, le père de la veuve, un certain Itshak Azérad, avait son­dé les autorités musulmanes qui avaient fini par accepter que le converti se prête à la cérémonie du déchaussement afin de libérer la veuve, à condition que cela se fasse dans la plus grande discrétion. Mais en fin de compte, sans doute de crainte de remous en cette période de troubles, une autre solution fut trouvée en statuant que dans ce cas précis la conversion annulait le devoir de lévirat qui est de perpétuer le nom en Israël du défunt et sans possibilité de lévirat, nul besoin de déchaussement.

En 1747, nouvelle révolte ramenant l'insécurité. Le mellah de Meknès fut de nouveau livré au pillage, puis en raison de l'insécurité, il devait rester coupé du monde pendant huit mois, comme le rapporte un témoin contemporain, rabbi Moshé Tolédano : "Que l'Eternel dans sa bonté nous ouvre les portes de la miséricorde, car nous sommes dans la plus grande détresse; nos voisins

Philistins (Berbères) nous ont dépouillé de tout et nous assiègent depuis plus de cinq mois, nul ne peut sortir de la ville et les assiégeants nous guettent…" En 1749, une épidémie de peste décima pendant six mois la communauté faisant jusqu'à 20 victimes par jour et contraignant les survivants à trouver refuge sous les tentes dans la campagne. Le même rabbi Moshé Tolédano rapporte qu'il a dû fuir avec sa famille dans une autre ville et qu'à leur retour ils souffrirent de la famine qui se poursuivit jusqu'en 1751.

LIMITATION DE LA CONSTRUCTION DE SYNAGOGUES

Pour prier Dieu ce n'était pas les synagogues qui manquaient; bien au contraire il fallait réfréner le zèle constructeur des particuliers. Sur fond de détresse économique et de crainte que la construction de nouveaux lieux de culte ne soit interprétée par les autorités comme un signe extérieur de ri­chesse justifiant de nouvelles ponctions fiscales, les dirigeants de la commu­nauté adoptèrent en 1750 une taqana interdisant la construction de nouvelles synagogues. Une mesure semblable avait déjà été adoptée à Fès en 1745, mais à la différence de Meknès où elles étaient propriétés familiales, les synago­gues de Fès étaient le plus souvent propriété de la communauté; construites sur ses fonds et dirigées par des parnassim nommés par elle :

" En conséquence, nous avons décidé que pour une période de 10 ans, nul n'aura le droit de construire de nouvelle synagogue, ni de restaurer celles qui tomberaient en ruines; ni de fonder en aucune manière un lieu de prières en son domicile. Tout contrevenant d'une manière ou d'une autre à cette inter­diction absolue, sera exclu de la communauté d'Israël et la malédiction sera sur lui et sur ceux qui se joindront à lui. Il ne sera réintégré à la vie de la com­munauté qu'après versement d'une amende de 1000 onces pour la caisse des pauvres. En foi de quoi nous soussignons :

Rabbi Yaacob Tolédano, rabbi Shélomo Tolédano, rabbi Moshé Tolédano et tous les rabbins reconnus de la ville.

Au bout des dix ans, la taqana devait être reconduite ans et prolongée pour une décade supplémentaire jusqu' en 1771.

Meknes-portrait d'une communaute juive marocaine-Joseph Toledano-ed Ramtol 2017-page 79

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