Meknes-portrait d'une communaute juive marocaine-Joseph Toledano

L'AUTONOMIE RELIGIEUSE

Autre incommensurable dimension de la dhimma, la plus précieuse aux yeux d'une communauté très profondément attachée à la tradition de ses ancêtres, la liberté de culte et le respect de l'autonomie religieuse, la non -intervention dans les affaires intérieures de la communauté tant qu'il n'y avait pas de risque d'atteinte à la sécurité publique – comme nous l'avons vu au moment de la crise messianique. Liberté essentielle, même si assortie d'un statut d'in­fériorité, d'humiliation, car non-intériorisé.

Dans le mellah, le Juif vit sans être inquiété ou harcelé, selon ses lois et ses coutumes, sans être confronté comme dans l'Espagne chrétienne à une pro­pagande visant à le convertir et le contraignant à défendre sa foi dans des disputations publiques. Ce qui explique l'absence de toute littérature apolo­gétique, les rabbins marocains dispensés du devoir de défense et illustration de la religion juive, ne se préoccupant que de son application interne sans se soucier d'affrontement théologique avec la médina.

Le respect des convictions religieuses s'étendait même aux rares chrétiens habitant l’empire, recevant l'assistance de leurs prêtres. Les prisonniers em­ployés aux travaux forcés en étaient dispensés quatre jours par an à l'occasion des fêtes de Noël, Pacques, la Nativité de Saint Jean Baptiste et de la Vierge. Alors que la vente de boissons alcooliques aux musulmans était strictement prohibée, l’empereur avait exceptionnellement autorisé  les Juifs de Meknès à leur vendre la mahya – et c'est peut -être l'origine de cette spécialité indus­trielle de la communauté de Meknès jusqu'à nos jours . "Il ordonna aux Juifs "de fournir le suffisant pour la fabrication hebdomadaire de l'eau de vie qui les réconfortait.

Musulman très pieux, pratiquant scrupuleusement tous les commandements de sa religion dont nombre sont identiques à ceux de la foi juive, comme le révèle ce curieux épisode rapporté par les frères de la Merci venus négocier la libération des esclaves de leur nation : "Avant notre arrivée on avait trou­vé en creusant la terre à Salé deux grandes statues vêtues à la romaine. Elles furent portées à Méquinez et le Roy du Maroc qui ne voulait pas permettre au consul de France, le sieur De Périllé de les racheter, les donna à son Juif Abraham Meimoran qui les condamna à être enfermées entre quatre murs parce que les statues et les figures d'hommes et d'animaux sont également en horreur chez les Juifs et les Mahométans…"

Tolérant pour les gens du Livre qui détiennent une partie de la Vérité, il n'en était pas moins absolument convaincu de la supériorité absolue de l'islam qui a clos le cycle des révélations, n'ayant que mépris ou pitié pour ceux qui malgré tout persistaient dans l'erreur en refusant de reconnaître le Prophète. Rejetant l'usage de la force et de la contrainte, il ne renonçait pas pour autant à essayer de les convertir – sans trop insister.

Malheureusement – ou peut -être significativement, nos ancêtres n'ayant peut -être jamais pris trop au sérieux ces tentatives – nous ne possédons sur elles aucun témoignage de source juive. C'est à un prêtre français, le frère Busnot, que nous devons cette anecdote qui semble liée au souvenir encore vivace de la crise messianique de Shabtaï Zvi et de Yossef Abensour:

" Moulay Ismaël réunit un jour les notables de la communauté et leur de­manda de se convertir à l'islam. "Cela fait trente ans que vous me racontez que votre Messie va venir et maintenant qu'il n'est pas venu, il est temps de revenir de votre erreur". Il les menace que s'ils ne lui indiquaient pas la date précise de l'arrivée du Mes­sie, ils ne pourront plus exercer leur commerce, ni voir leurs vies garanties. Il leur donna un temps pour réfléchir et après avoir consulté les rabbins, ils lui répondirent que le Mes­sie arrivera certainement au cours des trente prochaines années…"

Par contre, se faisant à l'occasion théo­logien, il tenta à maintes reprises de convertir Louis XIV, auquel il vouait la plus grande admiration. Pour la pe­tite histoire, notons que dans sa célèbre lettre dans le même sens au très catho­lique roi d'Angleterre déchu Jacques II; il faisait référence aux Juifs et au ju­daïsme à deux reprises :

" Jésus avait déjà annoncé Mohammed et sa mission; comme Moïse avait annoncé Jésus.

C'est un article de foi chez nous de croire en tous les prophètes, et nous ne mettons pas de différence entre eux. Nous croyons que le Messie Jésus, fils de Ma­rie – sur Lui soit le salut – est un des prophètes envoyé de Dieu, mais il n'a jamais prétendu aux titres que vous lui soutenez. Non, les Juifs n'ont pas tué Jésus et ils ne l'ont point crucifié : un homme qui lui ressemblait fut mis à mort à sa place.. ."

Une autre anecdote confirme l'irrésistible tentation de prosélytisme du sul­tan, plus d'ailleurs semble -t -il par sentiment de devoir à accomplir, que de conviction de résultat immédiat, n'excluant pas à l'occasion une pointe d'l'humour comme dans l'audience accordée à l'intrigant consul de France à Salé, le fils Estelle, venu prendre congé :

" Moulay Ismaël se tourna vers ses caïds et leur dit : "Voyez comme il est vêtu cet infidèle; il faut le faire maure ! Qu'on lui donne des habits marocains, et qu'il se fasse musulman. Ce prince dit à Maymoran de me dire de me faire maure. Je lui fis répondre que j'étais chrétien par la grâce de Dieu et que je mourrais chrétien. Ce prince se mit alors à chanter les quatre paroles qu'il faut dire pour se convertir et demanda à Maymoran de me les faire dire. Ce Juif commença à avoir peur, car si lui -même prononçait ces paroles, il serait devenu maure avant moi. Le Roy comprit l’embarras où il était et demanda s'il y avait quelque Maure qui sache parler français. Je lui indiquai un que j'avais amené avec moi de Salé. Ce prince lui dit de me dire de me faire maure de force. Je lui fis répondre que je ne m'attendais pas à cela de la part de Sa Majesté, que j'étais chrétien et je mourrais chrétien. Il me fit demander quelle religion était la meilleure, la mienne ou la sienne ? Je lui fis répondre que je n'étais pas venu voir sa Majesté pour disputer sur les religions; mais que j'étais assuré que la mienne était la bonne. Maymoran qui s'était mis derrière moi me dit : "Monsieur le consul prenez garde comment vous parlez, vous vous perdez." Je répondis à ce Juif que je savais ce que je disais et que si lui avait peur, je n'en avais point. Cependant le traducteur lui biaisa ce que je venais de dire et lui dit; "Le Chrétien dit que sa religion était bonne et la nôtre aussi". Sur quoi, ce prince me fit répondre que ce qu'il disait était pour mon bien et que je le reconnaîtrai à l'heure de ma mort; et que puisque je ne vou­lais pas me faire maure, tant pis pour moi …"

III. LES JUIFS DE COUR

Souverain absolu, assumant seul le poids du gouvernement du pays, sans ministres ni conseillers officiels, ne pouvant compter sur les élites tradition­nelles de Fès et Marrakech pour la gestion de ses biens et la conduite des affaires étrangères, il devait trouver dans les talents de personnalités juives recrutées principalement dans les trois grandes familles : Maimran, Toléda- no et Benattar, des collaborateurs idéaux, car de par leur statut dénués de toute ambition politique et dépendant pour leur prospérité et même leur sur­vie, de sa seule personne. "Le chérif réserva aux Juifs l'exclusivité du négoce de certains produits; apprécia et utilisa leurs qualités jusqu'qu'à les prendre comme conseillers financiers ou diplomatiques. Les plus notoires, Abraham Maïmran et Haïm Tolédano; figurèrent; sa vie durent, parmi les hauts digni­taires de la Cour…"

Ces deux premières familles devaient atteindre une telle primauté au sein de la communauté juive marocaine dans son ensemble, et plus particulièrement à Meknès, que le bon peuple adopta un dicton en hébreu s'en plaignant – rime à l'appui, comme il se doit pour faire un bon adage :

Létolédanos oumimraness, Aux Tolédanos et Maimrans,

Lahem lebadam nitna haress à eux seuls la terre a été donnée.

Voir:Meknes-portrait d'une communaute juive marocaine-Joseph Toledano-ed Ramtol 2017-page52-55

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