Saïd Sayagh L'autre Juive Roman

 

Saïd Sayagh

L’autre Juive

Roman

Elle était très belle, Sol, Zoulikha en arabe, la jeune fille juive tangéroise.

Elle s’était liée d’amitié avec une voisine musulmane, Tahra, chez qui elle se rendait quand elle n’en pouvait plus des remarques de sa mère.

Un jour, Tahra informa le pacha que la petite Sol voulait se convertir à 1 Islam. Devant le pacha, Sol nia toute intention de laisser la foi de ses ancêtres. Elle fut condamnée à mort pour apostasie.

Elle devait avoir entre quatorze et seize ans. Sa famille, ainsi que la communauté j uive de Tanger, souhaitant la sauver, lui conseillèrent de se convertir en apparence et portèrent l’affaire devant le sultan.

Moulay Abderrahmane, le sultan du Maroc, à l’heure où la France conquit l’Algérie, plia sous la pression des faquihs musulmans et confirma la condamnation à mort.

Le courage de la jeune fille marqua les esprits de l’époque, musulmans compris. Ce roman s’inspire d’un fait historique : le martyre d’une jeune juive marocaine de Tanger, exécutée à Fès en 1834.

L’auteur est né à Meknès dans une famille aux origines complexes, descendants de juifs convertis à l’Islam, chez qui se mêlent les héritages de Fès, de Mogador, de Tétouan, de Tanger, d’al Andalous et de l’Atlas.

Historien, il a soutenu une thèse publiée aux éditions du CNRS en 1986. Agrégé d’arabe, il enseigne cette discipline à Montpellier.

 

Suite de la page 63

 

Dans les confins de l’Est, les escarmouches ne s’arrêtèrent pas. Le gouverneur Houmman el-Jirari envoya lettre sur lettre au sultan pour l’avertir de la colère et de l’impa­tience des tribus Angad, Hamian, Ait Iznassen, Doui Mnia et autres Oulad Jrir. Il lança des appels à secourir les musulmans et libérer la terre de l’Islam souillée par les chrétiens. Toutes les provinces furent atteintes par ce mouvement. La Siba, dissidence, gagna du terrain. Les tribus Oudayas qui soutenaient le Makhzen se révoltèrent, suivies par d’autres tribus. Même les esclaves Boukharis qui n’avaient pas reçu leur solde entrèrent en dissidence, vendirent leurs chevaux et se vengèrent des violences et déplacements forcés dont ils avaient souffert.

Le trésor du Makhzen commença à se vider; les impôts ne rentraient plus et les difficultés s’accumulaient pour le grand palefrenier, ministre de la Guerre. Le syndic des Oumana, trésoriers, qui faisait office de ministre des Finances reporta, pour l’exemple et pour le maintien de la tradition, sur les ports et les juifs toute la charge fiscale. De leur côté, les Tangérois commencèrent à ne plus supporter ni les commerçants chrétiens dont le nombre augmentait, ni les missions européennes dès lors que le sultan avait signé, avec les Anglais, un pacte qui obligeait chaque État à assurer la sécurité des ressortissants de l’autre État résidant sur ses terres.

Les habitants de Tanger considérèrent cela comme une souillure de la terre musulmane. Ils assimilèrent les contacts des juifs avec les étrangers à une rupture du pacte de la Dhimma qui interdit l’alliance avec les enne­mis de l’Islam. Leur colère augmenta d’autant plus qu’ils pensèrent qu’un certain nombre de commerçants juifs devenaient de plus en plus puissants et exerçaient une influence grandissante sur le pacha, chargé par le sultan des relations avec les nations chrétiennes.

Pire que cela, certains juifs ne respectaient plus la règle de la Dhimma, s’habillaient comme les chrétiens, ne mettaient plus la chéchia et la djellaba noire. Il y en a

meme qui ne quittaient pas leurs babouches en présence du pacha 

Et, parmi les dernières nouvelles en provenance de Fès, on apprenait que deux adeptes de la zaouïa Derqaouïa avaient été tués à Oran, alors qu’ils haranguaient la foule pour 1e Jihad contre les Français.

Un jour radieux comme le sont les jours du printemps, lssachar revint, haletant, à la maison.

Quest-ce qui t’arrive? lui demanda Sol

-J’ai vu des mokhaznis qui frappaient Saadia Benattar le cordonnier, sur le dos.

־ Malheur, Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il a fait, le pauvre ?

  • Ils lui ont infligé huit cents coups. Il n’avait plus de peau. Il hurlait, hurlait… et s’est évanoui.
  • Mais pourquoi ? Dis-moi pourquoi ?
  • Un espagnol a été attaqué par des coupeurs de routes qui lui ont dérobé son argent.
  • Saadia, qu'est-ce qu’il a à voir avec cette histoire ?
  • Les mokhaznis ont trouvé, à l’endroit où l’espagnol a été attaque, une babouche que Saadia avait fabriquée…
  • C est son travail. Il est cordonnier.
  • Ils lont frappé pour qu’il leur dise à qui il avait vendu la babouche. Mais lui ne savait plus.
  • Et après ?
  • Les juifs sont arrivés et l’ont ramassé. Il était comme mort, ses jambes et ses côtes cassées.
  • Le pauvre ! Comment va-t-il faire ? Comment va-t-il faire pour nourrir ses enfants ? C’est l’arbitraire !
  • Tous les jours, il y a des affaires comme celle-ci. Nous n’y pouvons rien.
  • Et ils se turent…
  • Les actes arbitraires étaient innombrables.
  • Shamoun s’était querellé avec un musulman. La foule l’avait lynché, lui avait arraché la langue et laissé dans une mare de sang. Le prétexte invoqué était qu’il avait injurié l’Islam.
  • Shlomo qui avait nommé un tuteur musulman pour une transaction commerciale avait perdu son capital et les bénéfices. Le tuteur avait nié son engagement.
  • Sans parler des bandes qui kidnappaient les enfants et réclamaient des rançons. Beaucoup d’enfants étaient violés, comme le voulait l’usage avec les prisonniers chrétiens en attente de rachat. Des fois, certains notables s’en chargeaient et les élevaient dans la foi musulmane
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