Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale- Rationnement discriminatoire

Epreuves-et-liberation

Pour contrôler les cargaisons et s’assurer que les produits livrés seraient distribués sur place et non réexportés vers la France ou l’Allemagne, des observateurs américains, avec le titre de vice-consuls, placés sous la direction de Robert Murphy, furent dépêchés dans les ports et chargés de surveiller les voies ferrées. Egalement agents de renseignements, de façon officieuse, ils devaient aussi, au Maroc, vérifier que les Juifs recevraient également leur part de l’approvisionnement américain, en entretenant des relations avec leurs représentants dans les Comités des Communautés — à la grande irritation de la Résidence :

« Le rôle des vice-consuls américains devient de plus en plus important dans la propagande hostile au rapprochement franco-allemand. Leur action s’intensifie en milieu européen et marocain à Casablanca. Ils cherchent constamment à entrer en contact avec le milieu européen, les éléments éclairés de la population musulmane et surtout israélite. L’espoir d’une aide au Maroc en essence, en charbon et sucre constitue un atout efficace de propagande américaine. » (5 juillet 1941)

Cela n’empêcha pas pour autant un rationnement discriminatoire, l’antinazisme n’étant pas, dans les prises de position de Weygand — et pas seulement pour lui — incompatible avec l’antisémitisme d’Etat.

 

Rationnement discriminatoire

Outre le malheur général de la guerre, de la misère et de la pénurie, les Juifs marocains subirent un lot spécifique de discriminations, comme le rapporte, dans ses mémoires, un des dirigeants de la communauté de Casablanca, Salomon Ben Baruk :

L’institution de cartes de rationnement divisait les consommateurs en trois catégories : les Européens, favorisés en quantité et en variété, les Marocains, moins bien servis, et, en dernier lieu, les Juifs, à qui on alloua beaucoup moins de sucre et de farine mensuellement qu’aux Marocains. Pas de chocolat, pas de riz pas de tissus. Alors, il fallait se débrouiller au marché noir et risquer la prison… »

Le rationnement était en effet calqué sur la hiérarchie sociale de la société coloniale. Estimant qu’ils avaient, de par leur culture, plus de besoins, les Européens étaient en tête, suivis par les indigènes musulmans et en bas de l’échelle, les Juifs marocains citadins — les ruraux, juifs ou musulmans, qui vivaient en autarcie, étaient dans la pratique exclus de cette répartition. Evoluant selon les difficultés d’approvisionnement, la liste des produits rationnés, leurs prix et leurs quantités, étaient périodiquement révisés, sans toucher au principe de différenciation.

Ainsi par exemple, quand pour le sucre, l’allocation mensuelle était en moyenne de 700 à 800 grammes par tête, pour les Musulmans (et en pains de sucre, plus appréciés), elle n’était que de 350 à 400 grammes (sucre en poudre, moins prisé) pour les Juifs alors qu’ils partageaient le même goût pour le thé sucré. Les Européens, pourtant moins gourmands en ce domaine, avaient droit à 500 grammes.

Pour le thé vert, la boisson nationale des indigènes, l’allocation hebdomadaire était de 25 grammes pour les Musulmans et de 15 grammes pour les Juifs. Quant à l’huile, alors que, pour des raisons de cacherout, ils en étaient les plus grands consommateurs puisqu’ils ne se servaient pas de beurre et de graisse, leur était pourtant dévolue la plus faible ration : 230 grammes par mois, contre 330 grammes pour les Musulmans et 250 pour les Européens.

Pour le savon de lessive, savon de Marseille : 200 grammes pour les Européens et 70 grammes pour les Juifs et les Musulmans. Le savon de toilette lui, était uniquement réservé aux Européens. Autres produits rationnés attribués uniquement aux Européens ? le lait concentré sucré pour les bébés, les pâtes, le chocolat, les pommes de terre, le pétrole, les tissus modernes et les chaussures.

Pour le lait frais, sa distribution quotidienne était réservée aux seuls Européens, les Juifs et les Musulmans devaient donc se tourner vers le marché libre, souvent à des prix non contrôlés de marché noir.

Pour le café, alors que les Musulmans, grands buveurs de thé devaient s’en contenter, les Juifs plus proches en la matière des Européens, avaient droit à 50 grammes, loin derrière ces derniers, avec leur ration de 200 grammes. Pour le vin, naturellement rien pour les Musulmans, 10 litres par mois et par tête pour les Européens, 1 litre et demi à 2 litres pour les Juifs, mais uniquement par tête d’adulte mâle. Cette restriction fut ressentie seulement à Casablanca, les communautés plus conservatrices ayant encore pour tradition la fabrication familiale de vin pour le kidouch, dans les familles aisées et sa distribution aux proches et aux indigents.

Pour la viande de bœuf et de mouton, aucun rationnement pour les Musulmans, 200 à 250 grammes pour les Européens et 100 à 150 grammes, par semaine, pour les Juifs.

Toutefois, à l’occasion du ramadan, les Musulmans bénéficiaient d’une dotation supplémentaire de 100 grammes d’huile et de 10 grammes de thé. L’égalité ne se retrouvait que dans le charbon de bois : 2 kilos par semaine — et encore…

Le Contrôleur Civil, chef des services municipaux de la ville de Casablanca, a l’honneur d’informer la population de ce qui suit : à partir du 1er novembre 1941, le charbon de bois ne pourra être vendu au public que contre remise de coupons de la feuille municipale de rationnement. Les titulaires de la feuille de rationnement sont tenus de se faire inscrire chez les commerçants les plus proches. Ils ne pourront se servir que chez ce commerçant.

Il est recommandé aux Israélites marocains, ainsi qu’aux indigènes de se ravitailler chez leurs coreligionnaires habitant au mellah, à l’ancienne médina ou à la nouvelle médina. » (Communiqué du 25 octobre 1941).

Par ailleurs, pour les Juifs, la distribution des tickets de rationnement était organisée par les Comités des Communautés, dans leurs locaux.

De plus, alors que les Juifs ne pouvaient acheter les produits rationnés que dans les magasins juifs, et les Musulmans, dans les magasins musulmans, les Européens étaient libres d’acheter là où ils voulaient, sauf pour la viande et le lait. De même, dans l’ordre d’approvisionnement de ces produits rationnés, les magasins juifs étaient servis en dernier, avec les restes, en général de moins bonne qualité. Mais même l’obtention de cette portion congrue nécessitait des efforts surhumains, des queues interminables auxquelles étaient le plus souvent astreints les enfants, comme le relate, dans son livre Le Rocher d’origine , le cinéaste de Meknès Haïm Shiran- Shkéran :

«C’étaient les débuts de la seconde guerre mondiale et tout était rationné. Farine, sucre et huile, les ingrédients indispensables à la cuisine marocaine, étaient devenus des denrées rares et donc chères. J’étais l’aîné des enfants et maman me réveillait à l’aube pour aller prendre la place dans la queue devant l’épicerie, afin d’assurer notre ravitaillement quotidien… J’étais souvent l’un des premiers enfants parmi ceux qui, chaque matin, étaient dépêchés là par leurs parents. A l’ouverture, vers huit heures, la queue s’étendait déjà sur des divines de mètres. Ma mère venait me remplacer, vers six heures, pour queje puisse aller prier avec mon père… »

D’où, inévitablement, le développement du marché noir, dans toutes les couches de la population, mais que tous appelaient " le marché juif" comme s’ils en avaient l’exclusivité, et en conséquence : les descentes de police, les traductions en justice et les arrestations arbitraires. Mais au-delà des mesures discriminatoires légales sur le plan économique, décrétées au niveau national, s’ajoutaient d’autres fruits de l’initiative locale. Ainsi à Mogador, alors déjà en déclin, les autorités locales favorisaient l’élément musulman aux dépens des marchands juifs, comme en témoigne un notable de la communauté juive, Salomon Knafo :

« Toutes les marchandises importantes contingentées furent mises entre les mains des Arabes. Les grossistes juifs devinrent des détaillants qui devaient livrer leurs marchandises, presque jusqu’au dernier gramme, pendant que les détaillants arabes devenaient des grossistes, sans être tenus de livrer toutes leurs marchandises. Ils incitaient les Arabes contre nous. Heureusement, les Arabes comprirent vite la tactique des Français qui leur faisaient miroiter des richesses pour les maintenir occupés, afin qu’eux, les Français, puissent agir à leur guise. Ils comprirent qu’ils devaient laisser les Juifs tranquilles, sans les maltraiter, de peur de ne plus pouvoir faire d’affaires… Car si les commerçants arabes s’étaient multipliés par le fait de la présence française, ils avaient besoin de marchandises et pour les acheter, ils manquaient de capitaux. A lors ils s’adressaient aux grossistes juifs pour avoir la marchandise en consignation… Ils savaient que les Juifs étaient la "poule aux œufs d’or " qu’il ne fallait pas égorger. Il y eut bien quelques petites algarades au début, mais heureusement vire réprimées… »

 

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