Une nouvelle Seville en Afrique du Nord-Debdou-Une miniature de Jérusalem
L’établissement du hameau de Debdou à proximité de son cours d eau, est lié au débarquement de nos ancêtres.
Quand sont arrivés les premiers Juifs à Debdou?
Le chef Mohamed III, qui a gouverné à Debdou entre 1485 et 1513, est celui qui a le mieux contribué au développement de Debdou. Il a fortifié le quartier d’El Kasbah et, de surcroît, convié les Juifs à peupler les lieux. Voici ce qu’écrit l’historien français H. Terrasse : «Le troisième gouverneur de la dynastie des Mohamed a construit la Kasbah et la grande mosquée. Il a invité des étrangers [à venir la peupler], pour la plupart des Juifs andalous.» Il y a fort à parier que le gouverneur a réquisitionné des Juifs andalous installés depuis quelques décennies à Fès, Tlemcen et ses environs, donc familiers avec le mode de vie de l’Afrique du Nord. Ces Juifs auraient été expulsés d’Espagne après les événements de 1391 et ledit gouverneur Mohamed (dont le règne s’étend de 1485 à 1513) se serait probablement adressé à la seconde ou troisième génération.
Il faut se rappeler que beaucoup de Juifs expulsés de Séville avaient choisi de se réfugier à Tlemcen et ses environs. Ceux qui se sont finalement enracinés en terre d’accueil et se sont adaptés à la vie en Afrique du Nord, sont ceux-là même qui ont souscrit à l’appel du gouverneur de Debdou, vers la fin du XVe siècle. Ils sont venus, ils ont construit les premières habitations de la région, ils ont érigé la charpente du futur centre d’habitation de Debdou. Autour de ce noyau se sont établis les quartiers locaux, le long de la rivière Bourwed, en amont et en aval.
Le grand Sage Rabbi David Hacohen Scali de mémoire bénie, évoque dans son ouvrage de Responsa les origines des Juifs de Debdou : «C’est un fait connu, que la population de Debdou s’est formée à partir d’expulsés d’Espagne.»
Dans des circonstances assez désagréables, un autre embryon, originaire lui aussi de Tlemcen, se joint malgré lui au groupe convié par le gouverneur. Le livre de Yossef Hacohen (un expulsé d'Espagne qui a suivi le mouvement migratoire en France) en fait état : «En 1545, Kheïr-ed-Dine [Barberousse] a envoyé une expédition… Au cours de son règne, il a rassemble des guerriers pour attaquer et envahir Tilimcyn [Tlcmcen]. Le caïd Mansour et son neveu le roi Ahmed, ainsi que les fils du notable et les Juifs qui vivaient près d eux, se sont enfuis pour éviter la mort. Ils ont suivi le chemin de Debdou où Moulay Omar les a arretés et incarcérés. Ils sont restés très longtemps à Debdou.. .»
C’est bien le comble du malheur que des réfugiés juifs espagnols, obligés de fuir une intrusion turque qui a causé le plus grand bouleversement et la plus grande commotion, trouvent à Debdou, non pas un asile, mais une prison! Autrement dit, ils ont habité à Debdou par «la force» des choses. Leur mésaventure est un peu celle que décrivent nos Sages dans le Yalkout Chimoni: «À cet instant, Israël ressemblait à la colombe fuyant l’épervier et se dissimulant dans un rocher où un serpent la guettait…»
Les habitants qui vivent encore à la Kasbah (de Debdou) nous ont montré les vestiges d’une construction souterraine, qui servait de prison «à l’époque des Mérinides».
Le premier document juif «debdoubi» à témoigner d’une présence juive à Debdou, remonte au tout début du XVIII siècle. Il s’agit d’une lettre que les dirigeants communautaires ont adressée aux Sages de Fès : «Pour votre gouverne, près d’un siècle après que nos aïeux ont quitté Debdou (…) nous y sommes retournés en 5450 (1690 de l’ère chrétienne) sur l’ordre de son excellence le roi (…) Maintenant, laissez-moi vous conter les événements de cette synagogue. Ses doyens nous ont dit que nos prédécesseurs y priaient; à cette époque, Debdou était pleine de Juifs.» (La lettre est reproduite intégralement en judéo-arabe dans l’ouvrage de responsa ).
Cet extrait révèle que nos ancêtres de mémoire bénie ont dû quitter Debdou aux environs de 1600. Un décret émanant des autorités les aura contraint à dissoudre la communauté locale et à passer au hameau Dar Ben Mechâal. Mais ils retournent à Debdou en 1690, sur l’ordre du roi de Fès. On aura pris soin de remarquer que «Debdou avait une population importante de Juifs» en 1600, et que les pionniers juifs, «nos prédécesseurs», sy trouvaient déjà. Ce document atteste de la présence d’habitants juifs à Debdou depuis au moins le XVIe siècle, c’est-à-dire bien avant 1600. Il convient de noter que tous les membres de la communauté n’ont pas déserté le village après 1600. Quelques familles sont restées sur les lieux, parmi lesquelles l’éloquent exégète, mon premier ancêtre, Rabbi Itshac Marciano, que son âme repose en paix.
Ces familles formaient la «Communauté sévillane», un titre dont use le grand érudit Rabbi Yéhouda ben Attar. «La sainte congrégation sévillane de Debdou, écrit-il, adopte les coutumes des expulsés».
Rassemblée et unie, la communauté de Debdou était de toute grâce et de toute beauté. Au sommet de la hiérarchie se dressait incontestablement la dynastie des Cohanim. À leur fierté d’être un maillon de la longue chaîne qui descend d’Aharon le grand Cohen, s’ajoute celle de leurs origines sévillanes.
Non moins altière était la dynastie des Bensoussan, dont la noble ascendance remonte jusqu’à Binyamin, l’enfant choyé de Yaâkov notre patriarche. Ils viennent d'une ville espagnole distinguée et renommée : Tolède.
Quant aux Marciano (les ressortissants de Murcie, au sud de l’Espagne), ils ont gardé jalousement à Debdou le souvenir de leur origine tribale : Yéhouda. Selon la lettre du Michpat Outsedaka Béyaâkov citée plus haut (vol. I ch. 70), ils se sont installés d'abord au village de Tedliset (Ain Tedeles), situé au Nord-ouest de l’Algérie, entre Mostaganem et Oujda.
Une anecdote, qui n’en est pas moins fondée, atteste des racines séfarades de la communauté de Debdou. J’ai ouï-dire, de source sûre, que les membres de la famille Bensoussan dite Legritat {Lejritat, Eljarat?} se sont longtemps transmis de père en fils un trousseau de clés d’une maison d’Espagne et qu’ils ont successivement accroché ce trousseau derrière la porte d’entrée. Cette tradition, qui s’est perpétuée jusqu’au début du XIXe siècle, traduit un espoir ardent de retourner au patrimoine espagnol donc séfarade.
Autre témoignage : dans les synagogues des familles Bensoussan et Marciano, les Séfer-Torah possédaient des pommeaux qui provenaient de l’Espagne andalouse. Ces pommeaux ont été conservés jusqu’au XIXe siècle.
Au cœur de Debdou, une synagogue sacrée nommée Dougham abritait un Séfer-Torah, petit et antique, que les connaisseurs appelaient le «Séfer-Torah de Zabaro». Il semble que ce soit un des rouleaux de la Torah écrit par le saint Rabbi Moché Zabaro de Fès, de mémoire bénie. Les Juifs du village avaient recours à ce Séfer en cas de litige financier ou autre. Et il n’était pas rare que certains plaignants préférassent un serment sur le «Sefer-Torah de Zabaro» à un procès au tribunal.
Ce rouleau sacré se trouvait encore dans la synagogue Dougham en 5708, lors de la vague d’émigration en Israël.
D’autre part, Itshac Rabin a reçu en 1974 un magnifique présent, un Sefer-Torah rarissime de Debdou, écrit sur un parchemin en peau de biche. Le premier ministre l’a confié au musée d'Israël.
En 5468 (1708 de l’ère chrétienne), un émissaire de Hebron-Rabbi Chmouel Halévi a rendu visite aux Juifs de Debdou. Le percepteur de fonds a obtenu de la communauté pourtant restreinte une aumône très substantielle. Cette information indique que la situation économique des habitants de Debdou était plutôt bonne, voire prospère, si l'on exclut bien sûr les très nombreuses fois où ils ont quitté temporairement les lieux pour survivre à la famine sévère ou échapper à l’ennemi féroce. On se souvient tout particulièrement des famines de 5539 (1779) et de 5567 (1807) qui ont quasiment dépeuplé Debdou de ses habitants juifs.
«Le mois d'Av (5567), note Rabbi Chlomo Hacohen Sabban dans son opuscule Yahas Debdou, marque la fin de cette terrible année de famine où la majeure partie des Juifs de Debdou a trouvé asile ailleurs.»
Il ne faut pas nier que les Juifs de Debdou ont connu des moments difficiles, parfois tragiques, entre les années 1830 et 1910. Car les Musulmans qui s’opposaient à la colonisation de l'Algérie par la France, se réfugiaient à l’Est du Maroc, notamment à Debdou. En outre, les Juifs étaient soupçonnés en Algérie de soutenir la mainmise du gouvernement français au détriment des autorités musulmanes. Aussi les rapports entre Juifs et Musulmans n’étaient pas des plus cordiaux et, des deux côtés de la frontière, nos frères ont fait les frais de l’Occupation française en Algérie, et payé de leur sang un lourd tribut ׳.
J'avoue que j’affectionne tout particulièrement les origines de ma sainte communauté. Je ne puis oublier mon village, ses petites ruelles où je me suis nourri d’un Judaïsme authentique et intègre, naturel et spontané.
Une nouvelle Seville en Afrique du Nord-Debdou–Une miniature de Jérusalem.