Elie Cohen—Hadria-Les Juifs francophones dans la vie intellectuelle et politique de la Tunisie entre les deux guerres

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La publication du Petit Matin constitue un véritable événement pour le petit monde juif, car le fondateur de ce journal au lendemain de la première guerre mondiale est un juif, Simon Zana. C’était un homme d’affaires enrichi. Son but, sa raison d’être même au départ, était très simple: mener campagne pour le remboursement de l’impôt sur les bénéfices de guerre. Cet impôt institué en Tunisie en 1918, avait, à la requête de l’Espagne, été jugé contraire aux conventions internationales par la Cour de La Haye. Le décret l’instituant avait donc été abrogé, et les contribuables étrangers qui avaient commencé à payer avaient même été remboursés. Mais ni les Français, ni les Tunisiens ne l’avaient été et le Gouvernement tunisien se refusait à le faire. D’où la colère de Zana et la parution du Petit Matin. La campagne pour le remboursement aboutit à un échec, mais le journal continua à vivre et à tenir un rang honorable dans la presse tunisienne. Zana, qui était assez peu instruit, réussit à grouper autour de lui des rédacteurs convenables, certains même excellents, dont quelques — uns seulement étaient juifs.

Les deux quotidiens du soir étaient des journaux d’opinion. La Tunisie Française était de droite, Tunis Socialiste… socialiste. Mais curieusement, nous avons dit plus haut pourquoi, la Tunisie Française et son Directeur Henri Tridon n’étaient pas antisémites. Et beaucoup de ses rédacteurs étaient juifs. Citons: Maurice Meimoun, qui avait été avant 14 un gauchiste plus ou moins anarchisant et qui s’était bien assagi; Henry Hauzy, qui s’occupait de façon particulière des nouvelles du microcosme juif, et dont l’étude attentive des articles et des échos fournirait très certainement un bon éclairage de la vie de la communauté juive à l’époque; Max Zetlaoui enfin, qui passa ensuite au Petit Matin et termina sa carrière à l’Agence France-Presse à Paris.

Tunis Socialiste avait été fondé par la Fédération Socialiste SFIO, dont l’un des principaux militants, l’un des fondateurs même, avait été le Docteur Albert Cattan. Sous-titre de Tunis Socialiste, très significatif: ‘Pour la fraternité des races’. A ce journal collaborèrent longtemps, et jusqu’à sa disparition en 1956, l’auteur de ces lignes, et Serge Moati.

De moi-même et de mes activités propres, je ne dirai rien ici.renvoyant ceux que le sujet pourrait intéresser au livre que je viens de publier.

Serge Moati (1903-1957) s’était lancé très jeune dans l’activité culturelle. Ayant à peine dépassé les vingt ans, il avait écrit trois ou quatre agréables revues de style montmartrois et il aurait été un très bon chansonnier s’il avait persévéré dans cette voie. Il avait monté, pour jouer ces revues une société d’amateurs dont la plupart étaient juifs. Il avait ensuite, comme directeur d’une salle de cinéma, été le premier à faire projeter à Tunis des films sonores. Mais sa véritable vocation était le journalisme et plus particulièrement le journalisme politique, auquel il se consacra entièrement à partir des années 30. C’était un homme froidement courageux, ce qui explique que sa vie publique ait été par moments quelque peu mouvementée. Il fut avec moi-même un des quatre rédacteurs de Tunis Socialiste traduits en correctionnelle par le Résident Général Peyrouton en 1934. Le même Peyrouton l’expulsa de Tunisie en février 36. Enfin, sous l’occupation allemande, en février 43, il fut arrêté —en compagnie d’une vingtaine d’autres personnalités—et expédié en Europe par les soins des autorités allemandes, mais a la requete des autorités françaises. Longtemps détenu à Paris à la caserne des Tourelles, il fut finalement libéré, mais peu de temps après sa libération, il faillit tomber dans une souricière tendue par la Gestapo. Seule une chance assez extraordinaire lui permit d’y échapper. Cette souricière se referma malheureusement sur deux autres de ses compagnons de captivité: mon frère, le bâtonnier Victor Cohen-Hadria, et le docteur Benjamin Lévy, militant radical socialiste estimé, qui ne revinrent jamais d’Auschwitz.

En 1935, fait son apparition un autre journal qui intéresse les juifs, La Presse, fondée par Henri Smadja. Docteur en médecine, mais surtout homme d’affaires, ancien combattant de 14, d’origine algérienne, Henri Smadja fera de La Presse un journal de droite. Il s essayera également sans succès a la politique locale, nous le verrons plus loin, avant de se lancer, après la deuxième guerre, dans le journalisme parisien en devenant le directeur de Combat.

Nous avons, trop brièvement sans doute et sans autre explication, employé les termes de droite et de gauche et abordé les problèmes de la politique française en Tunisie. Il faut bien expliquer que ces problèmes se déroulent sur deux plans qui ne se superposent pas toujours exactement: le plan métropolitain où les partis locaux sont calqués sur les partis français, et le plan local où se posent diverses questions particulières, tournant essentiellement autour de la place des Tunisiens dans la vie politique du pays. Nombreux sont les juifs qui éprouvent le besoin de militer et de défendre leurs opinions en matière de politique française, et ce besoin de s’exprimer est en général favorablement accueilli dans tous les milieux, au moins en apparence. C’est ainsi qu’en 1934 pour les élections à la section française du Grand Conseil à Tunis, chacune des listes en présence comportera un juif: celle de droite, Henry Smadja; celle du centre cocardier (en réalité, gauche en France et droite en Tunisie), Paul Ghez; la liste socialiste’ enfin, 1 auteur de ces lignes. Seul Paul Ghez sera élu. Avocat de qualité, ancien combattant volontaire de la guerre de 14-18, Paul Ghez était le président très militant de l’association qui regroupait ces anciens combattants.

Mais il y a aussi les radicaux, qui disposent d’un hebdomadaire, et où nombreux sont les juifs: le Docteur Maurice Uzan, Albert Karila, Robert Scemama, le Dr. Benjamin Lévy, etc… Et nous n’aurions garde d’oublier les communistes, plus ou moins clandestins, surtout employés de banque ou clercs d’avocat, et qui exercent sur la jeunesse un certain pouvoir attractif.

Nous ne nous étendrons pas sur le mouvement sioniste, qui mériterait largement une étude séparée, pour laquelle nous ne nous sentons d ailleurs pas qualifié. Mais, en restant sur le plan étroit de la langue d usage, il nous faut signaler que la propagande sioniste s’est dans une très large mesure effectuée en français. Qu’il s’agisse du promoteur du mouvement sioniste en Tunisie, l’avocat Alfred Valensi, ou egalement de la forme philanthropique du mouvement, patronnée par les grands bourgeois et animée à l’occasion par des propagandistes venus de l’extérieur et qui se répandaient en réunions de tous ordres, publiques ou limitées à un auditoire particulier: Fernand Corcos, Nathan Halpern, Sasia Erlich, etc…, le français était la langue véhiculaire couramment employée.

Il en était de même pour la presse sioniste. Nous avons déjà signalé influence de l’hebdomadaire Le Réveil Juif.

Les mouvements de jeunesse, tout en faisant une part à l'hébreu — assez modeste m’a-t-il semblé — étaient également francophones—qu’il s’agisse des mouvements scouts, animés entre autres par Alfred Rossi et Jules Cohen-Solal, souvent calqués sur le modèle français, ou des mouvements proprement haloutsiques, relativement peu importants. Une mention doit être cependant accordée à la création, aux environs de 1930, grâce à un chaliah dynamique venu de l’extérieur, d’un mouvement Hachomer Hatsaïr. Le noyautage communiste disloqua rapidement ce mouvement. Le cas n’est d’ailleurs pas isolé, on le sait. Une fraction importante rallia le P.C. tunisien; le plus grand nombre se perdit dans la nature, tout en continuant à éprouver pour le mouvement une tendresse plus ou moins nostalgique; quelques-uns seulement, deux ou trois, restèrent fidèles au sionisme haloutsique et émigrèrent en Israël.

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