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REFLEXIONS SUR L'ORIGINE DES JUIFS DES REGIONS NORD-SAHARIENNES

Environenmont et structures sociales

REFLEXIONS SUR L'ORIGINE DES JUIFS DES REGIONS NORD-SAHARIENNES

Au XIXe siècle lorsque les historiens européens commencèrent à s'intéresser aux communautés juives du Maghreb, ils constatèrent rapidement l'existence d'un véritable peuplement judéo-berbère, qui constituait l'élément fondamental omniprésent dans le Maghreb et le Nord du Sahara, auquel s'étaient juxtaposés, plutôt que véritablement intégrés, d'autres groupes, à l'origine moins nombreux, venus d'Europe. Ces Juifs Sefardim d'origine principalement Ibérique, vinrent au Maghreb peut-être dès le très haut Moyen-Age au moment des persécutions ordonnées par les rois Wisigoths du VII siècle, mais la grande masse arriva à la fin du XlVe siècle (massacre de Séville en 1391) et surtout au début du XVle (à la suite du décret d'expulsion de 1492). Les arrivées de Juifs Sefardim se succédèrent tout au long du XVIIe siècle; simultanément plusieurs familles italiennes prirent le chemin de l'exil et s'établirent au Maghreb

Ces immigrés choisirent d'habiter, de préférence, les ports, et c'est avec eux que commercèrent les négociants européens avant la con­quête d'Alger ou l'établissement des protectorats sur la Tunisie puis le Maroc. Ces mêmes communautés maintinrent fidèlement les tradi­tions andalouses dans les arts des pays barbaresques, particulièrement dans l'orfèvrerie et la musique. Dans le domaine juridique et culturel elles conservèrent leurs coutumes, distinctes de celles des Juifs autoch­tones. Elles fournirent aussi, en Algérie, un contingent non négligeable d'interprète et parurent très rapidement, à l'administration française, l'élément le plus facilement assimilable de la population.

Mais ces Juifs des grandes villes, rapidement francisés, ne cons­tituaient qu'une partie du peuplement juif du Maghreb. Il existait des communautés plus anciennes, distinctes de cette élite urbaine et dont l'origine est différente ainsi que le révèlent souvent l'onomastique, les coutumes, l'implantation géographique voire les genres de vie

Au XIXe siècle, avant que le Maghreb ne subisse l'impact colonial il est difficile de chiffrer l'importance de ces communautés qu'il n'est pas dans notre intention d'énuniérer ici. Elles étaient, de fait, disper­sées dans une vaste zone sub-aride s'étendant de la Tripolitaine à l'Atlantique avec des lieux de plus forte concentration comme le Sous et le voisinage de Tiznit, le Tafilalet, le Mzab, le Souf et Djerba. Or ces communautés n'étaient, la plupart, que des éléments résiduels d'un peuplement plus important qui, au cours de l'Histoire, avait subi des vicissitudes, des massacres ou des conversions forcées. Des souvenirs très précis d'anciennes communautés disparues, voire de cités-états comme Tamentit dans le Touat, ou de groupes majoritaires comme chez les Hanencha, demeurent, qui révèlent l'importance ancienne de ce peuplement juif dans le nord du Sahara. Cependant, regroupées ou non dans des mellah, ces communautés vivaient en symbiose avec les populations musulmanes. Notons dès maintenant un fait impor­tant: la plupart de ces communautés juives des zones prédésertiques vivaient au milieu de populations berbères, ou, à tout le moins, ara­bisées récemment, que ce soit en pays Chleuh, au Mzab ou à Djerba. A l'inverse des Juifs venus d'Europe assez strictement localisés dans les ports et les principales villes arabophones, ces Judéo-berbères sont dispersés, et, même dans le Tell, on n'a pas perdu le souvenir de petites tribus juives qui nomadisaient encore au milieu du XIXe siècle entre le Kef et Constantine. Ces Bahusim, conservaient même en ville, leurs coutumes originales et fort anciennes.

Cette dispersion et cette multiplication donnent l'impression que ces communautés avaient une très vieille origine

Les auteurs, qui sont souvent des historiens juifs d'Afrique du

les rabbins Abraham Cahen de Constantine au milieu du XIXe siècle ou Maurice Eisenbeth grand rabbin d'Alger vers 1930, ont élaboré, en se fondant sur des sources aussi diverses que l'arché­ologie, les historiens antiques, les Pères de l'Eglise, le Talmud et les écrivains arabes du Moyen-Age, un catalogue devenu classique des origines possibles de ces Juifs

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Cette théorie fut particulièrement mise en valeur par M. Eisenbeth; nous la résumons en classant ses différentes propositions

  1. Arrivée en Afrique d'Hébreux mêlés aux Tyriens lors de la fon­dation des villes phéniciennes.
  2. La Carthage punique aurait connu une importante communauté juive
  3. Immigration forcée de Juifs en Egypte et en Cyrénaïque sous les Lagides et expansion consécutive jusqu'en Afrique du Nord
  • Immigration de Juifs en Arabie dès le règne de David, établisse­ments au Yémen puis en Abyssinie et expansion vers le Sahara
  1. Déportations de Juifs en Afrique par Titus après la destruction du Temple en 70
  2. Apparition en Afrique du Nord, au Ve siècle, de tribus judéo- berbères "qui semblent avoir été converties au judaïsme par les des­cendants d'Onias, le Zélote, après l'échec de l'insurrection juive en Cyrénaïque (115-118).
  3. Apparition en Afrique du Nord, au Ve siècle, des Berbères judaïsants d'origine himiarite, c'est-à-dire du Yémen, qui paraissent avoir pénétré sur le continent par l'Abyssinie vers la fin du Ile siècle (cf-proposition n° 3)

Plus simple nous semble l'hypothèse de M. Simon qui s'appuie en premier lieu sur une proposition souvent citée d'Ibn Khaldoun selon qui le Judaïsme avait été reçu par une partie des Berbères "de leurs puissants voisins les Israélites de Syrie". Car le Judaïsme rural du Maghreb s'enorgueillit d'une généalogie qui ferait remonter l'ori­gine des Berbères jusqu'aux Cananéens. Cette tradition paraît chez Procope au Vie siècle mais, antérieurement, nous en trouvons des traces chez Saint-Augustin au début du Ve siècle, et plus ancienne­ment encore chez Flavius Josephe

 Des traditions analogues subsistent chez les rabbins du Moyen Age mais M. Simon estime qu'il s'agit d'une légende née très tôt dans les milieux Juifs d'Afrique. En fait la prétendue origine cananéenne des Berbères conserve tout simplement le souvenir de l'ancienne expansion phénicienne en Afrique

 On sait combien fut importante et profonde l'influence punique sur les Afri­cains qui conservèrent la langue de Carthage et certaines croyances religieuses, bien des siècles après la destruction de la ville. Pour M. Simon les communautés Juives de l'Antiquité et du Moyen-Age ont deux origines principales. La première serait une immigration des Juifs héllénisés de la Diaspora occupant les villes du littoral, comme le feront aux Temps modernes les Juifs européens. Ce sont ces Juifs qui nous ont laissé quelques traces archéologiques. Le deuxième courant, plus important mais plus discret, est constitué de Juifs traditionalistes, gardiens de l'esprit zélote qui, fuyant la Cyrénaïque et l'Egypte, trou­vèrent en Tripolitaine et dans le Sud-tunisien un milieu particulière­ment favorable, préparé par une profonde et durable punicisation. Ces Judéo-Berbères auraient assuré, en Afrique, un pont entre Carthage et l'Islam

Ces différentes hypothèses reposent sur l'opinion très largement ré­pandue que les Juifs d'Afrique du Nord et particulièrement ceux des régions prédésertiques sont les descendants, pour la plupart, de Ber­bères convertis au Judaïsme. Il est, en effet, difficile de ne pas parta­ger cette opinion, mais comment et dans quelles conditions s'est effectuée cette conversion?

Quand on examine de plus près les données archéologiques relatives au Judaïsme dans l'Antiquité on est surpris de la faiblesse de ces sources.

En premier lieu, il faut avouer que nous n'avons aucune trace ar­chéologique ou épigraphique venant étayer l'hypothétique existence d'une communauté juive dans la Carthage punique ou dans toute autre ville phénicienne d'Afrique. Il est notoire que la Bible connaît mal Carthage. Les Septantes traduisent les "navires de Tarsis" (Isaïe 23, 1) par les "navires de Carthage". La même traduction est adoptée pour Ezechiel 27, 12 tandis que le Targum de Jonathan traduit Tarsis par Aphrîqî = Afrique = Carthage aussi bien dans I. Chroniques 22, 48 que dans Jérémie 10, 9. Ces curieuses traductions apportent la démonstration que du VIIe au Ve siècle les Juifs de Palestine sem­blaient tout ignorer de Carthage qui était cependant la principale ville sémitique d'Occident.

Quoi qu'il en soit on peut admettre l'existence de quelques familles juives à Carthage qui, du IVe au Ile siècle, était devenue une ville très cosmopolite.

Reflexions sur l'origine des Juifs des regions nord-sahariennes

Reflexions sur l'origine des Juifs des regions nord-sahariennes

Pour l'époque romaine nous disposons d'une documentation plus fournie quoique assez décevante. Les sources archéologiques sont particulièrement rares: citons la nécropole juive de Gamarth, ou du Jbel Khaoul, qui doit son nom aux hypogées qui comptent jusqu'à 15 et 17 alvéoles suivant un type bien connu en Orient et qui diffère à la fois de la tombe punique et de la tombe romaine. On a parlé exagérément de plusieurs milliers de sépultures, en fait on peut les estimer à quelques centaines. Un hypogée du même type à loculi rayonnant fut découvert à Cherche! mais à Tipasa un dispositif comparable, dans un hypogée multiple qui s'ouvre dans la chapelle d'Alexandre, est manifestement une sépulture chrétienne. Il est donc difficile d'attribuer formellement à une communauté juive l'hypogée de Cherchel d'autant plus que le modèle sûrement oriental n'est pas limité à la seule Palestine. Une catacombe apparemment juive a été signalée à Oea en Tripolitaine et des noms hébraïques sont portés par des Chrétiens de Syrte, sans doute des Juifs convertis.

Les ruines de deux synagogues seulement sont connues dans l'A­frique romaine, l'une à Naro (Hamman Lif, à l'Est de Tunis) semble avoir été construite entre le Ile et le Ve siècle; l'autre est une petite synagogue attenante à la basilique de Lepcis Magna. Mais d'autres vestiges intéressants en raison de leur situation à l'intérieur des terres, méritent d'être cités. C'est en premier lieu une colonette trouvée à Henchir Fouagha, au Nord de Tebessa qui porte l'inscription sui­vante: D(EVS ABR)AHAM, D'EUS ISA(A)C et une succession de chandeliers à sept branches. Un chapiteau très fruste et certainement de basse époque, trouvé à Rouahia, près de Tiaret, porte également une représentation de menorah. Ce motif est connu sur des lampes trouvées à Carthage, Cherchel, Volubilis. Une lampe conservée au Musée de Lyon, de fabrication africaine, a fait l'objet d'une étude très pertinente de M. Simon, le menorah figure au milieu d'un ensemble disparate où le spécialiste décèle, sous un syncrétisme religieux,  la persistance de l'influence punique au IVe ou Ve siècle chez les "Cae- licoles" judaïsants.

Les sources épigraphiques ne sont guère plus nombreuses: elles sont surtout concentrées à Carthage (41 inscriptions à Gamarth) et sur le littoral Naro-Hamman Lif (4 textes), Sala (2 textes), Thaenae, Sullectum, Lepti Minus, Segermes, Caesarea, Lixus (chacun une seule inscription), mais aussi dans les principales villes, capitales de provin­ces, Cirta (4 inscriptions), Sitifis (2 inscriptions), Lambèse (une inscrip­tion) ou de places importantes : Volubilis (5), Auzia (1).

La toponymie n'intervient que faiblement: on connaît un "Lucus Judeorum Augusti" au fond de la Grande Syrte.

Les sources littéraires ne sont pas négligeables : le Talmud et les écrits rabbiniques accordent une place remarquable aux communautés et écoles juives africaines. M. Simon a déjà remarqué que l'Afrique tient dans ces écrits une place plus grande que n'importe quelle autre province de l'Empire romain. On connaît grâce à eux le nom de cinq rabbins de Carthage qui vécurent aux Ile et Ille siècles.

Les Pères de l'Eglise permettent de compléter la documentation. Tertollien nous apprend que les Juifs étaient nombreux à Carthage et influents au point de susciter des poursuites contre les Chrétiens.

Deux siecles plus tard Saint-Augustin et Saint-Jérôme font état de communautés juives à Oea, Simithu (Chemtou), Hippo Regius (Anna- ba-Bône) et même Thusurus (Tozeur). La Passion de Sainte Mar­tienne mentionne une communauté juive à Caesarea (Cherchel).

C'est l'onosmastique étudiée récemment par J.-M. Lasserre qui apporte les enseignements les plus intéressants et les plus inattendus. Sur les 61 noms portés par des Juifs que l'Antiquité africaine nous ait conservés, 10 seulement sont hébreux, 4, à peine, grecs, 1 seul est d'origine nettement africaine, 47 sont des noms romains et près de la moitié se retrouvent à Rome même. J. -M. Lasserre en déduit que sous l'Empire, le Judaïsme africain est en grande partie d'origine italienne, que les éléments orientaux (ou venus directement d'Orient) sont peu nombreux et qu'il est difficile de trouver la moindre trace d'une communauté juive antérieure à Rome.

Il est remarquable également qu'après l'Afrique proconsulaire ce soit la Maurétanie tingitane qui semble compter le plus de Juifs. Ainsi les deux extrémités du Maghreb qui font chacune face à une péninsule européenne sont mieux loties que la Numidie ou la Maurétanie césarienne. Cette répartition semble confirmer l'hypothèse de l'origine allochtone de la plupart de ces Juifs. Ces immigrations européennes doivent cependant être complétées par des arrivées de Juifs en pro­venance de Cyrénaïque et de Tripolitaine.

Reflexions sur l'origine des Juifs des regions nord-sahariennes

A cette présence judaïque qui dans l'Antiquité nous paraît relative­ment faible, bien que plus importante que dans les autres provinces de l'Occident, s'oppose curieusement l'ensemble des documents du Moyen Age et des Temps modernes qui révèlent une toute autre ampleur des communautés Juives chez les Berbères

Il serait trop long, et cela dépasserait largement les dimensions que nous voulons donner à cette communication, de faire seulement le recensement de tous les textes qui montrent un renversement complet de la situation. Dès les débuts de l'époque musulmane, au moment même de la Conquête, il semble bien que les communautés juives apparaissent non plus dans un cadre urbain, comme sous l'Empire romain, mais organisées en tribus. Même si nous faisons preuve d'un esprit hypercritique à l'égard de sources, qui paraissent en grande partie légendaires, nous ne pouvons repousser totalement l'impression très nette d'une augmentation de la population juive ou judaïsante à partir du Ve et surtout du Vie siècle et d'une ruralisation de cette population. Certes, on insiste certainement à tort sur le personnage de la Kahéna, reine de la tribu aurasienne des Jarawa qui comme la plupart de ces contribules aurait été de religion juive. Cette héroïne berbère s'appelait en réalité Dahiya et son père Mathia porte un nom hébreu mais qui peut être aussi chrétien. Il n'est pas impossible que le surnom qui lui a été donné par les auteurs arabes "Kahina" (devineresse) ait contribué à accréditer son origine juive par confusion avec le nom de Kohen. Il n’empêche que des tribus entières comme les Mediouna étaient et restèrent juives. Le nom de Medioni est d'ailleurs exclusivement porté par des Juifs au Maghreb. Cette tribu nomadisait dans le Maghreb central, dans l'actuelle Wilaya de Tlemcen. Pendant les premiers siècles de la domination musulmane des principautés juives ou de Berbères judaïsants s'organisèrent; celle du Touat ne disparaîtra qu'au XVe siècle. Dans les nouvelles villes, comme dans les anciennes cités, des communautés juives prospèrent: à Kairouan, où brille l'école rabbinique la plus célèbre après celle de Bagdad et où, sous les derniers émirs aghlabites et le premier calife fatimite, la médecine de cour est assurée par des Juifs tels Ishak ben Amrane et Ishak ben Soleîman; à Fez, où, dès la fonda­tion, les Juifs occupent tout un quartier, celui d'Aghlen et où le gram­mairien Iehouda ben Karish, né à Tahert, participe sous Idriss II à la jeune renommée de la capitale. Comment s'étonner, dès lors, que les Juifs participent activement à la vie politique? Souvent conseillers des émirs, ils n'hésitent cependant pas à donner le signal de la révolte tel cet Abou el Faradj (l'homme au coq) dont An Nuwayri dit qu'il était Juif et qui, au Xe siècle, souleva les Kétama contre les Zirides

Or cette population judéo-berbère était, pendant le Haut Moyen Age, bien plus importante, relativement à l'ensemble de la population, qu'elle ne le devînt au cours des siècles car il faut tenir compte des conversions forcées et massives exigées par les Almohades au Xlle Maïmonide, trois siècles avant les Marranes, précise à cette occasion que la conversion cachée n'est pas un péché si elle s'accom­pagne d'une fidélité secrète. Il n’empêche que des communautés en­tières comme celles de Tlemcen et de Sigilmassa disparurent alors. Les siècles suivants virent ainsi disparaître celles de Tamentit et du Touat, et encore au XVIIIe siècle, si on croit A. Cahen, qui écrivait en 1866, les Juifs de Touggourt furent contraints de se convertir à l'Islam par décision de Bou Djellab, sultan de la ville. Ces convertis constituèrent le groupe social des Mehadjerin, qui demeure le plus riche de la ville et garda des relations étroites avec les communautés juives des autres villes du désert

Ce peuplement fut, en effet, particulièrement important dans la zone prédésertique et c'est, je crois, cette répartition qui peut nous donner la clé de son origine. Recherchons tout d'abord l'âge des premières manifestations. Certes, Saint Augustin nous fait connaître la présence de Juifs à Tozeur" mais c'est là un fait isolé et qui peut être mis en relation avec les communautés tripolitaines. On peut songer à des groupes de commerçants établis dans le Nefzaoua et le Djerid pour le commerce des dattes et des produits caravaniers. En fait l'arrivée massive de Juifs ou la conversion de nombreux Berbères au Judaïsme -"est faite dans ces régions avant la conquête arabe, comme tend à le montrer l'histoire, même légendaire, de la Kahina

De nombreux auteurs pensent expliquer cette expansion du Judaisme par les persécutions ordonnées contre les Juifs par l'administration byzantine: les Juifs chassés de Carthage et de Tripolitaine et, plus à l'Est, de Cyrénaïque, auraient gagné le désert et auraient con­verti les tribus dans lesquelles ils trouvaient refuge. Cette explication ne me paraît pas recevable car je ne pense pas que quelques décennies aient suffi pour, à la fois, intégrer les communautés juives et judaïser des tribus entières

En revanche, faire remonter à l'échec de l'insurrection juive de Cyrénaïque (en 115-118) le développement, sous l'influence des Zélotes, de communautés juives du Désert qui n'auraient atteint le Maghreb que quatre à cinq siècles plus tard est aussi illusoire car le mouvement paraît beaucoup trop lent et insuffisamment documenté

C'est cependant de Cyrénaïque et de la Tripolitaine voisine, qui dans l'Antiquité étaient des provinces où l'implantation juive était ancienne et puissante, que vinrent nécessairement les ferments sinon les groupes qui contribuèrent à judaïser une partie de la population des régions prédésertiques du Maghreb. A mes yeux, le vecteur prin­cipal est l'apparition, à la fin du Ve siècle des groupes chameliers, des nomades Zénètes, ces Néoberbères qui vinrent s'enfoncer comme un coin dans la masse des Paléoberbères Sanhadja descendants des Numides, des Maures et des Gétules de l'Antiquité, les séparant en deux masses principales, les sédentaires montagnards au nord et à l'est, les grands nomades au Sahara central et occidental (Lemtouna et Touareg). On peut suivre entre le IVe siècle et le Moyen Age le lent déplacement de ces tribus Zénètes. Le cas des Louata (les Levathae des auteurs latins) est particulièrement démonstratif, on les voit passer successivement du Sud de la Cyrénaïque au voisinage de l'Aurès puis dans le Maghreb central, tandis que la tribu des Maghrawa se répand de l'Ifriqiya méridionale au Maghreb el 'Aqsa. C'est donc une large bande prenant en écharpe le sud du Maghreb central, l'Oranie et une bonne partie du Maroc et le nord du Sahara qui passe ainsi sous le contrôle des Zénètes. Or, si de nombreuses communautés juives sont liées indiscutablement à ce groupe néoberbère, il faut bien reconnaître qu'elles font pratiquement défaut chez les groupes paléoberbères sanhadja, qu'ils soient Kabyles ou Touareg

La liaison entre les Juifs maghrébins et les Berbères principalement zénètes me paraît donc indéniable. L'existence de textes liturgiques en langue berbère, telle que la Haggadah de Pesah retrouvée à Tinrhir dans le Todrha (sud-marocain) et publiée par Mme Galand et M. Zafrani n'est pas en contradiction avec cette opinion

?Mais pourquoi les Zénètes auraient-ils été les vecteurs de cette judaïsation

Aucune réponse satisfaisante ne peut être donnée à cette question

possible que l'ébranlement initial des Zénètes se soit accompa­gné d'un brassage de populations et que plusieurs groupes juifs de Cyrénaïque et de Tripolitaine, déstabilisés par de multiples persécu­tions mais conservant la tradition zélote et prosélyte, se soient joints aux tribus berbères dans leur lente progression vers l'Ouest. Cette association se serait faite d'autant plus facilement que ces groupes juifs auraient pu conserver ou reprendre une vie nomade.

Si les Zénètes viennent de plus loin encore et descendent vraiment des Himyarites sud-arabiques les possibilités de judaïsation sont encore plus fortes et plus anciennes. Les Falasha d'Ethiopie, qui furent séparés de la Synagogue avant la rédaction du Talmud, sont les témoins de ce très ancien prosélytisme dans la corne est de l'A­frique

On ne saurait, enfin, s'étonner que quelques tribus berbères aient pu être partiellement judaïsées en ces premiers siècles du Haut Moyen Age puisque en d'autres lieux et au même moment les Khazars de la Basse Volga se convertissent en masse au Judaïsme.

LES SANDALES DU "COUSIN CROISE" CHEZ LA MARIEE TOUAREGUE ET LA LOI RABBINIQUE

Marceau Gast

LES SANDALES DU "COUSIN CROISE" CHEZ LA MARIEE TOUAREGUE ET LA LOI RABBINIQUE

Les populations du Sahara central ont formé un ensemble ethnique original tant du point de vue de leur organisation sociale traditionnelle, de leur régime de vie (pastoralisme nomade et rezzous) maintenu jusqu'au début du XXe siècle, que de certains caractères rituels qui n'ont pas d'équivalent ailleurs. Héritières d'une histoire longue et tourmentée, elles ont été le conservatoire d'un certain nombre de traits culturels adoptés à la faveur de mouvements de populations, d'échan­ges économiques, sociaux, culturels dont il est quasiment impossible aujourd'hui de retracer l'histoire exacte. Tel nous paraît être le cas aujourd'hui d'une coutume persistante, intimement liée aux structures de parenté et à leurs fonctions socio-politiques : l'offrande d'une paire de sandales au fils de la sœur du père de la mariée, dans toute céré­monie de mariage

Alors que la société actuelle est en pleine mutation, que toutes les références passées ne sont plus pertinentes, que les nouvelles straté­gies de pouvoir ne sont plus définies au niveau de la parenté, la paire de ncâls cl'Agadez (ou d'In Gall) est plus que jamais l'objet d'une surenchère lors de tous les mariages au Hoggar. Plus encore, cette offrande, persiste aussi chez les populations qui furent sous l'influence culturelle et politique des Touaregs dans le Tidikelt et le Touat (les Mrabtines et les Harratines). Mais elle n'est plus destinée au cousin croisé; elle fait partie de ce qu'on appelle désormais: "La corbeille de la mariée", ensemble de cadeaux complémentaires que le fiancé envoie à sa fiancée le premier jour du mariage

Après une courte présentation sur ce rituel, nous essaierons de poser la valeur de son sens pour situer ensuite son origine possible, comme symbole à caractère juridique, très lié semble-t-il à une coutume judaïque ancienne

La société des Kel Ahaggar, telle qu'elle est apparue au début du XXe siècle, présentait un ensemble de groupes lignagers (les tausit) de petite taille, dépassant assez rarement le millier d'individus cha­cun, classés en deux catégories 

  1. les aristocrates suzerains, Ihaggaren,
  2. les tributaires plébéiens, Kel Ulli (gens de chèvres ou Imrad)
  • Les uns comme les autres se référaient toujours à un ancêtre fémi­nin commun, mythique ou réel, pour définir l'identité de leur groupe respectif. Le groupe domestique demeurait cependant patrilocal en faisant référence au père, qui en était le chef et l'organisateur. La matrilinéarité définissait la parenté, l'organisation du pouvoir politi­que et économique notamment sur trois points importants 
    • L'accès au commandement pour les hommes 
    • — choix du chef au niveau de la tausit

—• choix du chef suprême au niveau de l'ensemble des tausit, regroupés en une unité territoriale, politique et économique appelée ettebel (du mot arabe tohol = tambour, attribut du pouvoir suprême)

  • L'héritage des biens collectifs 

Que ce soit au niveau d'un groupe lignager ou des biens rattachés au commandement suprême

Le paiement de l'impôt en nature (tiuse) qui était le signe à la fois coneret et symbolique de l'allégeance au chef suprême et à Yettebel. Chaque année, chaque groupe d'utérins se devait de fournir un sac de grains de céréales à Yamenùkal (chef suprême)

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Les aristocrates dont le rôle était de guerroyer et d'assurer l'équi­libre économique de l'ettebel grâce au complément des "rezzou" com­pensaient en partie leur déperdition en hommes, par des alliances à l'extérieur de leur groupe. Mais ils étaient assurés de ce renfort puis­que leurs femmes n'émigraient point et que leurs enfants restaient le plus souvent dans le pays, reconnus membres du groupe puisque "fils des femmes". Tout le territoire de l'ettebel leur était disponible. Les Kel Ulli tributaires avaient vocation de nourrir les aristocrates en élevant des chèvres et moutons, et en assurant aussi la garde et l'en­tretien de leurs troupeaux de chamelles. Leur stratégie matrimoniale était différente. Ils étaient très endogames parce qu'ils disposaient d'un territoire délimité dont la capacité d'exploitation demeurait précaire, et qu'ils devaient fournir des surplus à leurs suzerains en assurant la reproduction et la perpétuation de leur groupe.

Dans les structures de la parenté touarègue les cousins "parallèles" (enfants de la sœur de la mère et enfants du frère du père d'Ego) sont appelés d'un nom différent des cousins "croisés" (enfants du frère de la mère et de la sœur du père d'Ego). Cette particularité re­connue pour la première fois par l'anthropologue américain L.H. Morgan à la fin du XIXe siècle dans une tribu indienne, les Iroquois, les fait classer dans le type "iroquois", bien qu'ils accusent quelques différences par rapport au type original. Les cousines parallèles sont appelées "sœurs" par Ego, mais leur mariage est considéré comme tout à fait convenable et même souhaitable. Les cousines croisées sont appelées tababahat (plur. tibuhbat) et ont des relations très familières dites "à plaisanterie" avec Ego. Toute l'organisation socio-économique et parentale tend à rapprocher Ego de sa cousine, fille du frère de sa mère ou fille de la sœur de son père; mais la relation avec la fille du frère de sa mère (cousine croisée matrilatérale) est toujours beaucoup plus importante pour les raisons suivantes :

Ego est toujours plus libre, plus familier, plus affectivement atta­ché à la famille de sa mère. Il y plaisante, il s'y nourrit et s'y fait choyer, car il en est le futur représentant. Alors que ses relations sont réservées sinon tendues dans sa patrilignée.

  1. Son oncle, frère de sa mère doit durant sa vie, nourrir en cas de besoin les enfants de sa sœur. Mais encore, ceux-ci peuvent venir prélever sur ses biens, le voler impunément sans qu'il puisse décem­ment s'en plaindre; les règles sociales établies, le lui interdisent car, comme dit le proverbe :

"Le fils de ta sœur est l'ennemi de ton bien, mais aussi l'ennemi de tes ennemis." Le neveu se doit de défendre en premier chef son oncle maternel. Il est à ses côtés au combat, plus qu'au côté de son propre père.

En conséquence l'oncle maternel lègue à sa mort son épée au fils de sa sœur. En héritant de l'épée de son oncle, Ego hérite aussi du droit d'accès au commandement par sa mère et se trouve être le suc­cesseur potentiel de son oncle, ceci conformément aux règles de transmission du pouvoir chez les Touaregs Ahaggar.

  1. La fille du frère de la mère d'Ego ne peut rejoindre son mari que si une paire de sandales neuves et de belle qualité est offerte à Ego, lors de l'accompagnement de la mariée en direction de l'habita­tion (tente ou maison) de son époux. Cette paire de sandales est ache­tée par le fiancé et donnée par son mandataire à Ego au moment où celui-ci arrête la mariée, épée en main, sur son parcours lors de la première nuit de la cérémonie du mariage. Ceci se passe après les accords publics sur les modalités de la dot et la cérémonie religieuse accordant les épousailles, après le diner souvent vers minuit ou une heure du matin.

Dans tout mariage cette coutume est actuellement respectée. Elle est devenue un jeu rituel durant lequel les jeunes gens s'amusent beaucoup, sans plus considérer sa signification originelle et son sens symbolique. Alors que les stratégies matrimoniales traditionnelles ont perdu de leur pertinence dans une société complètement différente, comme l'a si bien relevé de Saussure: le signifiant survit au signifié.

Nous constatons donc que dans la tradition, ce rite est parfaitement inséré dans une chaîne de relations sociales cohérentes qui tendent à rendre Ego héritier du frère de sa mère, non seulement de droit, en ce qui concerne l'accès au commandement, mais aussi héritier de la fille de celui-ci, que toute la structure du groupe social pousse à de­venir son épouse. Si elle le devient, cependant, c'est Ego qui achètera une paire de sandales pour celui des autres cousins qui peut lui aussi prétendre épouser cette femme. Le rite n'est pas perdu pour autant. S'il n'y a pas de cousin présent et si même, eux présents, on veut honorer un étranger de passage, on lui offre la paire de sandales sur décision de la mariée. Cette homme est déclaré abadah wan serho chez les Isseqqamarènes, "cousin pour l'honneur". Donc, dans tous les cas le rite persiste, on lui recrée au besoin les agents qui organisent son existence.

Le sens possible du don des sandales-com.juives saha..M. Abitbol

La chaussure et le pied ont été à travers les siècles et les civilisations les supports de différentes connotations concernant, en gros, trois domaines :

  1. la sexualité et l'érotisme,
  2. les cultes funéraires et la magie,
  • le pouvoir et le droit.

Ces domaines d'expression à propos du pied et de la chaussure ont été passablement étudiés notamment ces dernières années par un cer­tain nombre d'auteurs suivant des approches très différentes. Leurs conclusions nous éclairent singulièrement sur la relation immédiate qui est mise en valeur dans chaque cas. Des traces de pied et de pas des gravures rupestres au soulier de Cendrillon et à l'expression con­temporaine "c'est le pied", la chaîne symbolique est continue quels que soient l'époque, la civilisation ou le public concerné. Nous ne nous livrerons pas à une nouvelle analyse de cet ensemble, mais à l'examen rapide des connotations possibles de cette paire de sandales qui libère la mariée en pays touareg du Sahara central.

Si les représentations de traces de pas et de sandales sont nombreu­ses au Sahara sur les roches lisses, gravées au trait, et semblent avoir eu encore un sens à une époque récente, il ne reste rien de significatif aujourd'hui de cette adoration de la sandale ou du pied, ni dans les rites magico-religieux individuels ou collectifs, ni dans la littérature orale. La chaussure n'est pas utilisée comme symbole protecteur comme dans d'autres pays sur les animaux, les maisons ou les objets (au Yémen on suspend encore une sandale au cou de certaines vaches ou sous des véhicules). Elle n'est pas non plus un symbole sexuel dans un monde par ailleurs très riche sur le plan poétique, littéraire et dans le domaine des relations affectives hommes /femmes. Aucune référence au pied et à la chaussure ne nous est apparue dans la littérature poétique touarègue (ou arabe locale), par ailleurs très féconde.

En revanche, les connotations faisant référence au droit et au pou­voir nous apparaissent plus nettes. Lorsque le premier "mouley" s'installe dans le Hoggar à la fin du XIXème siècle entre Tin Amen- sar et Tit, au lieu-dit "Darmouli", pour y créer une zaouia, il découvre à Tit, village tout proche, que les cultivateurs adorent une trace de pas inconnu sur le sable. Il s'insurgea contre cet acte impie, mais ne dédaigna pas d'assimiler cette croyance à son autorité en assurant que sa sainteté faisait des traces profondes sur les roches lisses. Ce qu'il fit parait-il. Et des croyants nous ont montré ces traces attribuées à Mouley Abdallah qui fut très vénéré par la suite. Ici le pouvoir est religieux et l’emporte sur la croyance locale, persistance d'une "reli­gion populaire" très ancienne.

Cependant, dans le don des sandales, objet de luxe, toujours très prisé encore aujourd'hui et expressif d'une vie matérielle et culturelle traditionnelle, ce n'est pas le support lui-même qui est essentiellement mis en valeur dans cet échange. C'est le fait qu'il consacre publique­ment, après discussion sur le choix, la qualité et le bon droit de l'at­tributaire, la possibilité pour une fille de se marier avec celui qu'elle a choisi (ou que la famille a choisi pour elle avec son assentiment) (voir M. Gast et P. Jacob, 1978). Le don des sandales est si nécessaire pour valider l'entrée de la fille chez son nouvel époux, que même s'il n'y a pas de cousin habilité à solliciter les sandales, on offre celles- ci à un homme qui jouera le rôle du cousin et qu'on appelle "cousin pour l'honneur" : ababah wan serho, qui peut être un invité de pas­sage, le plus souvent un homme d'un autre lignage (coutume connue surtout chez les Kel Ulli Isseqqamarènes) qu'on veut honorer.

Communautes juives des marges sahariennes du Maghreb- Michael Abitbol

LES SANDALES DU "COUSIN CROISE" CHEZ LA MARIEE TOUAREGUE ET LA LOI RABBINIQUE

C'est reconnaître :

que la fille n'est pas libre de se marier avec quiconque sans l'ac­cord de ses époux potentiels de droit, et ce, malgré l'avis de toute sa famille, et après même la cérémonie religieuse.

que cet accord ultime a besoin de se manifester publiquement d'une façon théâtrale, hors des rites religieux islamiques, hors des discussions préparatoires au mariage et qu'il est un événement en soi, suffisamment fort pour bloquer tous les autres processus.

qu'il représente à la fois un symbole, mais, aussi un acte à carac­tère juridique déliant la fille des engagements de fait dont elle est l'objet.

qu'il est inscrit dans toute une chaîne de relations parentales, dé­finies par la structure socio-économique du groupe, lequel veille au bon fonctionnement de la règle qui, quels que soient les cas, doit pouvoir s'exprimer et être respectée.

Si l'on se tourne vers le passé de ces populations pour situer l'ori­gine possible d'une pareille coutume, on ne trouve rien d'équivalent nulle part en Afrique du Nord et au Sahara, dans l'héritage arabo-islamique ou berbère. En revanche, la similitude avec les règles judaïques est troublante. Dans la loi rabbinique la chaussure est le symbole de la propriété. Les témoignages de cette loi sont très nombreux dans l'histoire ancienne notamment dans la Bible, mais aussi dans le monde judaïque maghrébin de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. "Autrefois en Israël, pour valider une affaire quelconque rela­tive à un rachat ou un échange, l'un ôtait son soulier et le donnait à l'autre: cela servait de témoignage en Israël" (Ruth IV, 7).

 L'échange de chaussure entre Booz et celui qui avait droit de rachat du terrain ayant appartenu à Elimélee, "frère" (probablement classificatoire) de Booz, permet à celui-ci d'acquérir le terrain du défunt et d'assumer en même temps le devoir du lévir, c'est-à-dire de marier Ruth, veuve de Machlon, fils d'Elimélec. La description de cet acte, en public, sa solennité sont bien mises en valeur dans le livre de Ruth. Or, com­ment se manifeste chez les juifs anciens la libération du lévir à l'égard de son obligation morale d'épouser la veuve de son frère? C'est au cours d'une cérémonie bien connue appelée halizza (chalizza ou helizali) durant laquelle le lévir, qui veut abdiquer ses droits sur la veuve, déclare publiquement qu'il ne veut pas l'épouser. La veuve alors dénoue et ôte l'une des chaussures du lévir (chaussures à lacets appelées hciizza) qu'elle jette au loin en crachant sur lui et en di­sant … "ainsi sera fait à l'homme qui ne relève pas la maison de son frère! " (Deutéronome XXV, 5 à 10). C'est donc ici, sous une forme assez violente, solennelle, mais autorisée que se manifeste l'acte juridique qui consiste à libérer un homme d'un devoir moral qui est aussi un droit que lui donne la société. Ce désistement est même insultant pour le lévir dont on appelle par la suite la maison: "maison du déchaussé".

Il n'est pas insultant pour le cousin, chez les Touaregs, de recevoir une paire de sandales du mari de sa cousine, car l'obligation morale de s'unir à elle ne revêt pas l'esprit volontairement contraignant et dramatique de la situation du lévir qui doit "relever la maison de son frère", sauver l'honneur de la famille en quelque sorte. Les raisons qui font la volonté du groupe familial de faire se marier les ibubah ne seront pas discutées ici, de même que les rapports oncle maternel/ neveu qui sont l'objet d'une très riche littérature ethnologique. Ce qui nous intéresse c'est de constater que l'échange d'une femme passe par le don obligatoire d'une paire de chaussures à celui qui en est prétendant de droit.

Or, ce rite du déchaussement est signalé chez les juifs du Maroc a Fès par Elie Malka en 1946, et qui montre par ailleurs que beau­coup de pratiques magico-religieuses sont communes aux israélites et aux musulmans

Les origines possibles de ce rite Nous savons que les Touaregs du Hoggar, tout au moins les suzerains, se disent descendants d'une femme qu'ils appellent Tine Hinane et qui viendrait du Tafilalet. Le tombeau de Tine Hinane a été fouillé et a révélé en effet qu'une femme de haut rang couverte de bijoux d'or et d'argent, avait été inhumée sur un lit de bois et de cuir avec différents objets qu'on date de 470 après J.C. Mais à part cette lé­gende et les rezzous audacieux que les Kel Ahaggar pratiquaient encore au début du siècle en direction de l'atlas marocain, on ne con­naît pas de liaison culturelle précise de cette population avec les Berbères ou les juifs marocains (si ce ne sont les voyages transsaha­riens de ceux-ci dans les échanges commerciaux).

Notons cependant que A.G.P. Martin signale une nouvelle immi­gration juive au Touat-Gourara et la fondation de la synagogue de Tamentit en 517. Cette immigration faisait suite à celles qui ont suivi la répression romaine ordonnée par Trajan en Cyrénaïque en 118 après J.C., et qui traversèrent tout le Sahara (voir A. Chouraqui 1952, p. 23). Sans vouloir nous étendre sur l'histoire du Gourara et du Touat nous relevons que ces régions familières aux populations du Hoggar et qui leur ont fourni constamment des éléments de leurs ethnies, ont été très longtemps judaïsées et ont gardé encore aujour­d'hui des traces significatives de la religion juive (voir P. L. Cambuzat 1973). Ainsi le village de Tinekram dans le Taghousi, au sud-est de Charouine est reconnu comme celui d'une population ancienne­ment judaïsée, ayant embrassé ensuite l'Islam. On nous a signalé un autre village où les habitants n'allument pas de feu le samedi. P. Augier publie dans son disque Algeria (Sahara) (Collection UNESCO C 064-180 79) un chant d,ahelil appelé salamo en langue zénète, à la gloire d'un rédempteur, que tout le monde évoque sans en connaître aujourd'hui l'histoire et qui est très certainement le roi Salomon. Ces petits détails pourraient s'ajouter probablement à beaucoup d'autres le jour où l'on aura suffisamment étudié ces populations et leur culture propre. Des analyses comparatives seront alors possibles. Peut- ëtre permettront-elles de constater combien ont été longues et com­plexes les élaborations socio-culturelles, politiques, des populations découvertes à l'époque coloniale et qu'on avait cru un peu naïvement, figées.

En guise de conclusion

 Les populations du Sahara central qui ont maîtrisé l'espace saharien durant des siècles grâce à leur organisation sociale, politique, à leurs moyens techniques aussi, doivent leur réussite à leur volonté de do­miner et à leur courage certes, mais aussi à leur faculté d'assimiler toutes sortes d'éléments culturels et techniques, toutes sortes de mo­yens d'origines diverses qui servaient leur survie. Des voiles de tête qui venaient de Gao ou de Gabès, des tuniques de Kano, Sokoto, des epées qui étaient fabriquées à Solingen ou à Tolède, des selles et des nails d'Agadez, du mil qu'ils allaient chercher au Damergou, au sud de Zinder, des récipients de cuivre qui venaient du Maroc ou de Libye, du thé qui venait de Chine: leur culture matérielle s'approvisionnait à des milliers de kilomètres à la ronde. Rien d'étonnant à ce que cet éclectisme soit aussi culturel et que le don des sandales soit l'expres­sion d'un symbole juridique d'origine hébraïque ancien, que des popu­lations zénètes judaïsées puis islamisées, mêlées aux Sanhadja pour devenir les Touaregs actuels, aient conservé ce rite qui confortait leurs structures de parenté qui les défendaient si bien contre tout accapare­ment étranger. Quant à savoir pourquoi ces populations restent seules parmi les Berbères maghrébins et parmi l'ensemble des Touaregs actuels à pratiquer ce rite, c'est une question plus difficile à résoudre, à laquelle il n'est pas sûr que quiconque puisse un jour y répondre.

Pessah shinar REFLEXIONS SUR LA SYMBIOSE JUDEO-IBADITE EN AFRIQUE DU NORD

Pessah shinar

REFLEXIONS SUR LA SYMBIOSE JUDEO-IBADITE EN AFRIQUE DU NORD

Le thème sur lequel je voudrais vous livrer quelques réflexions con­cerne les relations de coexistence entre les deux diasporas ibàdite- berbère et juive d'Afrique du Nord. Ce thème semble présenter un intérêt particulier puisqu'il traite de deux groupements humains ayant en commun un nombre assez considérable de traits caractéristiques : tous deux sont, d'abord, des minorités ethniques et religieuses, géné­ralement méprisées et parfois brimées par la majorité sunnite mâlikite et notamment par les confréries sufies; repliées sur elle-mêmes, ces ceux diasporas gardèrent jalousement leurs lois et traditions, convain­cues qu'elles étaient de leur élection divine et de leur supériorité spi­rituelle; vivant avec le souvenir d'une gloire passée, elles allièrent à leur conservatisme foncier une capacité d'adaptation remarquable in partibus injidelium. Enclins à la vie urbaine et sédentaire, Ibàdites et Juifs se distinguaient par leur grande mobilité; intelligents et laborieux, économes et prévoyants, ils pouvaient, grâce à leur éducation et à leurs aptitudes commerciales, maîtriser suffisamment les techniques capitalistes modernes pour engager leurs biens dans une économie haute­ment compétitive.

L'ibadisme (arabe : al-ibaḍīya –  لاباضية

est l'école la plus ancienne en islam, elle a été fondée moins de 50 ans après la mort du prophète Mahomet.

L’ibadisme a été chassé par d'autres courants musulmans pour ses pensées politiques : selon les ibadites, le commandeur des croyants ne doit pas être nécessairement de la lignée de Mahomet, ni d'une certaine race ou couleur.

Le nom de l'école dérive du nom : Abdullah ibn-Ibad at-Tamimi. Cependant, les disciples de cette école revendiquent que Jabir ibn Zaid al-Azdi, originaire d'Oman, était leur vrai fondateur. Il fut parmi les meilleurs élèves d'Aïcha, la femme du prophète et d'Abdullah Ibn Abbas, le cousin du prophète (et l'un des grands connaisseurs des principes islamiques après lui). L’école ibadite représente la vue islamique de la vie : principes, travail, égalité… Les ibadites, pendant toute leur histoire, ont développé les sciences islamiques et celles de la langue arabe. L'ibadisme est le courant dominant du sultanat d'Oman, de la région du M'zab en Algérie mais aussi dans l'ile de Djerba en Tunisie, à Zanzibar et en Libye dans le Djebel Nafusa.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ibadisme

Mais il n'y a pas que des ressemblances entre les deux groupes. L'ibâdisme, on le sait, forme une branche relativement modérée de la secte la plus radicalement égalitaire, rigoriste, et fondamentaliste de l'Islam primitif, le Khâridjisme.3 Comment donc, peut-on se de­mander — ces deux exclusivismes firent-ils "ménage ensemble"? Quelle fut l'attitude des Ibâdites à l'égard de leurs Juifs? Dans quels domaines se déroula leur collaboration et quels avantages en tirèrent- ils mutuellement? Quelles furent, enfin, les influences culturelles réci­proques entre les deux groupes?

Ces mêmes questions se posent, bien entendu, pour chacune des trois composantes de la diaspora ibàdite nord-africaine, à savoir le Djebel Nafusa" l'ile de Djerba et la heptapole mzabite. Mais, dans le cadre de cette communication, nous avons opté pour le Mzab (et plus spécialement pour sa capitale Ghardaïa), où plus que partout ailleurs l'Ibâdisme a donné la pleine mesure de son originalité et de son génie créateur. Dans cette région isolée s'est conservée jusqu'à nos jours une communauté juive bien vivante qui, moins bien connue que celle de Djerba, est restée à l'abri des influences extérieures, sus­ceptibles de fausser la dynamique de ses relations avec ses voisins, Ibâdites et "agrégés" Mâlikites.

Communautes juives des marges sahariennes M. Abitbol

Communautes juives sahariennes 001

Il convient d'abord de remarquer qu'une coexistence pacifique entre Juifs et Ibâdites ne devrait nous étonner outre mesure, compte tenu de l'ancienneté de la présence juive en milieu berbère, de l'exis­tence de tribus dites judaïsantes à l'époque de la conquête musul­mane, du système de protection personnelle accordée aux Juifs par les seigneurs berbères, du respect des Berbères pour les sanctuaires et les cimetières juifs ainsi que des traditions orales rattachant les Berbères à des généalogies bibliques et à la Palestine.

L'ibadisme (arabe : al-ibaḍīya الاباضية) est l'école la plus ancienne en islam, elle a été fondée moins de 50 ans après la mort du prophète Mahomet.

L’ibadisme a été chassé par d'autres courants musulmans pour ses pensées politiques : selon les ibadites, le commandeur des croyants ne doit pas être nécessairement de la lignée de Mahomet, ni d'une certaine race ou couleur. 

En outre, a la différence du Chi'isme, l'imâmite surtout, où la haine du sunnite va de pair avec une profonde aversion envers les dhimmis, les Khàridjites, en général, ont fait preuve par contre d'un esprit de conciliation à l'égard des premiers, pourtant considérés com­me des polythéistes, mushrikûn. Certains Khàridjites vont même jusqu'à offrir aux dhimmis l'égalité absolue avec les Croyants, s'iis prononcent cette formule modifiée de la shahâda "Muhammad est l'Apôtre de Dieu aux Arabes mais pas le nôtre".

 Une ancienne aqïda (résumé de doctrine) ibàdite, suivie à Djerba et au Mzab, fixe d'autre part un taux préférentiel de l'impôt de capitation, djizya, pour le Juif par rapport au Chrétien, imposant à ce dernier 2 dirham de plus, wa-yazdâdu 'ala'l-rtasrârû dirhamâni. Elle permet égale­ment aux Croyants de consommer la chair des bêtes égorgées par les Juifs et d'épouser des femmes juives de condition libre. Ces con­cessions en faveur des Tributaires sont aussi admises par les Mâlikites puisqu'elles figurent dans le Coran (V. 5), mais elles ont souvent été considérées comme des actes blâmables.

Aussi trouvons-nous toute une série de communautés juives floris­santes en Berbèrie khàridjite du Moyen Age. Pour ne citer que les principales, commençons par Sidjilmâsa, grand port caravanied du Sa­hara occidental, gouvernée par une dynastie d'obédience khàridjite- sufrite et habitée par les Juifs depuis sa fondation en 757; Tàhert, capitale de l'imamat rostemide et ville natale du grammairien hébreu Judah ibn Quraysh, foyer ardent d'études et de discussions théologi­ques et scientifiques. Ouargla (Warjlân), plaque tournante du com­merce transsaharien oriental et refuge d'une communauté juive de tendance qaraïte. A noter qu'entre le Khâridjisme et le Qaraïsme il y a d'importantes affinités doctrinales dues à une même source d'inspi­ration — le mu'tazilisme.

D'après le chroniqueur ibâdite Abu Zakariya, la population ibàdite de Ouargla, assiégée par une troupe fâtimide, fut sauvée par la ruse d'un Juif de l'endroit; citons enfin Djâdû, ancienne capitale du Dj. Nafusa oriental et qui d'après al-Bakrî (Xle s.) fut une grande ville marchande à forte population juive, entretenant d'intenses relations commerciales avec le Fezzan et le Kanem. D'une anecdote rapportée par le chroniqueur ibàdite al

Shammâkhi (VI/XII s.) concernant  les rapports entre un commerçant juif et l'imâm et gouverneur du Djebel, Yahyà al-Irdjànï, on peut inférer que les Juifs de Djâdû vivaient en bons termes avec leurs voisins ibâdites. Les vestiges du quartier juif et du cimetière juif de cette localité ont été visités et décrits par N. SLouschzet par le rabbin Mordecaï Hacohen en 1906.

On peut donc avancer que toute la région comprise entre Sidjilmâsa et le Souf, abritait un grand ensemble judéo-ibâdite dont le réseau routier a été retracé en détail par T. Lewicki.

L'exemple le plus récent de cette entente judéo-ibàdite dans le Djebel tripolitain fut donné lors de l'insurrection des berbères nafusis contre les Turcs (1837-1855). Le chef de la révolte, connu sous le nom de Ghoma et dont le rôle rappelle celui de son illustre contemporain algérien, 1' émir 'Abd al-Qàdir, s'entoura de conseillers et d'auxiliaires juifs et alla même jusqu'à libérer les Juifs de la région du port du tur­ban  noir.

Pessah shinar REFLEXIONS SUR LA SYMBIOSE JUDEO-IBADITE EN AFRIQUE DU NORD

Selon une tradition ibàdite, les premières familles juives furent ame­nées à Ghardaïa sur une invitation des Mzabites, par un ibàdite de Djerba, 'Ammï Sa'ïd aux Xllecommunautes-juives siècle. D'après la tradition juive, les premiers Juifs seraient venus du Caire, sous la conduite du rabbin Daoud Sellam, bien avant l'époque de 'Ammï Sa'ïd, qui, selon cette version, ne serait arrivé au Mzab qu'au début du XVIIe. Quoi qu'il soit, la présence des Juifs au Mzab est attestée par des responsa datant de la seconde moitié du XVIIe s. Nombre de Juifs du Mzab reven­diquent, par ailleurs, une origine espagnole antérieure à leur passage au Maroc (Fès, Figuig). Certains reconnaissent Mouchi Sebano d'Alger comme ancêtre éponyme; d'autres se disent originaires de l'Oued Righ et de Tripolitaine et d'autres, enfin, se disent descen­dants des réfugiés du Touat, venus après la catastrophe qui mit fin aux communautés prospères de cette région vers la fin du XVe s. La forrmule prononcée par certains Juifs à l'issue de la veillée pascale "l'An prochain à Tamentit," semble en effet confirmer une prove­nance touatienne. Ce caractère hétéroclite de la démographie juive de Ghardaïa s'accorde mal avec les conclusions de l'anthropologue C.L. Briggs qui indiquent une grande homogénéité de type (surtout un indice cephalique extrêmement bas et un aspect tout à fait "non-juif"), qu'il explique par une endogamie outrée.

Les raisons qui amenèrent les Mzabites à accueillir les Juifs étaient sans doute d'ordre matériel : ils avaient besoin d'artisans qualifiés pour les métiers considérés comme vils (par exemple la tannerie) ou in­compatibles avec leur puritanisme (par ex. l'orfèvrerie dont ils avaient besoin pour leurs femmes) ou encore, exigeant la manipulation du fer.

  • En Islam classique, le tanneur, le ventouseur et le tisserand forment une trilogie encourant le mépris social. Cf. R. Brunschvig, 'Métiers vils en Islam', in Studia Isl. 16 (1962), 46sq. D'après l'école mâlikite, ces artisans ne sont même pas capables de témoigner,, p. 58.
  • Cette attitude à l'égard de la manipulation des métaux précieux n'est pas particulière aux Ibâdites mais caractérise également l'Islam sunnite, sur­tout mâlikite et hanbalite. D'après les grands mystiques Abu Tâlib al- Makkï et al-Ghazzâli, l'orfèvrerie embellit faussement ce bas-monde (ibid). En conséquence, cette industrie se trouve traditionnellement monopolisée par les dhimmis, notamment les Juifs. Cf. R. Le Tourncau, Fès avant le Protectorat (Casablanca 1949), pp. 350-3!. Quant aux parures des fem­mes mzabites, la loi ibâdit'e limite sévèrement leur emploi mais stipule néanmoins que le fiancé doit offrir à la jeune femme, en sus de la dot, un nombre fixe de bijoux: 5 paires de bracelets, 3 paires de boucles d'o­reilles en or, 3 agrafes d'or, 1 paire de fibules en argent, 1 paire de bra­celets de cheville en argent. A.-M. Goichon, La Vie féminine au Mzab (Paris 1927), I, p. 75.

En 1879 A. Coyne signalait que les Juifs étaient tous bijoutiers, armuriers, tanneurs, ou cordonniers. Huguet y ajouta les métiers de teinturier et de cardeur de laine. Si l'on compare cette liste avec les professions recensées en 1960, on constate qu'en dehors de la bijouterie, les Juifs n'avaient plus le monopole sur aucune autre pro­fession et qu'il n'y avait plus aucun juif parmi les forgerons, tanneurs, ma­çons, plâtreurs, tisserands, coiffeurs, peintres, cordonniers et brodeurs. En revanche ils tenaient 39 magasins (contre 337 tenus par les Mozabites). Briggs mentionne quelques tailleurs, menuisiers, transporteurs, percepteurs d'impôts et des employés comptables parmi les Juifs. Il y avait aussi des ferblantiers ainsi que des accoucheuses (qâblât) juives, mais la clientèle de ces dernières se recrutait parmi les Juives et les Arabes, les Mzabites s'abstenant d’employer des sage-femmes professionnelles.

الإباضية أحد المذاهب الإسلامية، سمي بهذا الاسم نسبة إلى عبد الله بن إباض التميمي، بينما ينسب المذهب إلى جابر بن زيد التابعي، الذي كان من تلامذة السيدة عائشة و ابن عباس وتنتشر الإباضية في سلطنة عُمان حيث يمثلون حسب بعض الإحصائيات ما يقارب 70% [3] من العُمانيين وينتشر أيضا في جبل نفوسة وفي زوارة في ليبيا ووادي مزاب في الجزائر وجربة في تونس وبعض المناطق في شمال أفريقيا وزنجبار.

Comnunautes juives des marges sahariennes..M. Abitbol

communautes-juives

C'est dire qu'ils avaient perdu leur ancien rôle dans l'économie mzabite. En outre, certains "services" juifs étaient de tout temps condamnés par les Mzabites: débits de boissons alcoolisées et magie notamment. Quant à l'usure, elle était pratiquée aussi bien par les Juifs que les Mzabites suivant toutefois des méthodes différentes. Le Dr Amat, écrivant en 1888 en fait la description suivante:

 le Mzabite est le banquier de tous les nomades du Sahara central. Il leur avance l'argent, avec lequel ils achètent des marchandises, le Mzabite leur en reprend une partie pour se faire rembourser et leur achete le reste en produits d'une autre espèce. L'Arabe imprévoyant devenu débiteur, le Mzabite ne lui retire pas sa confiance et continue ses avances acceptant en garantie sa récolte de dattes et ses troupeaux et profitant de sa situation de créancier pour obtenir de meilleures . conditions dans les transactions qu'ils font ensemble. C'est ainsi qu'il fructifier ses capitaux dans les mains des nomades qu'il continue de tenir sous sa dépendance. Le Juif par contre — affirme notre au­teur—"dès qu'il tient l'Arabe pour quelques dettes, il le pousse le plus rapidement possible à la ruine et tue ainsi sa poule aux œufs d'or croyant la basse-cour inépuisable." Il explique ces différents procédés par le fait que les Mzabites, non belliqueux et se sachant vulnérables vis-à-vis des nomades, craignaient de les ruiner et d'en faire des enne­mis, tandis que les Juifs étaient "protégés et cuirassés par nos lois vis- à-vis de l'indigène à peu près sans défense."

Douze ans plus tard nous entendons un autre son de׳ cloche: les Juifs, qui il y a 25 ans encore prêtaient à des intérêts exorbitants dans tous les marchés, ont été complètement supplantés par des concurrents mzabites et kabyles; d'où le rapide enrichissement de certains négo­ciants de Ghardaïa, Guerrara, Beni Isguen et ailleurs. Après la Grande Guerre, on nous parle de nouveau de l'usurier juif, surtout dans le Constantinois et dans le Sud-algérien : "Dans les Territoires du Sud", — nous dit l'auteur d'une thèse sur l'usure en Algérie — "l'élément usurier prépondérant est constitué par les Israélites. Les avances en numéraire qu'ils consentent à des riches propriétaires des palmeraies se terminent toujours par la conclusion d'une antichrèse et surtout d'une vente à réméré".

Tous les auteurs traitant des Juifs du Mzab sont unanimes à brosser un tableau assez sombre de leur ancienne condition. Subissant les rigueurs excessives du statut humiliant du dhimmi, ils furent relégués dans un quartier isolé, avec interdiction formelle d'en dépasser les limites. Un emplacement spécial leur était réservé dans le marché et ils ne pouvaient puiser leur eau que d'un puits bien déterminé. Hors du mellâh, ils étaient obligés de marcher pieds nus. Il leur était dé­fendu de monter à dos d'âne ni de porter le haïk blanc: turban noir et papillotes, sawâlef, étaient leurs traits distinctifs. Jusqu'à l'arrivée des Français il leur était interdit de posséder des terres cultivables et même de pratiquer le commerce. Les femmes juives ne pouvaient en outre quitter le Mzab :

Par ce moyen, les Mzabites comme les seigneurs berbères de l'Atlas, empêchaient leurs Juifs de se soustraire à leur emprise. Ils pouvaient, par ailleurs, justifier cette mesure par le fait que leurs propres femmes étaient frappées du même interdit. La rigueur de cette règle s'atténua après l'annexion du Mzab mais elle fut maintenue, à l'égard des Juif, jusqu'à la première Guerre mondiale.

La symbiose judeo-ibadite-Pessah Shinar

communautes-juives

Egalement vexatoire mais non moins conforme aux règles de la Dhimma, était l'interdiction faite aux Juifs de ne construire qu'une seule synagogue. En 1872, à la suite de dissensions au sein de la com­munauté, un nommé Lalou ben Daoud construisit une nouvelle syna­gogue. Peu après, par décision de la Djemà'a des Laïcs, cet édifice fut démoli et la caisse communautaire pillée. Après l'annexion du Mzab, les Mzabites ont quelque peu adouci leur attitude : la synagogue principale a pu être agrandie et reconstruite (en 1887) et deux petits ora­toires ont été ouverts en 1890 et 1892.

L'ibadisme (arabe : الاباضية al-ibaḍīya) est l'école la plus ancienne en islam, elle a été fondée moins de 50 ans après la mort du prophète Mahomet.

L’ibadisme a été chassé par d'autres courants musulmans pour ses pensées politiques : selon les ibadites, le commandeur des croyants ne doit pas être nécessairement de la lignée de Mahomet, ni d'une certaine race ou couleur.

Le nom de l'école dérive du nom : Abdullah ibn-Ibad at-Tamimi. Cependant, les disciples de cette école revendiquent que Jabir ibn Zaid al-Azdi, originaire d'Oman, était leur vrai fondateur. Il fut parmi les meilleurs élèves d'Aïcha, la femme du prophète et d'Abdullah Ibn Abbas, le cousin du prophète (et l'un des grands connaisseurs des principes islamiques après lui). L’école ibadite représente la vue islamique de la vie : principes, travail, égalité… Les ibadites, pendant toute leur histoire, ont développé les études islamiques et celles de la langue arabe. L'ibadisme est le courant dominant du sultanat d'Oman, dans la région du Mzab en Algérie  avec le Kharidjisme (dont est issu l'ibadisme), mais aussi dans l'ile de Djerba en Tunisie, à Zanzibar et en Libye, dans le Djebel Nefoussa.

III

Afin d'apprécier à sa juste valeur le comportement des Ibâdites en­vers la minorité juive, il convient de le comparer avec leur attitude envers un autre élément sectaire, les Arabes màlikites Beni Merzoug et Médabih. Ces anciens nomades ayant dû fuir leur tribus d'origine pour diverses raisons, s'installèrent entre le Xlle et le XVI siècle au­tour de la ville de Ghardaïa. Les Mzabites avaient besoin d'eux pour tenir en échec les Chaamba, mais connaissant leur turbulent caractère, ils s'efforcèrent de les tenir hors de la ville. Les Arabes surent se ren­dre indispensables en tant que mercenaires à la solde des "partis" qui divisaient Ghardaïa, comme du reste les autres qsûr de la bordure saharienne, et de la sorte, ils réussirent à acquérir des immeubles à l'intérieur de la ville où ils construisirent leur mosquée. En 1869, celle- ci fut détruite sur l'ordre de la djemà'a mzabite qui autorisa les Arabes à faire leurs prières à la mosquée ibâdite. Les Béni Merzoug se sou­mirent à ces conditions et acceptèrent de faire partie intégrante des fractions mzabites sans toutefois embrasser leur foi. Les Médabih, par contre, formant un groupe plus nombreux et plus compact, refusèrent d'être absorbés et constituèrent un foyer permanent de désordre. A l'arrivée des Français en 1882, ils ne possédaient qu'un petit local comme maison de prière. Profitant de la présence française ils agran­dirent immédiatement ce local et demandèrent en 1893 l'autorisation de la transformer en mosquée, et de procéder, comme il se doit, à l'appel à la prière, l'adhàn. La djemâ'a ibâdite, consultée, opposa un net refus. L'affaire rebondit en 1902 lorsque les B. Merzoug, qui avaient eux aussi agrandi leur local, se mirent à faire l'appel à la prière, et encore en 1930, parce qu'un iraàm màliMte fit cet appel clans la rue, déclenchant de ce fait une violente campagne de presse et engageant les bureaux d'Alger.

Jalousement attachés à leurs principes, les Ibàdites du Mzab refu­sèrent ainsi à leurs coreligionnaires orthodoxes ce qu'ils avaient con­senti aux Juifs "polythéistes." Il est vrai qu'une mosquée mâlikite avec appel à la prière risquait de compromettre davantage le caractère unitaire et dominant de l'Ibàdisme au Mzab qu'une simple maison de prière dans le mellâh, mais les Ibàdites savaient for bien qu'ils avaient affaire à un groupe autrement plus nombreux (18,000 Màlikites contre 40,000 Ibàdites en 1960) que les Juifs, qui appartenait de surcroît à la population majoritaire du pays et jouait un rôle de plus en plus important dans l'économie du Mzab. En outre, les Ibàdites étaient bien conscients qu'en contrariant ce groupe sur un point primordial du culte musulman ils risquaient fort de s'attirer la colère de l'opinion algérienne à un moment où celle-ci commençait à être travaillée par des courants nationalistes arabes. Lors des sanglants événements de Constantine (Août 1934) qui mirent aux prises Juifs et Màlikites, certains journaux musulmans ne se privèrent pas de montrer les négo­ciants mzabites comme les seuls bénéficiaires du tragique conflit, leur concurrents Juifs étant momentanément éliminés à la suite du boycott musulman; telles des "sangsues (dûdat 'imtisâs)", écrit le journal al-Umma, "ils se gorgent du sang de l'indigène puis rentrent dans leur patrie (le Mzab—p.s.) laissant ce dernier les poches vides". Ce faisant, ils servent les intérêts des Juifs frauduleux dont le seul but serait de semer la discorde entre les Musulmans.

Dépassant le cadre religieux, l'attitude l'Ibàdite à l'égard de son voisin arabe était foncièrement négative. Elle s'exprime dans sa légis­lation qui permet à la jeune fille mzabite de refuser le mari qu'on lui imposait si il était "bédouin ou assassin." Cette attitude se serait même accentuée à la suite de l'introduction de la réforme religieuse, vers la fin du XIXe siècle: "Autrefois," écrit Mlle Goichon, "on parlait beaucoup plus l'arabe et il y avait souvent des mariages entre Arabes et Mozabites. Maintenant, au contraire, ils sont très rares et mal vus. 'Une femme qui a du coeur ne se marie pas avec un Arab' ". A la lumière de cette attitude essentiellement négative des Ibàdites envers leurs 'agrégés' arabes mâlikites, il convient de nous interroger sur les relations entre ces derniers et les Juifs. Nous avons vu que dans le Tell, leurs relations, correctes et pacifiques jusqu'aux années trente, subirent une rude épreuve à un moment donné. Dans le Mzab elles semblent avoir été assez ambivalentes. D'une part, les Mâlikites, autant que les Ibàdites, évitaient de se rapprocher du mellâh et, en guise de brimade, profanaient fréquemment les pierres tombales por­tant des inscriptions juives, car ils savaient — affirme le Dr. Huguet — que la religion interdisait aux Juifs de toucher aux sépultures, une fois terminées. D'autre part, ils ne répugnaient pas à rendre certains ser­vices aux habitants du mellâh: vidange des lieux d'aisance, garde des chèvres, travaux de maçonnerie etc. … Les Juifs partageaient avec l'Ibâdite la méfiance et le mépris du nomade arabe et considéraient  l'influence' magique du Musulman arabe comme particulièrement maléfique et dangereuse. A l'approche de l'indépendance algérienne, les Arabes du Mzab, enivrés de leur nouvelle puissance, adoptèrent une attitude de plus en plus menaçante à l'égard des Juifs, ce qui poussa ces derniers à chercher leur salut dans l'exode de 1962, En résumé, le Mzab nous présente un système relationnel triangulaire, où les rapports entre les groupes — et surtout entre Musulmans d'une part et Juifs de l'autre — se situent exclusivement sur le plan des services et des échanges économiques. Cet ostracisme social semble bien répondre à un désir mutuel mais le facteur déterminant y était sans doute la volonté de la majorité ibàdite׳ de sauvegarder la pureté de sa foi et l'intégralité de ses institutions et de son mode de vie.

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