Meknes-Portrait d'une communaute juive marocaine- Joseph Toledano

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LE TROUBLE DES ESPRITS

Malgré cette convalescence des premières années du règne de ce souverain juste, le trouble et le désarroi jetés dans les esprits par le cataclysme de l'épi­sode de Moulay Yazid, persistaient, renforçant encore plus la tendance aux superstitions et aux croyances au surnaturel d'une communauté désormais coupée du reste du monde. Un manuscrit anonyme retrouvé par rabbi Yossef Messas, illustre la déroutante interprétation donnée aux échos des évé­nements qui ébranlaient l'Europe à la même époque, suite au séisme de la Révolution Française :

" Dans les années 1798 -99, nous avons attendu la lumière et elle n'est point apparue et nous nous sommes presque dit – qu'à Dieu ne plaise – qu'il n'y a plus pour nous d'espoir. En effet, dans une longue missive que nous avait adressé un rabbin de France, il relatait que dix ans plus tôt avait été découvert! à Paris une grande pierre sur laquelle était gravée une série de prophéties. A savoir qu'en 1789, éclaterait une guerre entre trois royaumes : la Turquie, la Russie et Rome. En 1790, éclaterait un nouveau conflit entre la France, Rome et l'Afrique; en 1791, mourrait le pape; en 1792 et 1793 la guerre s'étendrait a monde entier. En 1794, surviendraient un tremblement de terre et une éclipse. En 1795, ces trois pays seraient en feu et l'eau s'y transformerait en sang. En 1797, surgiraient Gog et Magog et en 1798 et 1799, l'Eternel réunirait les exil de son peuple et les Nations reconnaîtraient Sa royauté. Et pendant toutes ces années, nous avons eu effectivement des échos des guerres et des troubles qui avaient éclaté dans ces pays et nous y avons vu le début de la réalisâtion de ces prophéties et nous attendions qu'arrivent les deux dernières années, celles de la délivrance. Mais par nos péchés, ne se sont réalisées à la place que la famine, l'épidémie, l'insécurité, la coupure des routes et les guerres entre nos méchants voisins philistins (berbères). Puisse Dieu nous envoyer bientôt notre Messie…."

Ce trouble des esprits était loin d'être limité à Meknès; il s'avère en effet que ce "rabbin de France" n'était en fait qu'un rabbin d'origine marocaine (on l'ignorait à Meknès) du nom de rabbi Haïm Bibas de Salé qui avait envoyé cette lettre à son ami rabbi Abraham Coriat de Mogador.

 

LE TEMPS DES MELLAHS

Le retour à la traditionnelle tolérance envers les dhimmis totalement bannie sous le règne précédent, s'accompagnait toutefois chez ce conservateur, influence par les idées wahhabites venues d'Arabie, de la farouche volonté de protéger son peuple de toute influence étrangère, avant tout chré­tienne, mais également juive. D'où la décision de mettre fin dans tout le pays à la cohabitation dans les mêmes quartiers des Juifs et des musulmans et de généraliser le cantonnement des Juifs dans les mellahs. Alors que jusque là c'est seulement dans les capitales successives, Fès,Marrakech et Meknès qu'obligation était faite aux Juifs d'habiter dans un quartier séparé, le mellah devint la règle du Maroc de la période classique.

Non sans drames, des quartiers séparés sont édi­fiés à Rabat, Salé, Tétouan, Mogador; Mazagan. Y échapperont toujours seulement Safi et Tanger.

Ayant déjà son mellah depuis un siècle et demi,Meknès ne fut pas touchée par cette mesure, mais subit une épreuve relevant du même esprit en re­mettant d'actualité une règle tombée en désuétude, interdisant la construction de nouvelles synago­gues, comme le rapportent les Chroniques de Fès :

" En l' an 5571, mercredi 20 Sivan (juin 1811), une mauvaise nouvelle parvint de Meknès. Trois syna­gogues et quatre Rouleaux de la Loi, ainsi que plu­sieurs livres saints d'une valeur de plus de quatre mille onces, y ont été brûlés. En outre, plusieurs groupes de maisons furent pillées et consumées par le feu qui s'était propagé de l'incendie des syna­gogues. Toute la ville fut en émoi et tout le monde passa la nuit dans la rue. En effet, le gouverneur de la ville avait, par ordre du sultan, fait mettre le feu aux synagogues construites dans l'année, et mettant cette occasion à profit, plusieurs centaines de Gentils avaient pénétré dans le quartier juif, ce qui aggrava encore le malheur. Ce même soir; il y eut un violent orage accompagné d'averses. Le jeudi, aucun bétail ne fut abattu pour le shabbat et toute la population dut se contenter de poissons et d'autres aliments pendant les sept jours suivants. Bouleversés par cette nouvelle, nous voulûmes organiser un grand office de deuil, mais comme nous nous rendions compte qu'il y avait parmi nous beaucoup de gens sans aveu et de délateurs, nous ne donnâmes pas suite à ce projet.. .La responsabili­té en incombe à des dénonciateurs juifs qui ont rapporté aux autorités que des synagogues nouvelles avaient été construites. Or selon leurs lois, nous n'avons pas le droit de les en informer, et si on le fait, ils les démolissent."

C'est de même pour une raison strictement religieuse qu'il devait par exemple partiellement lever l'obligation pour les Juifs de marcher pieds nus en passant devant une mosquée; mais uniquement pour leurs femmes – la vue indécente de leurs énormes mollets risquant de troubler la dévotion des musulmans… Par mesure de prudence, le sultan interdit en 1812 aux marchands forains juifs de se rendre comme à leur habitude dans les campagnes, car la sécurité était loin d'être partout revenue sur les routes, à quoi devait s'ajouter une épidé­mie et la réapparition de la famine suite à des années de sécheresse au point que dans l'introduction à son livre Pé Yécharim, rabbi Habib Tolédano écrivait " qu'à partir de l'an 1816 les Juifs du Maroc n'ont plus vu la lumière et sont passés de malheur en malheur; maladie, guerre et famine.."

 

IMMUNITE FISCALE DES LETTRES

Effectivement, pour l'heure la communauté de Meknès, n'arrivait pas encore à panser les plaies de la tornade de Moulay Yazid. Il fallait que la situation économique soit bien précaire, sinon désespérée, pour que les notables aient osé penser à violer le tabou de l'exemption d'impôts des rabbins et talmidé hakhamim " dont l'étude de la Torah est l'occupation habituelle".

En contrepartie de la protection de leurs vies et de leurs biens dans la cité de l'islam, les dhimmis doivent, aux termes du Pacte d'Omar qui régit leur condi­tion, acquitter annuellement l'impôt de soumission dit djizzya. Bien que l'im­pôt soit individuel, per capita, par tête, il était en fait versé collectivement par la communauté qui en fixait l'assiette entre ses membres et se chargeait de la perception. Traditionnellement les talmidé hakhamim en étaient exemptés. Or en cette année 1800, les notables leur avaient demandé de supporter leur part du fardeau commun des taxes et impôts. En réaction, les rabbins menacèrent de mesures extrêmes si l'édit était appliqué :

" Notre Seigneur le sultan, Dieu élève sa gloire, a fixé pour cette année l'impôt de la djizzya au montant élevé de quatre mille meqtal. Les notables de notre com­munauté en ont fixé l'assiette, soit 10 reals pour le plus riche et ainsi de suite. Or, à la fin de la collecte, est apparu un manque considérable qu'ils veulent couvrir en demandant la participation au fardeau des talmidé hakhamim.

A cela nous disons sans équivoque non. Nous avons hérité de nos maîtres, que leur mémoire soit bénie, de la première génération des Expulsés de Cas­tille; le principe de l'exemption des talmidé hakhamim de tous impôts et taxes. Aussi bien les impôts dus collectivement par la communauté, que ceux pré­levés à titre individuel – qu'ils soient fixes ou occasionnels. Enfreindre cet usage équivaudrait à violer la Loi et à commettre un péché. En conséquence, nous les juges du tribunal et d'autres personnalités de notre sainte commu­nauté, avons décidé d'un commun accord irrévocable, qu'au cas où était por­tée atteinte à cette immunité, nous cesserions de prier avec le public dans les mêmes synagogues, pour nous regrouper dans une seule synagogue; nous ne procéderions plus à l'abattage rituel des bêtes et de la volaille; nous refuse­rions de célébrer les circoncisions; de continuer à assurer l'enseignement du rituel aux enfants; de prendre part à leurs banquets, de rédiger des actes juri­diques, de rendre des jugements au tribunal et d'effectuer toute transaction. Signataires Rabbins Raphaël Berdugo, Pétahya Berdugo, Baroukh Tolédano, Ahraon Bensimhon, Shmouél Ben Malka, David Elbaz, Shélomo Tolédano, Yossef Hacohen, Habib Tolédano :

On n'alla pas heureusement jusqu'à cette extrémité, les rabbins l’emportant en fin de compte préservant leur immunité fiscale jusqu'à la fin du Vieux Maroc.

Dans le même domaine de la fiscalité, une taqana de 1807 signée par les rab­bins Raphaël et Mimoun Berdugo, Shémouel Benwaïch et Baroukh Tolédano, visait à interdire aux emprunteurs de faire cadeau à leurs proches de leurs biens hypothéqués pour échapper au paiement des contributions commu­nautaires et des dettes à leurs créanciers.

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