David Corcos Reflexions sur l'onomastique Judeo-Nord-Africaine-Jerusalem 1976- Iflah Semana- Masnot- Pounin

Iflah (יפלח) est peut-être un vieux nom d’homme judéo-arabe berbérisé: Aflah=Iflah. D’après la tradition musulmane, les Juifs d’Arabie envoyèrent à Muhammad cinq délégués pour le questionner sur le Pentateuque et le mettre ainsi à l’épreuve. Parmi ces savants, il y avait Allah et son fils Küddüs (Tabari, Chroniques, t. 1, p. 19). “Tout le monde sait”, me disait le perspicace R. Abraham Benatar de Mogador, “que dans les temps anciens, les prénoms de Allah et lflah n’étaient portés que par des Juifs qui vivaient dans le Sahara. Beaucoup de Juifs de ces régions sont venus s’établir au Maroc et quelques-uns d’entre eux ont transformé en nom de famille le prénom d’un de leurs ancêtres qui était chez eux le mieux connu. C’est pourquoi ils s’appellent maintenant lflah.” On a souvent dit et quelques esprits sérieux ont même écrit en se basant sur une vieille légende que la plupart des premiers Juifs venus s’installer dans les oasis sahariennes avaient été chassés d’Arabie par Muhammad(! ).

 

Ikheluiyyn, N-lkhelüiyyin (יכלויין), avec l’indice de filiation berbère N {=An=En), ethnique berbère avec le sens “Ceux qui viennent du désert”.

Les lkhelüiyyin sont des Juifs d’origine saharienne. Pendant de nombreuses générations, ils ont été à la tête des Juifs du Todgha dans la vallée du Haut-Draa. Dans les années 1930 Maghaluf N-Ikhelüiyyin était le principal Juif du Ksar de Tinghir (cf. Villes et Tribus du Maroc, Tribus Berbères, t. II, pp. 181-182, 248). 11 s’était opposé à Braha ould al-Hazzan Lamal qui jouissait d’un grand prestige dans les Ksürs du Haut-Draa, disposait de biens réellement importants et soutenait les Français qui n’avaient pu encore occuper ces régions. Les noms des familles N-Ikhclüiyyin et Lamal n’existent sur aucune liste et sont inconnus en dehors du Draa.

 

Issan, Izan ou Assan (ייסאן), ethnique de nom de lieu(?): Gumiel de Izan dans l’Evêché d’Osma (cf. Suarez Fernandez, passim). C’est un nom de famille peu répandu et qui s’est localisé du XVI׳ au XIX״ siècle à Marrakech où les Issan, expulsés d’Espagne en 1492, s’étaient fixés. Vers 1820, les deux frères Eliyahu et Simon Issan, opulents marchands, s’étaient établis à Mogador. C’est dans cette seule ville que le nom Issan a existé jusqu’à 1912. Cette famille était bien connue pour la générosité de ses membres et leur érudition.

 

Lugassi לוגאשי)) et Al-Aunghasj, avec l’indice de filiation (בן לאונגאשי) sont deux noms différents et séparés dans les listes rabbiniques. Ils se sont confondus dans les temps modernes. Le premier, plus facile à prononcer et à retenir par des citadins, a prévalu: tous les Al-Aünghasi sont devenus des Lügassi. Ce sont des ethniques de noms de tribus:

  1. Parmi les Ganfisa de la haute vallée de l’Oued Nfis, les Aït-Waggâs (d’où al-Ügasi-Lugassi) restèrent d’abord en dehors du mouvement almohade puis se soumirent (Lévi-Provençal, Documents, pp. 65 et 223). Les Ganfisa comme les Aït-Waggâs ont disparu depuis longtemps. Ce dernier nom s’est perpétué chez les Juifs Lugassi.
  2. Au XII״ siècle, les Ünghasa (berbère ancien: Aüwanghasan) faisaient partie de la grande confédération des Gadmiwa qui jusqu’à aujourd’hui ne semble pas avoir changé d’habitat: le territoire situé sur le versant occidental du Grand-Atlas, entre l’Oued Nfis et la vallée de l’Assif al-Mal (Lévi-Provençal, Documents, pp. 62-64). Bien qu’ils soient toujours une fraction des Gadmiwa, les Ünghasa, c’est-à-dire les Aüwanghasan, se sont éparpillés en haute montagne; mais leur nom se prononce différemment, on les appelle Aït-Waggonsan: le Alt a remplacé le Au, le N a changé de place et le Gh, comme il arrive souvent, est devenu un G dur. C’est un processus normal et fréquent chez les Berbères musulmans. Les Juifs de ces régions comme tous leurs coreligionnaires africains étaient plus conservateurs. — C’est à une époque relativement récente que des Lugassi- Unghasi apparaissaient dans les centres urbains du Maroc. Ce nom était inconnu chez les Juifs d’Espagne.

 

Maimaran, Ma Ymaran, Maimran, Mimran (מאימראן), déformation du mot Màmïràn, plante médicinale (cf. Renaud, Colin, Tuhfat, 112). Rabi Maymaran vivait dans le royaume de Castille et en 1489 il se trouvait dans la petite ville de Marqueda (Baer, t. II, p. 439). La famille Maimaran qui donna au Judaïsme marocain de nombreux rabbins et surtout des leaders, ne commença à briller qu’à partir de la deuxième moitié du XVII' siècle. Joseph, Abraham et Samuel Maimaran furent des personnalités de première importance sous le règne de Moulay Ismaël.

 

Mairan, Mayran, Merran (מאיראן) : le sens de ce nom de famille est difficile à définir; j’hésite à y voir une déformation du mot “marrano” comme la phonétique le suggère; en Août 1491, Ferdinand et Isabelle adressaient des recommandations à Mosc Caballero, don Cag Aburbe, Yuça Levi et Samuel Mayren, chefs de la aljama de Guadalajara (Baer, t. II, p. 402; Suarez Fernandez, pp. 372, 380). Ce nom était et est encore porté exclusivement par une seule famille jouissant au Maroc d’une bonne réputation. Cette famille est établie à Safi. Suivant sa propre tradition, elle y était depuis le XVI״ siècle et serait d’origine portugaise.

 

Marache (מראשי) est peut-être différent de Maraji (מראג׳י). Marashi, espagnol Marashé, semble être un nom d’origine orientale, l’ethnique d’un nom de lieu: Marash, ancienne ville d’Arménie. Marashi est un nom qu’on rencontre chez des Musulmans, particulièrement en Egypte au Moyen Age. R. Samuel Marrax, connu à Funtès avant 1490, quitta l’Espagne pour se rendre au Portugal (Baer, t. II, p. 485, n. 2, p. 488). Les Maraché étaient bien connus au Maroc. Ils étaient groupés surtout à Rabat et à Salé. Plusieurs membres de cette famille avaient émigré vers 1735 en Amérique du Nord et y furent parmi les fondateurs de plusieurs com-munautés juives.

 

Marroqui : cet ethnique de nom de lieu (Marrakesh, Marruecos en espagnol qui a donné Maroc) n’existe dans aucune liste rabbinique; il apparaît pour la première fois en Espagne à la fin du XIVe siècle: Jucef Marroqui, Juif de Cervera (Baer, t. II, p. 428). Ce nom n’a jamais été porté par des Juifs établis au Maroc même. Au début du XVI׳ siècle, les Marroqui étaient des “Chrétiens-nouveaux” fixés aux îles Canaries (cf. Corcos, Sefunot X [1966], p. 58).

 

Masnot (מסנות) = Masnüt est très anciennement attesté en Afrique du Nord. Ce n’est pas un nom arabe comme le supposait Steinschneider, mais un nom libyque (cf. JQR XI [1899], p. 359; Goitein, Tunisie, p. 578 et n. 46). Le commentateur du livre de Job, R. Samuel ben Nissim Masnut, vivait à Tolède, mais il était originaire de la Sicile. Au moins jusqu’à la fin du Moyen Age, on sait que les Juifs de Sicile étaient généralement des Nord- Africains et particulièrement des Tunisiens. R. Shalom Masnut, originaire de Tunis, s’était fixé à Fès où il eut comme disciples deux des premiers chefs religieux des expulsés d’Espagne et du Portugal, R. Joshua Corcos et R. Nahman Sunbal. R. Shalom Masnut fut également un des correspondants de R. Simon ben Salomon Duran d’Alger.

 

Mguiyira, avec l’indice de filiation (מגירה, מגירא) dans la liste Coriat, francisé en Algérie: Meguira et Miguerra (Eisenbeth, p. 154). On m’avait informé qu’on prononçait toujours ce nom “ben al-Mguiyira” ce qui signifie “le fils de la convertie (au Judaïsme)”.

 

Pounin (Punin = פונין) ou Founin (Phounin) est, je crois, ce qu’il convient d’appeler un nom libyphénicien. Je ne saurais lui trouver d’autres origines. Il est formé de פון (Poun, Phoun = Poeni, Phénicien d’Afrique, Punique) et de ין (in, désinence libyque, berbère; in exprime une qualité et joue le rôle d’adjectif—voir ci-dessus, pp. 3 sqq. et ci-dessous, le nom Waknin). Le sens de ce nom est “celui qui est Poun ou Phoun” – “le Phénicien d’Afrique” (comparez Foenkinos).

Je ne sais rien d’une famille Pounin ou Phounin; mais ce nom de famille est mentionné par Abensur-Coriat et par Tolédano, ce qui atteste son existence au Maroc. J’ignore s’il a existé dans d’autres parties de l’Afrique du Nord. Il eut été normal de le rencontrer sur une vieille inscription en Tunisie, terre punique par excellence. Des recherches plus poussées révéleraient peut-être des indications sur ce nom si intéressant.

 

Semana, Shamana, avec ou sans l’indice de filiation indiquant l’origine (בן שמנה, סמנא) : ethnique de nom de lieu: Semana ou Shamana des auteurs arabes, la Zimena des Chroniqueurs chrétiens de l’Espagne, l’actuelle Jimena située à quelques dizaines de kilomètres au Nord de Gibraltar. C’est à tort que Steinschneider a indiqué ce nom dans son étude sur les noms judéo-arabes en lui attribuant une origine de nom de femme.

Après 1492 (?) Jeuda Zimana est accusé de judaïser et d’inciter la famille de marranes, Benveniste de la Caballeria, a observer des fêtes juives; le vice-chancelier du roi, Alonso de la Cavalleria et d’autres membres de sa famille sont poursuivis par l’Inquisition de Tolède en même temps que Jeuda Zimana (Baer, t. II, pp. 449, 452, 460). Judah Semana (ou, d’après un document arabe, Ben Shamana) était un des banquiers et des conseillers juifs des sultans du Maroc au dernier siècle. Jacob Semana était un des notables de la communauté juive de Mogador dans les années 1925. La famille Semana ou ben Shamana avait vécu uniquement à Marrakech, puis à Mogador; tard venue au Maroc (fin XVII״ siècle?), son nom n’existe sur aucune liste rabbinique.

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