Une qasida historique sur l'expulsion des Juifs -d'Oran en 1669-Paul B. Fenton-1/4

Paul B. Fenton, “Une qasîda historique sur l’expulsion des Juifs d’Oran en 1669,” in Nicole S. Serfaty and Joseph Tedghi, eds., Présence juive au Maghreb: Hommage à Haïm Zafrani (Saint-Denis: Bouchène, 2004), 451-466
Une qasida historique sur l'expulsion des Juifs d'Oran en 1669
PAUL B. FENTON
Universite de Paris IV – Sorbonne
Apres sa conquete par le roi de Castille en 1509, la ville nord-africaine d'Oran devint l'unique lieu, sous domination hispanique, ou pour un temps, la presence des Juifs fut toleree. Leur double competence linguistque en castillan et en arabe et leur connaissance des reseaux commerciaux regionaux constituaient des atouts essentiels. Interpretes, diplomates, negociants, ils etaient des mediateurs indispensables entre cette enclave catholique en terre maghrebine et I'arriere-pays musulman auquel elle etait adossee. Ainsi Oran demeurait le seul havre du monde hispanique ou coexistaient encore les trois religions du Livre
La croissance incessante de la communaute juive au cours du XVe siecle, dont on estime le nombre avec leurs domestiques a mille cinq cents ames, donc a peu pres 25% de la population totale, suscita l'inquietude des autorites chretiennes. Craignant un desequilibre inacceptable entre minorite hebraique et majorite espagole, elles elaborerent en vain plusieurs projets d'expulsion au cours du siècle.
En fait, I' expulsion massive des Juif d'Oran en 1669 suivit inexorablement les modeles du bannissement des Juifs en 1492 et celui des Morsques en 1609 de la peninsule lberique. Ce modele sera respecte pour les expulsions ulterieures en terre africaine, jusqu'en 1702, pour celle des Juifs de Ceuta
Une·serie d'etudes scientifiques recentes denote un regain d'interet pour l'histoire des Juifs vivant dans les places fortes hispaniques d'Afrique du Nord au XVIIe siecle. Parmi celles-ci, quatre ont ete consacrees plus particulierement a l a queston de I'expulsion des Juifs d'Oran en 1669, dont Ia premiere en date est celle de Jonathan Israel. Cette etude pionniere, fruit d'une investgation etendue dans des archives inedites fut suivie de celles d'un historien espagnol, Juan Sanchez Belen , et d'un historien israelien, Moises Orfali, Enfin, on doit recement a Jean-Frederic Schaub traduction et la presentation du seul recit espagnole contemporain des evenements qui conduisirent a ce denouement tragique, la Breve relacibn y compendioso epitome, publie v ers 1670 [a Madrid?] par Luis Joseph de Sotomayor y Valenzuela.
Les motifs de I' expulsion, dont l'initiative revient au Gouverneur general d'Oran, le marquis de Los Velez, sont clairement exposes par Sotomayor dans les pages de son texte. La presence juive dans le preside apparait d'abord comme la marque d'un echec spirituel du catholicisme car leur quartier occupe une des arteres principales de la ville en sorte qu' aucune des processions solennelles de I'annee ne pouvait etre celebree avec ostentation decente sans longer leurs maisons sacrileges.
Au motif religieux s'ajoutaient surtout des considerations economiques, d'une mauvaise foi patente. Selon l'auteur de la Relacion, les taxes payees par Jes Juifs a lacouronne ne couvraient meme pas le paiement des salaires dont beneficiaient certains officiels juifs. Puis, Jes Juifs cesserent d'etre utiles aux Chretiens. Si au debut ils furent necessaires dans la mesure ou personne n' etait capable d'interpreter Jes sentiments des Arabes et d'expliquer ceux des Chretiens, desormais ii existe de nombreux Espagnols qui savent le faire encore mieux et avec plus de fidelite que tous les Juifs
Face a la version espagnole de Sotomayor, l'historien disposait jusqu'ici de deux sources juives contemporaines. D'une par,t le recit redige a Sale peu de temps apres l'expulsion par Aaron Sibuni"[ 6. Rabbin de Sale, decede vers 1673, qui fut actif dans le mouvement sabbataiste au Maroc. a. Y. Benai"m, Malkhe rabbanan, fol. 20a.], qui, l'ayant entendu d'un messager, en adressa un rapport au rabbin Jacob Sasportas. Comme on le sait, cet erudit etait originaire d'Oran, avant d' occuper des posies rabbiniques tour a tour a Tlemcen puis a Sale. D' autre part, la liste de griefs addressee par Jes Juifs oranais a la reine Marianne du Portugal a leur arrivee a Nice en octobre 1669. Ce document remarquable est tres precieux pour la connaissance du sort des exiles au lendemain de leur expulsion.
Nous sommes a meme aujourd'hui de verser une nouvelle piece au dossier de ce sombre chapitre. Lors d'un sejour au Oxford Centre for Jewish Studies en 1998, nous avons eu l'heur de decouvrir, parmi les manuscrits de la Bibliotheque Bodleienne, un document inedit concemant cette page tragique de l'histoire des Juifs nord-africains. II s'agit d'une complainte en judeo-arabe qui relate, sous forme d'une qasida sans doute contemporaine, ce triste evenement, sur lequel elle jette une lumiere precieuse. II nous est agreable de faire homrnage de ce document important a la fois sur le plan historique et sur le plan litteraire au Professeur Haiim Zafrani, qui a tant contribue a notre connaissance de l'histoire culturelle des Juifs d' Afrique du Nord et en particulier de leur poesie.
Une qasida historique sur l'expulsion des Juifs d'Oran en 1669
PAUL B. FENTON -1/4
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