Les juifs de C.-Bechar-J.Ouliel


Les juifs de Colomb-Bechar Et des villages de la Saoura 1903-1962 Jacob Oliel

Les juifs de Colomb-Bechar

Et des villages de la Saoura

1903-1962

Jacob Oliel

AVANT-PROPOS

Colomb-Béchar laissa rarement indifférents les explorateurs, aventuriers, fonctionnaires, militaires, commerçants ou simples voyageurs qui eurent l'occasion d'y séjourner. Des événements de tous ordres ont contribué à établir la renommée de notre cité : ce furent, des films (Torrents, l'Escadron blanc…), les richesses du sous-sol et dans les années 1950-1960, bien avant Kourou et la Guyane, les centres d'essais et de lancement des engins spéciaux (missiles Matra et autres, fusées Vesta, Véronique) à Hammaguir.

 Colomb-Béchar sera aussi, un peu plus tard, la base arrière des expérimentations atomiques de Reggan. Tout cela donna à la garnison, déjà importante, des allures de four­milière ; et les très nombreux ingénieurs et techniciens, officiers et militaires de carrière, les milliers de soldats du contingent, passés dans la région, deviendront à leur tour des nostalgiques de Colomb-Béchar.

D'autres événements heureux ou malheureux ont fait le renom de la ville : le Berliet T- 100, la Caravelle… et l'accident qui coûta la vie, le 28 novembre 1947, au Général Leclerc, chef de la 2°D.B. et héros de la Libération

Aux yeux de ceux qui y ont passé leur jeunesse, Colomb-Béchar fut cela et bien autre chose : un modèle de vie simple, harmonieuse, insouciante, une image probablement assez proche du bonheur tel qu'il se conçoit habituellement ; du moins est-ce l'impression, peut-être idéalisée, que nous gardons depuis que nous en sommes privés, à l'instar des choses que nous ne savons jamais autant apprécier qu'après les avoir perdues, comme la santé, un être cher…

La première expérience atomique française, en atmosphère, eut lieu à Reggan, localité située à 650 km au sud de Colomb-Béchar le 13 février 1960.

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel

Cette ville est enfouie dans notre mémoire et notre cœur, et il nous semble pouvoir la faire revivre chaque fois que, retrouvant un ou plusieurs de nos amis d'enfance ou d'adoles­cence, nous nous mettons à évoquer le souvenir de ce passé, si lointain et si proche, sans lequel les plus anciens ne parviennent pas à trouver goût à leur vie.

 Fallait-il le raconter ? Je le pensais depuis longtemps et attendais de le voir réaliser par quelque autre, n'étant pas, sans doute, le plus qualifié pour accomplir ce travail. Flora Abehssera la première, en avait eu l'idée dès les années 1980 mais le destin ne l'a pas permis… Je voudrais que cette tentative soit un hommage à la mémoire de cette pion­nière.

Il fallait se décider, de crainte de voir perdu le souvenir de notre vie et de son cadre, désor­mais si lointain, mais aussi parce qu'il nous faut nous rendre compte que nous ne pour­rons rien apprendre de plus sur notre histoire, qu'au contraire, nous allons en perdre tous les jours un peu.

Je me suis donc lancé, pour sauver de l'oubli ce qui fut notre vie, pour contenter tous ceux qui, espérant retourner à Colomb-Béchar, n'ont pas encore eu l'occasion de réaliser leur rêve, et dire aux membres de la communauté ce que sont devenus leur synagogue, leur quartier, leur rue, leur maison…

Conscient de ne pouvoir rendre l'atmosphère du Béchar de notre enfance, j'invite le lec­teur à la recréer, en laissant libre cours à son imagination, en s'aidant des deux cents cartes postales anciennes, des nombreuses photographies et des nombreux témoignages. Mes amis non-Juifs qui ont gardé un attachement, de l'affection pour cette ville, ne doi­vent pas se sentir oubliés, tenus à l'écart, ma démarche n'ayant rien d'exclusif ou de sec­taire, malgré le parti-pris de m'adresser en priorité aux Juifs, les seuls dont l'histoire, à peine effleurée, n'a jusqu'ici jamais été vraiment abordée.

Il m'incombait de faire revivre, autant que je le pouvais et avant qu'elles ne s'estompent définitivement, certaines images de notre passé, celles qu'il ne faut absolument pas perdre, et qui contribueront à fixer notre identité pour les générations suivantes, quand tous les liens se seront définitivement rompus, quand les souvenirs se seront effacés.

Ma démarche, d'une certaine façon, relève de ce qui fut appelé, pour des événements autrement plus graves, le «devoir de mémoire», avec, pourtant la conscience de mes limites, de mon incapacité à rendre les choses à la satisfaction de tous les membres de notre communauté, lesquels inconsciemment, constituent chacun une tranche de notre histoire commune.

 Derrière l'unité apparente, la communauté juive bécharienne fut une sorte de microcosme, ses membres, dépositaires d'un passé fabuleux, descendant qui des Hébreux chassés en 587 av. J-C ou en l'an 70, qui des Cyrénéens, des Judéo-berbères ou de Judéo-espagnols victimes de l'Inquisition, voire de rescapés de la solution finale… La diversité des origines apparaît dans les pages consacrées à l'étude onomastique et aux proverbes…

Les jeunes Juifs «béchariens» nés outre-mer, ont hérité de ce passé, sans toujours mesu­rer le poids de leur responsabilité : s'ils venaient à le laisser perdre, ils seraient dépossé­dés de leur identité. Sans doute, nos parents n'ont-ils pas toujours su – ou osé – nous dire leur histoire ; pour comprendre, les générations actuelles doivent faire le parallèle entre leur statut de citoyens jouissant de tous les droits et l'état de sous-hommes imposé à leurs ancêtres dans certaines régions du Maghreb, moins d'un siècle auparavant, et notamment au Blad es Siba, le Maroc de la dissidence.

Si, parmi ces jeunes, pouvaient se lever demain des chercheurs (historiens, ethno­logues…), je serais heureux de pouvoir leur offrir cette modeste base de travail, afin qu'ils n'oublient rien de ce passé, et qu'ils rendent l'hommage dû à tous les artisans de cette exceptionnelle promotion, à ces pays du Sud où nos ancêtres ont passé de nombreux siècles, longtemps avant et après la conquête arabe, à beaucoup de nos voisins musul­mans, si bienveillants et àla France, dont nous sommes devenus les enfants.

En novembre 1988, soit exactement vingt-cinq ans apres 'l'avoir quittee, je suis revenu dans ma ville natale de Bechar, le coeur serre de me retrouver la, cherchant, des l'aero- port un visage connu. Mais il me sembla que c'etait un espoir vain : un quart de siecle apres l'exode de 1962, le chiffre de la population de la ville ayant triple, et, comme ce fut le cas pour nous, nos anciens camarades de classe ou de jeu ont ete disperses par la vie. Le chauffeur de taxi, tout naturellement, me conduisit a 1'Hotel-Antar, (ex-Hotel- Transatlantique), reserve aux visiteurs etrangers…

En y penetrant, je songeai a ces curieux retournements de l'histoire : autrefois, je n'avais jamais eu acces a cet etablissement luxueux, destine aux hommes d'affaires, aux touristes europeens fortunes. En m'y conduisant aujourd'hui, le taxi, qui ne me reconnaissait pas comme un enfant de Bechar, semblait me designer ma nouvelle place, celle d'un etranger.

 Au petit jour, je me suis depeche d'aller faire une promenade alentour pour revoir dans ce quartier-sud de Bechar, la vraie Porte du Sahara, le vieux stade ou nous venions saluer les exploits des vedettes de football, de la J.S.B., la «Jeunesse» des Bou-Arfa, Abdallah, Sassi…

 Je me rappelle avec precision un dimanche particulier : ce jour-la, tous les spec- tateurs de la rencontre de football deserterent soudain les tribunes, pour se precipiter a quelques centaines de metres, sur le terrain d'aviation ou l'avion du Capitaine Marcassus venait de s'abattre sur la piste…

La ville s'est beaucoup etendue depuis 1962 : tout est constrait jusqu'a la Centrale Electrique, aujourd'hui desaffectee, et je n'ai plus l'impression d'espace quasi infini avec la disparition des immenses terrains vagues.

Enfin, prenant dans l'autre sens la route pour rejoindre le centre-ville, je pus apercevoir, dominant tous les autres edifices, le clocher de la cathedrale, si familier, mais un peu etrange d'allure.

II me semble symboliser l'heureux temps ou, entre les communautes, regnait ce fragile equilibre, impose autant que consenti, et ou se melaient tant de notions contradictoires : la tolerance et le respect mutuel, la mefiance et la crainte, un rien de mepris, quand ce n'etait pas une hostilite declaree de la part de certains refractaires, dont la violence etait surtout verbale…

 II faut bien dire que, si les ecarts etaient reels, ils n'eclataient pas a la vue assez pour exciter la convoitise, la jalousie, l'envie ; d'autre part, chacun ayant un travail, dans un secteur bien defini, acceptait son sort avec plus de facilite. Le fatalisme oriental, sans doute, procurait cette resignation qui faisait tout accepter. Toujours est-il que les trois composantes de la population, si differentes et complementaires, restaient chacune a la place qui lui etait devolue, et de ce fait, n'avaient pas d'occasions de se trouver en concurrence pour les plus defavorises, d'eprouver le moindre sentiment de frustration.

J'entends encore certains de nos amis europeens les plus delicats, et qui ne voulant pas paraitre antisemites, choisissaient pour nous qualifier le terme «Israelites», au lieu du mot «Juif», a leurs yeux desobligeant, voire injurieux. L'aristocratie locale, avait quant a elle, conserve certaines preventions, comme l'a note, du reste, le Commandant Godard : «Alors qu'a Paris les piscines sont accessibles a tous ceux qui acquittent un droit d'entree et justifient de la proprete corporelle requise, on a au Sahara une optique tout, a fait differente sur la question.

La moindre oasis veut une piscine speciale pour les Officiers les sous-officiers, les civils et que sais-je ? On se demande vraiment ou s'arreter dans cette voie. Pourquoi pas une piscine pour les Juifs et une piscine pour les negres ? II y a la, a notre avis, une erreur et une maladresse.

Du cote des Musulmans, certaines expressions, heritees de I'ancien temps, temoignaient d'un mepris ancestral, comme lorsque dans une dispute un Musulman etait amene, supreme injure, a en traiter un autre de Juif ! … Les adolescents reproduisaient les schemas des adultes sous n'importe quel pretexte : un mot malheureux, un incident meme insignifiant, pouvait mettre le feu aux poudres ; ceux de ma generation n'ont pas du oublier ces rendez-vous sur les rives de l'oued, apres l'ecole entre jeunes Arabes sur la rive gauche et Juifs sur la droite, pour relever des defis d'honneur en de violents echanges de galets, dont tous les participants ne sortaient pas indemnes.

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel

Neanmoins, la situation, si elle n'etait pas idyllique, avait au moins les apparences de l'harmonie : entre les communautes, il n'y avait ni tension ni accrochage d'aucune sorte, l'equilibre s'etant etabli entre la mefiance des uns et le mepris des autres… Aujourd'hui, le clocher de Notre Dame du Sahara voit sa croix dissimulee – tant bien que mal -, par un «habillage», et surmontee de l'etoile et du croissant. Chemin faisant, je vis surgir des visages et me rappelai certaines personnalites, a la fois simples et familieres : au tout debut de cette Avenue du Sahara, Monsieur Chapus le transporteur, dont les camions sillonnaient les pistes du desert; plus loin, a quelques centaines de metres, de 1'autre cote de la rue presque a 1'endroit exact ou disparut, en pleine jeunesse, Simon Benassaya, dans le premier tres grave accident de la circulation que nous ayons connu, debouchait la rue portant le nom d'Elie Benassaya, son pere. 

 Tout pres, les maisons des Nezri, Carlotti, Bensai'd…

Sur la place du marche. le dispensaire de Monsieur Sassi, et le domicile du populaire infirmier M'barek (dont peu de gens savaient le patronyme, Azzedine) ; ces deux auxi- Haiies des premiers medecins francais furent, a leur maniere, des bienfaiteurs de cette population becharienne. a laquelle ils se devouerent, comme jadis le Dr Ceard. 

 Le marche. c'etait deja le debut du quartier juif, qui, de la rive droite de l'oued, a l'origi- ne ait pris de l'extension jusqu'a englober la «Place des chameaux» (place Lutaud), et se developper de pan et d'autre de 1'avenue Poincare, la rue principale. Ainsi, il separait les quaniers residentiels des villages arabes du Ksar, dela Cha'ba, et de Debdaba, ce dernier sitae sur 1'autre rive de l'Oued Bechar.

Sous la denomination «europeens» etaient regroupes deux types de population : – D'une part un ensemble assez disparate de «missionnaires», soit au plein sens du terme, comme les Peres Blancs, soit parce que, fonctionnaires de l'Etat, ils etaient venus effec- tuer un sejour plus ou moins long dans une administration (education, justice, police…) ou une des nombreuses unites stationnees dans cette importante ville de garnison etablie, des les origines de la presence francaise, a proximite de la frontiere marocaine. Les habitants europeens permanents (des Allemands, Autrichiens, Polonais, Hongrois mais aussi beaucoup de Mediterraneens venus d'ltalie, du Portugal, de Grece et surtout d'Espagne (les Algarte, Allenda, Castel, Egea, Escobar, Fernandas, Marques, Martinez, Murcia, Ortega, Pastor, Perez, Ramos, Rodrigues, Velez, Yebra, Zamora… chasses par le Franquisme en 1936) formaient un ensemble encore plus disparate : amenes par le gout de l'aventure ou les accidents de l'histoire, c'etaient des anciens de la Legion Etrangere, des aventuriers echoues la, leur expedition ayant avorte, des membres de la collaboration assignes a residence des travailleurs. 

La classification en usage avait longtemps fait une distinction entre, d'une part les Europeens (notion entendue strictu sensu, mais qui a fini par inclure les Pieds-Noirs, des descendants d'immigres europeens, nes dans le pays) et de l'autre les Indigenes c'est-a-dire les Musulmans et les Juifs. 

L'entree surla Placedes Chameaux (place Lutaud) reveilla nombre de souvenirs, et en premier lieu, cette triste matinee du 28 novembre 1947 passee a attendre, en vain, avec tous les Bechariens, la venue du General Leclerc… Je revis l'incendie du marche, et bien d'autres evenements… 

Cette place est aujourd'hui meconnaissable : encombree de batisses, de vasques et de jardins, elle ne forme plus ce magnifique et immense carre d'arcades blanches, et on n'y voit plus ces groupes pittoresques de nomades pasteurs ou de villageois venus de tres loin vendre leurs fruits et legumes, leurs epices, leurs volailles ou leurs moutons, chevres et dromadaires (d'ou le nom qu'elle a fini par prendre). 

Durant plus d'un demi-siecle, la vie becharienne fut rythmee par les manifestations civiles et militaires, qui se deroulaient surla Placedes Chameaux : Apres les dernieres caravanes, elle avait vu partir les grandes expeditions transsahariennes, le fameux camion geant de Berliet, le T-100, et les courriers reguliers, qui, bien avant l'avion, sillonnerent le desert pour rallier Tamanrasset, Gao, Niamey… 

Elle avait aussi vu passer de grandes figures devenues aujourd'hui personnages his- toriques : le marechal Lyautey, le general De Gaulle, des militaires francais ou etrangers comme Laperrine, le Marechal Franchet d'Esperey, le general Dayan, des savants et explorateurs tels Louis Armand, Theodore Monod, Henri Lhote et diverses personalites : Charles de Foucauld, Shimon Perez, Anatole France, Isabelle Eberhardt, Robert Lamoureux, 1'humoriste pas encore celebre.

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel

Mais poursuivons notre visite. En prenant par la rue Isabelle Eberhardt, derriere l'an cienne residence de l'administrateur militaire, – le Territoire – (ex-bordj Citroen), je me dirigeai vers l'oued et la maison d'un ami d'enfance, Mohammed Hafid, mon camarade de classe si brillant que je n'eus pas la chance de revoir. 

L'oued Bechar, l'un des rares de ces regions a n'etre pas asseche onze mois sur douze, est toujours ce magnifique paysage de carte postale, ce lieu enchanteur qui fascinait les touristes, les peintres, les photographes et les promeneurs, avec ses milliers de superbes palmiers, dresses vers le ciel ou penches sur l'eau, comme pour s'y mirer. II fallut revenir en ville, pour ne pas ceder a la reverie melancolique, a la nostalgie de nos jeunes annees qui se sont ecoulees dans ce cadre ; sous les arcades, a la place des magasins Abihssira, Aboukrat, Benassaya, Bensemhoun, Layani, de petits boutiquiers, qui, dans l'attente du chaland, tuent le temps, parfois, en se livrant des parties acharnees sur des damiers traces a meme le sol. Helas, l'echoppe d'El Mbkhout, comme les machines des petits tailleurs juifs ne sont plus la ; avec elles, ont disparu les cordonniers, ferblantiers, forgerons et tous ces petits artisans, juifs pour la plupart, qui faisaient le charme de l'endroit. 

En fait, le depart des commercants et artisans juifs d'autrefois n'a pas vraiment entrame une perte d'activite ; la vie s'est transformee, les besoins ayant change. Aujourd'hui, la ville grouille d'habitants et particulierement d'enfants ; au lieu des quatre ecoles de 1962, il faut en compter une quarantaine aujourd'hui… qui ne suffisent pas, puisque les responsables ont ete obliges d'imaginer un systeme de mi-temps pour accueillir toute cette jeunesse.

AVANT-PROPOS

L'avenue Poincare n'a guere change, mais elle ne constitue plus le pole economique de cette ville ; bien qu'ayant perdu leurs enseignes, le plus souvent, les magasins des freres Amouyal, d'Assouline, de Simon Attia, de Meyer Amar, Elie Hazout, de MM. Bach, Klein, des freres Benichou, de M. Bensoussan, des Sebban, les salons de coiffure Benhamou, Martinez et Oliel, la pharmacie Lasseigne, les hotels Mestre, Vignaud et Monier sont toujours la, comme accables de tristesse, sans ame.

Meme Khalladi, le gargotier aux moustaches ala Dalia disparu. Les rues voisines n'ont plus les noms familiers que je connaissais ; ceux du Docteur Ceard, du Lieutenant Ferrand, de G.B.M. Flamand, de Rene Estienne, que j'ai connus, ont ete remplaces et les malheureux tamarins paraissent rabougris. 

 Le quartier juif aussi a disparu, totalement rase par les bulldozers: j'en ai eprouve une grande peine car c'est la que battait le coeur de notre communaute, serree autour de ses cinq synagogues ; j'aurais bien aime les revoir, et revoir aussi les maisons de mes amis Teboul, Amouyal, Benichou, qui sont aujourd'hui respectivement lyonnais, parisien et marseillais. Celle de Roger et Gilbert Amar est tou- jours la, a l'angle, comme un peu plus loin, la maison de mon pauvre camarade de l'ecole primaire, David Amar, mort a 12 ans, dans les pires souffrances, parce qu'un incons- cient lui avait fait la farce la plus stupide et la plus criminelle en allumant Fun des petards dont David avait bourre ses poches… Que de souvenirs ! 

Poursuivant la visite a la recherche de «mon» Bechar et de ses fantomes, je me dirigeai vers 1'autre bout de 1'avenue Poincare, laissant derriere moi les magasins Hazout, Sam Benichou, Meyer Amar, Sebban, Bensoussan, Benichou, Azeroual, Albert Amar, Benhamou, Fechoppe de M. Amsellem… Tout en haut, en fermant les yeux, j'ai 1'im- pression d'entendre ces conversations a haute voix, entre Nicolas, Castel, Mardochee Benichou et mon pere, personnages truculents ala Pagnolqui, installes chacun devant sa boutique, refaisaient le monde en lancant leurs idees de part et d'autre de l'avenue Poincare. 

L'enchantement fut de courte duree : levant les yeux au-dessus des tamaris, j'eus la grande surprise d'apercevoir la cathedrale, a peine reconnaissable : peinte en ocre, elle avait ete transformee en mosquee, et le croissant pose au sommet du clocher devenu minaret, avait beaucoup de mal a dissimuler la croix posee quarante ans plus tot et qui n' avait pu etre ni detruite, ni totalement recouverte.

Dans 1'ancienne petite eglise. laissee aux derniers Catholiques presents, je ne trouvai aucun Pere blanc: sa paroisse s'etendant desormais sur des milliers de kilometres carres, le R.P. Miguel devait courir le desert, pour essayer d'etre present la ou se trouvaient encore quelques Chretiens, la ou des hommes pouvaient avoir besoin de lui.

 Notre ecole n"etait pas tres loin de la ; j'y allai et, quand je demandai a la visiter, surprise le directeur n'etait autre que Khelifa, un de ces jeunes que nous avions emmenes en colonie de vacances a d'Uriage, en 1958, premiere colonie de vacances des jeunes sahariens : a raison de deux ou trois par village du sud, ils furent ainsi pres de deux cent soixante a profiter de l'occasion de prendre un train, un bateau, de voirla France, ses montagnes, ses rivieres, ses cascades, la neige, un glacier, la mer, des villes, de 1'herbe et du gazon partout…

Beaucoup d'entre eux, en toute occasion, s’emerveillaient, repetant : «c'est la premiere fois…

Helas, cette colonie de vacances fut aussi endeuillee par la mort d'une fillette agee de 9 ans, Louise Kauffman.

Ce fut une grande joie de nous retrouver trente ans apres, de voir que nos eleves ont reussi, et qu'ils ne nous ont pas oublies.

Khelifa sonna le rappel des anciens d'Uriage et je pus, grace a lui, en revoir quelques- uns, le jour meme ; peu apres, je devais revoir Mohamed ben Abd el Jebbar a Beni Abbes, Abdallah et Baba a Adrar…

Puis il fallut laisser place a une autre forme de nostalgie, celle qui va puiser au fin fond de la memoire, des souvenirs dont on ne soupconnait meme pas l'existence : Khelifa m'enferma dans son bureau apres m'avoir mis entre les mains le registre sur lequel etaient consignees, d'une magnifique ecriture calligraphiee, toutes les inscriptions depuis 1914 : en feuilletant ce registre, je rencontrai avec emotion les noms de beaucoup de mes anciens camarades des diverses classes, et, fermant les yeux, je les revis tels que je les ai connus alors : Flora Abihssira, Arlette Aboukrat, Agha Mohamed, Maurice et Roger Amar, Maurice Amoyal, Assouline Mir, Moi'se et Meyer Benichou, Marie-France Charbonnier, Henriette Dernaucourt, Jacques Fleurial, Chantal Georges, Mohamed Hafid, Hammadi, Illouz, Yves Keranflech, Guy Mangini, Medjbour, Denise Nezri, Emile Teboul, Eliette Tordjman…

J'eus soudain aussi la revelation que notre univers scolaire avait ete, durant toutes ces annees, une sorte de condense de la vie becharienne ; je me rememorai mon premier contact avec l'ecole et ma surprise de voir des enfants de 6 et 7 ans obliges, a l'appel de leur nom, de se ranger en trois files, selon qu'ils etaient Europeens, Musulmans ou Israelites !…

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel..NOTRE UNIVERS SCOLAIRE

Les juifs de Colomb-Bechar

Et des villages dela Saoura

1903-1962

Jacob Oliel

2 – Les villages d'origine des nouveaux venus

NOTRE UNIVERS SCOLAIRE

Voici, tiree de 1'excellent ouvrage du Docteur Ceard, une statistique etablie a la rentree d'octobre 1931, et qui rend bien compte de la repartition d'apres l'appartenance :

  Gargons Filles Total Pourcentage
Europeens 42 48 90 34,10%
Israelites 48 35 83 31,40%
Musulmans 53 38 91 34,50%

 

 

 

 

 

Au tout debut, soit qu'elle ignorait les differences ethniques, soit que les enfants europeens, seuls, etaient scolarises, l'ecole a Colomb-Bechar ne distingue qu'entre filles et gar§ons, ce dont peuvent temoigner l'observation suivante et le tableau qui l'accompagne : «Une ecole mixte fut creee dans le centre de Colomb en 1907, mais, en raison du nombre des eleves qui augmentait constamment, cette ecole a ete supprimee en 1911, et remplacee par une ecole de gargons et une ecole de filles. »

  La scolarisation a Colomb    
annees Ec. Mixte Ec. De Filles Ec. de Gar?. Total
1906 35 35
1907 33 38
1908 68 68
1909 83 83
1910 72 72
1911 55 42 97
1912 51 45 96
Moyennes 58 53 43 69

 

 

 

 

 

 

 

 

J'avais abandonne le registre pour entamer la visite de l'ecole…

Non sans emotion, j'ai pu aller de salle en salle, et parfois, 1'espace d'un instant, revivre un episode, attendrissant ou douloureux, de ce passe qui remontait par bouffees : dans la grande cour, j'ai retrouve ma premiere salle de classe et revecu, a travers quelques images fugi tives, un incident, dont le souvenir, depuis pres de cinquante ans, vient periodiquement me hanter.

Je me rappelle avoir ete reveille en pleine nuit (il devait etre vingt-deux heures) par mon pere: un voisin etait la qui voulait savoir si son fils etait alle a l'ecole, si je l'en avais vu sor tir, apres la classe ; tout ensommeille, j' essayai de faire un effort, pour finalement me rap- peler, avec stupefaction, que le maitre, qui avait voulu le mettre au coin pour le punir, l'avait enferme dans un placard et, sans doute, oublie ; au moment ou la cloche avait sonne la fin des cours, nous etions tous partis sans penser au pauvre garcon qui n'avait pas ose se mani- fester.

Je fus invite a me lever et m'habiller pour accompagner le pere et le directeur de l'ecole, qu'on etait alle querir, et indiquer l'endroit ou le malheureux, terrorise, attendait sa delivrance. Le meme traitement, inflige aujourd'hui, vaudrait a l'instituteur un blame, la revocation peut-etre.

Mais, a l'epoque, dans les ecoles du sud, la confiance des parents etait totale, surtout de la part des gens simples, comme l'etaient beaucoup de Musulmans.

En l'occurrence, l'homme etait trop heureux de retrouver son fils vivant, mais, de toutes facons, les gens appreciaient de pouvoir envoyer leurs enfants a l'ecole, et ne la critiquaient jamais, meme lorsqu'ils avaient des reproches a faire a ses representants. Devenu enseignant j'ai mesure le respect de l'ecole de la part des parents et, lors de rentrees scolaires, j'ai entendu cette phrase magnifique d'un parent musulman me remettant son enfant avec ces mots simples: «maintenant, c'est ton fils».

L'aile nord des batiments me rappelait d'autres souvenirs, plus sympathiques : je me suis retrouve chez Monsieur Mouleyre, notre maitre du cours superieur, pendant un de ces exer cices de calcul mental que nous affectionnions et qui etaient l'occasion de competitions achamees.

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel.. – Les villages d'origine des nouveaux venus

 Les juifs de Colomb-Bechar-J.Oulielcolomb bechar

Et des villages de la Saoura

1903-1962

Jacob Oliel

– Les villages d'origine des nouveaux venus

Je n'ai jamais revu Monsieur Mouleyre, ce modele d'instituteur-missionnaire, qui, comme messieurs Pion, Griffe, Jaraudias, Cliaix ou Mesdames Bonnefoy, Lesprit, Pelse, Velle, Mademoiselle Courtois et bien d'autres ont donne le meilleur d'eux-memes pour nous for- mer ; je regrette de n'avoir pu exprimer ma reconnaissance et mon affection a mon vieux maxtre Monsieur Mouleyre, aujourd'hui disparu.

A l'autre bout du batiment, j'ai aussi retrouve la salle de Monsieur Sanchez, notre profes- seur d'anglais, de geographie, de dessin… Ses cours etaient un regal pour tous les eleves, tant il savait, en veritable pince-sans-rire, les agrementer de son humour irresistible. La derniere surprise : Khelifa me remit un vieil ouvrage entre les mains, un de ces vieux livres, relies en peau de mouton par un artisan becharien, comme nous en avions dans notre jeunesse, soit a la synagogue, soit a la mosquee. Celui-la, imprime en hebreu, etait magnifique : son proprietaire avait pris soin d'ecrire son nom, David Abehssera, sur la page de garde, en caracteres hebrai'ques et latins.

Je suppliai Khelifa de me le confier le temps de faire photocopier quelques pages, de recueillir des renseignements et de le montrer a d'anciens Bechariens capables de m'aider. «Il est a toi», me repondit-il, simplement.

C'est ainsi que j'ai aujourd'hui le privilege de detenir un ouvrage ayant appartenu a RabbiDavid, un rabbin de la lignee fameuse des Abehssera, dont j'evoquerai la fin atroce.

Ainsi, malgre l'amertume de certains souvenirs, notre jeunesse becharienne, et en particu- lier, notre scolarite, fut une periode benie de notre vie : parce que nos maitres, competents et devoues, n'ont pas cherche a nous humilier, comme il est arrive, parfois, avec certains ; parce que ce fut la naissance d'amities qui durent encore aujourd'hui, malgre 1'espace et le temps qui nous ont separes. Ce fut aussi la periode ou les grandes vacances meritaient leur nom, puisqu'elles allaient du 30 mai au ler octobre, et celle enfin ou, trop heureux de beneficier de journees chomees que nous procuraient les fetes musulmanes, chretiennes et juives, nous options spontanement pour la tolerance, en respectant les trois religions mon theistes.

Une fois l'an, nous recevions dans nos classes la visite des responsables des communautes (le Bachagha, un Pere Blanc et M. Simon Benitah) : a l'appel de notre nom, nous nous levions afin que chacun put designer ceux de sa communaute dont les families trop indigentes ne pouvaient acheter les fournitures scolaires.

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel…NOTRE UNIVERS SCOLAIRE

 

Les juifs de Colomb-Bechar

Et des villages de la Saoura

1903-1962

colomb-bechar et environs

colomb-bechar et environs

2 – Les villages d'origine des nouveaux venus

NOTRE UNIVERS SCOLAIRE

En 1954 la population scolaire de l'agglomeration -qui a connu un developpement consi derable- disposant desormais de 38 classes dans 4 ecoles : les groupes scolaires de Bechar-Djedid-Bidon II et de Debdaba completent 1'ensemble constitue par les ecoles de filles et de gargons du centre de Colomb-Bechar, cette derniere ayant un cours complementaire pour preparer les eleves au B. E. P. C. (Brevet d'Etudes du Premier Cycle. 

  Gargons Filles Totaux Pourcentage
Europeens 42 48 90 34,10%
Musulmans 53 38 91 34,50%
Israelites 48 35 83 31,40%
Totaux 143 121 264 100

D'apres L. Ceard, op. cit. p. 118

Sans doute la situation de la plupart des familles ne permettait-elle guere la

 

 

 

 

 

 

poursuite de la scolarite au-dela du C.E.P (Certificat d'Etudes Primaires), les adolescents devant travailler tres tot pour venir en aide a leurs parents. D'autre part, 1'admission en classe de sixieme etant reservee aux «sujets d'elite», peu de jeunes ont pu frequenter le Cours Complementaire, et, apres la classe de troisieme, aller passer le B.E.PC. a Oran, ou se trouvait le centre d'examen le plus proche. Pour la majorite des heureux elus, il faut remarquer que ce fut l'occasion d'un premier grand voyage dans le nord.

Le baccalaureat etait inaccessible, tres peu de parents ayant les moyens d'envoyer leurs enfants au lycee a Alger ou a Oran. Quant aux grandes ecoles parisiennes, il n'y fallait pas songer et peu nombreux sont les exemples de jeunes diplomes de l'Enseignement Superieur, issus de la communaute becharienne a l'epoque : Jeanne Sebban (ingenieur chimiste), Maurice Amoyal (geometre-expert), Maurice Amar (medecin)

Pour tous les autres, il faudra attendre que les vicissitudes de l'histoire imposent le depart, en 1962, vers la Metropole, et offrent une occasion exceptionnelle de delivrer les vocations pour une majorite de jeunes de la communaute juive becharienne : le nombre des diplomes dans tous les domaines (enseignement, magistrature, journalisme, medecine, recherche scientifique…) est assez impressionnant. Et je dois a la verite de dire que ces brillantes reussites sont a mettre a l'actif d'autres jeunes bechariens, de confession musulmane, ce qui demontre les merites de sujets d'elite, sans doute, mais rend hommage au systeme educatif et moral de parents, souvent illettres.

Bien evidemment, une fois oublies les effets des lois de Vichy, les resultats obtenus par les jeunes Juifs de Colomb-Bechar furent plus qu'honorables. La reussite, au plan scolaire, allait conditionner toute revolution de la societe juive becharienne. Parmi les facteurs importants, il faut observer que non seulement les enfants juifs furent scolarises massivement, mais qu'au contraire des musulmanes, les families juives n'hesiterent pas a envoyer leurs filles a 1'ecole.

 Des lors, les principales administrations civiles et militaires ouvrirent leurs portes a cette jeunesse juive qui allait pouvoir donner la mesure de ses capacites. C'est ainsi que la communaute put compter, en son sein, un grand nombre d'enseignants, postiers, comptables, officiers de justice, agents des chemins de fer, de la police…

 A present, si l'on considere qu'en 1931, sur une population juive totale de 667 personnes, 99 seulement parlaient le francais, 33 etant capables de l'ecrire, les resultats obtenus un quart de siecle plus tard, doivent etre consideres comme tout a fait exceptionnels, compte tenu des handicaps du debut, des conditions imposees par la tradition, du statut impose aux Juifs par l'administration de Vichy, dans les annees 1940…

 

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel

 

Les juifs de Colomb-Bechar


colomb-becharEt des villages de la Saoura

1903-1962

Jacob Oliel

En 1962, au moment ou la communaute a du se resoudre a quitter Bechar, elle ne comptait qu'une faible proportion d י analphabetes" (les adultes, qui, en leur temps n'avaient pas eu l'occasion de frequenter 1'ecole francaise et quelques rares jeunes jamais scolarises), la plu- part de ses membres parlant la langue de Moliere. Ce fut la, sans doute, le facteur essentiel de son evolution, meme si, en corollaire, l'incomprehension entre les generations s'en trouva aggravee, les anciens deplorant de voir que les heros bibliques {Abraham, Mo'ise…) avaient pu etre supplantes, au moins dans le discours, par des heros profanes, des acteurs de cinema, des sportifs…!

I! faut dire que vie des jeunes de la communaute avait beaucoup change. 

QUELQUES RESULTATS aux EXAMENS

Certificat d'etudes primaires

1955 1956  
ABBOU Mouchy AMOUYAL Joseph  
ABBOU Denise AMOUYAL Julie  
ABIHSSIRA Sarah AMOUYAL Mardochee  
ABOUKRAT Simon BENAROUCH Armand  
AMSELLEM Flora BENHAMOU Zahrie  
AMSELLEMYamine BENICHOU Albert  
ASSERAF Edmond BENICHOU Jacob  
BENCHETRIT Meyer BENICHOU Marie  
BENICHOU Elie BENSEMHOUN Jacques  
BENICHOU Julie BOUHASSIRA Meyer  
BENSAID Andre DAHAN Jacqueline  
CHETRIT Jaqueline ILLOUZ Albert  
LAYANI Albert MAMAN Simon  
NEZRI Claude MELKA Rachelle  
1956    
ABIHSSIRA Aziza MELKA Sarah  
AMAR Jeannine MELLOUL Aziza  
AMAR Michele OLIEL Suzanne  
AMAR Suzanne TORDJMAN Arlette  
.AMAR Zahrie    
1958    
.ABBOU Arlette DAHAN Josephine  
AMAR Fifine GLODZYCK Jacqueline  
AZEROUAL Rachel LAYANI Rachel  
BENHAMOU Sarah MELLOUL Sarah  
BENICHOU Flora TEBOUL Fortune  
1959    
.ABBOU Albert TEBOUL Salomon  
AMSELLEM Roger TORDJMAN Makhlouf  
ASSERAF Elie TORDJMAN Yaya  
BELLALOU Andre TOUBOUL Joseph  
BENHARROUCHE David AMAR Marie  
BENICHOU Georges AMAR Julie  
BENSEMHOUN Armand ASSOULINE Rachel  
LAYANI Isidore NEZRI Rahma  
LAYANI Salomon SEBBAGH Alice  
| Brevet d'etudes du premier cycle    
1956  
ABIHSSIRA Georges OLIEL Jacob
; AMAR Roger TEBOUL Yayia
BENICHOU Isaac  
             

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Bechariens avaient peu de loisirs ; le plus generalement, ils en faisaient un usage des plus simples, les hommes se reunissant dans les cafes et bars de la ville pour parler et rire, jouer aux cartes, aux dominos, parfois a la petanque…

Les samedis et dimanches etaient les jours de promenade de beaucoup de families, la plu- part se cantonnant dans le centre sur Vavenue Poincare, la rue principale, ou au jardin public, tres fleuri et dont une partie etait reservee au zoo : fennecs, hyenes, gazelles, dro- madaires et quelques-uns des derniers lions de 1'Atlas…

D'autres cherchant le pittoresque ou l'exotisme, allaient en promenade du cote du ksar, dans la palmeraie ou sur les bords de l'oued.

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel..Et des villages de la Saoura 1903-1962

Les juifs de Colomb-Bechar

Et des villages de la Saoura

colomb-bechar1903-1962

Jacob Oliel

La jeunesse becharienne, insouciante comme toutes les autres, avait, elle aussi, des dis- tractions simples : elle aimait a se promener sur l'avenue, plus particulierement, les belles demoiselles bechariennes qui deambulaient nonchalamment, par groupes de quatre ou cinq.

Sauf le dimanche, ou ils allaient voir jouer les grandes equipes, les garcons s'adonnaient au foot-ball ; nous disputions des rencontres interminables dans la rue, sur les places publiques, partout ou un espace suffisant permettait de poser deux pierres de chaque cote pour figurer des buts, et tenter d'y loger une balle de chiffon, l'endroit ideal demeurant la place du Tanezrouft, quand le Pere Collignon ne venait pas confisquer le ballon, dont il craignait qu'il ne brise les vitraux de l'eglise… 

A une epoque ou la television n'existait pas encore, d'autres jeunes gens et jeunes filles, de toutes confessions, avaient le choix entre la lecture, la piscine municipale, le cinema public et ses films a la mode – malgre le decalage de quelques mois -, et la salle des «Peres Blancs», dont le Debrie 16mm, passait des Chaplin ou des Laurel et Hardy… J'ai toujours eu d'excellentes relations avec les religieux catholiques, ces voisins bien-veillants qui me pretaient des ouvrages, ou m'en offraient (je possede toujours les livres d'arabe, devenus aujourd'hui tres rares, que m'a donnes ce bon Pere Huchon, il y aura bientot quarante ans, et celui du Commandant Ceard, cadeau du Pere Duvollet.

 Ce Pere Blanc devait deja avoir la vocation de chroniqueur : il composait, a l'epoque, la feuille paroissiale (Bou Bechir) destinee a informer les Chretiens disperses dans les villages du sud, de toutes les nouvelles concernant leur communaute. Envoyee avec «La Vie», dont elle etait le supplement gratuit, cette feuille constituait un lien et apportait aux plus eloignes quelques informations utiles sur Bechar et la region : faits-divers, etat-civil, resultats des divers examens, manifestations de tous ordres..

Ayant collabore occasionnellement a Bou Bechir, dont je fus, l'illustrateur (en 1957- 1958). et pigiste (publication d'articles sur les Juifs de Bechar et l'epopee touatienne), je puiserai dans ce fonds les chiffres statistiques et les renseignements dont j'aurai besoin pour cet ouvrage.

A partir des annees 1950-1955 , la communaute juive ayant reussi a se faire une place, ses jeunes purent beneficier de certains avantages, jusque-la reserves et acceder par exemple a la piscine municipale, naguere interdite aux Indigenes.

Comme tous les jeunes francais, notre generation s'est passionnee pour les exploits des grands sportifs de l'epoque, les Bobet, Coppi, Bartali, Villemain, La Motta, Dauthuille, Mimoun, Hansenne, d'Oriola, les vedettes entre toutes restant, sans doute, le footballeur Ben Barek et le boxeur Marcel Cerdan.

A la meme epoque se constituerent diverses associations qui temoignaient a la fois du dynamisme et de l'evolution de la jeunesse juive de Colomb-Bechar : equipe de basket- ball avec Claude et Charles Amar, groupe des Eclaireurs Israelites, petite troupe de theatre, avec les fils Assouline, Meyer Teboul et bien d'autres…

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel

Les juifs de Colomb-Bechar

Et des villages de la Saoura

1903-1962

colomb-becharJacob Oliel

Colomb-Béchar laissa rarement indifférents les explorateurs, aventuriers, fonctionnaires, militaires, commerçants ou simples voyageurs qui eurent l'occasion d'y séjourner. Des événements de tous ordres ont contribué à établir la renommée de notre cité : ce furent, des films (Torrents, l'Escadron blanc…), les richesses du sous-sol et dans les années 1950-1960, bien avant Kourou et la Guyane, les centres d'essais et de lancement des engins spéciaux (missiles Matra et autres, fusées Vesta, Véronique) à Hammaguir.

Les anciens bechariens apprecieront sans doute de voir reconstituer le plan de leur ville, chose rendue possible grace au travail du Cdt Godard, et aux renseignements obtenus a Vincennes (Archives de 1'Armee de Terre).

A qui s'etonnera de ce que des noms de combats ou de militaires aient ete donnes a la plupart des rues de la ville, je rappellerai les conditions et circonstances qui ont preside a sa fondation, en 1903  et qui ont fait que meme le batiment de la gare etait fortifie : le capitaine Debenne fut tue le 8  decembre 1928  pres de Menouarar ; le lieutenant Jaegle, de la Legion, et le lieutenant Ferrand sont tombes en 1908 du cote de Beni Abbes ; le nom de Menabha rappelle les combats du 16  avril 1908  comme El Moungar ceux du 2  septembre 1903   il ne faut pas non plus perdre de vue la vocation meme de cette ville, l'importance de la garnison, le nombre impressionnant de batiments construits et utilises par l'armee : Quartier de la 4° C. S. P. L. E, Camp de la 711° Cie de Transmissions, Camps Canavy, Clavel, Coste, Decaux, Jaegle, Moll, Pasquet, batiments du Genie, Hopital mili- taire, Infirmerie de garnison, Hotel du Territoire, Cercle militaire, Mess des officiers, sans compter le champ de tir, le depot d'explosifs, les magasins a poudre et munitions, la sta- tion d’emission radio, les piscines et villas d'officiers et sous-officiers… «Ville etrange, avec son plan presomptueux et son architecture prematurement vieillie, Bechar est marquee par son destin militaire. (…)Bechar, situee en un point particuliere- ment strategique en bordure du Sahara, est avant tout un nceud de communications, une plaque tournante»'

Les civils qui ont donne leur nom a des rues de Colomb-Bechar sont peu nombreux ; outre Eliahou Benassaya, deja cite, signalons G.B.M. Flamand, le celebre geologue du Sahara qui s'interessa notamment aux mines de Kenadza.

Noms de militaires Noms de personnalites civiles
Avenue (du General) Claverie Rue Isabelle Eberhardt
Rue Revoil Avenue Poincare
Rue Capitaine Vauchez Rue Rene Estienne
Rue Lieutenant Ferrand Rue Flamand
Rue Lt. Jaegle  
Rue Cap. Debenne Autres designations
Rue Cdt. Ceard Avenue du Sahara
Rue Colonel Pein Rue de la Mosquee
Rue CI. Pierron Rue de Taghit
Rue colonel Fabien Rue de Kenadza
Rue Pierre Marty  
Rue Perligny Rue du ksar
Rue Romero Place Lutaud (PL des chameaux)
Rue Albert Perez Place du Tanezrouft
Place du Marche Place de la Mosquee
  Avenue de la gare
Combats Rue Mazeres
Rue Sidi-Brahim  
Rue El Moungar  
Rue Menabha

 

Trois communautees, trois quartiers un equilibre fragile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La ville de Colomb-Bechar, comme son nom double pouvait le laisser supposer, etait par- tagee en deux : la ville «europeenne» fondee en 1903  sur la rive droite de l'Oued Bechar, et la partie «arabe», sur la rive gauche, le toponyme Colomb-Bechar etant forme a partir de Bechar, nom arabe donne a la localite primitive vers laquelle avait ete envoye un messager (bchar, en arabe) ; a ce toponyme ancien a ete substitue puis adjoint le nom de Colomb, le premier officier, qui s'illustra dans cette region, en luttant contre les Doui Mne' vers 1852, pres d'Abadla, et en 1857  contre les Oulad Djrir, aux environs d'Ouakda. Edmonde Charles-Roux a joliment romance des circonstances de la conquete de la petite localite par les Francais : 

"[Bechar], ce nid de brigands dont les successifs gouverneurs de I'Algerie avaient tous reclame I'occupation. Mais en vain…

Lyautey n'avait pas hesite. Tenir Bechar, c'etait tenir le carrefour des routes entre le Haut-Guir et le Tafilalet; c'etait aussi interdire a Bou Amama I'acces aux oasis du Touat et du Soudan. Le nouvel avant-poste jut-il baptise au champagne ? Le nom qu 'il recut fut Colomb, en hommage a un officier superieur tue dans les parages […] Lorsque le gouverneur Jonnart recut de Paris I'ordre de faire immediatement evacuer ce poste, parce que Bechar etait en territoire marocain, il put repondre : «Nous ne sommes pas a Bechar, mais a Colomb ".»

Racontes des decennies plus tard, les faits pourraient relever du merveilleux… De fait, rien n'etait vraiment simple a Colomb-Bechar et la juxtaposition des quartiers avait aussi une histoire, bien differente de ce qui pouvait s,imaginer a travers la forme de coexistence observee entre les groupes de peuplement successifs.

La population arabo-musulmane, indigene et dominante jusqu'a l'arrivee des Francais, ne s'etait resignee ni a la defaite de Bou'Amama, son heros, ni a la soumission des tribus guerrieres (Oulad Jrir, Doui Mne'..), soudain reduites a vivre pauvrement de culture et d'elevage. Desheritee le plus souvent, la population musulmane de Bechar etait partagee entre le quartier de DEBDABA (petits jardiniers), sur la rive gauche de YOued Bechar, le vieux Ksar de Tcigda, ancetre de Bechar, ou vivaient les boutiquiers, et le ravin de la CHA'BA, sorte de bidonville surpeuple au coeur de la cite.

La partie europeenne, se trouvait au nord, a proximite des nombreuses constructions a usage militaire : c'etaient les petites villas de style mauresque des officiers et sous-officiers. Les autres europeens, une majorite d’employes au chemin de fer, vivaient dans de petites maisons, pres des gares.

Quelques rares fonctionnaires completaient cet ensemble assez disparate, mais qui, peu a peu, allait tendre vers une forme d'homogeneite, sous l'influence de facteurs unificateurs positifs (la religion catholique et le mode de vie) ou negatifs (une certaine distanciation par rapport aux groupes juif, bien sur, et surtout musulman).

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel

Les juifs de Colomb-Bechar

Et des villages de la Saoura

1903-1962

colomb becharJacob Oliel

Les Juifs furent longtemps ranges parmi les indigenes, sans doute parce que, impregnes de culture arabe, ils ne se distinguaient de leurs voisins musulmans, au debut, ni par langue, ni par le vetement ou le mode de vie. Ils avaient passe tant de siecles dans ce pays, aupres des populations berberes, d'abord, puis des Arabo-musulmans… Cantonne sur la rive droite de l'oued vers1906 le quartier juif allait se developper autour de la Place des Chameaux», englobant l'Avenue Poincare (la rue principale) et finir de se confondre avec le coeur de la ville. II concentrera la vie de la cite, avec ses boutiques et magasins, ses echoppes d'artisans, ses hotels, qui voisineront avec le marche, la mosquee et l'eglise, les agences des compagnies aeriennes, les banques, les ecoles et les administrations…

 «L'installation d'un poste militaire ayant assure une tranquillite relative dans la region, des la fin de 1904

la voie ferree etait poussee d'Ain Sefra a Ben Zireg et I'annee suivante, le train arrivait a Bechar, amenant avec lui et a la suite de nos troupes de nombreux commercants, pour la plupart juifs du Tqfilalet et du Tell [littoral algerien], ils furent a I'origine du village primitif qui s'etablit entre la Redoute de Colomb-Bechar et le ksar de Takda, en bordure des jardins longeant la rive droite de l'oued.»

 Dans la societe de classes de Colomb-Bechar, qui avait son aristocratie, sa bourgeoisie et son proletariat, le groupe juif etait, a I'origine, marginalise pour ne representer qu'une sorte de sous-proletariat. II n'a evolue que progressivement vers la classe moyenne, sans unite interne, toutefois, puisqu'il etait lui-meme une micro-societe avec ses nantis et ses nombreux pauvres, ceux qui n'ayant pu evoluer a temps furent abandonnes en chemin..

. Entre ces trois communautes, a priori cloisonnees, pouvaient etre observes, dans les domaines les plus inattendus, des points de rencontre surprenants et des influences mutuelles nombreuses

Les interferences d'ordre linguistique sont aujourd'hui monnaie courante chez les «bilingues» franבais-arabe. A notre epoque, les contaminations pouvaient s'expliquer par une absence de maitrise des langues en presence, en meme temps que par un manque de discipline des usagers ; c'est ainsi que des phrases commencees en francais, etaient poursuivies en arabe (ou inversement), ce qui pouvait aboutir a des resultats cocasses : «n'abbi bask, va me chercher un kilo de tomates fessouk.»

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel

Les juifs de Colomb-Bechar

Et des villages de la Saoura

colomb bechar1903-1962

Jacob Oliel

Des structures pouvaient, morphologiquement, presenter des combinaisons de segments juxtaposes, appartenant a l'arabe et au francais : [ma n – telephon – ilihch] (je ne lui tele- phonerai pas), [ghadoua, n – prepare – houm lik et tu viendras les prendre] (demain, je te les preparerai… ).

Au plan religieux et dans une sorte de syncretisme populaire, les Arabo-musulmans parlaient de Dieu en employant soit le mot arabe «Allah», soit l'hebreu «Rabbi» et invoquaient le Saint israelite, Rabbi Shlomo bar Berero, Moula Bechar (en arabe, le Saint patron de Bechar). Inversement, les Juifs avaient adopte des expressions arabes telles «mektoub» (c"etait ecrit), «Incha' Allah» (par la grace de Dieu…), «La bass ?» (Comment vas-tu) ־ que les Chretiens utilisaient aussi, et d'autres plus particulieres, telles hada ma 'ta allah» (c'est la volonte de Dieu) ou «Allah ister» (Dieu garde), «moulana ichouf». Aujourd'hui, a Bechar, dont le nom arabe fut retabli en 1962  les habitants continuent plus de trente-cinq ans apres, a dire Colomb-Bechar.

Malgre la proximite des usages, modes de vie et croyances, le Musulman et le Juif, tout en etant chacun utile a autre, avaient des relations ambigues celui-ci, mefiant, craignant l'autre celui-la nourrissant le plus grand mepris pour son voisin sur lequel il se sentait des droits et qu'il pouvait spolier a sa guise pour illustrer cette situation particuliere et la complexite des liens qui pouvaient exister entre le Juif et son voisin musulman, je rapporterai un incident des plus significatifs de ce climat et qui eut pu avoir de facheuses consequences.

LE CHAT

C'etait il y a longtemps, Jacob Benichou etant parti en voyage du cote de Taghit, avait laisse seules a la maison son epouse et sa fille. A un certain moment, celle־ci vint jouer avec son petit chat sur la margelle et l'animal tomba dans le puits. Les cris de l'enfant attirerent la maman, qui appela les passants, suppliant qu'un homme descendit pour sauver le chaton.

Un Musulman d'une vingtaine d'annees se proposa, a condition de recevoir une gratification, ce qui fut accepte par la dame.

Le jeune homme se glissa le long des parois du puits, atteignit le fond, recueillit l'animal et se mit en devoir de remonter lorsque le mur ceda, ensevelissant le chat et son sauveur : nouveaux cris, d'horreur cette fois.

Parmi les badauds accourus sur les lieux, plusieurs Musulmans, qui se firent raconter toute 1'histoire ; apprenant qu'un des leurs etait en danger, ils profererent de terribles menaces… si par malheur le jeune homme devait perir dans cette aventure ou des Juifs l'avaient engage, au risque de perdre la vie pour sauver un animal. Terrorisee, Madame Benichou s'enferma chez elle avec sa fille. Finalement, tout se termina au mieux, pour l'homme et pour l'animal: appeles d'urgence, les specialistes du Genie Militaire parvinrent a deblayer la terre et les pierres qui obstruaient le puits.

L'incident est revelateur d'un climat qui, malgre les liens etroits, pouvait, de fagon latente, renfermer tous les motifs de tensions et basculer dans le drame.

Les juifs de Colomb-Bechar-J.Ouliel

Les juifs de Colomb-Bechar

Et des villages de la Saoura

1903-1962

Jacob Oliel

La societe becharienne atteignit une sorte d'equilibre : en depit du cloisonnement et des petites tensions inevitables, les trois communautes semblaient vivre en bonne intelligence, les conflits se limitant le plus souvent, comme chez tous les Mediterraneans, a de violentes invectives…

L'edification de Notre-Dame du Sahara constitue l'exemple parfait de solidarite et des bonnes relations inter-communautaires : apres la collecte de l'argent necessaire, aupres de tous les Bechariens, sans distinction, et la construction de la cathedrale, la pose de la premiere pierre, le 8  mars 1953 eut lieu en presence de Mgr Mercier, Eveque du Sahara entoure du R.P. Huchon, superieur des Peres Blancs, de l'enfant de choeur, Daniel Cid-Garcia, du Grand-Rabbin Chalom Abehssera et des Chefs religieux musulmans, le Qadi Si Mohamed Bessaih, le Bachaga, le Cheikh ben Abdallah et l'Agha des Nomades, Si Ben Nedjima.

Dans la periode du Ramadan, le mois du calendrier musulman consacre au jeune, une autre forme de solidarite – ou de complicite se mettait en place : ceux des Musulmans bechariens que leurs activites empechaient de se plier a la regie commune imposee par le Ko'ran, se rapprochaient de leurs amis israelites qui, en cachette, leur servaient un repas. Le plus difficile, disait l'un de mes amis, n'est pas de trouver ou manger, mais ou stationner : ils devaient, en effet, garer la voiture le plus loin possible, pour ne pas donner l'eveil et, en cas de decouverte, devenir la cible des gamins charges de lapider ceux qui transgressaient le jeune du Ramadan.

«La misere est moins penible au soleil», dit la chanson;  a Colomb-Bechar, personne ne supportait de passer le Chabbat ou l ,Aid, la Paque ou Noel, egoi'stement. Outre la tradition, assez repandue, de l'assiette du pauvre, les anciens se rappellent la generosite de particuliers, qui, le vendredi, faisaient distribuer, a tous les pauvres sans exclusive, de la farine (M. Elie Benassaya) ou du pain (M. Pastor, le boulanger). Plus tard, M. Simon Benitah" ouvrira son depot chaque jeudi, pour distribuer sucre, the, farine, huile aux families necessiteuses.

Dans la societe becharienne, les fetes religieuses etaient l'occasion de manifester sa solidarite, individuellement et collectivment, chacun considerant comme un devoir de prendre en charge les pauvres. II en etait de raeme a l'occasion des grandes rejouissances strictement privees : pour la circoncision de son fils, Monsieur Bounina avait tenu a inviter plus d'une douzaine d'enfants dont les families trop modestes ne pouvaient assumer les frais d'un tel evenement.

Le souvenir de la circoncision du petit Bounina me hante encore :en entendant hurler de douleur ces pauvres enfants, je dois avouer m'etre lachement felicite d'appartenir au Judaisme: pratiquee huit jours seulement apres la naissance (sur un enfant inconscient de ce qui lui arrive), l'operation me parait moins barbare qu'a l'age de 12 ans. Entre les communautes, un des facteurs d'apaisement, sans doute le plus important, devait etre le souci pour chaque famille, chretienne, musulmane ou juive, fut-elle la plus desheritee, de manifester son respect aux anciens, qu'elle se faisait un devoir de garder en son sein ; il est vrai qu'a l'epoque, l'hospice n'existait pas et la maison etait assez grande pour permettre d'accueillir les grands-parents.

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