Meknes-Joseph Toledano-Bienfaits et limites de la dhimma

  1. BIENFAITS ET LIMITES DE LA DHIMMA

Croyant sincère et même théologien à ses heures, Moulay Ismaël veillera tout au long de son règne à une application stricte du pacte de la dhimma, avec ses avantages et ses limites. Le premier bienfait, qui en est la définition même, est la protection des vies et des biens de ses sujets juifs, désormais garantie avec la restauration de l'ordre et de la sécuri­té dans tout le pays. Si la paix et la stabi­lité sont les conditions primordiales de toute vie économique, de la floraison in­tellectuelle, elles sont pour les commu­nautés juives; les conditions même de la survie. Le demi -siècle de déclin et de chaos des Saadiens l'avait de nouveau amplement illustré.

Si les historiens marocains et euro­péens divergent sur le bilan du règne de ce souverain exceptionnel, tous sont unanimes pour louer la tranquillité et la prospérité qui devaient caractériser la plus grande partie de son très long règne. Pour ce faire, il alla jusqu'à intro­duire une mesure dont la cruauté n'égalait que l'efficacité : la responsabilité collective, le village, la tribu étant tenus collectivement responsables des délits et crimes commis sur leur territoire : "Il a purgé les routes et les campagnes des assassins et des coupeurs de che­min qui pullulaient auparavant. La sécurité qui règne grâce à lui est due au fait qu'il châtie par l'exécution capitale, ou en exigeant une rançon de tous les habitants des lieux du crime; si bien que l'on peut parcourir entièrement son royaume en toute sécurité et tranquillité…Les Maures méprisent encore plus les Juifs qu'ils ne le font pour les chrétiens et quand un Juif va dans les rues, il a toujours l'œil au guet pour prendre garde si on ne vient pas le maltraiter et en ce cas invoquer Moulay Ismaël. Cette invocation faite à temps; opère des miracles, car les Maures craignent tellement leur Roy que la seule invocation de son nom les empêche de frapper. Le bras levé perd toute force et devient pour ainsi dire immobile."

Le chroniqueur de la dynastie Alaouite, El Zayyani exagère à peine en écrivant qu'en son temps "l'ordre est revenu, les sujets ont connu la tranquillité et le sultan s'est occupé de la construc­tion de ses palais et de la plantation de ses vergers; et le pays a connu la sé­curité et la paix. La femme et le dhimmi pouvaient aller d'un bout à l'autre du pays, d'Oujda à l'oued Noun, sans que personne ne leur demande où ils vont et d'où ils viennent. La monnaie abonde et ni le blé ni le bétail n'ont de prix (tellement ils étaient bon marché). Les percepteurs prélèvent l'impôt et les contribuables paient sans contrainte." Rabbi Yossef Messas rapporte un cu­rieux incident révélateur de cet esprit de justice de ce souverain absolu envers ses sujets juifs, même dans des cas critiques.

Au cours d'une banale altercation, un Juif de Meknès du nom de Yéhouda Abrabanel, n'avait pas hésité à se défendre et à répondre aux injures et aux coups d'un musulman, ceci malgré les avertissements de témoins sur le rang de noblesse de chérif de son agresseur. Ordinairement, l'invocation d'un tel titre suffisait à paralyser tout esprit de riposte, la plus légère atteinte à l'hon­neur, et encore plus à l'intégrité physique d'un descendant du Prophète par un dhimmi, étant considérée comme un crime impardonnable. Mais non moins fier de sa propre ascendance, le dit Abrabanel avait répliqué que lui n'était pas moins noble comme descendant de la maison du roi David : La multitude de musulmans présents grincèrent des dents sans oser toucher au Juif, de crainte des sanctions du sultan. Ils se saisirent donc des deux protagonistes pour les mener devant le pacha. Le sultan qui revenait de la chasse avec son escorte, envoya un émissaire s'enquérir de la cause de ce grand tu­multe et quand on lui rapporta les faits, il demanda à juger lui -même les protagonistes le lendemain dans son palais.

A l'audience, le Juif se défendit fièrement sans crainte, rejetant les accusations du chérif ébahi et décontenancé par cette audace. Le sultan demanda au Juif qui il était et il lui répondit qu'il était natif de Meknès, descendait de la cé­lèbre famille Abrabanel d'Espagne qui est de la lignée du grand roi d'Israël, David. Moulay Ismaël se tourna ensuite vers le musulman, lui demanda de décliner son identité. Il affirma être d'une famille de descendants du Pro­phète. "Tu es un menteur et un imposteur", le coupa net le sultan qui fit signe à son serviteur de le frapper. Au bout de quelques coups, il finit par recon­naître son imposture, il n'était qu'un simple berbère sans aucun lien avec la famille du Prophète. Le sultan relaxa le Juif et condamna le musulman pour coups et injures. Ce dernier, fou de colère, osa interpeller le souverain pour lui demander comment il pouvait prêter foi aux allégations de ce dhimmi et le condamner lui, un bon musulman ! "Imbécile, ne comprends -tu pas que son attitude digne et son courage sont la preuve de sa noble extraction de l'an­tique maison du grand roi d'Israël, alors que ta pusillanimité et ton manque d'assurance m'ont immédiatement convaincu que tu n'étais qu'un vil impos­teur !" Les autres sources juives sont également unanimes à ce sujet. Les Chroniques de Fès soulignent à quel point quand il s'agissait de la sécurité de ses sujets, juifs comme musulmans, le sultan se montrait intraitable – même quand étaient parfois impliqués des membres de sa propre famille : Dans la même semaine, nous reçûmes la nouvelle qu'un des fils du sultan, Moulay Abdallah, se trouvant dans le douar des Arabes Sraga, y avait enlevé une jeune fille vierge de l'un des notables. Son frère, Moulay Moutawakil, se rendit auprès de lui pour le ramener à Meknès. En route, il rencontra une caravane de Juifs qu'il dépouilla complètement laissant nus les voyageurs. Le caïd des Sraga alla se plaindre à Moulay Ismaël de la conduite de son fils. Le sultan le fit venir au Palais. On remplit deux couffins de fer et de plomb, on en suspendit un à son cou, l'autre à son pied, et on le jeta dans la séguya où il se noya incontinent..

Cette intransigeance, n'excluant pas la plus grande cruauté, pour la jalouse préservation des biens et des personnes, lui valut d’emblée la reconnaissance et l'admiration de la communauté juive comme en témoignent les réjouis­sances organisées à l'occasion de son sauvetage miraculeux des griffes des lions en 1699 comme le rapportent les mêmes Chroniques de Fès : " Quatre chrétiens furent pris en flagrant délit de cambriolage dans le trésor de Moulay Ismaël. Le lendemain, le souverain voulut jouir du spectacle de leur châtiment en les jetant en pâture aux lions. A cet effet, il monta avec eux sur le rocher surplombant la fosse aux lions. On jeta les quatre chrétiens aux bêtes, mais ceux -ci ne les dévorèrent pas. Le sultan demanda alors aux caïds et aux gardes noirs qui se trouvaient avec lui sur le rocher de les lapider. L'un des chrétiens se mit à parler en langage barbare avec une lionne en lui disant :"Bondis sur le rocher, fais tomber le sultan et dévore -le". En effet, les fauves étaient soignés par les chrétiens qui leur portaient chaque jour à boire et à manger. La lionne bondit sur le sultan et le saisit par l'épaule gauche; celui -ci s'agrippa de sa main droite sur le rocher qui était élevé. En abattant sa patte sur le sultan, la lionne le saisit par le baudrier qu'il portait et n'accro­cha point la chair. L'un des gardes noirs tira à la bête une balle entre les deux yeux. Elle s'abattit dans le fossé, tandis que le sultan tombait à l'extérieur et Allah le sauva…

Musulmans et Juifs firent une grande fête ce jour -là. Dans chaque localité, on organisa des banquets et des repas de fête. Les rabbins et les chefs de la com­munauté firent annoncer publiquement que personne n'ouvrît sa boutique et que tous se revêtissent de leurs plus beaux habits. On orna les toits et les fenêtres du mellah de tentures et de rideaux. Les Juifs firent quatre étendards et les musulmans vinrent s'amuser chez eux et boire du vin et de la mahya. Les Juifs entèrent au palais royal, dans les maisons des chorfa, dans les mosquées et les médersas avec leurs chaussures, sans que personne ne leur dise rien…"

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