Agadir-Joseph Dadia

AGADIR- I

Je ne choisis pas mes souvenirs sur l’écran de ma mémoire. Tant de souvenirs m’envahissent. Ils s’imposent à moi. Il se trouve que j’ai consigné ces souvenirs sur de petits carnets à une époque où je me portais bien, loin de la drogue dite pompeusement cortisone. Après le déjeuner, je sortais dans le jardin, et c’était le printemps, un petit carnet et un stylo à la main, et j’écrivais.

Je reproduis ce que j’ai écrit.

Quand je pense aux membres de ma famille du côté maternel, je revois des hommes et des femmes de qualité, d’une bonne origine ancestrale et d’une haute et honorable réputation. Depuis ces premières lignes, leurs visages surgissent devant moi, le jour et la nuit.

Ces visages me regardent tels que je les ai connus. Les images se présentent toutes en même temps. Ce que l’œil peut distinguer dans son orbite, la main de l’homme que je suis ne peut le transcrire d’un trait en un seul coup. Ces images me renvoient à Agadir d’avant octobre 1956, date à laquelle j’ai quitté Marrakech pour l’Angleterre.

Mon oncle Meyer habitait avec sa femme Fréha et ses enfants dans une maison à Talbordj, à l’étage, sans rez-de-chaussée, sans voisins, avec un escalier sur la rue qui la desservait. Je n’avais aucune idée de la topographie de la ville d’Agadir dont les rues et leurs maisons, un peu partout en différents points, sur les hauteurs, au bas desquelles une mer diaphane et calme embrassait une longue et large plage de sable fin. L’eau de la mer que je découvre, par comparaison avec Essaouira/Mogador que je connaissais depuis longtemps, était toujours bonne avec une température agréable quasiment tiède, sans vagues ni houle. J’étais un peu perdu dans les rues d’Agadir. Il n’y avait pas de quartier spécifiquement juif comme à Marrakech, ma ville natale, ou à Essaouira/Mogador. Marrakech, ville homogène et structurée, se répartissait nettement en différents quartiers distincts. La vie juive à Marrakech existait en deux ou trois quartiers à proximité du mellah, mais surtout au Mellah avec ses synagogues et ses nombreux fidèles aux trois offices de la semaine et un peu plus d’offices le Shabbat et les Fêtes, en particulier à Kippour, Jour solennel du Grand Pardon. Rien de tel à Agadir où je vivais des moments étranges et intenses. Cependant je conserve dans ma mémoire le souvenir d’une ville attachante, moderne, où les enfants juifs parlaient un bon français, affranchis de toute contrainte religieuse. Ils étaient libres comme le vent et je les rencontrais sur la plage. Ma passion pour le football m’a ouvert largement les portes. Je suis devenu leur camarade, leur ami. Nous jouions au ballon rond de très longues heures, avant d’aller nous laver agréablement dans l’eau chaude et profonde de l’Océan. Je rêvais en me baignant aux lointains rivages au-delà de l’horizon.

Dans l’appartement, mon oncle Meyer et sa femme Fréha avaient leur chambre sans fenêtre sur la rue, avec un téléphone. Cette pièce était contigüe à celle que j’occupais durant mon séjour chez eux. Les enfants vivaient tous dans une même pièce, située à la droite de celle de mon oncle et ma tante. Je n’y ai jamais mis les pieds. Une grande salle face à la

 chambre de mon oncle Meyer servait de salon et de salle à manger. La cuisine, la salle de bain et les toilettes étaient là pour l’aisance et le confort de tous. Toutes ces pièces, au nombre de quatre, étaient disposées autour d’un patio à ciel ouvert. Sur la terrasse, la Souca

Une femme venait chaque jour pour le ménage et faire la cuisine.

Ma tante Fréha supervisait toutes les activités, le sourire sur son visage. Un sourire permanent et rayonnant.

La chambre que j’occupais avait une large fenêtre qui donnait sur une impasse où le soleil s’absentait l’après-midi. De ma fenêtre je voyais un troquet berbère, avec un bar à l’intérieur et, à l’extérieur, à même la rue, de petites tables coquettes garnies de bols en faïence, prêts à recevoir une soupe bien fumante pour rassasier le chaland du bled de passage dans la ville, à l’occasion d’un marché ou d’un moussem. J’aimais bien regarder de ma fenêtre ce troquet, le patron à l’entrée prêt à accueillir les premiers clients. Ce café se trouvait dans un cul-de- sac calme, qu’aucune voiture ne traversait. Il régnait dans ce café une atmosphère de sérénité. Il attirait mon regard par son charme simple et son ambiance chaleureuse. Je voyais bien que les gens qui le fréquentaient se sentaient chez eux et en bonne compagnie, le temps de boire un verre de thé ou un bol de soupe. Je me contentais de le contempler du haut de ma fenêtre avec sympathie et tendresse. Jeune adolescent alors, je ne pouvais fréquenter des personnes adultes qui parlent en chleuh entre elles, ni boire une soupe non cachère. Ce troquet était joyeux. D’un tourne-disque, voire un gramophone, jaillissait une musique rythmée, vivante et entraînante. Des chants berbères. De temps à autre, un musicien avec son gnibri venait y jouer. J’aimais de ma fenêtre suivre cette ambiance et entendre les chants berbères. Je n’ai jamais eu l’idée de descendre et d’aller saluer le patron de ce café. En bas, personne ne faisait attention à moi. Je garde un excellent souvenir de ce café. Résonnent encore à mes oreilles ces airs du Sud marocain, au son des cymbales, racontant l’épopée épique des Hmadcha et des Hadawa. De là date mon affection sincère et profonde pour la langue, la poésie, la musique et les chants berbères. Je ne comprenais pas les paroles, mais je sentais qu’elles racontaient des récits glorieux d’antan. Je partageais à ma façon des moments de distraction et de récréation en compagnie de ceux attablés en bas, juste au-dessous de ma fenêtre. Personne ne semblait remarquer mon regard ou bien faisait semblant de ne pas me voir.

Cette pièce, où je passais de longues semaines en l’espace d’un été, était meublée sobrement mais avec distinction. De longs divans, aux matelas de laine soyeuse recouverts de beaux draps, longeaient trois murs de la chambre : un mur à la droite de la porte d’entrée, un mur à sa gauche, et un mur face à cette porte, celui de la fenêtre qui donnait sur la rue. La nuit, je m’allongeais où je voulais.

Une table basse et ronde se trouvait vers l’entrée de la pièce. Elle nous servait le soir pour manger.

Il m’arrivait de sortir de la maison pour aller acheter le journal. C’était l’époque où je suivais, sur le plan militaire, le sort de la France en Indochine et sa défaite de Dien Bien Phu.

Agadir-Joseph Dadia-page 13

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