Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale-Interdiction d’emploi de domestiques musulmane

Epreuves-et-liberation

Interdiction d’emploi de domestiques musulmanes

Cette requête, nous l’avons évoqué, n’avait rien de nouveau et avait été maintes fois soulevée par le Makhzen dans les années trente, sans aboutir à une décision sur le plan national. Répondant aux pressions des pachas de Marrakech et Salé, la Résidence avait fini par accepter un compromis " à titre d’essai " , qui limitait sans l’interdire, l’emploi de jeunes domestiques musulmanes par les familles juives.

Le 27 novembre 1940, le Conseiller du Gouvernement chérifien informait le Résident qu’à l’occasion des négociations sur le Statut des Juifs, Sa Majesté le sultan avait de nouveau appelé son attention sur les graves inconvénients sur les plans religieux, social et moral — relations sexuelles entre les patrons ou leurs fils et les jeunes servantes — qui résultent de l’emploi de la main d’œuvre féminine musulmane dans les maisons israélites. Les autorités du Protectorat qui s’étaient opposées jusque-là à la mesure globale préconisée par certains pachas d’interdire purement et simplement l’accès aux mellahs aux femmes musulmanes, s’étaient toutefois résolues à prendre des mesures pour complaire au Makhzen en envoyant, aux pachas et aux services municipaux, une circulaire en ce sens, datée du 15 novembre 1940, prévoyant :

  • A dater du 1er janvier 1941, toutes les jeunes filles musulmanes employées au mellah devront être renvoyées et remplacées par des femmes âgées.
  • — Toute domestique recrutée devra obligatoirement être en possession d’une carte de travail délivrée par le service municipal de placement.
  • Les agents de recrutement recevront l’ordre de ne diriger sur le mellah que les servantes d’un âge respectable.
  • Le Comité de la Communauté Israélite sera chargé, sous sa propre responsabilité, d’assurer la stricte observance de ces dispositions prises dans l’unique but d’éliminer autant que possible toutes sources de discordes et conflits entre les Musulmans et les Juifs.

 

Toutefois, ces limitations autorisaient librement l’emploi de servantes musulmanes dans les maisons israéütes, aussi bien marocaines qu’étrangères, de toute nationaüté, habitant en dehors des mellahs, de même que l’emploi de main d’œuvre féminine musulmane, dans les usines et ateüers tenus par des Juifs, notamment dans les conserveries de Safi, Mogador et Marrakech. Elles furent donc jugées tout à fait insuffisantes par les autorités du Makhzen. Le Grand Vizir ordonna alors des mesures plus radicales dans la circulaire 372, datée du 4 janvier 1941, adressée aux gouverneurs des villes et des ports, rappelant pour la première fois, de la manière la plus officielle, que les Juifs n’avaient pas perdu leur condition canonique de protégés, dhimmis :

« Il est parvenu, de différentes sources, à Notre connaissance chérifienne, qu’un grand nombre de femmes musulmanes travaillent, en qualité de domestiques dans des maisons juives.

Cette situation, que vous n’êtespas sans connaître, porte atteinte au respect de la femme musulmane et rabaisse sa dignité. En outre, elle lui crée me réputation que notre religion condamne et qui est de nature à inciter les juifs au mépris des Musulmans et à l’oubli de leur condition de dhimmis, alors qu’en aucun cas, ils ne doivent, sous peine de s’exposer aux dangers qu’ils appréhendent, s’écarter de leur vie traditionnelle et des limites à l’intérieur desquelles celle-ci s’était de tout temps déroulée.

Pour suivre les glorieuses traces de Nos augustes ancêtresDieu sanctifie leur âme Nous avons maintenu les Israélites dans les bienfaits de la sécurité. Nous leur avons permis de vivre avec Nos sujets musulmans dans une atmosphère de calme et de paix. Mussi, poussé d’une part par Notre volonté de sauvegarder la dignité de la femme musulmane et d’autre part par le souci de mettre un terme à une situation susceptible de provoquer des troubles graves, Nous vous ordonnons d’interdire, d’une façon expresse et formelle, aux Musulmanes de travailler, publiquement ou en secret, dans les maisons juives et de tenir la main à ce que cette interdiction soit rigoureusement et effectivement observée. Faites surveiller l’exécution de cet ordre pour le maintien duquel Nous vous enjoignons defaire preuve d’une grande diligence et d’une fermeté sans défaillances. »

 

Pris entre les directives contradictoires du Palais Royal et de la Résidence — les Contrôleurs Civils les incitant à faire preuve de grande tolérance – les pachas appliquèrent, avec plus ou moins de sévérité, cette interdiction venant encore plus alourdir la condition des familles juives. Alors que dans les autres domaines, le sultan s’efforcerait d’alléger autant que possible les mesures législatives contre ses sujets juifs, il se montrerait intraitable sur cette question, en raison du caractère religieux qu’il lui attachait. A la fête du Mouloud, en avril 1941, le sultan rappela aux pachas venus lui présenter leurs vœux à quel point il tenait à l’application la plus stricte de cette directive. Il avait publiquement blâmé les pachas de Mogador et d’Agadir pour leur tiédeur dans son application. Le Contrôleur Civil de le Région leur avait fait valoir qu’il n’était pas possible d’envisager la suppression radicale de la main d’œuvre féminine musulmane dans certains établissements industriels et commerciaux juifs. Cela priverait de moyens d’existence de nombreuses familles musulmanes et provoquerait de sérieuses perturbations dans la vie économique de la cité.

Pendant sa visite à Fès, en août 1941, le sultan donna pourtant, à nouveau, publiquement au pacha de la cité des instructions tendant à tenir énergiquement " la main à l’exécution stricte de la circulaire vifirielle 372 La détermination du Palais sur ce sujet était telle que le Conseiller aux Affaires chérifiennes préconisa la prudence, dans son courrier au Résident Général du 12 août 1941, pour éviter un affrontement avec le Palais :

 

« Je me trouve confirmé dans mes intentions, sauf instruction contraire de Monsieur le Résident Général, par le souci qu’a toujours affiché le Makhzen, au cours des discussions récentes, etparfois ardues, sur le Statut des Juifs marocains, de s’opposer à ce que les sujets musulmans soient, à un titre ou à un autre, placés sous les ordres ou la dépendance des Israélites marocains. Cette position de principe a provoqué des difficultés, au sujet de l’article du Statut des Juifs, relatif aux professions commerciales ou industrielles. Une nouvelle intervention de ma part serait donc, sans aucun doute, vouée à l’échec. Notre action auprès des pachas doit donc se borner à des conseils persuasifs, donnés de vive voix, en vue d’une certaine tolérance et du respect de certaines situations particulières. E ncore les autorités de contrôle ne doivent-elles donner des conseils que sous une forme discrète et nuancée, pour ne pas éveiller la susceptibilité du Makhzen. »

 

En fin de compte, une telle politique produisit effectivement ses fruits et l’application de cette directive ne fut jamais uniforme. Elle dépendait du bon vouloir du gouverneur local et de l’influence de l’autorité de contrôle. Aussi quand elle finit, au fil des années, par tomber en désuétude, nul ne se préoccupa de son annulation formelle. Jusqu’à ce qu’en 1945, le Comité de la Communauté israélite de Port Lyautey se plaigne que le pacha de la ville l’ait remise en vigueur — suite au scandale d’une jeune domestique tombée enceinte de son patron.

Le refus obstiné du Makhzen d’abroger cette discrimination " de caractère religieux et non racial", fut alors envisagé comme une arme possible contre le sultan, dans le conflit aigu qui l’opposait à la Résidence et qui devait finalement se terminer par son exil à Madagascar. Le Directeur des Affaires Politiques alertait ainsi — en 1952 ! — le Conseiller du Gouvernement chérifien :

 

« J’ai l’honneur de vousfaire savoir que la circulaire 372 a effectivement été inspirée par la vague d’antisémitisme qui déferla sur l’Europe, à l’instigation des naffis en 1941. En effet, s’il est exact que le Makhzen avait proposé, en 1935, de prendre des mesures analogues à celles présentées dans la circulaire du 4 janvier 1941, il ne l’avait fait que timidement. Plus exactement, il avait approuvé les dispositions que nous lui avions proposé de prendre, à titre d’essai à Salé et Marrakech… Nous sommes loin de la circulaire 372, facteur brutal et haineux dans la forme et le fond. Je suis d’accord de demander, par écrit, au Makhzen l’abrogation de la circulaire et d’exiger une réponse par écrit. Si le Makhzen accepte l’abrogation, nous obtenons satisfaction. S’il refuse, nous aurons la faculté de soumettre sa réponse auprès de certaines opinions pour leur demander ce qu’elles pensent de ce qui tient tant, vis-à-vis des puissances étrangères, à se faire admettre comme un souverain ami du progrès mais ordonne et maintient actuellement l’application d’un tel texte… »

Cette parenthèse close, nous revenons à la manière dont, en général, le Statut des Juifs fut appliqué sur le terrain

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