Dora Coriat-Je me souviens-Extraits d’un manuscript-Brit 27-Redacteur Asher knafo
LES REVUES
Cette année 1918 évoque pour moi une image Papa Maman et moi revenant à la maison de Marrakech par Riad el Zitoun, à hauteur du tribunal de Paix, je vois encore les grandes murailles du mellah, en face, est-ce donc là que j’ai appris la fin de la guerre 14-18?
Les revues aux quelles nous assistions des tribunes avec places réservées, même pour nous, enfants! L’arrivée des officiels, les hymnes nationaux, les défilés avec comme spectacle de choix les spahis, leurs beaux burnous s’envolant au vent, les mokhaznis avec leurs bonnets rouges en pointe,les goumiers aux têtes de guerriers farouches à souhaiter de ne pas tomber entre leurs mains et le légionnaires en pleine légende, en pleine gloire, à l’apogée de leur renommée, Toutes ces merveilles dans un halo de poussière sous une chaleur de 14 Juillet. Que c’était beau! et ces fanfares accompagnant ces défilés. Lors des enterrements militaires, les marches funèbres jouées par la Légion donnaient la chair de poule aux plus indifférents!
Je me souviens aussi des matchs de tennis, des parties de croquet jouées par les anglais et surtout une partie de polo disputée par les officiers de la garnison quelque part dans la Palmeraie car je revois nettement les Djebilett du Gueliz au fond. Dieu que tout cela était beau et que j’aime le Polo!
LE GRAND VOYAGE EN EUROPE
Maman n’avait pas quitté le Maroc depuis 1912, année de notre voyage à Londres, ville où elle s’était rendue avec Papa, Licita et moi, et d’où nous avions ramené cette chère miss Collins, la nurse. Maman commençait à s’agiter, elle avait besoin d’un changement, elle disait à Papa: « ah, si nous pouvions faire un beau voyage! j’ai envie d’aller en Europe, de faire le tour des capitales,de faire un périple qui en vaille a peine si c’était possible, nous oublierions tous les ennuis que nous venons de subir ». Papa lui répondait: « ne me demande pas l’impossible, j’en ai autant envie que toi! De plus tu es enceinte ; ne me fais pas peur avec des envies impossibles à contenter » mais lors d’une de ses visites chez le Glaoui, il a été question de voyage. Et le Glaoui dit: « Mais Tajer Nissim avec votre fortune et votre nom, demandez et osez, tout vous sera permis. Bref, avec de nombreux crédits ouverts pour de futurs transactions commerciales, Papa reprend confiance en lui, réalise quelques affaires et nous voilà tous en route pour Tanger: les trois enfants et Rebecca, la bonne. Nous logions tous chez Grand-mère et y restons à attendre Papa et Maman qui partent.. Madrid, Paris, Londres, Bruxelles, Amsterdam, La Haye, durant six mois. Musées, concerts, théâtres, repas avec des personnages importants. Un rêve digne des Mille et une Nuits!
A leur retour à Tanger, je revois Maman, encore aujourd’hui, belle comme depuis longtemps elle ne l’avait été, resplendissante de bonheur ; elle portait une robe en satin noir discrètement brodée de petites perles noires. Son chapeau de satin noir à large bord (presque le chapeau de torero) n’avait comme garniture qu’un biais de tulle ombrant ses beaux yeux bleus cernés par la fatigue du voyage et une grossesse de six mois passés. Qu’elle était belle!
Je ne revois pas mon Papa chéri, pourtant la belle photo en smoking où il a tant d’allure a été prise à cette époque à Paris. Il était magnifique, pourtant. Vous connaissez ces photos: Maman tout en blanc, avec un renard blanc et ses perles, l'air très doux mais, disait-elle très bête, moi, je dirai plutôt naïf car elle l’était: innocente, inexpérimentée, c’est écrit sur son visage! Papa, lui, avec son long fume-cigarette, a l’air très conquistador, l’œil noir, une main dans la poche et la cigarette fumante au bout du fume-cigarette en écaille. Il a une allure folle dans cette photo.
A l’issue de ce voyage les bagages étaient nombreux: vingt cinq caisses énormes sans compter les valises contenant des vêtements pour tous, de la tête aux pieds, des poupées grandes comme nous, des bicyclettes, des trottinettes des jeux et des jouets de toutes sortes, vanneries d’Espagne fines comme des cheveux: boites de toutes formes, de toutes tailles, plateaux, petits plats en laque, du bric à brac mélangé à de belles choses. Ce retour a fait du bruit à Tanger, Marrakech et Mogador.
Quelques temps après, le fiancé de Lortuna, la sœur de maman nous a tous invité à un splendide pique-nique dans le jardin de sa villa au Marshan. Assis sur des matelas et des tapis par terre brochettes, poulets, aloses énormes défilèrent. Le plus fameux joueur de « Ghaîta »(la ghaîta est un genre de flûte, elle s’appelle ainsi, aussi bien en espagnol qu’en arabe: ghita.). « El Harbito » (diminutif espagnol de Harbi qui signifie Arabe) connu et renommé dans tout le Maroc, il était déjà aveugle à l’époque, cheveux et petite barbe blancs assez rond et petit. Il jouait à merveille ; et ce qui nous amusait, nous les enfants, c’était ses joues! A force de jouer elles étaient devenues élastiques et se distendaient au point que nous pensions les voir éclater! Mais il jouait admirablement bien. Il était accompagné d’instruments variés.
MOGADOR
Je vais maintenant relater nos séjours à Mogador durant les étés de 1922 à 1927. Je vais décrire nos séances de plage en été. Les cousins, plus courageux que moi, s’en allaient par les rochers derrière le club et faisaient de grandes promenades. Moi,froussarde, je ne les suivais pas. Dommage car c’était amusant et il y avait de beaux coquillages à l’époque. J’en ai eu quelques-uns mais Maman les jetait.
Nos parties de plage en elles-mêmes étaient classiques et nous semblaient formidables. Les forts et les constructions compliquées étaient construites par les cousins. Ils faisaient aussi, et sans pitié pour celui qui y tombait, des trous très profonds, camouflés par des petits roseaux, des algues et en dernier lieu du sable. Ils étaient assez profonds pour risquer de se casser une jambe. Cela finissait par des fous rires mais aussi par de sérieuses remontrances des parents ou des étrangers qui y tombaient. Puis les séances de bain. Celles-ci devenaient homériques grâce à Maman. Si nous avions le malheur de dépasser 60 à 70 cm de profondeur, Maman courait comme une folle vers le bord de la mer en brandissant son ombrelle en nous insultant. Elle nous déshonorait vis-à-vis de nos cousins et amis. Nos bandes de 10 à 15 personnes étaient sûres, presque tous savaient nager. Surtout la pauvre Auntie Evelyne qui nageait tous les jours jusqu’au bateau au large, saluait les marins et revenait sans s’arrêter, sans repos, heureuse comme un poisson dans l’eau.
Je me souviens des restes d’un fort raz de marée. La plage était toute parsemée de déchets de toutes sortes: bois, algues, joncs, roseaux et très loin du côté du fort portugais où était l’embouchure de je ne sais plus quel petit oued, des bêtes crevées, des restes de noualas (huttes en torchis), une vraie désolation!
Lorsque nous allions à Mogador, les réceptions en notre honneur se succédaient sans arrêt, que c’était bon! Les familles nous arrachaient les unes aux autres, soit par des repas pantagruéliques soit pour des thés de même acabit.. Sur d’immenses tables s’alignaient douze à quinze sortes de gâteaux, les uns plus exquis que les autres, ou alors si sucrés et nous si gourmandes que nous en sortions parfois écoeurées.
Dora Coriat-Je me souviens-Extraits d’un manuscript-Brit 27-Redacteur Asher knafo
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