L'esprit du Mellah
DE FOUCAULT DE CULOTTE
Le déguisement en rabbin avait bien trompé les Musulmans mais les Juifs n'en furent pas dupes et gardèrent le secret. L'épisode le plus dramatique se serait passé à Meknès, selon un récit qui m'a été rapporté mais qu'il m'est impossile de corroborrer avec d'autres sources.
Meknès sera l'épreuve avait averti le guide, Mordekhai Abisror, qui connaissait la réputation des rabbins de la ville. Au jour dit le faux rabbin fut invité à donner un sermon dans la grande synagogue où l'on accueillait les hôtes de marque, slat rebbi Shemaya.
Troublés puis révoltés par ce sermon peu orthodoxe, les rabbins s'interrogèrent du regard. L'un d'eux se leva et prononça la phrase terrible: "ce sont là paroles de mécréant!" Rabbi Haim Mréjen alla encore plus loin et proclama "Ce sont paroles d'incirconcisé" et aussitôt les fidèles s'en saisirent et le déculottèrent.
Le spectacle confirma le diagnostic du grand rabbin. Mais d'un commun accord il fut décidé de garder le secret de crainte de représailles quand les Français viendraient, et c'est à préparer leur venue que le jeune capitaine avait procédé à sa "Reconnaissance du Maroc", rapport d'espionnage autant que relevé scientifique.
EN PASSANT PAR EL-KSAR
Nous passons par une porte voûtée et pénétrons dans un labyrinthe de ruelles plus misérables, plus sordides fetides que celles de la ville arabe au milieu de maisons qui paraissent des tannières, à trvers des carrefours qui semblent des écuries d'où l'on aperçoit des cours qui ont l'apparence de cloaques de tous les coins de cet amas d'immondices surgissent des femmes et dejeunes filles très sourient et murmurent:
"Buenas dias! Buenas dias! Dans maints endroits nous sommes forces de nous boucher le nez et de marcher sur la pointe des pieds. L'ambassadeur était indigné: Comment pouvez-vous vivre dans une telle saleté?" "C'est l'usage du pays" répond le vieux Juif. usage du pays, quelle honte! Et vous souhaitez la protection des légations, vous parlez de civilisation, vous appelez les Maures sauvages, vous qui vivez pire qu'eux et avez l'impudence de vous y complaire!" (Edmondo de Amicis; Au Maroc, 1876)
A L'OMBRE DE MEKNES
"Une population trop dense, qui étouffe dans ce quartier étroit en dehors duquel le Sultan ne lui permet pas de vivre. Des ruelles encombrées de marchands, et par terre toutes sortes de débris, d'épluchures, d'immondices; à cause du tassement, une malpropreté qui étonne, même après celle des rues arabes, et des puanteurs sans nom, à la fois acres et fades, vous prennent à la gorge . . . (Pierre Loti: Au Maroc, 1889)
PITIE ET DEGOUT
Si habitué que je sois par mes années de séjour en Algérie, à la saleté proverbiale des Juifs, je suis stupéfait du spectacle qui s'offre à mes yeux. Nous avançons au milieu d'ordures puantes et de flaques noirâtres. Nos chevaux s'enfoncent dans les immondices ou glissent sur des dalles souillées tandis que Mille et moi nous nous tamponnons le nez avec nos mouchoirs pour ne pas respirer l'odeur infecte qui se dégage de cet ensemble . . .
Sans doute un grand sentiment de pitié nous anime à l'égard de ces parias, mais il ne peut dominer le sentiment de dégoût qui nous pousse à fuir au plus vite ce spectacle répugnant et triste . . . "Ne vous apitoyez pas trop inutilement" me disait mon compagnon en Algérie, "avant quinze ans ces gaillards auront hôtel et automobile à Paris tandis que nous greleterons de fièvre dans un poste du Sud." (Capitaine Paul Azan: Souvenirs de Casablanca, 1912).
UN COEUR DE PIERRE
"Quand on a longtemps erré dans cette ville musulmane, bien poussiéreuse, bien délabrée mais vaste et aérée, quel dégoût de tomber dans le Mellah! C'est un des lieux les plus affreux du monde. Là s'entassent 20.000 Juifs dans un espace infiniment trop étroit pour leur vie pullulante, ce ne sont que caftans noirs sordides, culottes crasseuses, cheveux gras, têtes ravagées par toutes sortes de variétés de teigne qui dégoûtent le passant et ravissent le spécialiste, yeux chassieux, clignotants, purulents, mal ouverts qui semblent sortir d'une cave et effrayés du jour . .
Dans les chambres groupées autour d'une cour intérieure, d'innombrables familles mêlent dans une promiscuité ignoble, leur vermine, leurs maladies, leurs animaux et leurs enfants: et l'on est saisi à la gorge par une atroce odeur d'excréments, de fumier, de sang de poulet et de maya, ce tord-boyau de figues, de raisins et de miel qu'on boit à pleins verres au Mellah …
En sortant des quartiers arabes on quitte une civilisation d'un caractère aisé, insouciant, amie du plaisir et du repos, pour trouver ici un monde effroyablement affairé. Tout ce Mellah s'agite, trafique, se marie, vit et meurt sans paraître soupçonner son étonnante abjection.
Bien plus, de cette igniominie s'élève une sorte de gafté satanique, un immense mépris pour tout ce qui n'est pas juif, un orgueil qui brûle en secret sous la servilité et la crainte … Et sans doute est-ce pour cela que le regard s'épouvante et le coeur ne s'émeut pas . . ." (J. et J. Tharaud: Marrakech ou les Seigneurs de l'Atlas, 1920)