Simon Schwarzfuchs- Colonialisme francais et colonialisme juif

La nomination de Bugeaud au gouvernement de l'Algérie—il exerça ses fonctions du 23 février 1841 au 5 juin 1847 — ne devait modifier en rien son antisémitisme maladif. Il écrivait le 13 mai 1842 de Mostaganem au Ministre de la Guerre et, après lui avoir exposé certaines de ses difficultés, ajoutait:

"Puisque je suis sur l'article des Juifs, je ne lancerai pas ce grave sujet sans vous dire, Monsieur le Maréchal,"que dans l'intérêt de notre avenir et de notre sécurité en Afrique, il y aurait à prendre envers les Juifs une mesure bien plus grande, bien autrement sévère, mais aussi bien plus utile, bien plus politique que celle que je propose: ce serait de les expulser entièrement de nos possessions d'Afrique, parce qu'ils y sont pour nous un danger permanent, non pas direct, mais parce qu'ils sont négatifs et plus que négatifs pour la défense, et qu'ils tiennent dans nos villes une place énorme qui serait occupée par des Européens qui défendraient la ville et le port, tandis que les Juifs, non seulement ne défendront pas, mais encore instruiront les Arabes de nos démarches. Ils vivent chez nous. Ils n’étaient pas 3.000 à Oran en 1837 et ils sont aujourd’hui plus de 4.000".

Bugeaud reprenait ensuite les recommandations déjà faites en 1837 pour aboutir au départ des Juifs. Pour le faciliter encore davantage, il proposait de faire évaluer ‘leurs propriétés qui consistent presque uniquement en maisons et en quelques petits jardins’, l’Etat s’engageant à leur verser le prix de l’estimation au cas où ils n’auraient pas réussi à les vendre plus avantageusement. Ces biens seraient ensuite revendus à des Européens qui les remplaceraient tant pour supporter les charges du pays que pour le défendre contre les Arabes. Bugeaud s’élevait contre les philanthropes et les hommes scrupuleux de légalité qui protesteront sans aucun doute contre ces mesures: lui- même les considérait comme très acceptables. Il concluait enfin:

En deux ou trois ans, les 15 ou 16.000 Juifs qui existent en Algérie et qui nous possèdent bien plus que nous ne les possédons, s’écouleraient facilement vers le Maroc et à Tunis, sans éprouver presque aucune perte dans leur fortune.

L’année suivante, dans une lettre écrite de Mascara le 3 novembre 1843, il devait revenir sur le sujet; il n’avait pas désarmé entre-temps. Dans un long rapport sur l’Algérie envoyé au Ministre de la Guerre, il déclarait:

Plus j’examine cette question, M. le Maréchal, et plus j’aperçois d’inconvénients à substituer, dans nos villes de l’intérieur, l’administration civile à l’administration militaire. Il y en a surtout d’immenses vis-à-vis des Arabes. Ainsi, par exemple, en vertu des ordonnances que nous avons faites, partout où règne l’administration civile, les Juifs sont assimilés aux Français. Cette assimilation n’a pas changé brusquement leurs moeurs; elle n’a pas fait que leurs vices soient devenus spontanément des vertus, et ils profitent de la liberté qui leur a été donnée pour se venger de l’état d’infériorité dans lequel ils ont été tenus longtemps par les Arabes, en volant ceux-ci, en les injuriant, en les outrageant. L’Arabe ne sait comment se faire rendre justice devant l’autorité civile: celle-ci, d’ailleurs, est d’autant plus disposée à donner raison aux Juifs que c’est parmi eux qu’elle a pris tous ses interprètes et tous ses agents secondaires pour le service municipal. L’Arabe souffre et s’indigne; il ramasse de la haine pour exhaler, dit-il, dans des temps meilleurs. C’est, à mon avis, une grande faute, que d’avoir élevé sans transition les Juifs d’Algérie à notre hauteur; nous ne l’avons pas fait dans nos villes de l’intérieur; ils sont sur le même pied que les Arabes; ils sont soumis comme eux à la juridiction militaire, et l’Arabe n’est pas humilié par ce contraste si choquant, de voir un Juif qu’il méprise, jouissant de toutes les formes protectrices de notre jurisprudence, tellement protectrices qu’elles amènent souvent l’impunité ou une répression très tardive et très insignifiante, pendant que lui reçoit de la justice arabe des coups de bâton pour la plus petite faute. Cette comparaison, vous en conviendrez, est fort révoltante pour un guerrier arabe qui était accoutumé à mépriser les Juifs jusqu’ici très méprisables en effet dans l’Algérie.

Cette question des Juifs, M. le Maréchal, est beaucoup plus grave qu’elle ne paraît d’abord. Ces gens-là nous créeront de grands embarras; et comme ils tiennent la place que tiendraient des Européens sur lesquels nous pourrions compter au jour du danger, ils sont une cause de faiblesse; il ne faut compter sur eux, ni pour la défense du pays, ni pour son exploitation agricole; ils ne sont que trafiquants et ils absorbent la plus grande partie des affaires, sans payer aucun impôt, pas même celui de la milice.

Pour le gouverneur général de l’Algérie, les Juifs constituaient donc un danger pour la colonisation, dont ils empêchaient les progrès par leur seule présence. Ils ne pourraient participer au développement du pays, qu’ils gêneraient plutôt. Il fallait donc s’en défaire, encore que les difficultés qu’il rencontrerait à Paris ne lui eussent pas échappé. Il est certain que les milieux gouvernementaux de la capitale étaient soumis à une forte pression juive dont le Consistoire Central était le facteur le plus agissant. Dans le grave débat qui opposait la métropole à Bugeaud, celle-ci ne risquait-elle pas d’être tentée d’écouter les voix juives et de se servir de tous les appuis qu’elle pourrait réunir contre le remuant proconsul? Sans doute est-il difficile de suivre au jour le jour les délibérations du Ministère, mais il n’en reste pas moins qu’il fut fait appel à des conseillers juifs pour examiner à nouveau le problème et en faciliter la solution. Paris n’était pas décidé à se laisser dicter sa conduite par Bugeaud.

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