Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale- Exclusion de la vie publique.

Epreuves-et-liberation

La reaction de la rue

Malgre ce changement de l'atmosphere autour de la communaute juive, les desordres que l'on pouvait craindre ne se produisirent pas et, a quelques rares exceptions, la rue resta calme, pendant toute cette periode agitee. Des incidents penibles, mais sans grande gravite, jalonnerent la vie quotidienne, provoques par des allusions antisemites de la part des Europeens, comme en temoignent les rapports de police. Ainsi, par exemple a Rabat, des militants d’extreme-droite, furieux de voir le portrait de leur idole, affiche dans un salon de coiffure tenu par un Juif, inscrivirent de nuit sur sa devanture : «Enlevez de chez vous le portrait du marechal! Sinon, gare a la casse… »

A Rabat toujours, le 13 novembre 1940, la police fut saisie d’un incident dans un cafe. Un client europeen interpella a haute voix une consommatrice juive :

"He Rebecca ou Rachel, ce qu’il faudrait ici au Maroc en particulier, c’est un politicien — et cela ne va pas tarder—pour faire souffrir la population juive. » Un Francais rencherit: «Je suis de votre avis et je ne sais pas ce que je donnerai le jour ou cela arrivera ».

La victime de ces invectives se leva alors et le gifla . Cet incident, somme toute mineur, était en fait hautement révélateur de l’efficacité au Maroc de la propagande du fer de lance de l’antisémitisme, du parti le plus extrémiste, le Parti Populaire Français. L’invective était en effet empruntée à un récent article de son chef Jacques Doriot, dans son journal Le cri du Peuple :

« M Mandel, leur chef de tribu, a été le belliciste le plus conscient de ce pays. Israël n’a pas fait la guerre, il convient toute de même que nous les chassions. Moi, je veux de la place pour les prisonniers quand ils rentreront, donc je fais du vide en expulsant les Juifs, j’interdis aux Juifs de se marier avec une Françaisen’ont-ils pas assez de Rachel et de Rebecca ? »

A Meknès, l’agitation antijuive contamina la jeunesse. Les jeunes lycéens français du lycée Poeymireau, déçus que les élèves juifs n’aient pas encore été renvoyés, badigeonnèrent, dans la nuit du 23 janvier 1941, les murs intérieurs et extérieurs de leur établissement ainsi qu’autour de la statue du général qui avait donné son nom à l’établissement, proclamant :

« Lycéens, chassez les Juifs du lycée ! Unissez-vous contre les juifs !

Passons à l’action ; mettons les Juifs dehors ! Mort aux Juifs ! »

Les clubs sportifs privés et associatifs, en particulier de tennis et de natation, exclurent leurs membres juifs. Depuis son inauguration, au début des années trente, la piscine municipale était de toute façon interdite aux Juifs le dimanche, ouverte le samedi aux seuls Juifs et le vendredi, aux Musulmans.

Dans son livre : Il était une fois le Maroc, David Bensoussan rapporte qu’à Mogador : « La ségrégation fut instaurée dans les piscines ouvertes vendredi pour les Musulmans, samedi pour les juifs, après quoi l’eau était changée le dimanche pour les Chrétiens. »

A Safi, ajoute-t-il, «les chemises noires forcèrent les leaders communautaires à enlever leurs vêtements européens, à mettre le burnous traditionnel des Juifs du ghetto et à se promener le crâne rasé dans la ville. »

Les seuls incidents graves eurent pour cadre Marrakech, sans lien direct apparent avec le tournant antijuif des autorités du Protectorat mais à son ombre. Scénario devenu classique, une bagarre entre des jeunes Juifs et des militaires musulmans, au quartier réservé limitrophe du mellah, dégénéra en pugilat général. La police intervint et ouvrit le feu, faisant 10 blessés parmi les manifestants musulmans ; 5 policiers furent hospitalisés et 20 Juifs blessés. Mais alors que le calme revenait dans le quartier réservé d’Elbhira, les désordres se propagèrent au centre ville, à Jama elfna où s’étaient regroupés des centaines de tirailleurs alertés par leurs compagnons. Cette fois, le bilan fut plus lourd : 2 morts et 7 blessés. Des gardes furent placés, nuit et jour, aux portes du mellah. La tension resta très vive et atteignit son paroxysme avec un incident mineur, le 30 novembre. Pour se venger, de jeunes Juifs lancèrent des pierres du haut des terrasses sur un convoi funéraire musulman. Le pacha décida de punir pour l’exemple la communauté juive de la ville en lui imposant une amende collective de 50.000 francs—une mesure sans précédent ! D’autant plus que, pour frapper les esprits, la Résidence décida de doubler l’amende à 100.000 francs. Le Comité de la Communauté, estimant la sanction trop sévère, envisagea de solliciter une audience auprès du sultan. La Résidence s’empressa alors de dépêcher sur place son homme de confiance, l’inspecteur des institutions israélites Yahya Zagury, pour calmer la communauté — et il y parvint. En effet, pour adoucir la pilule, les services municipaux acceptèrent de consacrer le produit de l’amende à des travaux d’assainissement du mellah qui souffrait par ailleurs de la propagation d’une épidémie, en raison des conditions sanitaires précaires.

En février 1941, à Meknès, bastion de l’antisémitisme européen, des commerçants français affichèrent, sur les devantures de leurs magasins, la francisque gallique — la hache à deux fers, emblème du régime de Vichy — pour se distinguer des commerces juifs soumis au boycott. Sur ordre de la Résidence, le chef des services municipaux leur ordonna de les faire disparaître sans tarder.

Le retour sur la scène d’une des plus discutables initiatives des autorités chérifiennes ne pouvait tomber au plus mauvais moment, pour aggraver encore plus la détresse psychologique et illustrer l’isolement et la mise à l’écart de la communauté juive.

 

Joseph Toledano-Epreuves et liberation-les juifs du Maroc pendant la seconde guerre mondiale- Exclusion de la vie publique.

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