Alliance Israelite Universelle


Mon passage a l'E.N.I.O, l'Ecole Normale Israelite Orientale Denise Gabriel

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Denise Gabriel

Mon passage a l'E.N.I.O, l'Ecole Normale Israelite Orientale

A notre age il est bien doux de se rememorer de souvenirs de jeunesse. Et voila qu'en decembre 2010 on a celebre 150 ans de la fondation de l'Union Israelite Universelle (1860) et, a cette occasion, revocation, entre autres reminiscences, de mon sejour de trois annees a l'Ecole Normale ENIO, et qui fut pour moi, d'un certain point de vue, un genre de reve. Moi qui jusqu'a l'age de 17 ans n'avait jamais quitte toute seule le kilometre carre autour de ma maison d'enfance, je me retrouvais a l'Ecole Normale sise a Auteuil, l'un des plus beaux quartiers de Paris, et transitant a Versailles ou se trouvait le dortoir des filles.

L'ecole.

D'abord la maison ou logeait l'ecole — un hotel particulier du XVIII erne siecle de trois etages, entoure d'un pare merveilleux ou tronait une replique de la statue "Moi'se", (voir photo) oeuvre de Michel Ange. La, Mme Delvisius avait accueilli chez elle tout le siecle des Lumieres : Diderot, d'Alembert, et Thomas Jefferson. Pendant la deuxieme guerre mondiale cette maison fut un lieu terrifiant ou la milice francaise pronazie avait etabli son quartier general. Mais apres la guerre elle fut restituee a l'UIU pour reprendre son role d'institution de formation de jeunes instituteurs israelites qui devaient retourner dans leurs pays servir dans les ecoles franco- hebrai'ques fondees par l'UIU.

Au sous-sol – la cuisine et les dependances. Quelques marches menaient a une belle entree. A droite de l'entree un escalier aux marches de bois poli qui menait aux etages, dortoir des garcons et appartement du Directeur. En face le bureau du Directeur et a gauche un beau salon par lequel on accedait aux classes.

Papa Levinas.

Le Directeur, Monsieur Emmanuel Levinas, etait pour nous un bon papa respecte mais qui menait l'ecole de facon ferme et efficace (je ne l'ai jamais entendu elever la voix). II faut reconnaitre que nous n'etions pas conscients de sa valeur intellectuelle.

Nous savions seulement qu'il enseignait la philosophie. II est vrai qu'a cette spoque il en etait seulement a ses debuts. A sa premiere visite en Israel en  1955 il avait tenu a rencontrer ses anciens eleves qui avaient fait Alyah. C'est bien curieux, mais je n'ai qu'une vague memoire de cette rencontre. C'est bien plus tard que nous avons suivi, non sans fierte puisque nous avions ete proches d'un personnage exceptionnel, sa lente et tardive accession a la celebrite et reconnaissance de sa juste valeur.

En verite, tout avait commence a l'ENIO dont il avait fait une sorte de maison d'etudes talmudiques (avec la presence du tres mysterieux monsieur Chouchani) en meme temps qu'un lieu de convergence de la pensee juive et de colloques avec les jeunes philosophes  de l'epoque

Malheureusement je ne m'en rendais pas compte en 1948, par manque d'experience, pour profiter de cette ambiance intellectuelle, mais je suis bien emue d'y avoir trempe quand meme.

Les Copains

J'ai ete selectionnee parmi les eleves de mon ecole a Marrakech pour poursuivre_mes etudes a l'ENIO, et fut recue apres avoir passe les examens a Casablanca. De la le bateau pour Marseille et la grande aventure. Sur le bateau j'ai rencontre ma premiere amie, Jeannine. Nous avons ete revues a Marseille par ses proches parents. Ensuite le train pour Paris ou nous attendait un eleve de l'ecole qui nous annonce que la valise de Jeannine s'etait egaree. Imaginez notre consternation, cela debutait bien ! Mais bien vite quelqu'un mit fin a la plaisanterie : c'etait une facon des garcons de 'feter" l'arrivee des filles.

En 1948 nous etions sept filles : trois marocaines, trois israeliennes et une iranienne. Plus tard sont arrivees deux libanaises et une tunisienne. Nous etions logees dans une maison d'enfants de l'OSE a Versailles, par manque de place a Auteuil. Retrospectivement je crois que c'etait surtout pour nous separer des garcons, suivant la plus pure tradition de morale juive. A part les lecons en classe et les repas en commun nous n'avions pas beaucoup de contacts sociaux avec les garcons. Nous prenions le train de sept heures de Versailles et de retour a 16 heures, tout de suite apres la fin des classes. Entre filles qui partageaient le meme dortoir, nous nous entendions tres bien, avec des discussions qui n'en finissaient pas les fourires, les disputes et parfois des pleurs, bref toute l'ambiance collegiale d'une bande de filles qui au fond s'aimaient bien. A tour de role les filles passaient un Chabbat a Auteuil, et prenaient part aux prieres (la synagogue se trouvait au fond duparc) avec separation entre garcons et filles.

Dans ces cas on nous hebergeait dans un pavilion separe du batiment central.

Dans cette ambiance un peu austere de discipline, etudes et surveillance serree, ne pouvait se developper une activite sociale intense, comme on pourrait s'y attendre parmi un groupe de jeunes. Malgre cela j'ai de bons souvenirs de certaines "surprises-parties" que nous organisions avec musique et danses, sous l'oeil vigilant et indulgent du Directeur, ainsi que plusieurs excursions et, dans la limite de nos maigres moyens, sorties en ville, au theatre et meme une fois a l'Opera.

Au terme de trois annees d'etudes, vint le moment ou je ne pensais qu'a rejoindre ma famille qui etait deja en Israel. Tout le groupe s'est disperse et je n'ai garde aucun contact avec les amis. II ne me reste de cette periode qu'une memoire un peu floue d'un episode agreable, tendre et doux, sans heurts mais sans details precis

Dommage, car c'est quand meme une tranche de jeunesse un peu perdue.

Joseph Dadia A l'ombre du Bani L'ecole de l'Alliance a Akka

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Joseph Dadia

A l'ombre du Bani L'ecole de l'Alliance a Akka

Monsieur Alfred Goldenberg me confie que l'ecole de l'Alliance a Akka n'a pas d'instituteur depuis des mois. II me propose le poste, puisqu'il me connait depuis le Cours Preparatoire. Je le remercie de la conflance qu'il me porte, et lui declare que je suis disponible pour me rendre a Akka

Monsieur Rene Camhy ne tarda pas a prendre le relais, en supervisant ma formation pedagogique dans la classe de Madame Annette Zrihen nee Levy. En quelques jours, elle a su me transmettre les premiers rudiments que tout instituteur devrait connaitre pour enseigner

Un vendredi matin de fevrier 1960, Monsieur Camhy m'accompagne dans sa voiture a Akka, avec un arret a Agadir pour le shabbat. II a prefere aller a l'hotel que de venir avec moi chez mon oncle Meyer, que je n'ai pas vu depuis l'ete 1956. J'ai hate aussi de revoir ma tante Freha, mes cousins et mes cousines. Je ne savais pas en ce moment que ces breves retrouvailles allaient etre les dernieres

Mes debuts d'instituteur a Akka

Le dimanche, des la pointe du jour, Monsieur Camhy sonna chez mon oncle

et nous nous mimes immediatement en route pour notre destination finale, avec une halte a Oufrane de l'Anti-Atlas pour rencontrer les responsables de la communaute

 Nous arrivames a Akka, apres bien des aventures avant la tombee de la nuit. Le cheikh Yitzhak, rabbi Moshe et des notables guettaient notre arrivee devant l'ecole

 L'accueil est chaleureux. Les benedictions de bienvenue se renouvellent, avec mille embrassades des mains

De gais youyous, zgharit, retentissent dans le calme de la palmeraie, qui attend l'appel du muezzin pour emerger de la torpeur vesperal

Le voyage a ete fatigant. Je ne me souviens pas ou nous avons passe notre premiere nuit dans ce qsar du bout du monde

J'etais la pour apporter aux enfants de l'ecole le reve et les lumieres de la culture europeenne. J' allai devenir le directeur d'une ecole a classe unique d'une quarantaine d'eleves, filles et gargons de six a seize ans. Pour les eleves et leurs parents  je suis le «maestro», le «maître». Pour la population locale, je suis le « mudir », le « directeur ». Ces titres informels, que l'usage a adoptés, vont me valoir déférence et autorité dans cette oasis nichée près des « kheneg » ou cluses, failles du Djebel Bani, dans le voisinage du cours inférieur de l'oued Dra, parfois souterrain jusqu'à son embouchure dans l'Océan Atlantique

Tôt levés le lundi matin 8 février 1960, après une nuit du sommeil du juste, nous voilà tous les deux, Monsieur Camhy et moi, dans les murs de l'école de l'Alliance. L'émotion m'étreint en entrant dans la salle de classe. Deux rangées de bancs me sourient. Le légendaire tableau noir est accroché à sa place ; il est le fidèle miroir de tout un savoir qu'il transcrit et transmet de génération en génération. Monsieur Camhy tente de me calmer de sa voix douce et de son verbe magique, quand je le vois à son tour trembler comme une feuille d'automne, emporté par un subit émoi. A présent, c'est moi qui le soutiens, lui, le dévoué protecteur de nombreux instituteurs qu'il a installés dans les bleds égarés de l'Atlas et des vallées où pousse l'arganier du Sous. Nous retrouvons tous les deux nos esprits. Nous décidons d'aller respirer un peu d'air frais à l'ombre des palmiers-dattiers d'un jardin, qui est juste en face de l'école

Ce matin-là, le soleil darde à plomb ses rayons sur la palmeraie et les hauteurs du Bani, rendant l'atmosphère irrespirable. J'entrevois le climat qui m'attend et auquel il faut bien m'y habituer. Je comprends du coup pourquoi les portes de cette école de l'Alliance ferment le 31 mai, avant toutes les autres écoles du Royaume.

Nous profitons de cette journée sans élèves pour inspecter les lieux et faire l'inventaire des livres, des cahiers, des différents registres et papiers administratifs, du matériel, de l'intendance et de la mallette des premiers soins

L'école de l'Alliance, un quadrilatère coquet et bien entretenu, construite avec goût dans le style de la localité par son propriétaire le cheikh Yitzhak, président d'une petite communauté de cent quarante âmes environ. Une cour à ciel ouvert, sans arbre ni verdure ni robinet d'eau courante, flanquée de latrines sur son aile gauche, forme l'ossature de cette construction autour de laquelle s'agencent, à la droite de l'entrée, mon bureau-chambre et la salle de classe, et, à sa gauche, une pièce à la fois réfectoire et salle de cours, la cuisine et l'intendance où sont entreposées les denrées alimentaires. Un mur, coupé en son milieu, sépare ce côté de l'établissement du restant de la cour. Une petite porte donne accès à cette aile, ne s'ouvrant que pour laisser le passage au ravitaillement, que le Joint envoie pour la nourriture des enfants

Joseph Dadia A l'ombre du Bani L'ecole de l'Alliance a Akka

ALLIANCELa façade principale est percée d'une porte plus grande. C'est l'entrée de l'école par où arrivent et repartent les élèves. Elle est constamment fermée à clef, confiée au domestique Messod Lévy. Rapidement, cet homme de petite taille tout en muscles, au visage labouré par les épreuves du temps, a se révéler dynamique, plein d'initiatives et de bon sens. Un incontournable collaborateur de tous les instants. Mon confident, mon conseiller et mon ami. Je ne l'ai jamais considéré comme un domestique, appellation d'un autre âge, relevant purement et simplement de sa fonction administrative

L'école, inaugurée en mars 1955 par Monsieur Elias Harrus, est à deux encablures du mellah, à l’embranchement d'une piste entre l'oasis et es contreforts du Bani. Cette piste est empruntée régulièrement par des

hommes et des femmes à pied ou juchés sur leur âne ou mulet, de même que par leurs troupeaux, en direction de Tagadirt et de Taourirt, de l'oued Akka : où l'on pêche des poissons et de l'oued Kebbaba. Le point de départ de cette piste, parsemée de loin en loin de petits cailloux inoffensifs, est le centre administratif, siège du Makhzen, du bureau postal, du souk hebdomadaire, des magasins de commerce, d'alimentation et d'artisanat, et de la station du car qui dessert quotidiennement la ligne Tiznit- Akka et inversement.

Il me suffit d'ouvrir la porte de l'école pour admirer le va-et-vient des gens : saluer 'Ali Bihi qui revient du souk, Chrif Brahim assis près de là entouré de ses fidèles

 il m'a accordé son amitié et sa protection -, El Haj Hassan, hôte d'une imposante qasba, où il m'invite pour un thé les soirs d'un ahouach, mon voisin Mbark, impétueux jardinier, qui ne rate aucune occasion pour apostropher à la cantonade son neveu 'Ali Bihi. J'ai trouvé en chacun d'eux cette gentillesse qui m'ouvrait les cœurs et les liens de sympathie. Je pouvais aller en toute liberté dans les champs et les jardins de l'oasis

Ce lundi après le repas, René Camhy retourna à Marrakech à son poste de Directeur du Groupe Scolaire Jacques Bigart. Désormais me voilà seul face à mes obligations professionnelles. Seul, pas tout à fait ! Messod Lévy vient me voir accompagné de la cuisinière Esther Assaraf. Il me la présente timidement dans un arabe mâtiné de mots d'hébreu déformés. Ils m'exposent, l'un après l'autre, en quoi consiste leur travail à l'école. J'ai vite saisi que j'ai affaire à deux membres du personnel efficaces et consciencieux. Je leur exprime ma reconnaissance et ma joie de les avoir à mes côtés, car leur dévouement me permettra de me consacrer aux élèves et a la gestion administrative de l'école

Je les assure de ma totale confiance, ajoutant qu'ils peuvent continuer de s'organiser comme par le passé. La cuisinière me détaille le menu du petit déjeuner et du déjeuner des deux semaines à venir. Messod Lévy, l'ange gardien de l'établissement et des elèves, s'incline, prend ma main et l’embrasse. Cette marque d'estime me touche profondément. En fin d'après-midi, Messod Lévy m'accompagne au mellah pour rencontrer le rabbin et la communauté. Le mellah se résume en une impasse propre et large ; une porte à son entrée, et des maisons à un étage de chaque côté de la ruelle. A la gauche de l'entrée, un modeste atelier du dernier bijoutier et orfèvre juif, travaillant le métal, l'argent et l'or. Il est courbé devant son métier au moment où je rentre chez lui. Levant les yeux, il a tout de suite saisi qui j'étais. Il se lève et m’embrasse. Il me tend une escabelle et je m'assois. Il m'offre un verre de thé, et il se met à raconter des histoires drôles. Nous avons vite sympathisé et je lui ai promis de venir le voir de temps en temps. Messod Lévy retourne à l'école. David Assaraf vient me chercher et il me conduit à la synagogue, au fond de l'impasse De petits groupes de femmes conversent sur le seuil de leur maison. En m'apercevant, elles me percent de leur regard et se cachent le visage dans la manche du lizard qu'elles portent. Hanna Assaraf, la femme de David, s'approche de nous et elle m’embrasse la main. Elle m'invite pour le repas de shabbat midi. A la synagogue, rabbi Moshé parlait de Tora avec le cacochyme rabbi David, l'un des derniers érudits de la communauté. Trois autres notables « baisaient la poussière de leurs pieds et buvaient leurs paroles avec soif ». Tout le monde allait se lever en me voyant arriver. D'un geste de la main, je leur fais signe de rester assis. Je m’empresse de les rejoindre. Je leur donne l'accolade et je m'assieds près d'eux, en évoquant in petto ce passage de la Mishna : « Chauffe-toi au feu des savants, mais prends garde de t'y brûler … (car) toutes leurs paroles sont comme des charbons ardents 

Les deux rabbins dissertaient sur la question de savoir si le maître d'école était tenu de répéter la leçon à ses élèves, jusqu'à ce qu'ils la comprissent et combien de fois. Rabbi Moshé me donna la parole et, avec sa permission, je citai un passage du Talmud d'après lequel notre Maître Moïse a répété quatre fois la leçon pour l'enseigner à ses disciples ce qu'il a appris lui-même de Yahvé. D'autres docteurs de la Loi disent qu'il faut répéter la leçon tant que l'élève n'est pas en mesure de l'expliquer lui-même à un autre élève. Un autre docteur, parlant de sa propre expérience, indique avoir répété jusqu'à quatre cents fois la leçon à son élève. A partir de ce moment, rabbi Moshé m'entoure de son affection et de son admiration, et il m'appelle rabbi Yossef. Rabbi David, par la suite, viendra me consulter sur tel ou tel verset de la Tora : « Rabbi Yossef, que penses-tu de l'exégèse donnée à la parasha de la semaine ? Cette leçon talmudique me servira d'exemple

Photo de l'école des garçons de l'AIU à Rabat. Une leçon de lecture d'hébreu. Année 1952

http://rol-benzaken.centerblog.net/2143-aiu-alliance-israelite-universelle

Photo de l'école des garçons de l'AIU à Rabat. Une leçon de lecture d'hébreu. Année 1952

16543.AIU.Alliance Israélite Universelle.

Joseph Dadia-Alliance Israelite Universelle

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Messod Lévy m'attendait devant l'école accroupi à même le sol, fumant avec délectation sa pipe. Il m'a préparé à dîner et j'ai pu apprécier ainsi les performances de la cuisinière. Une lampe posée sur le bureau éclaire ma chambre. Je viens de me rendre compte qu'il n'y a pas d'électricité dans le village de Tagadirt. La chambre est grande. D'un côté, une fenêtre donne sur la rue, un lit et un bureau l'encadrant. De l'autre côté, en face de la porte, une armoire. Messod n'a pas souhaité me laisser seul.

Il s'est enroulé dans une couverture en laine près de la porte. Je me mets à mon bureau et je prépare la classe, qui ne s'improvise pas, et que instituteur prépare chaque soir. Ce mardi est un matin radieux. Je sors de ma chambre à la rencontre des élèves qui arrivent par petites grappes dans la cour de l'école. Les oiseaux chantent dans les jardins d'alentour. Il fait un peu frais par rapport à la touffeur de la veille. Tout concourt à faire de ma première journée d'instituteur une journée agréable. La classe peut  commencer. Les élèves reprennent leur place après de longues vacances forcées. De mémoire d'enseignant, a-t-on vu une rentrée scolaire au cœur de l'hiver ? Les élèves sont tous heureux de retrouver leur banc, et je participe a leur joie. Il y a là les Abisror, les Assaraf, les Debda, les Lévy, les Touati. Toutes les familles du mellah. sont représentées par un ou plusieurs enfants.

Personne ne manque à l'appel. Deux petites mignonnes, aux boucles soyeuses, vêtues de tabliers à carreaux, exhibent avec fierté leur cartable. Je vois à leur air timide que ces benjamines sont de nouvelles élèves. Il y a là des frères et des sœurs, des oncles et des nièces, des tantes et des neveux, des cousins et des cousines à tous les degrés. Je propose à la classe de commencer notre premier cours par une chanson. Les élèves chantent le chant de «l'alouette plumée» et celui de «la promenade à la claire fontaine». Ils chantent juste. Encouragé par leurs voix, je leur apprends «Une fleur au chapeau, à la bouche une chanson ». Je leur demande de reciter « Le corbeau et le renard ». Les grands de la classe la récitent. Je les prie de sortir les cahiers et l’emploi du temps pour me faire une idée de ce qu'ils ont appris. J'engage avec eux une discussion pour connaître leurs souhaits et les matières où ils sont faibles. Il y a là quatre niveaux, du cours préparatoire au cours moyen. Une première idée s'impose à moi : il faut commencer par le commencement et tout revoir par des révisions méthodiques, sans oublier les deux nouvelles qui écoutent sagement sans rien conprendre.

 Je termine le cours par le passage où le « Petit Prince » demande à Saint-Exupéry de lui dessiner un mouton, non un éléphant ni un belier qui a des cornes, mais un petit mouton qui vit longtemps dans une caisse et qui ne mange pas beaucoup d'herbe. Le « Dessine-moi un mouton » pourrait avoir des effets bénéfiques sur ces êtres fragiles, appelés  découvrir dans les livres de lecture des images étrangères à leur environnement. Les cours devraient donc être adaptés à leur sensibilité et à eur perception des choses.

Joseph Dadia A l'ombre du Bani L'ecole de l'Alliance a Akka

ALLIANCELa population juive, qui vieillit et qui s'use, place son espérance dans ses jeunes. J'ai entre les mains l'avenir et la relève de cette ancienne communauté, à laquelle j'accorde ma sollicitude et ma compréhension. Je me dois d'ajouter que les parents me facilitent la tâche. Ils recommandent aux enfants de bien se tenir en classe, d'être attentifs et d'apprendre les leçons. Les élèves sont assidus aux cours. Aucune fugue, aucune absence non justifiée. Tout au long de mon séjour à Akka, je n'ai eu à déplorer  aucun incident ni à l'intérieur de l'école ni à l'extérieur. Dans mes contacts avec tous, je me montre discret, ne me mêlant jamais de leurs affaires privées ou de la marche interne de la communauté. Tout le monde sait ce que je fais en classe. Chaque mois, les élèves font des progrès. Je n'ai pas eu le temps de remarquer que la matinée a passé rapidement, dans la bonne humeur et la décontraction. Les élèves ont repris confiance en eux, rassurés de voir que je tiens compte de leur personnalité, de leur mentalité et du contexte où ils vivent.

C'est l'heure du déjeuner. Au réfectoire tout est fin prêt pour accueillir les élèves autour d'un bon couscous préparé, pour cette heureuse reprise de l'école, d'après la recette du mâ'rouf, en signe de bon augure et de mazal tov. La bonne odeur du couscous se répand à la ronde. Un vieil homme, alléché par le fumet délicat de la cuisine, se présente à la porte de l'école. Il tient un mouchoir dans sa main. Je le remplis de viande et de semoule. Il me remercie et m'invite à venir voir son jardin et ses palmiers. C'est un voisin. C'est comme ça que j'ai fait la connaissance du tonitruant Mbark.

J'ai retrouvé mes élèves l'après-midi et j'ai examiné avec eux les livres et les cahiers, en remettant à chacun les fournitures scolaires dont il a besoin. J'ai esquissé le programme des prochaines semaines, y ajoutant un peu d'instruction civique, de gymnastique, de chant, de dessin et, chose importante et nouvelle pour eux, des sorties de découverte dans la nature. Il me restait à programmer les cours d'hébreu et à trouver un maître d'arabe classique, dont l'enseignement est obligatoire depuis l'Indépendance du Maroc.

Le vendredi après l'office, le cheikh Yitzhak m'entraîne chez lui pour le premier repas du shabbat. Nous pénétrons dans sa demeure par un corridor en chicane, qui aboutit à une grande cour entourée de nombreuses pièces. Une petite table basse est dressée sous la voûte céleste contre l'une des colonnes, qui soutiennent la galerie du premier étage. Nous sommes tous les deux à partager le repas. Le shabbat matin, la prière se déroula avec plus de solennité qu'à l'accoutumée, en présence d'une foule de fidèles venus faire ma connaissance. Rabbi Moshé dirigea l'office d'une voix douce et mélodieuse, en chantant des poèmes de circonstance. Après la lecture de la Tora, il prononça des paroles de bienvenue et de succès en mon honneur, le tout émaillé de citations bibliques et talmudiques.

Après la sieste, Raphaël m'accompagne chez son cousin Moshé. Il habite le village de Taourirt qui prolonge Tagadirt. Moshé habite avec sa femme et ses filles, les deux mignonnes nouvellement arrivées à l'école, dans une maison confortablement meublée. Moshé est grand de taille. Il porte l'habit européen, une montre à son bras et une grosse bague au doigt. Il travaille avec les neveux du cheikh Yitzhak, qui exploitent une carrière sur la route de Tindouf. Il passe la semaine à Goulimine et il revient chez lui pour shabbat. Nous nous installons sur le toit de la maison. Nous dégustons des fruits cueillis la veille dans son verger confié à un métayer, khamas. Du haut de ce toit, la vue sur l'oasis est grandiose. D'un côté, la chaîne du Bani frappe par la ligne continue de ses falaises de granit, s'étirant de Tiznit sur plusieurs centaines de kilomètres, avec la même composition et la même couleur, entrecoupées de gorges à Akka et à Tata. De l'autre côté, des milliers de palmiers à perte de vue jusqu'au lit de l'oued Dra. Au-delà de l'horizon, l'on peut deviner dans le lointain les hamadas du sud algérien et, avec un peu plus d'imagination, la dune des ergs.

Trois semaines après mon arrivée à Akka, la terre a tremblé à Agadir e lundi 29 février 1960 à 23 heures. J'apprendrai plus tard la disparition des membres de ma famille, à l'exception d'un seul rescapé.

Peu de temps après, la nature se pare de ses habits de printemps. Le rossignol chante et la tourterelle annonce l'arrivée de Pessah, tirant le mellah de son engourdissement hivernal. Les préparatifs commencent. Les femmes nettoient le four commun, préparent les fagots de bois et remplissent les jarres d'eau fraîche. Les hommes sortent les instruments nécessaires à la fabrication de la matsa

Monsieur Elias Harrus, Délégué-adjoint de l'Alliance et Inspecteur des écoles, est venu me voir à Akka. Il m'apprend comment répondre aux questionnaires administratifs, établir des devis et remplir des bons de commande. Je lui fais part d'un projet de réaménagement des locaux, afín de les rendre plus gais et aérés, en élargissant les fenêtres existantes et en ouvrant d'autres, de peindre les murs intérieurs et de créer un espace de verdure dans la cour. Il me donne son accord et il me dit qu'il est satisfait de ce que je fais pour les élèves et leurs parents. Pour la prochaine inspection il m'invite à le rencontrer à Tiznit, ayant une totale confiance en moi. Akka est un point reculé. Ses tournées dans le Sud marocain sont longues et fatigantes

La fin de l'année scolaire approche. Ahmed, maître d'arabe classique, m'offre des paniers et des présentoirs faits en feuilles de palmier, par sa mère et son épouse spécialement pour moi.

J'ai invité les grands élèves de l'école à venir me rejoindre à Mogador à la colonie de vacances de Marrakech pour un séjour gratuit de trois semaines, avec l'accord du directeur David Dayan, ami de longue date. Il vient de me confier le poste de surveillant général de la colonie. Ainsi, ils pourront rencontrer des enfants de leur âge et connaître les jeux et les joies de la plage. Un seul garçon de l'école se présenta à la colonie. Au bout de quinze jours, il a voulu retourner chez lui.

Année scolaire 1960 /1961

ALLIANCE 1Année scolaire 1960 /1961

Les 150 ans de l'Alliance Israelite Universelle

Brit 30

Après les solennités de Tichri, l'année scolaire 1960-1961 commence et je retourne à Akka. J'ai pensé à faire profiter mes élèves des jeux et des astuces, appris à la colonie et chez les scouts : nœuds de marins, morse, jeux de piste. Leur parler de films, de cirques et de leurs animaux, de Guignol et de son castelet. De leur apprendre à construire un petit théâtre d'ombres chinoises. C'est simple : tendre une toile blanche sur une boîte en carton, découper les personnages dans du carton, une bougie allumée, fixée à l'arrière-scène et dirigée sur l'écran, servira de source lumineuse pour l'animation des ombres. Apprendre tout en s'amusant : le côté ludique de la connaissance et la nécessité du plaisir dans l'apprentissage sont d'une haute importance. A ce sujet, le Talmud rapporte l'histoire d'un maître d'école qui apprend à lire aux fils des pauvres comme aux fils des riches. Il ne prend aucun salaire des personnes qui n'ont pas les moyens de payer. Il a un bassin de poissons pour divertir les élèves dissipés et les inciter à étudier.

J'avais hâte d'arriver à l'école pour appliquer ce programme à mes élèves, et de les voir heureux en classe et à la maison. Les élèves ont repris l'école. Ils sont tous gais, fiers de porter les vêtements reçus du Joint avant les grandes vacances. Leur mine est resplendissante. Pour une fois, ils commencent l'année scolaire dans le délai. Les locaux scolaires ont été rénovés comme prévu. La classe accueille plus de lumière grâce à la nouvelle fenêtre et à l'agrandissement de l'ancienne. Les murs intérieurs de l'école, nouvellement repeints, apportent au regard un peu plus de fraîcheur et d'espace. La cour de récréation fait l'admiration de tous par ses fleurs. Nous la couvons comme un bébé et, chaque matin, nous allons voir l'éclosion des bourgeons, et nous nous pâmons de joie de voir les plantes, les melons et les pastèques grandir de jour en jour. Bientôt, ils nous seront servis à la cantine. Tous les soirs, cette plate-bande fleurie reçoit de l'eau du ruisseau puisée dans des cruches par une main généreuse, qu'un âne transporte.

A Akka, le grand problème, c'est la chaleur. Cela m’empêche d'aller voir de jolis coins que je regarde de loin inondés de soleil. Ce que j'aime le plus, c'est d'aller me promener avec les élèves et découvrir la nature : les oiseaux qui chantent, les fleurs qui sentent bon, les arbres, leurs fruits et leur ombre. Pour cela, il faut attendre qu'il fasse un peu frais. Cela est rare mais cela arrive de temps en temps. Les élèves sont heureux de se promener avec moi en plein air. Ils me font connaître des endroits charmants. Nous aimons surtout aller du côté de la rivière et de voir les troupeaux se désaltérer à leur soif dans son courant. Je profite de l'occasion pour leur parler de la Fable du « Loup et de l'agneau », que je leur apprendrai la semaine prochaine. Je leur parle de La Fontaine et de son époque. Sur place, pour leur donner un avant- goût, je cite ce vers que les écoliers connaissent bien : « Un agneau se désaltérait / Dans le courant d'une onde pure ». Sur le chemin du retour, nous chantons le cœur gai : « Une fleur au chapeau / A la bouche une chanson … ». Je garde un souvenir attendrissant de ces moments de liberté, et des rires joyeux des élèves. De les voir heureux m’emplit de bonheur. Et c'est là ma récompense. Je constate les progrès accomplis, et le chemin parcouru par mes élèves, depuis mon arrivée. Je leur ai proposé de les présenter à l'entrée en sixième et au Certificat d'Etudes Primaires. Ils ont le niveau et ils peuvent tenter l'essai. Ils ont préféré améliorer leurs chances pour l'année prochaine. J'ai respecté leur choix

Messod Lévy ne s'est jamais plaint d'un mal de tête ou d'un surcroît de travail. L'école était sa vie. Aucune absence, toujours à l'heure, et le travail bien fait. Hélas, malade, et faute de soins appropriés, son cœur s'est arrêté de battre un samedi matin. Le samedi soir, il y a du monde au cimetière, sur un plateau rocheux. Des lampes éclairaient tant bien que mal l'endroit. Le brave Nissim Abisror creusait de ses puissants bras, avec une pioche, la fosse où reposera mon ami Messod Lévy. Nissim frappait sans relâche la roche de cette terre ingrate. J'étais près de lui et je suivais le mouvement de ses bras. Je commençai à paniquer, me demandant si Nissim allait ouvrir une tombe là où il creusait. Nissim me regarda comme pour me faire comprendre que tout sera pour le mieux. Il creusait et je lui disais :

< Creuse, creuse encore, s'il te plait. Ce n'est pas assez large ». A force de ténacité et de persévérance, Nissim est venu à bout de ce sol pétré. Les prières d'usage précédèrent l'inhumation. La femme de Messod Lévy poussait des cris de désespoir. L'assistance est bouleversée. Son frère récite le qaddish. Nos ombres s'allongeaient démesurément sur les tombes, signe que nous étions encore de ce monde. Le temps est venu pour nous de quitter ces lieux et de les rendre à la paix éternelle de leurs occupants. Déjà, d'autres ombres flottaient sur nos têtes. Entouré de David Assaraf et des frères Abisror, à la lumière de la lampe de l'école que tenait Raphaël, nous avons accompagné les endeuillés jusqu'au seuil de leur maison, leur disant : « Que Dieu de miséricorde vous accorde consolation et assistance ».

Joseph Dadia A l'ombre du Bani L'ecole de l'Alliance a Akka-Revue Brit 30


akkaLors de mon dernier passage à Marrakech, j'ai fait part à Monsieur Goldenberg et à Monsieur Camhy de mon souhait de m'approcher de mes parents. Ils m'ont conseillé de faire une demande de mutation qu'ils appuieront en haut lieu. C'est dans ces conditions que j'ai obtenu un poste à l'école de Monsieur Camhy.

A Akka, la fin de l'année scolaire tire à sa fin. Je prends congé de mes élèves et de mes amis, juifs et musulmans.

C'est avec beaucoup de regrets que je quitte Akka, laissant à mon successeur Simon Hazan des locaux aérés, remis à neuf, des livres bien rangés et des registres bien tenus. Et des élèves avec un bon niveau.

Alfred Goldenberg et René Camhy sont arrivés à Marrakech en 1927/1928. Ils ont guidé nos pas vers le succès et la réussite. Ils nous ont aimés, nous les avons aimés. Paraphrasant Victor Hugo, je dirai qu'ils ont été prédestinés à la mansuétude. La foi, la charité, l'espérance, ces trois vertus qui chauffent doucement l'âme, avaient élevé peu à peu cette mansuétude jusqu'à la sainteté.

Historique de la communauté juive d'Akka

Akka (Aqa) signifie dans le parler berbère kheneg. Son véritable nom est Aqa u-Sa'ib. Les plus anciens qsor d'Akka étaient habités au début du 13 e siècle. Mais l'oasis ne prend son importance qu'au 14 e siècle.

Annotation : Akka est appelé aussi Aït ou Mribet ou Imi N'Ugni, ou tout simplement Tagadirt. D'après la tradition arabe, le roi David, en tuant Goliath, a épargné la vie de ses enfants, les Ouled Jalout : Harbil, Ouaqfa, Mribet, Blal, Brahim. Chacun de ces derniers est l'ancêtre qui a donné son nom à une tribu du Sud-ouest marocain. « Saïdna Daoud, écrit le Colonel Justinard, tient une place importante dans la tradition des Berbères. Ils disent que David a inventé l'art d'utiliser les métaux ».

Akka est un groupe de palmeraies, 70 000 palmiers au total, dont 20 000 à Taourirt et 10 000 à Agadir-Ouzrou. Un groupe de 9 villages {qsor) dont les plus anciens sont : Leqsebt, Irrehalen, Taourirt et Tagadirt. Ce dernier village, autrefois le premier en importance, se trouve au milieu de la palmeraie, alors que les autres villages sont à la lisière de l'oasis pour la plupart. Jadis lieu d'arrivée des caravanes du Sud, Akka était célèbre pour ses bijoux d'or. Dans cette belle oasis, point de fruits qu'on n'y trouve : à côté des dattes « bousekri », de grosseur moyenne et sucrées, elle produit en abondance figues, raisins, grenades, abricots, pêches, noisettes, pommes et coings. D'innombrables canaux arrosent ces beaux vergers. L'eau coule en toute saison dans l'oued Akka et l'oued Kebbaba.

Tata (Tintazart) : 70 juifs en 1883/1884, 20 en 1936 et trois en 1945.Ce mellah est reconnu mort en 1950. Akka compte 12 foyers en 1883 ; en 1920, 60 juifs, 131 en 1936, 163 en janvier 1949, en 1951, 118. A la fin des années 1950, Akka : 27 familles à Tagadirt et trois à Taourirt. Le plus ancien mellah était au village Irrehalen, puis au village de Taourirt d'où ils auraient enfin émigré au village de Tagadirt. Le mellah, dans la bouche de ses juifs, s'appelle lehsérim, les maisons. Les Berbères appellent les Juifs udaïn (sing. udaï), et les Arabes, lihoud.

Sept familles sont à l'origine des Juifs installés à Tata, Akka et Tamanart ; 34 foyers en 1945 contre 46 en 1883. Ces familles – dont les deux premières représentent les plus anciens juifs d'Akka – sont : – Aït Didi (Aït veut dire fils de) ou Aït-Touati, descendants d'un aïeul venu de la Palestine touatienne ; – Aït Ya'is ou Aït Abisror ; Mardochée Abisror (Akka 1826-Alger 1886) a été à la fois rabbin, commerçant, voyageur, explorateur, ethnologue ; célèbre pour avoir été le guide de l'explorateur Charles de Foucauld ; il est l'auteur d'un texte sur les Daggatoun. – Aït Sebbat venus de Tamanart à une époque reculée ; Mas'ud ben Shabbat, surnommé Mas'ud 1- 'arz, « le boiteux », est né à Akka à la fin du 19è s. Il a composé une assez riche poétique bilingue, en hébreu et en judéo-arabe. Il est mort à Casablanca dans les années 1950. – Ait Debda, venus de Debdou ; ils sont fort anciens à Akka ; – Aït Yahya ou Aït Serraf, venus de Taroudant à la fin du 16 e s ; – Aït Elliwi, venus en 1915 de Tillin et de Tahala; – Aït Ibghi, de provenance inconnue.

Tout ce dont les anciens du mellah sont sûrs – témoignage en 1945 du cheikh Yossef Serraf, le père du cheikh Yitzhak -, c'est que les juifs occupent le village de Tagadirt depuis « six tisutiwin » ou six générations, du berbère tasut, durée de vie humaine, soit, disent-ils, 350 à 450 ans », c'est-à-dire depuis la fin du 16 e s.

Entre eux, les juifs parlent arabe et utilisent le tashelhit pour leurs relations avec les musulmans. Ils savent lire et écrire l'hébreu biblique. Pour n'être pas compris par les non-Juifs, ils emploient une sorte d'argot hébraïque, un mélange d'hébreu et de particules arabes, appelé tallasunt, de l'hébreu lashon.

L'ecole de l'alliance a Akka-Joseph Dadia

Autrefois, les juifs d'Akka étaient surtout orfèvres, et aussi commerçants. En 1945, il n'y a plus que quatre orfèvres akkajuifs. Quant au commerce, la tradition ne semble pas s'en être perdue.

La fabrication traditionnelle de l'eau de vie de dattes, mahya, en argot shtiya – de l'hébreu shato, boire, boisson -, a lieu à chaque année en septembre au mellah à l'aide d'un alambic fait d'une jarre en poterie – ikhabia di mahya -, reliée au fourneau par un roseau creux.

Naguère, des femmes juives de Tagadirt dansaient une sorte d'ahouach, appelé ahéibbar, réunion, – de l'hébreu habber, s'unir, unir -, danse très ancienne et spéciale à Akka inconnue des autres juifs du Maroc. Sur un rang, vêtues de blanc, les cheveux pris dans le foulard de soie rouge, mais celui-ci recouvert par un voile blanc découvrant entièrement le visage et la racine des cheveux. Ceinture rouge. Certaines assez belles, les traits fins, le teint d'une blancheur surprenante. Debout, parmi elles, deux ou trois vieilles battent le tambourin. Toutes chantent en arabe. De temps à autre, deux ou trois femmes sortent du rang et font quelques pas, en tournant l'une autour de l'autre : le corps penché en arrière, les bras tendus, elles frappent dans leurs mains aux doigts allongés, tout en dansant une sorte de pas assez vifs, dont le piétinement n'est pas sans rappeler celui du ballet soussi.

Des rabbins-quêteurs sont enterrés à Akka : rabbi Yéhudah ben Hobab et rabbi Mordekhay ; rabbi Issachar Yisraël est enterré près du qsar Irrehalen. On lui prête d'avoir, de son vivant, fait jaillir la source de Talgest, une source d'eau miraculeuse au pied du Bani à huit kilomètres au Sud- ouest d'Akka. Les juifs l'appellent Ba'âl Hama'yan, « Le maître de la source ».

Jadis il existait un foyer considérable et fécond de kabbalistes, méqoubalim, dans le Sud du Maroc, dans le Sous, le Drâ et les confins sahariens : Taroudant, Tamgrout, Akka, Tafilalet, etc. Rabbi Moïse ben Mimun Elbaz a quitté Taroudant, avec quelques compagnons, et est arrivé à Akka pour terminer son Hekhal ha-Qodesh « Le Palais de Sainteté », en 1598. Son disciple, rabbi Jacob ben Isaac Bu-Ifergan, a composé à Akka son Minhah hadasha « Offrande Nouvelle » en 1619.

Les caravanes venant de Taroudant par Tiznit ou Ifrane de l'Anti Atlas, et celles qui partent des oasis d'Akka et de Tata, servaient de relais intermédiaire aux commerçants du Dra' et du Tafilalet. ; Illigh, Oufrane, Akka, Tata, Beni Sbih, El Gozlan M'Hamid participent aux foires, qui jalonnent les passages des caravanes. Au 18è siècle, Goulimine supplante définitivement Akka dans le commerce transsaharien. Ce explique le déclin de l'artisanat juif dans cette dernière localité.

Au début du 17è siècle, les juifs d'Akka ont souffert d'une terrible sécheresse, en même temps que des persécutions de la part de leurs voisins qui ont littéralement assiégé leur quartier. Les juifs n'ont dû leur salut qu'après avoir payé à leurs agresseurs de fortes sommes d'argent.

Mardochée Abisror a été l'homme à tout faire et le compagnon de tous les instants de Charles de Foucauld lors de son exploration du Maroc, déguisé en rabbin. Le vicomte, avec son guide, arriva à Akka le 28 novembre 1883. Un témoin de l'époque, Esther Assaraf née Abisror, évoquant les souvenirs d'enfance du voyageur, a raconté en 1955 à Elias Harrus que de Foucauld montait « sur le toit pour vérifier si sa fiancée, à Paris, lui était restée fidèle ».

En 1492, le fanatique et agitateur al-Maghilli, chassé de Fès et devenu Cheikh de Tlemcen, a soulevé la population du Gourara et du Touat contre les juifs. Le même sort allait être réservé, quelques années plus tard, aux centres juifs du Dra, toujours à l'instigation d'al-Maghilli. Akka et Tata accueillirent probablement les rescapés de ce massacre. Ce qui explique pourquoi Vincent Monteil fait remonter au 16è siècle seulement l'origine de ces deux communautés. Ce fait d'histoire mérite d'être revu pour savoir si elles ne datent pas d'avant le 16è siècle.

D'autres faits d'histoire méritent d'être approfondis : – Des métallurgistes juifs ont exploité les mines de cuivre, de fer et d'argent du Sous et du Dra. -Tamdult, au sud du pays d'Akka, était riche en mines d'or, d'argent et de cuivre. Une communauté juive est venue s'établir ici après la destruction du Premier Temple de Jérusalem, et travailler le minerai. – Des juifs yéménites, experts en traitement des métaux, ont accompagné en 705 Musa Ibn Nusair dans son expédition marocaine.\

« En janvier 1963, raconte Simon Hazan, un soir, en une seule nuit, tous les juifs d'Akka ont été embarqués dans des cars. Ils n'avaient même pas vendu leurs maigres biens. Quelques ballots de vêtements et en route

pour la Terre promise ! Hélas, le Président de la Communauté venait de decéder et n'a pas pu faire le voyage. Il fallu, je crois, six cars pour le transport de toute cette population … Le lendemain matin, il ne restait plus un seul juif dans les deux mellahs. Ils étaient tous partis dans la nuit à

Inezgane. Je crois que de là, ils ont pris le train pour Tanger, puis le bateau pour Israël. J'étais le seul juif à 500 kilomètres à la ronde. »

Kervenic en Pluvigner, Mercredi 2 février 2011

Joseph Dadia

Joseph Dadia – L'Ecole de l'Alliance de Marrakech

Joseph Dadia

ALLIANCEL'Ecole de l'Alliance de Marrakech

Historique

En cette année du cent cinquantième anniversaire de l'Alliance israélite universelle, il me paraît naturel, avant d'aborder ma scolarité à l'école Yéshoua Corcos, de faire un bref historique de l'école de l'Alliance de Marrakech. Ce n'est pas simple, ayant peu de documentation à ma disposition. C'est un sujet intéressant auquel je pense depuis longtemps. En tant qu'ancien élève de l'Alliance, cela sera ma modeste contribution à la mémoire de celles et de ceux, qui ont fait de nous ce que nous sommes dans la vie et dans la cité.

Les premiers pas des bâtisseurs, 1900-1925

Grâce à l'autorité du président Yéshoua Corcos qui a su calmer les inquiétudes de ses coreligionnaires et l'opposition des rabbins, qui voyaient d'un mauvais œil cette yéshiba d'un nouveau genre, où l'on va enseigner un langage de chrétien, la première école de l'Alliance au mellah de Marrakech ouvrit ses portes en décembre 1900. Sa volonté formelle avait été indispensable pour imposer cet établissement, car les rumeurs les plus fantastiques circulaient au mellah. Et dire que le bon président Yéshoua Corcos a été traité de misonéiste !

Pour Aïemy Hazan, l'école s'installa rue du Commerce, connue par les cartophiles sous le nom de « Rue des balcons ». Pour Monsieur Alfred Goldenberg, c'est dans une rue parallèle à cette dernière que la première école ouvrit ses portes : rue des Ecoles, derb scouella. De commune renommée, il a bel et bien existé, dans cette rue, une école. Son premier directeur fut M. Moïse Lévy, rejoint par la suite par Mlle Messody Coriat pour l'école des filles. Ils sont en charge de trois classes. Il y a là cent seize garçons et soixante et une filles. Cependant, le directeur et la directrice de l'école indiquent, dans un rapport officiel, les chiffres suivants : A- cent cinquante garçons répartis en trois éléments : 1- une vingtaine de garçons de 15 à 18 ans, fils de commerçants, qui quittèrent l'école au bout de trois mois ; 2- 60 enfants environ de 10 à 12 ans, fils de familles aisées ; 3- le restant de l'effectif vient de la partie la plus miséreuse de la communauté. Grâce à la soupe chaude de midi et à la promesse d'un vetement, ces élèves restèrent à l'école. B- soixante-seize écolières, filles des plus riches, presque toutes payantes. Les pauvres n'ont pas les moyens de l'instruction ; mais la promesse d'habiller les enfants les plus indigents vaudra sans doute quelques recrues.

En 1902, recrudescence de la misère au mellah ; à la même époque, une épidémie de variole éclata. En vaccinant de force un grand nombre d'enfants, M. Lévy les sauva d'une mort certaine. Par lettre du 15 février 1904, Moïse Lévy alerta le Président du Comité Central de l'Alliance sur la situation des juifs de Marrakech, suite à une crise monétaire. La famine pour le mellah et la médina. Une escouade de soldats campait aux portes du mellah. Le 20 janvier de la même année, la population arabe, armée de ratons, se dirigea vers le quartier juif aux cris de « Naklou el mellah », « Nous mangerons les juifs du mellah ». La garde aux portes du mellah, prise au dépourvu, a eu à peine le temps d'en fermer les portes. A l'école, plusieurs mamans réclamèrent leurs enfants. M. Souessia ne perdit pas son sang froid, encouragea le personnel et calma les élèves. Le directeur Moïse lévy se trouvait au moment de ces événements au petit village El Yéhoudia a 4 heures de Marrakech.

Paul Lemoine, de passage à Marrakech en automne 1904, visita l' école de l'Alliance. On y apprend à parler, à lire et à écrire le français, avec des rudiments de calcul. Quelques rabbins, rémunérés par l'Alliance, sonnent l'instruction religieuse et hébraïque aux jeunes enfants. M. et Mme Lévy partirent diriger les écoles de Tétouan. M. Souessia est l'unique instituteur. Si dévoué qu'il soit, il ne peut suffire à sa tâche. Il a 250 élèves , repartis en cinq classes, présents de huit heures du matin à cinq heures du soir. Il doit leur donner, non seulement l'enseignement, mais encore la  nourriture de midi, œuvre créée par la baronne Hirsch. Un directeur, accompagné de sa jeune femme, une parisienne, qui va ouvrir une école de filles, vient cependant d'arriver ; sa présence était bien nécessaire. Il s'agit ae M. Nissim Falcon, de Smyrne, et de son épouse. M. Souessia, originaire ie Mogador, devient son adjoint.

Joseph Dadia – L'Ecole de l'Alliance de Marrakech Historique

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Le géologue Louis Gentil a connu M. Falcon sur le bateau entre Tanger et Mogador, alors qu'il se rendait avec sa famille à Marrakech, pour y prendre ses fonctions. Il avoue avoir éprouvé chaque fois un vrai plaisir dans ses visites aux écoles du mellah de Marrakech, et il remercie M. Falcon et son adjoint, M. Souessia, de l'en avoir si obligeamment facilité l'accès. C'était le 11 janvier 1905. Un nouvel adjoint a été donné à M. Falcon et une maîtresse de couture viendra en aide à la directrice de l'école des filles. Louis Gentil a constaté qu'on voit moins chez les filles ce désir de s'instruire ; mais par contre, elles sont avides d'être initiées à la couture et à tous les travaux spéciaux à la femme. Ce qui l'a le plus frappé, c'est de voir aux cours d'adultes des hommes de trente, quarante ans et plus, qui après une journée de labeur fatigant, venaient, ne sachant pas un seul mot de français, apprendre à lire, à écrire et à parler en français. Au bout de quelques mois de ce travail du soir, ils parvenaient à écrire une lettre d'une clarté et d'une précision déjà suffisantes.

 " Louis Gentil : Explorations au Maroc (Mission de Segonzac), Masson et Cie Editeur, Paris, 1906, p. 170-174. A la page 171, Louis Gentil écrit : « J'ai eu l'occasion d'habiter le Mellah de Marrakech à trois reprises différentes … Je me suis alors trouvé en contact avec la population juive. J'ai vu très fréquemment les élèves des écoles, je les ai interrogés à maintes reprises, j'ai causé avec eux bien souvent, puis j'ai été reçu par des notables de la Communauté, en particulier par son président, M. Corcos. » Dans l'Avant-propos, p. IX, il écrivait déjà : « Je garde le meilleur souvenir de la collaboration des professeurs de l'Ecole de l'Alliance israélite universelle à Marrakech, de M et Mme Falcon et de M. Souessia, ainsi que de nombreux membres de la Communauté israélite de la capitale marocaine, présidée par M. Corcos. » "

José Bénech indique dans son livre des renseignements que M. Falcon lui a communiqués : « 11 était fort difficile, en cette période de transition, d'exiger une fréquentation régulière. En 1904, le nombre des élèves très élastique variait entre 250 et 350 pour les garçons, 150 à 175 pour les filles. Ces dernières se montraient plus assidues, plus constantes dans leurs efforts, car elles n'avaient point à subir l'attrait de la rue. Elles délaissaient volontiers la maison pour l'école où l'on n'exigeait point d'elles les travaux pénibles du ménage. »

José Bénech nous livre ce témoignage poignant : «En 1906, au cours d'une famine restée légendaire, tandis que musulmans et juifs tombaient d'inanition dans les rues de la ville, l'Alliance prenait à sa charge la nourriture de tous les enfants du mellah. En ces temps héroïques, son delégué, en liaison étroite avec les notables, prend fréquemment part à leurs délibérations et les aide de ses conseils. »

En octobre 1907 à Marrakech, Christian Houel constate qu'à part quelques commerçants aisés, la population juive était affreusement misérable. Quinze mille Juifs s'entassaient dans des habitations sordides. Hommes, femmes, enfants, couchaient côte à côte sur de mauvais grabats. Des monticules d'ordures ménagères obstruaient les ruelles étroites. Ils empestaient sous la chaleur du soleil, s'écoulaient sous les pluies en immondes cloaques. Contre cette lamentable existence de leurs coreligionnaires, c'est en vain que les plus dignes et les plus éclairés entaient de réagir. Les édits  chérifiens les enfermaient dans un réseau de telles les interdictions que tout redressement était rendu impossible. »

Après quelques jours passés au domicile de M. Firbach dans la medina, M. Jacob Hazan, receveur de la poste française, le reçoit avec amitié et la plus généreuse hospitalité dans sa maison au mellah. Son neveu, Abraham Corcos, un jeune homme de 18 ans, l'un des plus brillants parmi es anciens élèves de l'école, est un agréable compagnon. Un matin, il conduit M. Houel à l'école de l'Alliance où professe M. Falcon ; il avait enseigné à Tanger, Tétouan, Mogador et Casablanca, avant d'arriver à iarrakech. L'école comptait alors 300 garçons répartis en plusieurs classes, et l'école des filles comptait près de 200 fillettes. M. Houel raconte : « Je sens, à la poignée de mains de M. Falcon, le plaisir qu'il a d'accueillir un compatriote. A mon entrée, les jeunes élèves se sont levés. Ce geste me rappelle le temps où, assis comme eux sur des bancs d'école, mes camarades et moi nous nous levions à l'entrée d'un étranger dans la classe. – Vous allez assister à ma leçon, me dit M. Falcon. Un petit garçon se lève et,sans se troubler de notre silencieuse attention, récite une fable de La Fontaine : « Le Loup et l'Agneau ». Je suis soudain saisi d'une émotion que rien ne peut exprimer. Ces phrases si simples dites par ce jeune enfant dans cette cité d'où suinte de toutes ses murailles  haine de ce qui est français, ont, au fond de moi, une telle résonance, que je sens mes yeux s’embuer de larmes. J'écoute ces mots familiers dits par ces jeunes lèvres. Il me semble que leurs sons aimés se prolongent jusqu'au cœur de la ville rouge pour y repandre leur douceur, leur harmonie, leurs promesses. Aujourd'hui, cet episode n'a plus que la valeur d'un vieux souvenir.

 Des milliers d'autres enfants récitent les fables de La Fontaine. Dans les demeures les plus pauvres, comme les plus riches, s'épanouit la langue française. Mais en ces emps, dans cette ville, il fallait que maîtres et enfants eussent du courage, Je ne sais si le Protectorat s'est souvenu de ces précurseurs quand il n'a plus eu besoin d'eux. Le certain, c'est qu'après le meurtre du docteur Mauchamp, le Gouvernement décora de la Légion d'honneur l'explorateur Louis Gentil et M. Falcon… des palmes académiques !

Alliance Israelite Universelle- Revue Brit – 30

ALLIANCEEn dépit du bouillonnement populaire, suite à l'assassinat du docteur Emile Mauchamp à Marrakech le 19 mars 1907, les maîtres restent à leur poste malgré les dangers auxquels, en ces temps troubles, un Français peut se trouver exposé, M. Falcon est français par naturalisation, sa femme par la naissance, et une hostilité incoercible aux chrétiens qui menacent l'islam. Mais les événements vont s'accélérer, et Casablanca va être occupée par les troupes françaises en représailles de l'assassinat le 30 juillet 1907 de 9 ouvriers européens dont 6 français, massacrés par le peuple de la ville et les tribus voisines. Un navire de guerre est envoyé à Casablanca suivi de deux autres croiseurs et le « quartier arabe » est bombardé le 5 août suivant. Sur le plan politique interne, c'est la confusion totale au Maroc : le sultan Moulay Abd-el-Aziz (1894-1908) est à Fès, son règne est contesté ־ son frère Moulay Hafid est son khalifat à Marrakech, il entend le détrôner : des agitateurs insurrectionnels se dressent contre le pouvoir en place appuyés par de nombreuses tribus : le rogui Bou Hamara au Nord-Est, le théologien bandit Ahmed el- Raissouni terrorise Tanger et Tétouan, et le marabout Ma el-Aïnin en Mauritanie. Les écoles de l'Alliance fermer, provisoirement. M. Falcon quitte Marrakech et s'en va ouvrir une école a Safi pour ne pas rester inactif. Le 16 août, Moulay Hafid est proclamé sultan à Marrakech.

La beï'a lui est accordée le 4 janvier 1908. En août 1909,il devient sultan du Maroc, reconnu à Fès. « Si Madani el Glaoui, écrit Jose Bénech, seigneur de Telouet, devient premier Ministre [Grand Vizir de Sa Majesté Chérifienne]. Au cours d'un séjour de ce dernier à Marrakech (Janvier 1908), l'Alliance, à l'instigation de M. Falcon, lui dépêche émissaire. Si Madani accueille favorablement la demande de l'Alliance envoie à Safi une escorte chargée de ramener à Marrakech M. Falcon, qui parvient après un voyage mouvementé. Toutefois ce fut seulement apres plusieurs entrevues que le Glaoui consentit à l'ouverture des écoles en les prenant sous sa protection efficace. »

 José Bénech, op. cit. , p. 295-296. Alfred Goldenberg in Trait d'Union – Bulle d'informations et de liaison du Judaïsme de Marrakech, mai 1989, intitulé Les draps bla p 45, cite deux lettres adressées par M. Falcon à Paris : l'une est datée du 27 novem 1908, dans laquelle il déclare être à Marrakech depuis le 23 : « Mon arrivée au Mellah saluée avec enthousiasme par nos coreligionnaires qui ont considéré ma présence comme un gage de sécurité durable»; l'autre lettre est datée du 5 décembre 1908 « Extraordinairement, Si Madani (Grand Vizir) manda chez lui toutes les autorités de ville et des environs. Il leur dit ; « Les écoles que l'Alliance a dans toutes les villes Maroc ont pour but de rendre les jeunes moins ignorants et moins malheureux. Je vous recommande spécialement les maîtres qui viendront accomplir cette tâche et les enfants fréquenteront ces écoles ».

Monsieur Moïse Lévy a quitté Marrakech en 1904, après les désordres au mellah (une cinquantaine de blessés) engendrés par une crise monétaire; il en est de même de Monsieur Nessim Falcon en 1908, suite à l'agitation arabe, spécialement dans la tribu des Rehamna qui terrorisent le mellah (mai et août 1907) et les événements politiques de 1908.

  1. Falcon est nommé directeur de l'école de Safi. Il est remplacé en 1909 à Marrakech par M. Raphaël Danon qui vient de Larache. « M. Danon, écrit Alfred Goldenberg, est d'origine roumaine. Il est marié avec une demoiselle Rosenbaum… Beaucoup d'enfants refusent de venir à l'école ; M. Danon emploie des moyens énergiques : le gardien de l'école, un « moghazni », va les chercher, portant un sac vide de toile de jute. Quand il réussit à trouver un écolier récalcitrant, soit dans la rue, soit à son domicile, il le fourre dans le sac, met le sac sur son dos et l'apporte à l'école. »'

De son côté, M. Danon écrit : « Quant aux fillettes, les parents ne les envoient à l'école que peu de temps. Aussitôt qu'elles peuvent apporter une aide à la famille, on les retire de l'école et elles s’emploient comme bonnes, ou deviennent apprenties brodeuses de babouches à 10 centimes par jour. Tous nos efforts : lettres lues dans les synagogues, gratuité de l'instruction, nourriture, vêtements, pour les ramener à l'école ont donné peu de résultats… Il faudrait instituer un atelier de couture. »

En 1911, aux côtés de M. Danon, il y avait M. Benoudiz son adjoint, 3 professeurs d'hébreu, 2 professeurs d'arabe, 2 moniteurs, 2 domestiques. Le nombre des élèves est 289, 71 payants et 218 gratuits, sur une population de 17 500 âmes.

D'autres observateurs ont dit beaucoup de bien d'Y. Corcos, et sa popularité en milieu juif était immense : il a su pratiquer le charité envers les pauvres ; il a bâti une grande synagogue et entretenu quatre yéchoiboths. C'est un débat qu'il faudra ouvrir un jour, et étudier en profondeur ca qu'ont été véritablement les relations entre les institutions juives de Marrakech et la population ; ce débat se fera en suivant la méthodologie dans le domaine de la recherche universitaire.

Joseph Dadia L'Ecole de l'Alliance de Marrakech Historique

  1. M.Danon écrira plusieurs lettres au Comité central de l'A.I.U, où il décrit la misère dansALLIANCE toute son horreur de la majorité des juifs du mellah de Marrakech, loqueteux et sales. Il dénonce en même temps la ladrerie d'Y. Corcos à l'égard des établissements scolaires de l'Alliance qu'il tolère mais ne fera rien pour leur installation. « Des gens tels que Y. Corcos, écrit-il le 19 janvier 1911, millionnaire dit-on, président de la Communauté et pouvant payer au moins 20 francs pour son fils unique ne paye que la modique somme de 3 frs 60 ». Dans ce même message à l'A.I.U., Danon se lamente et vitupère contre l'autoritarisme intransigeant dans la conduite des affaires du mellah : « Ce qui est à déplorer dans notre ville, c'est la mauvaise organisation de la Communauté. Aucun contrôle n'intervient dans son administration et le maître qui est encore M. Josué Corcos fait ce que bon lui semble ».

Voici quelques détails de sa lettre : Les belles et grandes maisons du mellah, bien bâties, appartiennent à quelques notables. M. Corcos est propriétaire de toutes les maisons formant deux rues assez longues. Les autres juifs habitent dans une chambre louée de 2 à 3 frs par mois. Là s'entasse une famille le plus souvent nombreuse, avec des enfants en bas âge à peine couverts, croquant en pleurant un morceau de pain sec. Dans les rues à chaque pas, on rencontre des tas d'ordures d'où s'en dégagent des odeurs nauséabondes. Des mendiants juifs parcourent le mellah toute la journée. L'école est située dans la rue « des riches », le spectacle de cette misère est souvent offert au regard du directeur. Le vendredi, c'est une procession sans fin. Le samedi matin, des femmes en groupe de vingt à trente vont de maisons en maisons et avec des cris assourdissants réclament le « hobbs dé sebbss », le pain du samedi. La même misère règne à l'école. Par suite du retard mis à l'envoi des fonds pour l'habillement des enfants nécessiteux, il y a dans les petites classes des enfants à peine couverts d'une chemise. Ils sont autorisés à s'absenter un jour par semaine pour la faire laver parce que cette chemise est leur unique pièce d'habillement.

De nouveaux événements politiques vont troubler la marche de l'école et elle sera fermée encore une fois. Le fils du marabout Ma el-Aïnin, Ahmed el-Hiba, surnommé le sultan bleu, se fait reconnaître sultan à Tiznit. Il entre à Marrakech avec ses guerriers berbères le 18 août 1912 et s'y fait proclamer sultan. Les troupes d'el-Hiba sont dispersées par les soldats français, qui entrent à Marrakech le 7 septembre. Le colonel Mangin et sa colonne sont accueillis sur la place Djemaa el Fna par les élèves de l'école de l'Alliance qui chantent « La Marseillaise », malgré l'absence Directeur, réfugié à Tanger. En octobre 1912, le général Lyautey entre au mellah. L'école de l'Alliance est toujours fermée. Le président Corcos, accompagné des notables, ouvre l'école pour la circonstance et convoque les élèves. Le directeur n'est pas encore rentré. En son absence, c'est Mardochée Amzallag, le meilleur élève de l'école, qui reçoit les visiteurs et récite un compliment au général.

Remarque ; Louis Botte : Au cœur du Maroc, Hachette, 1913, p.199-200 : « Mais quand nous arrivons au mellah, c'est un tout autre spectacle. L'enthousiasme est délirant. Tous les juifs sont là… ils se poussent, se bousculent et s'écrasent contre les chevaux qui ruent. Les bravos crépitent. Du haut des terrasses, les femmes accrochées en grappes vivantes, et comme ivres, miaulent leurs you-you prolongés, assourdissants, énervants. Des centaines de mains s'agitent, claquent, ou font le salut militaire. Des apostrophes se croisent : « Content de te voir, monsieur ! – Monsieur, Vive la France, » Pendant tout le temps du défilé, ces juifs manifestent une joie indescriptible. Ils exagèrent. »

En 1912, un petit noyau des élèves de l'Alliance fournit un contingent de secrétaires, d’employés, de comptables et d'interprètes. Ils furent les aides précieux de la pénétration française au Maroc.

En 1913, il y avait 309 élèves à l'école, dont 100 payants.

 La guerre de 1914 éclate. En 1915, M. Danon est muté à Safi. Le nouveau Directeur de l'école est M. Isaac Soussana, originaire de Mogador. La Directrice est sa belle-sœur, Mme Wanda Soussana. En 1918, l'école ferme pour des raisons financières et les directeurs quittent Marrakech faute de maîtres suffisants. De plus, il est devenu très difficile de communiquer avec Paris en raison de la guerre.

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