Culte des saints musulmans dans l’Afrique du Nord


Culte des saints musulmans; dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au .Maroc

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc

Edouard Montet

Montet

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc

EDOUARD MONTET

Professeur à la Faculté de Théologie.

1909

Deux faits caractérisent l’Islàm dans l’Afrique du Nord, malgré la diversite des régions, des races et des langues de cette partie du continent, où domine la religion de Mahomet : le culte des saints et les confréries religieuses.

Ces deux faits sont en étroite relation l’un avec l’autre, et bien qu’ils existent partout où l'lslâm est répandu, ils ne présentent nulle part, dans l’immense domaine islamique, l’intensité et la vie qu’ils offrent dans l’Afrique septentrionale.

Il est à remarquer d’ailleurs que, dans l’Afrique du Nord, le culte des saints et le nombre et l’influence des confréries vont en augmentant de l’est à l’ouest, en sorte que c’est au Maroc que nous trouvons le plus riche développement de l’un et l’autre de ces phénomènes religieux.

Il semble que plus l’on s’éloigne, dans la direction de l’ouest, de l’Arabie la patrie primitive du monothéisme arabe, où est né vers le milieu du XVIIh siècle le Wahhâbisme, ou monothéisme strict, groupe religieux absolument étranger au culte des saints, plus le mahométisme dégénère entre les mains des Berbères, qui forment la majorité de la population du Maghreb.

Dans le présent mémoire nous n’étudierons que le premier des faits que nous signalons; nous présenterons sur le culte des saints un certain nombre d’observations, puisées en majeure partie dans les ouvrages publiés sur ce sujet, en partie aussi dans l’expérience personnelle que nous avons de l’Islâm africain.

Quant au second, nous renvoyons le lecteur curieux de s’en instruire aux travaux spéciaux qui ont paru et aux études que nous avons nous-même composées sur les confréries

Observations sur le culte des saints.

Origines du culte des saints dans l’Afrique du Nord  causes générales

La principale de ces causes doit être recherchée dans la persistance des superstitions, héritage du paganism primitif des Berbères. A vrai dire, nous sommes mal renseignés

sur la religion des Berbères antérieurement au mahométisme. Mais, d’une part, les analogies que noוד relevons dans l’Islàm oriental, où certains saints musulmans

sont incontestablement les successeurs de divinités du paganisme gréco-romain, d’autre part, ce que plusieurs anciens auteurs, Procope en particulier, nous racontent

de l'anthropolâtrie des Berbères et de la profonde veneration qu’ils témoignaient à leurs sorciers et aux prophetesses qui leur dévoilaient l’avenir, nous inclinent à croire

que le culte des saints, au Maghreb, est essentiellement d’origine païenne.

 

La réaction religieuse, provoquée sur le sol africain, au XVI siècle, par les triomphes des peuples chrétiens en Espagne et dans l’Afrique du Nord, a contribué dans

une large mesure à l’accroissement du culte des saints. Il semble qu’aux conquêtes chrétiennes ait répondu, au sein de rislâm, une effervescence religieuse, qui se manifesta, en particulier, par un développement extraordinaire du culte des saints.

 

Le fanatisme religieux a été ainsi, historiquement parlant, et est encore l’un des facteurs essentiels de la vie maraboutique. Il est près d’être un saint, celui qui manifeste d’une façon violente ses convictions religieuses. La voie de la sainteté se confond souvent avec celle du fanatisme, surtout en face de l’ennemi chrétien. Les événements qui se sont passés au Maroc, dans le cours de l’année 1908, en donnent plus d’un exemple ; l’intervention des troupes françaises, dans l’Ouest Marocain et plus encore dans le Sud Marocain, a déterminé la vocation de plus d’un saint musulman.

 

L’ascétisme est encore une route qui conduit à la sainteté. Se retirer du monde, vivre dans l’austérité, au su et au vu de tout le monde, se livrer publiquement à des

pratiques ascétiques, ce sont là autant de titres à la dignité de marabout. Nombreux sont, en Afrique, les pieux musulmans qui sont parvenus, par cette voie, au rang de

saints et qui ont été l’objet, de leur vivant même, de l’adoration des fidèles.

 

La folie, considérée souvent dans l’Islâm comme un signe de la présence de la divinité dans l’homme, est, plus d’une fois, l'origine de la réputation de sainteté de

tel ou tel personnage. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet dans ce mémoire.

 

La fondation d'un ordre religieux, d’une confrérie ou d’une zàouia', est, le plus souvent aussi, le chemin qui aboutit à la sainteté digne d'être l’objet d’un culte. Nous verrons plus d'un exemple de cette thèse dans le cours de cette étude.

 

Faut-il ranger parmi les causes générales du culte des saints la rigueur même du monothéisme islamique, comme quelques-uns l'ont pensé ? Ce dogme fait-il d'Allâh un Dieu si éloigné du fidèle, que cet éloignement nécessite d'une manière absolue l’intercession des saints? Nous ne le pensons pas.

 

L’un des traits les plus frappants de l’Islàm est, en effet, la persistance de son monothéisme fondamental au milieu des superstitions les plus grossières de ses adorateurs. Il faut avoir entendu, au Maroc en particulier, l'accent de sincérité avec lequel le musulman, qui se rend aux tombeaux des saints pour implorer leur intercession, pronounce le fameux «Il n'y a pas d’autre Dieu qu’Allàh», pour se convaincre que cette apparente anomalie, qui consiste à n’adorer qu'un seul Dieu, tout en rendant un culte assidu aux saints, n’existe que pour nous, mais qu’en elle-même elle ne constitue aucune contradiction dans l’esprit du fidèle.

 

Cela est si vrai, que le fondateur de l'ordre des Derqàoua, Sîdî l-'Arbî d-Derqâouî, dont le monothéisme était si absolu qu’il ordonnait aux adeptes de sa doctrine, lorsqu’ils répétaient la chehàda (Il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allâh et Mahomet est l’apôtre d’Allâh), de ne reciter à haute voix que la première partie de la profession de

foi, en se contentant de mentionner mentalement la seconde, est devenu lui-même un saint et par suite l’objet d’un culte. Ses disciples sont demeurés de fidèles adorateurs

du Dieu unique, mais ils n’ont garde d’oublier de render au fondateur de leur confrérie le culte que tout bon musulman, au Maghreb, voue à la personne des saints.

 

Abou Abdallah Muhammad al 'Arabi ibn Muhammad ibn Hussaïn ibn Saïd ibn Ali Ad Darqawi, surnommé Moulay Larbi Derkaoui (1760 – 1823), est une personnalité religieuse musulmane Marocaine, savant dans les sciences religieuses islamiques et il un saint (Wali). Il est à l'origine de la tariqa (voie Soufie) Darqawouia, dont le rayonnement dépassa le Maroc.

 

Zàouia: Ce mot est par lui-même très vague. Il désigne d’une manière générale un logement de religieux; de là les noms de couvent ou de monastère, et même d'hospice, par lesquels on le traduit assez improprement. I.a zàouia peut être un ensemble, parfois très considérable, de constructions comprenant mosquée, école, habitations pour les étudiants, les pèlerins, s’il y a un tombeau de saint, les clients, les voyageurs, les pauvres, etc. Mais la zàouia peut être aussi un simple lieu de reunion et d’enseignement.

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Edouard Montet

Culte des saints musulmans dans l’Afrique -du Nord et plus spécialement au Maroc Edouard Montet

 

Le plus souvent, le marabout, le saint est une célébrité purement locale; sa réputation de sainteté peut s’étendre au loin, mais l’horizon de son prestige religieux est ordinairement limité. Quelle que soit l’origine de la veneration dont il est l'objet, cette vénération tient, dans un très grand nombre de cas, à des causes locales. Nous en citerons un exemple, celui de Sîdî Moh’ammed el Boû-hâlî  (Mon seigneur Moh’ammed l’Idiot), dans les Djebâla, au Maroc. Le surnom de El Boû-hâlî ne comporte rien de désobligeant ni de blâmable. Lorsque le derviche, interrogé par Mouliéras, vit ce personnage, c'était un vieillard de quatre-vingts ans, vigoureux et aux formes athlétiques, mais complètement idiot; ce santon devait sa réputation de sainteté précisément à son infirmité mentale. Entre autres étrangetés dont le derviche fut témoin, Sîdî Moh’ammed el Boû-hâlî avait une predilection toute spéciale pour un mets de sa façon qu’il préparait de la manière suivante ; il pétrissait ensemble du miel, du son, du beurre, du kouskous, des cheveux et de la terre, et se nourrissait avec le plus vif plaisir de cette bizarre mixture. «C’est un innocent, se disait le derviche en le regardant, mais c’est aussi un saint. Il doit porter bonheur, puisqu’en somme, il n’aime et ne déteste personne.»

Il y a des marabouts de naissance ; parmi eux il faut mettre en première ligne les chérifs, vrais descendants ou soi-disant lignée de Mahomet. Mais ce sont surtout les bonnes oeuvres, la science ou ce qu’on désigne de ce nom pompeux, l'ascétisme, la pratique de la retraite religieuse, le mysticisme, le prétendu don des miracles, etc., qui conduisent au maraboutisme.

Il y a d'ailleurs des degrés dans la localisation des saints. Tel a sa réputation limitée au bourg qu’il habita; tel autre a une influence régionale. D’autres étendent leur juridiction spirituelle sur une partie très considerable d’un pays ; tels sont au Maroc les Chérifs d'Ouezzân, qui ont joué, à plusieurs reprises, un rôle éminent dans la politique marocaine, et dont le renom de sainteté est répandu dans le nord du Maroc (au sud ils n’exercent aucune influence).

Un marabout des plus curieux à cet égard est Sîdî 'Abdelqâder el-Djîlânî, saint mondial dans l’Islàm, mais qui, au Maroc, bien qu’il soit d’origine asiatique, est invoqué comme un saint national, je veux dire comme un saint du Maghreb le plus occidental. C'est  l’exemple le plus extraordinaire peut-être de l’accaparement d’un saint, qui appartient aux musulmans du monde entier, par un groupe particulier de fidèles de l’Islâm savoir ceux du Maghreb el-Aqçà.

Il ne faudrait pas croire cependant que l'influence d’un saint fût en raison directe de l’étendue territoriale de son prestige religieux. Tel marabout, attaché à un lieu déterminé, y apparaît comme le bras droit de Dieu, à l’exclusion des saints les plus renommés de l'Islâm. Rien de typique, à ce point de vue, comme la déclaration qui fut faite, le 6 septembre 1883, à de F’oucauld, lorsqu'il se trouvait à Boû-l-Dja'd (Tadla, Maroc) : « Ici, ni sultan, ni makhzen, rien qu’Allâh et Sîdî ben Dâoûd. » Sîdî ben Dâoûd, le marabout auquel de Foucauld présenta une lettre de recommandation, y était seul maître et seigneur absolu. «Cette souveraineté, ajoute le célèbre explorateur,

s’étend à la ronde, à environ deux journées de marcheb » Une cause vraiment étrange de l’élévation de certains personnages à la dignité de saint est le fait d’avoir été renégat ou fils de renégat. Il est arrivé plus d’une fois, en effet, que des renégats, d’origine juive ou chrétienne, sont devenus marabouts. Un cas d’un très grand intérêt est rapporté par l’auteur du Kitâb el-Istiqçâ^, Ah’med ben Khâlid en-Nâçirî es-Slâoui. Voici la traduction que donne Doutté-'’ de ce curieux passage signalé par Mouliéras

« L’an 661 de l’Hégire (1263 de J. -C.) mourut le cheikh, qui avait la connaissance du Dieu Très-Haut et qui était d’un rang élevé, Aboû Nou ‘aïm Ridhouân ben ‘Abdallâh le Génois, c’est-à-dire originaire de Gênes au pays des Européens; son père était chrétien et sa mère était juive. Voici, d’après le récit d’Aboû 1- Abbâs el-Andalousî dans sa Rihla, en quelles circonstances son père embrassa l’islamisme. Ce dernier, dans son pays, à Gênes, avait un cheval qui s’échappa une nuit, entra dans la cathédrale et y fit ses excréments sans être aperçu par aucun des bedeaux de l’église, ni par quelque autre. Le père de notre saint se hâta de faire sortir son cheval; mais lorsque vint le matin, les gens de l’église virent le crottin et dirent ; « Certes, le Messie est venu hier dans l’église sur son cheval et celui-ci y a fait ses excréments. » La ville fut mise en émoi par cet événement et les chrétiens se disputèrent l’achat de ce crottin, au point qu’une parcelle se vendait un prix énorme. Cependant le père d Aboû Nou'aïm fît connaître aux chrétiens leur erreur et s’enfuit à Rbât’ el-Fath’ (Rabat au Maroc), sur le territoire de Slà (Salé). Là, il fît la rencontre d'une juive qu’il épousa et celle-ci devint la mère du cheikh Aboû Nou'aïm. Celui-ci grandit également dans la science, dans la sainteté et dans l’amour du Prophète, sur qui soient le salut et la bénédiction de Dieu.

Un autre cas singulier est celui d'un saint de la côte méridionale du Maroc, si du moins le récit qui nous a été fait à Mogador en 1901 est digne de foi. Le patron de la ville de Mogador, dont le tombeau a été érigé au sud des murailles, près de la mer, est Sîdî Mogdoul. Ce nom arabe ne serait qu’une altération du nom propre écossais Mac Donald, personnage qui aurait débarqué jadis sur le rivage, où devait être construit Mogador. On sait que cette ville est d’origine récente; elle a été fondée en 1760’ par le Sultan Moh’ammed XVII. Mac Donald y serait mort en odeur de sainteté et aurait été transformé après son décès en saint musulman; c'était sans doute un renégat, ce qui expliquerait plus aisément son élévation au rang de marabout. Le nom de Mogador – aurait été donné par les Portugais au château-fort qu'ils construisirent en ce lieu au début du XVI siècle, et il aurait été dérivé par corruption de Mogdoul.

La ville porte, en arabe, le nom de Soûeïra, diminutif de soura, pris dans le sens de rang, rangée de pierres dans un mur, mot qui fait allusion à la régularité de ses rues; le plan de la ville avait été dressé par un ingénieur français, M. Cornut.

 

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Edouard Montet

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Edouard Montet

Noms donnés aux saints.

Dans l'Afrique du Nord, des noms variés et nombreux sont employés pour désigner les saints.

 Le plus répandu, au Maghreb, à l’exception toutefois du Maroc, est celui de Marabout. En Algérie, il est d’un emploi courant et on le trouve usité de là jusqu'en Egypte.

Le terme de marabout vient du mot arabe merâbet  qui désignait, à l’origine, ceux qui servaient comme soldats Dans les ribàt\ fortins établis sur la frontière des pays musulmans, pour se défendre contre les infidèles, et qui devenaient des points d’appui pour l’attaque dirigée contre les chrétiens. Dans ces redoutes, le Guerrier musulman se livrait à des exercices de piété. Lorsque le temps de la guerre sainte fut passé, les ribât’ se transformèrent en édifices religieux (zâouia), et le merâbet’ ne fut plus qu’un personnage religieux, un apôtre d’Allah, zélé ou même fanatique. C’est ainsi que le mot de marabout en est venu à être le qualificatif par excellence des exaltés en religion, de ceux qui, par leur sainteté ou par leur ardeur missionnaire, s’élèvent incontestablement au-dessus de la masse des fidèles.

Le terme de marabout a pris, avec le temps, une extension extraordinaire; non seulement il s’emploie couramment  pour désigner les saints et par suite, dans le

langage des Européens, leurs tombeaux, mais il s’applique encore à tout ce qui revêt un caractère sacre animaux, arbres, pierres, etc. On sait qu’en français un

oiseau exotique porte même le nom de marabout. Un fait assez curieux à signaler ici, et qui montre combine chez certains Berbères l’islamisation ne s’est faite que d’une manière incomplète, tant elle y a rencontré de résistance effective ou passive indéniable, c’est que dans la langue touareg, par exemple, il n’y a pas de mot spécial

pour nommer le marabout. En touareg, le terme aneslem (fém. taneslemt). dérivé du verbe arabe, passé dans cette langue, islam être sauvé, désigne toute personne

consacrée à Dieu, à quelque religion qu’elle appartienne, qu’il s’agisse d’un marabout, d’un prêtre ou d’un simple fidèle.

Au Maroc, les saints sont habituellement appelés Sîdi « Mon Seigneur, » qualificatif usité aussi dans d’autres régions, et souvent ils y reçoivent le titre de Moùlaye « Mon Maître. »

Le saint est encore qualifié de ivalî « celui qui est près » de Dieu, l’ami de Dieu. On emploie aussi, en parlant de certains d’entre eux, le terme de bahloûl simple

d’esprit; nous avons cité plus haut un exemple typique de cette catégorie. Quant au mot medjdhoûb, il s’applique à celui qui est habituellement « ravi en extase. » Les illumines sont des medjdhoûb.

Tous les termes que nous avons énumérés sont usités en parlant des saints vivants aussi bien que de ceux qui sont morts.

Chez les Abàdhites"  le titre de 'ammi « mon oncle » est donné aux saints.

Quant aux femmes saintes ou maraboutes, elles sont appelées Setü « Madame, Ma Maîtresse, » et par les letters Seyyida « Dame, Maîtresse, » abrégé en Sida, féminin

de Seyytd « Seigneur, Maître, » d'où est dérivé Sîdî. Settî n’est d’ailleurs qu’une forme contractée de Seyyîdatî « Madame, Ma Maîtresse. »

Les maraboutes sont le plus souvent désignées par le mot berbère Làlla « Madame, » et aussi « Maîtresse. » Les Kabyles leur donnent fréquemment le nom de Imma « Mère. »

Multiplicité des saints.

Dans l'islàm de l’Afrique du Nord, les saints sont vraiment innombrables et leur multiplicité s’accroît, comme nous l’avons observé, plus on s’avance vers l'ouest

de ce continent. Cela est si frappant qu’on rencontre dans certaines localités de cette partie de l’Afrique de véritables accumulations de Qoubbas, c’est-à-dire de tombeaux

de saints. Tel est aux portes de Tlemcen cet admirable paysage où se dressent les mausolées, en ruines pour la plupart, de toute une compagnie de marabouts. Tel est,

au Maroc, dans le faubourg d’Azemmoûr, le sanctuaire vénéré de Moùlaye Boû Chàb'b, entouré de nombreux tombeaux de saints. L'un des plus grands saints du

Maroc, Aloidaye Boû Ghâ'îb semble avoir attiré dans son voisinage une élite de personnages morts en odeur de sainteté.

Aux environs de la ville d'Azemmoûr et du sanctuaire de Moùlaye Boû Châ'îb se dressent plusieurs Karkors, monceaux de cailloux, ayant une signitication religieuse,

et formés par les musulmans pieux qui, en passant, ajoutent leur pierre au tas sacré. Les karkors (de l’arabe kerker, casser en gros morceaux, entasser, amonceler)

sont comme des sentinelles annonçant l’approche d’un lieu saint. Sans constituer des avenues conduisant aux sanctuaires, comme les sphinx d’Egypte et les taureaux

ailés d’Assyrie, ou comme les allées de menhirs de Carnac ', ils n’en sont pas moins les indices certains, dans plusieurs lieux saints du Maroc, de la proximité de tombeaux vénérés.

C’est surtout au Maroc que les saints sont nombreux. On en jugera, en lisant, dans l’ouvrage de Mouliéras que nous avons cité, les listes de saints qu’il dresse à propos des localités qu’il décrit.

La multiplicité des saints, attestée par le grand nombre de tombeaux aux coupoles (Qoubbas) blanches, est telle que plusieurs marabouts ont plus d'un mausolée.

Sîdî Boû Djeddaïn, « Mon Seigneur aux deux grands pères, » dans le Rîf, repose en entier dans des tombeaux différents, à Taza et chez les Benî-Toûzîn.

Moûlaye Boû-Chtà, « Mon Maître l’homme à la pluie, fut enterré une première fois dans le village d’Eç-Çafiyyîn, sa résidence habituelle. Les Benî-Mezgelda, qui avaient

pour le défunt marabout une profonde vénération, vinrent pendant la nuit déterrer le cadavre du saint et l’inhumèrent chez eux dans le village d’Ez-Zghira. Les habitants

d’Eç-Çafiyyîn, informés du rapt, rouvrirent la tombe de Boû-Ghtâ, que les voleurs avaient eu soin de combler, et constatèrent avec bonheur que le corps du saint était

toujours à sa place. Les Benî-Mezgelda, auxquels cette nouvelle fut annoncée triomphalement par leurs rivaux d’Ec-Çahyyîn, affolés se hâtèrent d’enlever la terre de la fosse où ils avaient couché Boû-Chtâ et ils constatèrent que la dépouille mortelle du marabout y reposait toujours On pourrait citer bien d’autres exemples de cette

ubiquité d’un genre special.

Le lecteur ne sera pas étonné d'apprendre que, dans des milieux aussi crédules, on rencontre des  tombeaux de saints apocryphes : prétendus compagnons du Prophète ect,

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La multiplicité des saints est d’ailleurs accrue au Maghreb par l'extension extraordinaire qu’y a reçue le chérifat. Le chérif est souvent, par cela même, considéré comme marabout. Or les chérifs sont innombrables, principalement au Maroc. Dans le Maghreb, il y a de nombreuses tribus de chorfa (pluriel de chérif). Il nous souvient, entre autres réminiscences de ce genre, d’avoir traversé de pauvres villages de chorfa sur les bords du Ras ed-Doura. Le chérifat qu’ils représentaient était bien misérable et ne donnait aucune impression de noblesse, encore moins de sainteté.

La multiplicité des saints est, enfin, confirmée par plusieurs proverbes africains tels que celui-ci, courant en Algérie :

Dans le Gherîs ' tout palmier nain – a un saint; toute branche de palmier a un saint »

Tel aussi cet autre proverbe, d'un emploi fréquent au Maghreb, et qui s'applique autant aux confréries qu'aux marabouts :

« Quiconque n'a pas de cheikh a pour cheikh Satan.

 

Saints inconnus.

Le nombre des saints est si considérable qu'il en est beaucoup dont le nom s'est perdu, de sorte qu'une grande quantité de tombeaux et de h’aouit’a (enceinte en pierres sèches), consacrés au souvenir d'un marabout, sont désignés par des qualificatifs équivalents à l'anonymat.

On a conclu de ce fait que plusieurs de ces sanctuaires de saints inconnus remonteraient à une très haute antiquité et seraient les vestiges du culte rendu aux divinités pa'iennes.

Souvent les saints inconnus sont simplement qualifies par le mot El-Meràbet’le marabout. Souvent aussi le saint anonyme est appelé Sidi l-Mokhfi « Mon Seigneur le caché. »

Le marabout Si Moh'ammed ben el-'Abed disait au Colonel Trumelet : « Quand un miracle s'opère sur le tombeau d'un inconnu, ou sur un point que la tradition nous a appris avoir servi de kheloua (retraite solitaire) à quelque saint dont le nom ne nous a pas été transmis, nous élevons sur ces lieux consacrés soit une chapelle, soit une h'aouit’a, soit un mqàm et nous dédions ces constructions à Sidî 1-Mokhfî. »

Mqam-' Lieu où l’on séjourne, construction commémorative, amas de pierres en pyramide ou en cercle.

 

A Alger, les marabouts anonymes, dont les tombeaux sont placés auprès d'une route ou d’un sentier, sont appelés Sîdi Çàh’eb et'-T’rîq, « Mon Seigneur qui est au bord du chemin. » Il y en a eu même autrefois plusieurs dans la ville d’Alger.

 

Enfin, une désignation qui ne manque pas d’originalité est celle de Sidî l-Gherib, « Mon Seigneur l’étranger. » Tel est ce saint anonyme, dont la dépouille mortelle repose chez les Bem'-Çâlah’ en Algérie; ce marabout, dont le nom est resté ignoré, vivait dans une kheloua adossée au rocher qui est à gauche de sa chapelle funéraire.

 

L’anonymat, il est à peine besoin de l’ajouter, peut couvrir un saint inauthentique. Tel est le cas d’un prétendu marabout Aboù Touràb (Père du sable), dont le mausolée

s’élève au Caire.

Le célèbre historien arabe El-Makrîzî (y 1442) raconte, au sujet de ce tombeau, l’intéressante histoire que voici :

« En cet endroit, il y avait autrefois des collines de sable. Quelqu’un voulut y bâtir une maison. Comme il creusait les fondations, il rencontra les ruines d’une mosquée. Les gens nommèrent alors les ruines de cette mosque père du sable (Aboû Touràb) Avec le temps cette appellation fut considérée comme un nom propre : ainsi prirent naissance le cheikh Aboû Tourâb et son tombeau'. »

 

Saintes.

Au nombre très élevé des marabouts, il faut ajouter celui des femmes maraboutes, très important aussi dans le Maghreb.

L’Islàm, dès ses origines et de tout temps, a professé et enseigné d’une manière générale le respect de la femme, et plus spécialement la vénération pour celles qui se faisaient remarquer soit par la pureté de leur vie et l’élévation de leur caractère, soit par des dons spirituels exceptionnels. Dans ce fait se trouve la cause essentielle qui nous rend compte de la genèse et du développement du culte des saintes à côté de celui des saints.

 

A cette cause générale, dont les effets se sont fait sentir dans tout l’Islàm, il faut ajouter, pour ce qui concerne l’Afrique du Nord, le respect que les Berbères, dans l’antiquité, témoignaient à leurs prophétesses.

Voici, en effet, ce que nous dit Procope, l’historien byzantin du VI siècle, dans son ouvrage sur la guerre des Vandales : « Comme on croyait que la flotte d’Auguste viendrait en Afrique, les Maures effrayés consultèrent les femmes prophétesses. Car, chez eux, il n’est pas permis aux hommes de prophétiser. Ce sont des femmes qui, après avoir accompli certains rites sacrés, touchées par l’esprit, dévoilent l'avenir, aussi bien que les antiques oracles. »

Nous citerons plus loin, parmi les exemples de vies de saints que nous donnerons pour illustrer les thèses de ce mémoire, quelques légendes typiques de maraboutes.

 

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Saints communs aux musulmans, aux juifs et aux chrétiens.

Certains saints sont communs à plusieurs religions monothéistes ; parmi eux, il en est d’origine juive ou chrétienne, qui se sont en quelque sorte imposés par leurs mérites aux musulmans, comme si ces derniers, si riches pourtant en marabouts, n’eussent pour rien au monde consenti à se priver de l’intercession de personnages aussi remarquables par leurs vertus surnaturelles. Cette observation, que l’on peut faire en Orient comme en Occident, est frappante dans certaines localités du Maghreb.

A Tlemcen, les juives et les musulmanes vont faire des sacrifices au tombeau de Sîdî Ya'qoûb et demander au marabout de leur faire avoir des enfants. D’après les Israélites de Tlemcen, Sîdî Ya'qoûb aurait été juif d’origine; mais le fait que les femmes juives revêtent le costume musulman, pour se rendre au tombeau du saint, n’est pas favorable à cette prétention.

Il y a à Fez, à ce qui m’a été rapporté, le tombeau d’une sainte juive, Sol Achouel, à laquelle les musulmans rendent un culte. Cette juive subit, dit-on, le martyre à Fez plutôt que d’abjurer la foi de ses pères.

Le tombeau de St-Louis, près de Tunis, est encore vénéré par les musulmans. A Alger, un vieux marabout, que l’abbé Bargès connaissait particulièrement, avait adressé un curieux ex-voto à la Vierge et l’avait fixé dans une niche où se trouvait la statue de la Madone, dans la cathédrale d’Alger. Doutté rappelle à ce propos que la cathédrale d’Alger est une ancienne mosquée, et que la niche en question était l’ancien mih’rab de la mosquée, au-dessous duquel était gravé en lettres d’or un des versets du Coran où il est parlé de Marie (Sour. III, 32)-.

mih’rab- Niche au centre du mur d’une mosquée, indiquant la direction de La Mecque.

Hiérarchie des saints.

Le nombre des saints et des saintes est si considerable qu’il s’y est établi de toute nécessité une sorte de hiérarchie, bien que, dans l’Islâm, on ne trouve point, comme dans d’autres religions, une série de grades determines dans l’échelle des marabouts. Il est vrai de dire que, dans la religion musulmane, c’est la voix populaire qui béatifie et canonise; aucune autorité religieuse constituée ne prononce sur la qualité et le degré de sainteté.

Il y a des saints de toutes catégories. Il y en a de sordides et de pouilleux; il en est d’autres riches et vivant en grands seigneurs. Les uns sont de bas étage, les autres sont des princes; il en est même, au Maroc, qui ont adopté pour insigne le parasol, comme le sultan. Nous verrons des exemples des uns et des autres dans la suite de ce travail.

Certains saints sont mis incontestablement au-dessus de la foule des autres, bien que la tendance de chaque région ou de chaque localité soit de proclamer le sien le premier et le plus puissant de tous.

C'est ainsi qu’au Maroc, dans le nord du moins, Moûlaye Idrîs, fondateur de Fez, est vénéré au même degré que le Prophète. Mais de tous les saints de l’Islâm, aussi bien au Maghreb qu’ailleurs, le plus grand et celui dont l’intercession est considérée comme omnipotente, dans le sens métaphysique du mot, est sans contredit Sîdî 'Abdel-qàder el-Djîlànî, qui a fondé l’ordre religieux des Qàdriyya.

Don des miracles.

Les saints possèdent la Karàma « faveur divine, » et, par elle, ils reçoivent le don des miracles, le Taçarrouf .

La Baraka « bénédiction » est une parcelle de la grâce divine qui a été accordée par Dieu au marabout, et que ce dernier peut passer à ses descendants; cette baraka se transmet par la salive. De là l’usage des marabouts de cracher dans la bouche de leurs disciples, pour leur donner l’initiation, et dans la bouche de ceux qui viennent les implorer, pour leur communiquer à eux aussi la baraka.

Comme dans toutes les religions qui croient pleinement au surnaturel, dans l'islàm le don des miracles n'est pas simplement échu en partage aux saints du passé. Les miracles sont de tous les temps et les marabouts vivants en accomplissent autant que ceux qui sont morts depuis des années ou des siècles.

On retrouve dans les légendes des saints de l'Islâm tous les genres possibles et toutes les catégories imaginables de miracles, tels qu’on les constate dans les autres religions.

Nous ne signalerons ici que quelques miracles typiques; nous aurons d'ailleurs l’occasion d’en mentionner d’autres, plus loin, en exposant la légende de quelques saints.

Un don par excellence des marabouts est celui de l’ubiquité. Les musulmans l’attribuent à un grand nombre de leurs saints et nous l’avons vu étendu même à la dépouille mortelle et au tombeau de plusieurs d’entre eux. Voici un exemple caractéristique du don d’ubiquité.

Le saint marocain Sîdî 1-h’âdjdj Qenboûr, enterré au village d’Ez-Zàouia, a été vu le même jour, à la même heure, faisant sa prière dans deux endroits très éloignés l’un de l’autre; c’était un vendredi. Tandis que la foule le contemplait se prosternant dans la mosquée d’El-Andalous à Fez, au même instant les habitants d’Ez-Zâouia étaient frappés de la ferveur avec laquelle il adressait à Dieu sa prière dans leur petite mosquée '.

La puissance des saints se manifeste, entre autres faits surnaturels par le déplacement de choses d'un poids énorme, des rochers par exemple. C’est ainsi que Sîdî Salem, le saint de Tizza, en Algérie, pour confondre de son imposture un faux marabout, ordonna aux sept rochers, qui se dressaient sur les hauteurs dominant l’oued Tizza, de descendre dans la vallée. A sa voix, les rochers s’ébranlèrent et se lancèrent dans la direction que leur avait dite le marabout. Sîdî Salem donna l’ordre à six de ces rochers de s’arrêter à ses pieds, ce qu’ils firent. Quant au septième, qui était énorme, il alla écraser le faux marabout, puis il demeura fixé sur le lieu même où avait disparu le malheureux.

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet

 

Les saints ont le pouvoir de se transporter instantanément à des distances fabuleuses. 'Abdelqâder, invoqué à El-Abiodh, en Algérie, par une femme qui avait laisse tomber son enfant dans un puits, accourt aussitôt sous terre et reçoit l’enfant dans ses bras avant qu’il ait touché la surface de beau. L' Abdelqâder invoqué était Sîdî Cheîkh, nommé primitivement 'Abdelqâder. Le grand saint de Bagdad, 'Abdelqâder el-Djîlânî, qui avait cru qu’on l’invoquait, était accouru, instantanément aussi, d’Asie, pour sauver l’enfant. On voit par là que si les saints ont le pouvoir de franchir en un clin d’oeil des espaces immenses, ils sont loin d’avoir toujours le don d omniscience '.

Les saints marchent sur les eaux; ils peuvent dessécher la mer, tarir les rivières, etc. Ces légendes sont racontées d’un grand nombre de marabouts. Les saints ont aussi le pouvoir de faire jaillir des sources, défaire couler des cours d’eau, de détourner des rivières, etc.

Les saints ont le pouvoir de se rendre invisibles, de même qu’ils peuvent rester longtemps sans boire ni manger. Le vieux marabout Moh’ammed ben el-'Abed faisait à ce sujet au Colonel Trumelet le récit plein de charme que voici :

« Dieu, quelquefois, nous rendait invisibles aux yeux des chrétiens, ou les frappait d’aveuglement. C’était un samedi : un détachement de zouaves bivouaquait sous les oliviers pour observer les Benî-Çâlah’ qui, chaque nuit, descendaient de leurs montagnes pour rôder autour des postes français. On ne pouvait approcher du bois d'oliviers sans risquer d’entendre aussitôt siffler à ses oreilles les balles que ne manquaient jamais d’envoyer les sentinelles. J’avais juré de faire ma Ziàra  au tombeau de Sîdî Ya'qoûb ; je sentais bien que cette pieuse visite n’était pas sans danger; mais je savais aussi que Dieu peut tout, et que Sîdî Ya'qoùb veillerait sur son serviteur.

« Je sortis de ma demeure, située dans les jardins de Blida, avant l’heure de la prière du fedjeur-[Point du jour.] et je me dirigeai, en suivant le sentier que vous avez conservé, vers la qoubba du saint. Avant de pénétrer dans les oliviers,

je récitai le dhikr [Prière particulière à un saint, a une confrérie.] de Sîdî Ya'qoûb, et je m’enfonçai dans le massif. Un feu de bivouac jetait ses dernières lueurs et teintait en rouge les murs de la qoubba. Quelques hommes, accroupis autour du foyer, riaient comme rient les Français, et sans songer que la mort était à deux pas, peut-être, sous la forme d’un de nos Kabyles. Je passai, à le heurter, auprès d’un factionnaire dont un arbre m’avait dérobé la présence : je me crus perdu, et il nie semblait déjà entendre le cri sec d’un fusil qu’on arme. Il n’en était rien; la sentinelle ne m’avait pas aperçu, sans doute ; car elle ne répondit à notre rencontre que par un grognement que je compris devoir être un juron, au ton énergique dont il fut articulé : le zouave avait certainement cru s’étre heurté à l’arbre. Il y avait là un prodige manifeste. Je continuai mon chemin en croisant plusieurs autres sentinelles qui ne me virent pas davantage, bien qu’elles parussent regarder de mon côté. Une sueur froide perlait sur mon front; je l’avoue, mon invisibilité me faisait peur. Au moment où je passais près du feu, un jet de flamme vint m’éclairer tout entier, et, cependant, aucun des hommes de garde ne m'aperçut. Je me précipitai dans la qoubba, et, me prosternant sur sa tombe vénérée, je remerciai Sîdî Ya'qoûb de la protection évidente don’t il me couvrait; je le priai aussi de retenir dans mon cerveau mon esprit qui semblait vouloir s'envoler. »

Les saints ont le pouvoir de rayonner et de se manifester par des lumières ou des flammes. Tel marabout apparaît sous la forme d'une lueur phosphorescente répandant autour d'elle des reflets bleuâtres et tremblotants. 'Tel autre s’avance sous l’apparence d’une colonne lumineuse qui semble pénétrer dans le sol. Le feu a toujours été le symbole de la vie spirituelle .

Les saints opèrent des guérisons et des résurrections. On va prier auprès de leurs tombeaux pour recouvrer la santé. Les femmes stériles s'adressent à certains d’entre eux, dont c’est la spécialité, pour obtenir le privilège de la maternité. Les hommes épuisés et les vieillards vont demander aux mêmes saints ou à d’autres, dont c’est la fonction plus particulière, de leur rendre leur virilité. Sîdî Mogdoul, à Mogador. est un marabout spécialiste de cette catégorie.

Les saints ont le pouvoir d’apparaître après leur mort et de ressusciter pour accomplir un nouveau miracle, et intervenir, comme Dieu lui-même, dans les événements. Les marabouts peuvent aussi s’entretenir avec les saints défunts, même avec ceux qui sont morts depuis des siècles. Ils peuvent douer de la parole les animaux, les arbres, les pierres, etc. Ils ont le don de transformer les corps, par exemple l'eau en miel, le metal en parfum, etc. Nous verrons plus loin des exemples de ces divers pouvoirs.

Les saints chassent les mauvais esprits et protègent celui qui les invoque contre l'action pernicieuse des djinn. Près du tombeau de Sîdî Ya'qoûb, à Tlemcen, se trouve une niche appelée la maison des djinn. Le gardien nous a raconté, avec une candeur pleine de gravité, que les démons se rendent dans cette niche et qu'on y vient pour se faire délivrer d'une possession. Le possédé passe la nuit dans cet endroit, en ayant soin de mettre sa tête dans la niche. Le lendemain matin, le djinn a disparu par la puissance de Sîdî Ya'qoûb. « Des Espagnols viennent parfois ici pour se débarrasser d'un djinn, » ajouta dévotement le pieux musulman.

Le miracle de la multiplication des pains se reproduit souvent dans la légende des saints musulmans, d'el le plat inépuisable de couscous que Sîdî Ah'med el-Kbîr offrit à toute une caravane ' ; le couscous, après avoir repu les nombreux hôtes du saint, paraissait aussi intact qu'au moment où on l’avait servi.

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet

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Nous citerons encore deux autres catégories de miracles attribués aux saints musulmans, qui présentent un intérêt particulier, à cause des événements militaires qui se sont passés, il y a peu de mois, en 1908, dans le Nord de l’Afrique.

Note- Dans la légende bretonne de St-Corentin, (tn trouve une variante intéressante

du même genre de miracle : « Comme il ne se livrait à aucun travail corporel, il vivait de légumes et de pain sec, quand il en avait.

Dieu fit un miracle pour assurer sa subsistance dans sa retraite. 11 envoya un petit poisson, qui venait chaque matin trouver le saint homme. Celui ci, après en avoir coupé un morceau pour faire son repas, le jetait de nouveau dans l’eau, et aussitôt le poisson se trouvait dans son entier, sans aucun mal.

Le premier de ces faits surnaturels est le don d’être ou de rendre invulnérable. Certains marabouts ont la conviction d’être à l’abri des balles et prétendent conférer à leurs disciples cette immunité.

Pendant les insurrections qui ont éclaté en Algérie contre la domination française, de nombreux fanatiques ont prêché la guerre sainte contre les étrangers, s’affublant du titre de Mahdî, le messie musulman, le Moûl essaya, « le Maître de l'heure, » portant tous, comme l’exige cette croyance, le nom de Moh’ammed ben 'Abdallah, tous étant chérifs et marabouts. Tous ces prétendus Mahdîs se disaient invulnérables aux balles des fusils français, et bien que plusieurs aient péri dans les combats, la foi des indigènes dans leur soi-disant invulnérabilité n’a pas été ébranlée.

Comme nous l’ont appris des lettres' du corps expéditionnaire français de Bou-Denîb, le grand marabout Moûlaye l’H’asen, qui conduisait la fameuse harka que les troupes françaises ont eu à combattre et qu’elles ont dispersée après plusieurs batailles très meurtrières, avait fait à ses fanatiques soldats cette déclaration caractéristique : « Ne craignez pas les Roumis, car, lorsqu’ils tireront sur vous, les balles de leurs fusils se changeront en dattes, et les fusils cracheront de l’eau de rose. »

Le second fait surnaturel à signaler encore est peutêtre plus curieux et se rattache au don de prophétie qu’on accorde aux marabouts.

A plusieurs reprises on a constaté que des saints avaient prédit soit l’occupation française en Algérie, soit les succès des troupes espagnoles au Maroc.

A Alger, avant la prise de la ville par les Français, des prédictions, répandues parmi les musulmans, annonçaient que « des soldats vêtus de rouge (le pantalon rouge des fantassins) et portant une aubergine {badiudjàn) sur la tete, (l’ancien gros pompon des shakos  viendraient conquérir le pays '. »

Le célèbre santon Sîdî Ah’med ben Yoûsef avait aussi prédit l’occupation française. Plusieurs dictons, qui lui sont attribués, y font allusion, en particulier celui-ci ; « Chélif, la meilleure des patries — Tu seras déserte après avoir été peuplée et tu deviendras une boutique (un marché?) — Les Français chrétiens te peupleront-. »

Moûlaye ' Abdesselâm ben Mechîch, le grand saint des Djebâla, prophétisa au XIII siècle l’entrée des Espagnols àTétouan, qui devait avoir lieu plusieurs centaines d’années plus tard : Les Espagnols, disait-il, entreront à Tétouan; ils attacheront leurs chevaux dans les mosques transformées par eux en écuries; mais Dieu les exterminera et ils en seront ignominieusement expulsés. » C’est en 1860 que Tétouan fut pris par les troupes espagnoles sous le commandement du Général Prim.

Le même saint a annoncé que les Français habiteraient Ouezzân et Ed-Qçàr (el-Kebir) Cette prophétie ne s’est point encore réalisée. Les Français, il est vrai, ont pénétré au Maroc, en 1908, par trois points différents : à l’est (Oudjda et Benî Snassen), au sud (Boû-Denîb) et à l’ouest (Casablanca); mais leur pénétration s’est bornée à occupier des villes ou des territoires situés près des frontières.

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet

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Adoration des saints, offrandes qui leur sont faites, sacrifices en leur honneur.

Vivants ou morts, les saints, quelque illettrés qu’ils soient (et ils le sont souvent), sont adorés. Quiconque a été dans l’Afrique du Nord a pu voir le respect superstitieux, veritable adoration, dont les marabouts vivants sont l’objet : baiser le pan de leurs robes, baiser l’étrier ou repose leur pied, baiser les traces de leurs pas, etc. sont les actes essentiels qui constituent cette anthropolâtrie.

Quant aux marabouts décédés, le culte qui leur est rendu se manifeste surtout par les pèlerinages à leurs tombeaux. Certains de ces pèlerinages sont accomplis par des foules immenses, lors de la fête du saint. A cette occasion des banquets religieux, en l’honneur du marabout, sont célébrés; on leur donne le nom de oua'da ou de t’a' dm.

A coté du pèlerinage annuel, qui, pour plusieurs saints illustres ou réputés, atteint les proportions d’un événement religieux, il y a le pèlerinage individuel ou Ziàra. Le fidèle musulman se rend au tombeau de son saint de prédilection pour lui demander une faveur, ou lui addresser son culte d’actions de grâces. Il s’y présente avec des offrandes variées pour le saint lui-même, s’il est vivant, et aussi pour le représentant du marabout, descendant du saint ou simple moqaddem (préposé) ou oukîl (gardien), qui bénéficie lui-même du prestige du marabout, dont il surveille la sépulture ou la qoubba. Un sacrifice, en l’honneur du marabout, est accompli par le pèlerin, qui, suivant sa fortune, offrira un boeuf, un mouton, un bouc ou une poule. Cette victime est le plus souvent mangée par celui qui l’a présentée, auprès du tombeau même du marabout; parfois elle est donnée au moqaddem ou partagée avec lui. Le fidèle fait aussi une offrande au moqaddem, offrande appelée ziâra comme le pèlerinage lui-même. Ce cadeau est de valeur très diverse, selon la position du pèlerin; il consiste en argent et en nature (blé, beurre, sucre, bougies, etc. ).

Une autre source de revenus pour le marabout, au Maroc, provient de la zet’àt’a ou escorte des voyageurs en pays peu sûr, moyennant un droit perçu par le saint ou par son représentant. C’est là encore, au Maghreb, l’une des formes du prestige maraboutique.

On peut en dire autant de la bechàra, c'est-à-dire de l’entremise du marabout entre le voleur de bestiaux et la victime du vol. Moyennant argent, le saint bechchàr fait rentrer le volé en possession du bétail détourné; quant à la taxe qu’il perçoit ainsi, le marabout la partage avec le voleur.

Protestations contre l’adoration des saints et les abus qui en sont la conséquence.

Le culte, dont les marabouts sont l’objet, a poussé leurs adorateurs à de tels excès et les abus de la ziàra ont été si criants, que des protestations nombreuses, en actes ou en paroles, ont eu lieu.

Il y a des tribus où les marabouts ne sont pas respectés : tels, par exemple, les Ida ou Blàl du Sud Marocain, qui ne donnent rien aux marabouts, les traitant de paresseux et les renvoyant avec des moqueries

 Les Béni Messàra, serviteurs des chérifs d'Ouezzân, viennent souvent piller la ville sainte ; souvent aussi ils s’embusquent dans sa banlieue, guettant les jeunes garçons et les femmes, qu’ils emportent dans leurs montagnes pour les vendre ou les faire servir à leurs plaisirs-.

Lorsque j’étais sur la côte méridionale du Maroc, en janvier 1901, j’ai appris que le fameux marabout Mâ el-'Aïnîn, qui s’était mis en route, pour aller rendre visite à son ami le Sultan de Marrakèch, venait d’être pillé et rançonné, comme un vulgaire voyageur, par un caïd de l'Oued Noûn.

Un proverbe courant, d’une allure assez grossière, mais très expressif, met en garde contre les marabouts :

« Méfie-toi de la femme par devant,

De la mule par derrière,

Du marabout par tous les bouts. » 

En voici un autre, nettement dirigé contre l’abus des ziàra ;

« Dépiquez votre grain, criblez-le.

Une fois en meule, faites-en sortir la dîme.

En dehors de Dieu et du Prophète,

Ne faites à personne des offrandes religieuses.»

 

Citons encore ce dernier proverbe, attribué à un marabout, Sîdî 1-Akhdhar ben Khloûf, enseveli dans les environs de Mostaganem :

«Combien de gens, dont le mausolée est visité,

Ont leur place en enfer !' »

 

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet

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Continence et incontinence des saints.

Si le culte des saints est en partie le résultat des vertus qu'ils peuvent avoir, le discrédit, le mépris même dans lequel ils tombent dans l’esprit de quelques-uns, est certainement dû, en partie également, aux vices qu’on attribute à plusieurs d’entre eux.

Et cependant qui ne sait que, dans la superstition populaire, tout est permis aux saints qu’on adore! Les pratiques antinomiennes, suivies par plus d’un, mort en odeur de sainteté, ont été souvent considérées, dans les religions, comme un hors la loi, privilège d’êtres réputés surnaturels et divins.

 

De nombreux marabouts vivent de la vie habituelle et commune, se mariant et acceptant les conditions de l’existence, telles qu’elles se sont formées dans la société musulmane. Il en est d’autres qui se livrent, les uns à la continence et à l’ascétisme, les autres à l’incontinence et à la débauche. C’est de ces derniers que nous aurons surtout à parler ici.

Les saints continents et ascètes sont l’exception dans l'islàm. Cela vient du fait, commun aux deux grandes religions monothéistes sémitiques, que l’ascétisme n’y est pas en faveur. Le Coran, tout aussi bien que l’Ancien Testament, est opposé à la mutilation de l'étre humain, et, par suite, à toutes les pratiques qui limitent ou arrêtent le libre épanouissement de la vie chez l’homme.

On a observé avec raison que, si le musulman qui aspire à devenir marabout cherche à se faire remarquer par son ascétisme, une fois devenu marabout, il renonce volontiers aux actes de continence, qui n’ont eu qu’un but, lui servir d’échelle à la dignité de saint.

 

On cite cependant des marabouts ayant pratiqué ou pratiquant l’ascétisme et la continence. On cite aussi des saintes qui ont dû leur renom de maraboutes à leur virginité. On voit à Tunis, paraît-il, le tombeau d’une sainte qui avait défendu sa virginité, en changeant en femme un impudique qui avait tenté de la séduire.

C’est à ce groupe qu’il faut rattacher les saints pouilleux et sales, circulant à moitié nus, vêtus de loques sordides et affectant le plus grand mépris pour les biens de ce monde Tel était le fondateur de l’ordre religieux des Heddàoua, Sîdî Heddi, au XIII siècle.

 

Il y a aussi les marabouts pratiquant en tout l’austérité, à l’exception toutefois de l’article femme. Tel fut l’illustre marabout ‘Abdallâh ben Yasîn, le fondateur et le chef des Almoravides, réformateur réputé par ses austérités, et qui mourut sur le champ de bataille en 1059. Ce saint était loin d’être un modèle de continence. Voici ce que l'auteur du « Roudh el-Kartas », Aboû Moh’ammed Çalah ben Abd el-Halîm, de Grenade, nous apprend sur ce pieux personnage :

«'Abdallàh ben Yasîn était très austère, et, pendant tout le temps qu'il resta au Maghreb, il ne mangea point de viande et ne but point de lait, car les troupeaux n’étaient pas purs à cause de la profonde ignorance du peuple. Ben Yasîn ne vivait que de gibier; mais cela ne l’empêchait point de voir un grand nombre de femmes; chaque mois il en épousait plusieurs et s’en séparait successivement; il n’entendait pas parler d’une jolie fille sans la demander aussitôt en mariage. Il est vrai qu’il ne donnait jamais plus de quatre ducats de dot " »

 

Le chapitre des saints bons vivants, débauchés ou lubriques, est plus long que celui des continents et des ascètes, et nous venons déjà de voir que l’austérité de certains saints n’est que très relative. Il y a ici plusieurs catégories à distinguer.

Nous citerons tout d'abord les marabouts riches et grands seigneurs, amis des plaisirs et de la vie facile. C’est parmi eux qu’on trouve ces saints personnages qui, en Algérie et ailleurs, boivent en public des liqueurs fortes ou de l'absinthe, ne craignent même pas de s'enivrer en abusant de l’eau de vie, fument l'opium, et dont la moralité est d’ailleurs fort relâchée.

Il y a les marabouts parasites, ne cherchant qu’à duper leurs admirateurs et à faire bonne chère; plusieurs, parmi eux, ont été réputés par leur embonpoint extraordinaire,

ou leur obésité.

Il y a les saints obscènes, comme ce marabout don’t j’ai vu le tombeau entre Soûq et-Tleta et Guerando, sur la route de Mazagan à Marrakèch, et dont le nom, ou le surnom plutôt, est typique : il s’appelle Sîdî 1-Hawwâï, c’est-à-dire le caresseur (de femmes). Le mkhâznî (gendarme marocain) qui m’accompagnait, et qui connaissait le pays, ne voulait pas prononcer devant moi le nom de ce saint anonyme, et, lorsque je le pressai de me le dire, il le fit en s’excusant et en riant à la fois.

Il y a les marabouts impudiques, qui saisissent une femme qui passe et, en public, s’unissent à elle. On en connaît des exemples authentiques assez nombreux. A Tunis, un saint de cet acabit « accolait les femmes en pleine rue, nous raconte Pellissier de Reynaud dans ses Annales algériennes' ; les passants le couvraient respectueusement de leurs burnous pendant l’accomplissement de cet acte édifiant. »

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet

Il y a les marabouts impudiques, qui saisissent une femme qui passe et, en public, s’unissent à elle. On en connaît des exemples authentiques assez nombreux. A Tunis, un saint de cet acabit « accolait les femmes en pleine rue, nous raconte Pellissier de Reynaud dans ses Annales algériennes' ; les passants le couvraient respectueusement de leurs burnous pendant l’accomplissement de cet acte édifiant. » 

« Il y en avait un à Tétouan, dit L.-S. de Chénier, qui ayant un jour rencontré les femmes sortant du bain, après quelques mouvements convulsifs, s’empara d’une des plus jeunes et eut commerce avec elle au milieu de la rue; ses compagnes qui l’entouraient faisaient des cris de joie, et la félicitaient sur son bonheur; le mari lui-même en reçut des visites. »

J’ai pu constater moi-même au Maroc combien le récit du consul de Chénier était exact, et combien ses jugements reflétaient l’opinion courante dans ce pays.

On m’a raconté dans les Châouia qu’un marabout ayant pénétré dans la maison d’une jeune mariée, dont il voulait abuser en l’absence du mari, et ayant été mis à la porte par la belle, celle-ci fut vivement blâmée par son époux, lorsqu’à son retour au domicile conjugal il apprit la vaillante résistance de sa femme aux tentatives de séduction du saint. « La cohabitation avec l’envoyé de Dieu, dit-il à sa compagne, eût répandu la benediction divine sur notre demeure. » C’est bien là l’expression du sentiment populaire : tout ce qui vient de l’homme de Dieu est bon, pur et sacré. C’est avec la même indulgence dévote que sont jugées les prostitutions de certaines maraboutes.

 

Nous terminerons ce paragraphe en citant un cas curieux de mélange de continence et d’incontinence. C’est l’histoire de la grande sainte des Béni Çâlah’, Lâlla Imma Tifellout. Cette femme, qui passait pour être la plus belle fille de la montagne, eut une jeunesse très pure : on la citait comme le modèle de la chasteté et de la contilence. Plus tard, elle remplit le pays du bruit de ses débordements passionnés : on la tenait pour une espèce de goule (démon féminin), que rien ne pouvait satisfaire. Son amour donnait la mort, disait-on. Mais, un jour, on apprit que Lâlla Tifellout avait quitté sa demeure, pour aller s’établir au sommet d'une montagne, dans une sainte retraite, où elle passait ses jours et ses nuits à prier et à s’entretenir avec Dieu. C’est là qu’elle acheva sa vie dans l'ascétisme le plus rigoureux. Elle avait reçu le don des miracles et sa présence dans la tribu des Béni Çâlah’ y répandait toutes les bénédictions et tous les bonheurs.

 

Rôle politique et social.

Le prestige extraordinaire dont jouissent les marabouts, et l'influence si grande qu’ils exercent, expliquent le role politique qu’ils ont si souvent joué et qu’ils remplissent

encore à l’heure actuelle.

Les marabouts, au Maghreb, se sont souvent interposes avec succès entre les tribus se faisant la guerre. On leur doit l'apaisement de nombreux conflits et en Algérie même

on a fait plus d’une fois appel à leur intervention pour régler des différends entre indigènes et colons français. Ils sont, d’une manière générale, dans l’Afrique du Nord et plus spécialement encore au Maroc, les représentants du droit contre la violence, et du savoir, ou tout au moins du bon sens, contre l’ignorance.

En Algérie, les patriotes et les fanatiques, qui ont soulevé les indigènes contre la France, étaient tous des marabouts.

Dans le but d’expulser les étrangers du sol de leurs pays, ils ont même joué un rôle eschatologique, exploitant la croyance messianique au Mahdî et se faisant souvent passer eux-mêmes, comme nous l’avons dit, pour ce fameux personnage des derniers temps, qui présidera à la fin du monde.

Boû-' Amàma, qui est mort en 1908, et qui a été l’un des agitateurs musulmans les plus remuants dans l'Oranais et le Maroc limitrophe, était un marabout de cette sorte.

 

C’est encore un marabout que ce célèbre Moûlaye l-H’asen, dont on a tant parlé lors des événements qui se sont passés d’avril à septembre 1908 dans le Sud-

Marocain contigu au Sud-Oranais. C’est lui qui a dirigé et conduit contre les troupes françaises les harkas formidables qui ont attaqué les colonnes françaises à El Menabba, le 16 avril, et qui ont été mises en déroute, après avoir subi des pertes énormes, à Benî Ouzzien et à Boû-Denîb, les 13 et 14 mai, au siège du blockhaus et de la redoute de Boû-Denib, 1er septembre, et à Djorf, le 7 septembre. On a raconté qu'au combat du 7 septembre, Moûlaye 1-H’asen, vieillard octogénaire, s'était enfui vers le Tahlalet. Quelle fin pour ce fanatique marabout qui, depuis des mois, avait prêché la guerre sainte avec l’ardeur d’un néophyte et qui, par ses discours incendiaires, avait groupé les contingents de la harka !

Harka:Corps d’armée formé de troupes irrégulières, résultant d’une levée en masse. Ce terme marocain doit être orthographié h’arqa d’un mot arabe qui signifie teu, incendie. On a estimé à 20,000 hommes le nombre des marocains qui ont attaqué Boû-Denîb.

 

Qu’on me permette ici de rappeler un souvenir tout personnel. Fin décembre 1900, je campais dans le Grand Atlas marocain à la zàouiade Moûlaye l-H’asen; ma tente

et celles de mes compagnons de voyage, le capitaine Larras, aujourd’hui commandant, de la Mission militaire française auprès du Sultan et M. F. Soudan, étaient dressées au pied des murailles de la zâouia. Egarés dans la montagne, en pays peu sûr, nous étions venus nous abriter sous les murs de la zâouia, où nous avions été très bien reçus, et tandis que, pendant la nuit, les gardes marocains qui veillaient sur notre sécurité chantaient pour ne pas s’endormir, l’un d’eux t’âleb (étudiant) de la

zâouia célébrait en langue berbère les mérites qu’il nous attribuait et les exploits qu’il imaginait de notre part. Je n’aurais jamais pensé alors que huit ans plus tard le marabout qui nous offrait sa protection et nous avait tires d’une situation difficile, déchaînerait les populations du Grand Atlas et du Tafilalet contre les Français, et que mon fils, officier dans la colonne du Général Vigy, puis dans celle du Colonel Alix, aurait à combattre les fanatiques soldats du fanatique Moûlaye 1-H’asen.

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet

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Des saintes ont été aussi les inspiratrices et les directrices de soulèvements contre les dominateurs étrangers. Telle fut, en Algérie, la célèbre maraboute Lâlla Fât’ma qui en 1857, organisa la résistance contre les soldats français.

Les marabouts ont souvent aussi joué un rôle important dans la politique intérieure de leur pays. Dans un ouvrage du plus haut intérêt sur « l’établissement des dynasties des chérifs au Maroc et leur rivalité avec les Turcs de la régence d’Alger » ( 1509-1830), A. Cour a montré d'une manière lumineuse l’action des marabouts dans la constitution des puissances nouvelles qui s’établirent au Maghreb.

 

Depuis les dernières années du XVe siècle jusqu’en 1830, deux pouvoirs rivaux ont régné dans l’Afrique du Nord : celui des chérifs et celui des Turcs d’Alger. Ils étaient nés tous deux, presque simultanément, d'une réaction religieuse contre la conquête chrétienne de l’Espagne musulmane et contre les entreprises des Portugais et des Espagmols sur le Maroc. Cette double action des chrétiens surexcita le fanatisme des Berbères et des Arabes et détermina une révolution qui fut dirigée par les confréries religieuses et par les marabouts.

« Dans cette révolution, toutes les dynasties du Maghreb sombrèrent. Elles furent remplacées par des  .pouvoirs nouveaux établis sous l’influence des confréries ou des marabouts

Pour ne citer qu’un seul exemple, tiré de l’histoire contemporaine du Maroc, du rôle politique joué par les marabouts, nous rapporterons ce que raconte A. Mouliéras au sujet d’un saint célèbre d’Ech-Chaoûn, Moûlaye 'Alî Chaqoûr. Ce marabout qui, en 1897, avait environ 90 ans, aurait, par son influence, fait conférer la dignité suprême à ’Abd el-'Azîz. «J’avais reçu la mission, dit-il au Sultan El-H’asan après un simulacre d’intronisation de l’enfant qui devait plus tard devenir sultan, de vous faire monter sur le trône, toi et ton fils"’.» Quel role avait-il joué lors de l’avènement d’El-H’asan? Nous l’ignorons.

 

L’influence des marabouts l’a plus d’une fois emporté sur celle des sultans; leur intervention souveraine dans l’élévation au trône de certains d’entre eux en est la preuve manifeste. Les Chérîfs d’Ouezzân, dans la personne du saint Moûlaye T’ayyeb, le second directeur de la confrérie des T'ayyibiyya (ou Toûhâmiyyin), contemporain du Sultan Moûlaye Ismâ'îl, au XVIP siècle, aidèrent puissamment ce sultan à s’emparer du pouvoir.

Au Maroc, nombre de marabouts se considèrent même, en droit, comme au-dessus du sultan, et en fait ils le sont, ne rendant au monarque aucun hommage, ne lui accordant qu'un respect platonique, sans consequence pratique. I.es sultans ont été souvent à la merci des marabouts qui ont soulevé contre eux des tribus entières; souvent ils ont dû composer avec eux.

 

Le prestige de certains marabouts est vraiment extraordinaire, tant la souveraineté du sultan est éclipsée par leur autorité religieuse. On pourrait en citer de nombreux exemples. L'un des plus frappants que je connaisse est le suivant que rapporte de Foucauld, à propos de son séjour chez les Zenâga, dans l'Anti-Atlas.

 

Au mois d'avril 1884, comme je repassai dans ces parages, je rencontrai, entre El-‘Aïn et Tazenakht, Cheikh H'ammou 1-Azdifi qui revenait du dernier point, où il avait passé quelques jours en visite chez le Zanifî. J'avais comme zet'ât’ (escorte) un esclave de Sîdî H’amed ou Abd er-Rah'màn. marabout des Ait ‘Amer, chef de la

zàouia de Sîdî' Abdallah ou Mh'ind. Aussitôt que les cavaliers de la suite du Gheîkh nous aperçurent, ils nous prirent au col, Mardochée et moi, en réclamant un droit de passage, une zet'àt'a. Leur maître s'était arrêté et regardait impassible la bousculade. Un des hommes nous demanda d'où nous étions. « De Merrâkech. — Des gens de Merrâkech, des sujets du sultan ! s'écria le Cheîkh. La bonne aubaine ! Trois Zenâga sont en prison dans le Blad el-Makhzen. Voici des otages qui arrivent à propos.

Qu’on les emmène et qu'on les mette aux fers. Ils y resteront jusqu’à ce que Moûlaye El-H’asan (le Sultan) nous ait rendu nos sujets. » Lorsqu’il entendit ce langage, l’esclave du marabout prit la bride du Cheikh et lui déclara que, sujets ou non du sultan, nous étions sous l'anaia (protection) de son maître Sîdî H’amed, et que par consequent nul n’avait droit de nous toucher. A ces paroles tout change. Toucher aux protégés de Sîdî H’amed ! Qui y a pensé! Non seulement on ne nous emmène pas, mais on nous laisse passer sans exiger de zet’ât’a. Tel est le prestige du sultan. On le regarde comme un chef de tribu éloigné, avec qui on serait en assez mauvais rapports.

Les Zenâga comptent environ 1700 fusils; ils ont à peine 20 chevaux, et un seul marché sur leur territoire, l’Arba Taleouin »

Le rabbin Mardokhaï Abi Sourour, le compagnon constant du vicomte de Foucauld au Maroc.

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet

Au point de vue social, les marabouts ont souvent joué un rôle bienfaisant comme protecteurs de l'agriculture, creusant des puits, créant des oasis, développant la culture du sol et la rendant florissante, etc. Nous avons parlé plus haut de leur intluence comme zet’ât’ et comme bechchàr. Il nous suffira d’ajouter pour compléter cet article le patronage qu’ils exercent vivants ou morts soit à l’égard des corporations soit à l’égard des villes. C’est ainsi que Moûlaye Boû-Chtâ, dont nous avons cité la double sépulture, est le patron des musiciens, des chanteurs et des amateurs de sports, dans la région du Fah’ç-. Sîdî Moh’ammed el-H’àdjdj Boû-'Arrâqia est le patron de Tanger, Sîdî Belliot celui de Casablanca, etc.

Voici, enfin, pour achever ce tableau du patronage maraboutique, deux brèves légendes de saints, dans leurs fonctions de patrons protecteurs des cités. Sîdî Yoûsof et-Tlîdî, patron d’Ech-Chaoûn, sortit de son tombeau, lorsque les guerriers de Lékhmâs assiégeaient la ville; saisissant l'échelle, sur laquelle ils montaient à l'assaut, il la jeta au loin, écrasant les grimpeurs et les assaillants restés au pied des murailles’.

Sîdî s-Sa'îdî, patron de Tétouan, anéantit par une formidable explosion les soldats espagnols qui, en 1860, voulurent violer son mausolée.

Dans les pages qui suivent, nous verrons d’autres legends de saints faisant ressortir les divers rôles qui leur sont attribués.

 

Quelques légendes de saints.

Forme que revêt la légende des saints musulmans.

La forme que revêt la légende des saints, dans l’Islàm, est caractéristique. C’est à titre exceptionnel qu’on y rencontre cette piété mystique, cette intimité religieuse, ces allégories pleines d’instruction et d’édification, qui donnent tant de charme à la légende des saints dans le Catholicisme.

Sans doute l’hagiologie musulmane est débordante d’imagination ; cette faculté de l’esprit s’y donne non seulement pleine carrière, mais s’y livre à tous les excès dont elle est capable. C’est là le trait le plus frappant des biographies de marabouts. Mais, il faut bien l’avouer, ce procédé littéraire rappelle de beaucoup plus près la manière de composer et d’écrire des 1001 nuits que la composition et le style qui conviennent à la légende pieuse. Voici, à titre d’exemple typique, un récit hagiographique musulman, correspondant de tous points à la definition que nous venons de donner. Il est tiré de la légende d’un saint célèbre, enseveli au Caire, le walî Leith ben Sa‘d, surnommé Aboû-l-Makàrim, « le père des grâces. »

 

« Un pauvre homme gémissait sous le fardeau d’une dette, dont il lui était impossible de s’acquitter; dans sa détresse, il s’en alla chercher consolation auprès du tombeau du saint. Le double poids du souci et de la meditation pieuse le plongèrent dans un sommeil qui lui ôta le sentiment de son malheur. L’Imàm (le saint) lui apparat alors en songe et lui dit : « Rassure-toi, pauvre homme!

En te réveillant, tu prendras ce que tu trouveras sur mon tombeau. » Le pauvre diable ne tarde pas à s’éveiller; il n’eut pas besoin de chercher longtemps pour apercevoir perché sur le tombeau un oiseau qui possédait la faculté merveilleuse de réciter le Coran selon les sept modes de lecture consacrés et en observant toutes les règles rituelles.

Il emporte l’oiseau merveilleux comme présent de l’homme miraculeux ; l’oiseau se laisse faire. A peine entré dans la ville, il devient l’objet de l’admiration générale, et en même temps affluent pour son possesseur toutes les ressources nécessaires à l’existence. La reputation de l’oiseau s’étant répandue jusqu’au palais, l’homme est invité à faire admirer au prince et à la cour la science de son oiseau. Le prince, émerveillé, comble le pauvre diable de présents et veut lui acheter son oiseau. La somme permet au misérable non seulement d’acquitter la dette qui l’écrasait, mais de se mettre pour le reste de ses jours à l’abri du besoin. Le prince, cependant, enferme son hôte ailé dans une cage dorée et l’entoure des plus grands soins. Mais le «père des grâces» lui apparaît en songe, au moment précisément où iI rêvait de l’oiseau merveilleux, et lui tient ce langage : « O Prince, sache que tu tiens mon esprit enfermé dans une cage dans ton propre palais. » Le prince, qui ne se rendait pas un compte exact de ces paroles, voulut au matin interroger l’oiseau, mais il trouva la cage vide. C’était l'esprit de l'imâm, qui, sous la forme d’un oiseau, avait servi de moyen pour délivrer un malheureux de sa dette. Sa tâche accomplie, il pouvait rentrer en paradis '. » On ne sera pas étonné, après cela, de voir des saints transformés, non seulement en animaux, mais en êtres monstrueux, en objets, en figures géométriques (un carré, par exemple), etc. Nous allons illustrer, par quelques nouveaux exemples typiques de légendes de saints, les observations générales que nous avons présentées dans la première partie de cette étude. Il ne s'agit, il est à peine nécessaire de le dire, que d’un choix d’épisodes, d’un intérêt particulier, que nous faisons dans les biographies légendaires des saints de l’Afrique du Nord.

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet -Sîdi Boù-Selhâm.

Sîdi Boù-Selhâm.

Lorsqu’après avoir traversé Larache, on se dirige au sud en parcourant la region côtière, au bout d’un peu plus d’un jour de marche, on aperçoit le grand bassin salé de l’Ez-Zerga, séparé de l’océan par une étroite bande de terre. Entre l’Ez-Zerga et l’Atlantique se dresse la qoubba du célèbre marabout Sîdi Boû-Selhâm. On raconte beaucoup de légendes sur ce personnage, un des grands saints du Maroc. Comme je demandais si l’Ez-Zerga se déversait dans l’océan, j’appris qu’autrefois la lagune était en communication avec la mer. Mais un beau jour, Sîdî Boû-Selhâm, qui suivait le bord du rivage, étant arrivé au canal qui reliait d’Ez-Zerga à l’Atlantique et voulant passer à pied sec, jeta son manteau sur l'eau qui se retira et fut remplacée par un bourrelet de sable. C’est de ce miracle que le saint a pris le nom de Sîdî Boû-Selhàm (Mon Seigneur l’homme au manteau).

D’après les renseignements recueillis par Mouliéras le vrai nom du saint serait Aboû Yezîd el-Maçrî (l’Egyptien). Son surnom de Boû-Selhàm (l’homme au burnous) serait dû à ce vêtement spécial -, habituel aux musulmans de l’est, qu’il avait continué de porter au Maroc, en dépit de la coutume des Marocains qui revêtent tous la jellâba, grande robe de laine avec capuchon et de courtes manches.

Egyptien de naissance, Sîdî Boû-Selhàm était parti, dit-on, des bords du Nil, avait suivi le rivage de la Méditerranée, et, après avoir traversé le Rîf, qui ne lui plaisait pas, était venu s’établir sur les bords de l’Atlantique à l’endroit où se dresse aujourd’hui son mausolée. C’est là qu'il demeura jusqu’à sa mort. L’époque à laquelle il a vécu est tout à fait inconnue.

Le derviche Moh'ammed ben T’ayyeb a raconté à Mouliéras une autre version delà légende del’Ez-Zerga. D’après cette variante intéressante de la tradition populaire, le saint, à peine arrivé à l’endroit où se trouve aujourd'hui l’Ez-Zerga, se mit à faire ses ablutions dans la mer. Témoin du fait, un saint de la contrée Sîdî t’-T'eyyar interpella l’étranger d’un ton méprisant : « Eh! l'homme, tu es assurément de basse extraction ! Quand je veux faire mes ablutions, les vagues de l’océan viennent d’elles-mêmes jusqu’à moi, pour me laver. »

Boû-Selhâm, sous l’injure, se releva plein de dignité et répondit : « Puisque tu parles ainsi, je jure que la mer, par la puissance d’Allâh, montera jusqu’à Fez, et que les filles de la cité viendront s’y baigner. »

Gravissant la dune en laissant traîner son bâton, le saint s’avançait vers l’intérieur du pays, et, à mesure qu’il marchait, les eaux de l’océan le suivaient pas à pas, et envahirent bientôt la dépression où se trouve maintenant l’Ez-Zerga.

C’est alors qu’une sainte Lâlla Mîmoûna Tagnaout, se tournant du côté de la ville de Moûlaye Idrîs, fit avec la main des signaux désespérés. Aussitôt deux belles dames de Fez apparurent et descendant la berge du nouveau lac, se plongèrent dans ses eaux. «Arrête-toi! Boû-Selhâm, cria la sainte, ta prophétie s’est réalisée : les filles de Fez se baignent dans l’océan. » Boû-Selhâm s’arrêta et la mer n’alla pas plus loin.

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet -Sîdi Boù-Selhâm.

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