Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet

Il y a les marabouts impudiques, qui saisissent une femme qui passe et, en public, s’unissent à elle. On en connaît des exemples authentiques assez nombreux. A Tunis, un saint de cet acabit « accolait les femmes en pleine rue, nous raconte Pellissier de Reynaud dans ses Annales algériennes' ; les passants le couvraient respectueusement de leurs burnous pendant l’accomplissement de cet acte édifiant. » 

« Il y en avait un à Tétouan, dit L.-S. de Chénier, qui ayant un jour rencontré les femmes sortant du bain, après quelques mouvements convulsifs, s’empara d’une des plus jeunes et eut commerce avec elle au milieu de la rue; ses compagnes qui l’entouraient faisaient des cris de joie, et la félicitaient sur son bonheur; le mari lui-même en reçut des visites. »

J’ai pu constater moi-même au Maroc combien le récit du consul de Chénier était exact, et combien ses jugements reflétaient l’opinion courante dans ce pays.

On m’a raconté dans les Châouia qu’un marabout ayant pénétré dans la maison d’une jeune mariée, dont il voulait abuser en l’absence du mari, et ayant été mis à la porte par la belle, celle-ci fut vivement blâmée par son époux, lorsqu’à son retour au domicile conjugal il apprit la vaillante résistance de sa femme aux tentatives de séduction du saint. « La cohabitation avec l’envoyé de Dieu, dit-il à sa compagne, eût répandu la benediction divine sur notre demeure. » C’est bien là l’expression du sentiment populaire : tout ce qui vient de l’homme de Dieu est bon, pur et sacré. C’est avec la même indulgence dévote que sont jugées les prostitutions de certaines maraboutes.

 

Nous terminerons ce paragraphe en citant un cas curieux de mélange de continence et d’incontinence. C’est l’histoire de la grande sainte des Béni Çâlah’, Lâlla Imma Tifellout. Cette femme, qui passait pour être la plus belle fille de la montagne, eut une jeunesse très pure : on la citait comme le modèle de la chasteté et de la contilence. Plus tard, elle remplit le pays du bruit de ses débordements passionnés : on la tenait pour une espèce de goule (démon féminin), que rien ne pouvait satisfaire. Son amour donnait la mort, disait-on. Mais, un jour, on apprit que Lâlla Tifellout avait quitté sa demeure, pour aller s’établir au sommet d'une montagne, dans une sainte retraite, où elle passait ses jours et ses nuits à prier et à s’entretenir avec Dieu. C’est là qu’elle acheva sa vie dans l'ascétisme le plus rigoureux. Elle avait reçu le don des miracles et sa présence dans la tribu des Béni Çâlah’ y répandait toutes les bénédictions et tous les bonheurs.

 

Rôle politique et social.

Le prestige extraordinaire dont jouissent les marabouts, et l'influence si grande qu’ils exercent, expliquent le role politique qu’ils ont si souvent joué et qu’ils remplissent

encore à l’heure actuelle.

Les marabouts, au Maghreb, se sont souvent interposes avec succès entre les tribus se faisant la guerre. On leur doit l'apaisement de nombreux conflits et en Algérie même

on a fait plus d’une fois appel à leur intervention pour régler des différends entre indigènes et colons français. Ils sont, d’une manière générale, dans l’Afrique du Nord et plus spécialement encore au Maroc, les représentants du droit contre la violence, et du savoir, ou tout au moins du bon sens, contre l’ignorance.

En Algérie, les patriotes et les fanatiques, qui ont soulevé les indigènes contre la France, étaient tous des marabouts.

Dans le but d’expulser les étrangers du sol de leurs pays, ils ont même joué un rôle eschatologique, exploitant la croyance messianique au Mahdî et se faisant souvent passer eux-mêmes, comme nous l’avons dit, pour ce fameux personnage des derniers temps, qui présidera à la fin du monde.

Boû-' Amàma, qui est mort en 1908, et qui a été l’un des agitateurs musulmans les plus remuants dans l'Oranais et le Maroc limitrophe, était un marabout de cette sorte.

 

C’est encore un marabout que ce célèbre Moûlaye l-H’asen, dont on a tant parlé lors des événements qui se sont passés d’avril à septembre 1908 dans le Sud-

Marocain contigu au Sud-Oranais. C’est lui qui a dirigé et conduit contre les troupes françaises les harkas formidables qui ont attaqué les colonnes françaises à El Menabba, le 16 avril, et qui ont été mises en déroute, après avoir subi des pertes énormes, à Benî Ouzzien et à Boû-Denîb, les 13 et 14 mai, au siège du blockhaus et de la redoute de Boû-Denib, 1er septembre, et à Djorf, le 7 septembre. On a raconté qu'au combat du 7 septembre, Moûlaye 1-H’asen, vieillard octogénaire, s'était enfui vers le Tahlalet. Quelle fin pour ce fanatique marabout qui, depuis des mois, avait prêché la guerre sainte avec l’ardeur d’un néophyte et qui, par ses discours incendiaires, avait groupé les contingents de la harka !

Harka:Corps d’armée formé de troupes irrégulières, résultant d’une levée en masse. Ce terme marocain doit être orthographié h’arqa d’un mot arabe qui signifie teu, incendie. On a estimé à 20,000 hommes le nombre des marocains qui ont attaqué Boû-Denîb.

 

Qu’on me permette ici de rappeler un souvenir tout personnel. Fin décembre 1900, je campais dans le Grand Atlas marocain à la zàouiade Moûlaye l-H’asen; ma tente

et celles de mes compagnons de voyage, le capitaine Larras, aujourd’hui commandant, de la Mission militaire française auprès du Sultan et M. F. Soudan, étaient dressées au pied des murailles de la zâouia. Egarés dans la montagne, en pays peu sûr, nous étions venus nous abriter sous les murs de la zâouia, où nous avions été très bien reçus, et tandis que, pendant la nuit, les gardes marocains qui veillaient sur notre sécurité chantaient pour ne pas s’endormir, l’un d’eux t’âleb (étudiant) de la

zâouia célébrait en langue berbère les mérites qu’il nous attribuait et les exploits qu’il imaginait de notre part. Je n’aurais jamais pensé alors que huit ans plus tard le marabout qui nous offrait sa protection et nous avait tires d’une situation difficile, déchaînerait les populations du Grand Atlas et du Tafilalet contre les Français, et que mon fils, officier dans la colonne du Général Vigy, puis dans celle du Colonel Alix, aurait à combattre les fanatiques soldats du fanatique Moûlaye 1-H’asen.

Culte des saints musulmans  dans l’Afrique du Nord et plus spécialement au Maroc-Edouard Montet

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