Le Mossad – Michel knafo


Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo

Le cloisonnement

Loi d'airain de toute activité clandestine, le cloisonnement était l'une des caractéristiques de la Misguéret au Maroc. C'était bien un corps unique, organisé pour atteindre un même objectif, mais composé de membres qui ne se connaissaient pas. Les officiers étaient inconnus des simples soldats, et ceux qui prenaient part à une opération ne connaissaient que ceux qui y participaient aussi, et encore, seulement sous leur pseudonyme. Il y avait plusieurs autorités, mais aucune ne pénétrait dans le domaine de l'autre. Tel était le schéma du travail.

Mais dans le feu de l'action, les frontières ne sont pas toujours claires, quelquefois c'est le cours des événements qui oblige à faire des changements aux plans établis, et quelquefois on le faisait exprès pour montrer, ne serait-ce qu'un peu, la force de la Misguéret, ce qui n'était possible qu'en sortant de l'ombre pour un temps. Parlant du cloisonnement, il ne faut pas oublier qu'on pouvait être brûlé: cela signifiait que les services de sécurité marocains avaient mis la main sur un ou sur plusieurs militants de la Misguéret. On comptait parmi eux tous ceux qui étaient connus des "brûlés", car on prenait en considération qu'après l'enquête, les services de sécurité sauraient les trouver.

La Misguéret envoyait les "brûlés" en dehors des frontières du Maroc, soit provisoirement jusqu'à ce que les choses deviennent plus claires, soit définitivement. Dans la plupart des cas, ces militants immigraient en Israël, ce qui était de toute façon leur projet.

Souci pour un camarade "grillé"

Eliezer Gabbay

En 1959 Eliezer Gabbay apprit qu'il était "grillé" et qu'il devait donc rapidement quitter le Maroc. Eliezer avait eté recruté en 1956 dans les rangs de Gonen et avait été ensuite transféré à la Makéla, dans laquelle il était chargé de contacter les candidats au départ et d'accompagner les familles des olim, en voiture ou en train, jusqu'à leur remise entre les mains des contrebandiers à la frontière marocaine ou à la côte d'Haluccimas d'où partait clandestinement pour Gibraltar le bateau Pisces-Egoz   

Dans la clandestinité, j'ai fait la connaissance de Steeve et Ramon qui me donnaient les ordres, et dont je ne connaissais pas la véritable identité.

Ce n'est qu'en Israël que j'ai appris que Ramon c'était Méir Knafo et le véritable nom de Steeve je ne le connais pas encore à ce jour. Ils devaient tous les deux m'aider à fuir du Maroc. Ils m'avaient amené à Larache, dans la maison d'un employé d'une station d'essence (il s'agit de Raphaël Kanalés).

J'y suis resté avec ma famille douze jours, jusqu'au moment où un bateau de pèche nous mena dans l'enclave espagnole de Ceuta. Cela ne devait pas être une épreuve facile de rester enfermés dans une chambre pendant plusieurs jours avec trois enfants en bas âge. Avant le départ, devait se joindre à nous un autre camarade, un chauffeur, "grillé" lui aussi. Nous sommes arrivés en Israël le 8 décembre 1959. J'ai eu l'occasion de revoir Steeve (Gad Oren), cet homme extraordinaire, dans le cadre de mon travail à la centrale de recherches atomiques du Neguev. où j'ai travaillé 40 ans. Ceci illustre à quel point le cloisonnement était strict et le souci de faire partir rapidement les camarades "grillés".

La confiance en l'Etat d'Israël et en ses émissaires

Il y a des anecdotes émouvantes sur la manière dont ces hommes et ces femmes simples exprimaient cette confiance et il serait trop long de les rapporter toutes. Les défits du travail étaient quotidiens: comment d'abord repérer les candidats au départ; comment ensuite les avertir de la date de leur départ; comment se préparer à partir à la date convenue – souvent après un préavis de quelques heures seulement. On avait l'impression qu'ils étaient prêts ainsi que leurs valises et leur colis depuis des milliers d'années, n'attendant que le retentissement du son du chofar et l'arrivée du Messie. Et quand le signal a été donné, ils se sont levés et sont partis.

Dans nombre de cas la famille était prête au départ en quelques heures seulement, que ce soit pendant la journée ou en pleine nuit.

Il y a une profusion d'histoires sur la confiance mise par ces juifs dans les "sionistes". Toutes ces histoires ont pour dénominateur commun, l'aspiration à la Alyah et la confiance en Israël. Il ne faut pas perdre de vue que cela signifiait pour ces hommes le déracinement de lieux qui les avaient abrités eux et leurs ancêtres depuis des siècles. De la maison de leurs parents, des tombes de leurs disparus, de leur mode de vie séculaire. Ils quittaient les paysages qui les avaient vu naître et grandir, des souvenirs sacralisés avec le temps, laissant derrière eux une partie d'eux-mêmes. Il fallait donc des raisons déterminantes pour prendre le bâton de pèlerin. Il fallait un but sublime, une croyance enracinée et la candeur de la foi. Pendant des siècles, ils avaient été habités d'un feu tranquille devenu une flamme incandescente avec l'annonce de la délivrance. La sortie précipitée, fut-elle dans les meilleures conditions de prudence, laissait grande impression sur les restants. Au fur et à mesure qu'augmentait le nombre des partants – atteignant avec les années plusieurs milliers par mois – le vide laissé se faisait encore plus durement sentir. Ce déracinement revêtait des faces rieuses ou pleureuses, mais toujours accompagnées de tristesse. C'est la tristesse de tout homme qui connaît le déracinement. Mais cette tristesse était équilibrée par le sentiment d'accomplissement, sachant qu'elle n'était que l'introduction à l'intégration au pays rêvé.

Les maillons faibles du mouvement de masse

Il ne faut pas naturellement ignorer les maillons faibles de la société juive. Il y a eu aussi ceux qui ont profité de la candeur des gens du peuple pour l'exploiter, et parmi eux de vils escrocs. Les dimensions populaires, larges, du mouvement de la Alyah et le travail dans la clandestinité, ne pouvaient que laisser des brèches dans lesquelles se sont engouffrés des hommes peu scrupuleux, se présentant comme des émissaires de la cause pour dépouiller les olim. Ce phénomène devait parfois gêner considérablement la marche normale de l'opération de Alyah – et même provoquer des arrestations, mais il ne devait jamais prendre une grande ampleur.

Les cas ont été rares, l'exception confirmant la règle. Comme dans le cas de ce réseau de religieux extrémistes à la tête duquel se trouvait un certain Rotchild avec la complicité de deux juifs locaux: l'astrologue Georges Harar et le dentiste Abraham Abikhzer ־ qui avaient des relations avec les employés du port de Casablanca. Avec leur aide, largement rétribuée, ils faisaient partir des groupes de juifs du Maroc. Pas des familles, mais des étudiants pour les yéchivot orthodoxes en dehors d'Israël. Ni les mises en garde des gens de la Misguéret de mettre fin à des pratiques nuisibles à l'ensemble de la communauté, ni les requêtes de l'Agence Juive en Israël, n'avaient eu d'effets. Leur trafic ne devait prendre fin qu'après le démantèlement du réseau par les autorités marocaines, avec l'arrestation d'un fonctionnaire corrompu, un proche de famille du gouverneur de la région. Ce fut ensuite le tour des complices de Rotchild d'être arrêtés. La colère des autorités ne devait pas non plus épargner la Alyah Guimel. Pendant des mois tous les départs du port de Casablanca furent suspendus, contraignant les responsables à revenir pour un temps à la Alyah clandestine. Mais encore une fois, ces abus devaient rester des cas isolés.

Quel rapport entre la Alyah Bet et la Alyah Guimel?

Si on convoquait en même temps deux commandants de la Misguéret qui étaient en mission pendant ces neufs années, l'un pendant la période de la Alyah clandestine, l'autre au cours de l'opération Yakhine, il est douteux qu'ils trouvent le même langage pour parler de leur travail.

Voici ce que dira certainement le premier, qui a travaillé entre 1956 et 1961 : "Nous étions à la recherche permanente de nouvelles voies de sortie, et nous voyions dans le départ de chaque juif comme le sauvetage d'une âme. Nous appliquions à la lettre l'adage talmudique que "celui qui sauve une âme d'Israël est comme s'il avait sauvé l'humanité entière".

De ce fait, nous étions contraints parfois par les circonstances, de séparer des enfants de leurs parents et d'avancer le départ d'une partie de la famille. Il y avait des voies de sortie qui ne convenaient – et encore difficilement – qu'à des adultes et impraticables pour des enfants. Quand de telles voies s'ouvraient, nous en profitions sans délais. En faisant partir ces immigrants on ne pensait que plus tard à leurs bagages. Les doutes ne nous quittaient pas: comment est-il possible de mesurer la souffrance d'une mère séparée de ses enfants chéris?

C'était cela en résumé l'époque: le danger permanent, les efforts physiques harassants, les arrestations, la main dure des autorités – et de l'autre côté nous voyions des portes fermées et d'autres qui se fermaient l'une après l'autre. Mais malgré cela, des milliers de juifs ont réussi à monter en Israël et notre action avait un poids spécifique indéniable – c'est grâce à ces milliers de olim clandestins que des dizaines de milliers d'autres sont à leur tour partis pour Israël dans le cadre de la Alyah Guimel."

Et voilà ce qui lui répondrait le responsable de l'époque de la Alyah Guimel d'après 1961: "Notre mission aura été de mener à son terme ce qui a débuté avant nous. Vous vous êtes occupés de sauvetage d'âmes – et il y avait dans votre action un peu de la libération de prisonniers – et nous avons été les acteurs du transfert en Israël de presque toute une communauté dans son ensemble. Nous sommes arrivés jusqu'aux villages les plus reculés du sud marocain, et le résultat a été "que leurs jeunes et leurs vieux" ont quitté leurs villages; ils sont montés en masse en Israël et nous leur avons montré le chemin. Le travail dur que nous avons dû investir pour donner un contenu à l'accord passé avec les autorités, et les efforts déployés pour que les quotas mensuels fixés soient remplis et que tous ceux qui figurent sur le passeport collectif partent effectivement – tout cela n'a pas été un travail de tout repos."

A-Etant de nationalité russe, la famille appartenait à un pays ennemi. Ségéra, aujourd'hui Ilania, se trouve en Galilée. Ce village est connu surtout parce que Ben Gourion y a passé un certain temps après son immigration en Erets-Israël (n.d.l.t.).

B-Il ne faut pas oublier que cela se passait avant la fondation de l'Etat d'Israël – ces fonctions étaient quasi-clandestines (n.d.l.t.).

C-Célébration annuelle de la date du décès de rabbins célèbres et respectés. C'est pour la communauté marocaine l'occasion de se rendre sur les tombes de ces rabbins, dont certaines étaient un objet de culte aussi pour la population musulmane.

 

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo-page 94

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo- La création de la Misguéret-Isser Harel

 

La création de la Misguéret

Isser Harel

Isser Harel était le patron légendaire du "Mossad". Né en 1912 comme Isser Halperin à Vitbesq en Russie Blanche. Son père était un rabbin. A la fin de ses études secondaires, il s'est joint à un groupe de pionniers dans une ferme de préparation près de Riga et un an plus tard il débarquait à Jaffa. Un des fondateurs du kibboutz Shfaïm, où il devait rencontrer son épouse, Rivka.

Comme membre du kibboutz, il s'engagea dans la Hagana et trouva sa voie dans le service de renseignements clandestin (Le Shaï). En 1947, il fut nommé chef des Services de Sécurité au district de Tel-Aviv.

En juin 1948 il fonda le Chabak (D.S.T.) et en septembre 1952 il accéda au commandement du Mossad et du Chabak.

En 1963 il devait rencontrer Méir Knafo et accepter de l'aider à renforcer l'organisation qu'il venait de créer en Israël avec les anciens de la clandestinité et d'en être le guide spirituel.

Depuis les premiers jours de l'Etat d'Israël, et surtout depuis ma nomination à la tête du Mossad, j'ai été le témoin attentif de l'évolution des relations entre le peuple juif et l'Etat juif. Quelles sont leurs obligations réciproques? Les juifs de la diaspora sont censés, naturellement, monter en Israël et participer à sa construction, alors que les juifs d'Israël se doivent de les accueillir et de les intégrer avec joie jusqu'à ce qu'ils ne forment qu'une seule entité. Mais jusqu'à ce que la majorité des juifs montent dans leur pays, quel sera le sort des communautés juives dans les zones de danger et de détresse? Quel est le devoir de l'Etat juif envers eux? Doit-il rester sur la touche ou se porter à leur secours de toute manière possible? Ma réponse était que l’Etat d'Israël ne pourra jamais rester indifférent en cas de tel danger et de telle détresse.

Ces idées, je les ai exposées au début des années cinquante aux deux chefs du gouvernement sous lesquels j'ai servi, David Ben-Gourion et Moché Sharet. Tous les deux étaient absolument d'accord avec elles et avaient adopté ma position de fixer parmi les fonctions du Mossad de telles missions nationales.

Le chef de la junte militaire égyptienne, le colonel Abdel Nasser, s'était imposé comme le chef du monde arabe, du monde islamique et du continent africain.

Il n'avait épargné aucun moyen pour arriver à ce but. Son slogan – qui à ses yeux devait lui permettre d'atteindre l'objectif visé – était la destruction de l'Etat d'Israël. Et c'était bien son intention. Sa propagande virulente contre Israël était arrivée jusqu'en Afrique du Nord. Au Maroc, sa propagande était relayée par le parti nationaliste extrémiste de l'Istiqlal. L'hostilité à Israël, s'était muée, sous l'impulsion de Nasser, en une campagne contre les juifs du Maroc, qui ne cachaient pas leur lien et leur sympathie pour l'Etat d'Israël. Cette communauté était forte en 1954 de quelques 200,000 âmes.

Le pouvoir au Maroc était entre les mains des Autorités Françaises, mais toutes les parties menaient leur politique dans la perspective de l'indépendance jugée à terme inéluctable. Comme je connaissais bien les tendances de Nasser et ses combinaisons, j'étais arrivé à la conclusion qu'avec l'indépendance, la grande communauté juive marocaine pourrait se trouver confrontée à un danger physique. Dans le temps qui restait à notre disposition jusqu'à cette indépendance annoncée, nous avons décidé de prendre les mesures nécessaires pour y faire face. Il fallait d'abord vérifier de près et de manière approfondie deux questions: les juifs d'Afrique du Nord – et les juifs du Maroc en particulier – avaient-ils le même sentiment du danger potentiel? Et dans l'affirmative, y avait-il une infrastructure suffisante au sein de la jeunesse juive pour construire une force d'auto défense? Je décidai d'envoyer en Afrique du Nord, un homme compétent pour mener cette enquête. Son séjour en Tunisie, Algérie et au Maroc dura plusieurs mois et est revenu avec des conclusions positives sur les deux questions. D'abord, il y avait bien dans ces communautés un sentiment d'appréhension et de crainte de ce qui suivra le départ des Français. Secondo, il y avait bien dans ces pays une excellente jeunesse sur laquelle il sera possible de construire le programme d'auto défense. Cette seconde réponse était particulièrement importante et encourageante.

Sur la base de ces données, j'ai décidé de préparer l'équipe israélienne avec pour mission de poser les bases de l'organisation d'auto défense. Vingt volontaires ont été sélectionnés, tous anciens de Tsahal, avec un passé de combattants et l'expérience de l'activité clandestine, parlant français, certains originaires des pays arabes. Au cours de l'année 1955, après un entraînement intensif, ils étaient dépêchés en Afrique du Nord, la majorité au Maroc, et là ils se sont attelés à poser les bases de la Misguéret (nom de code donné à l'auto défense).

Début 1956, l'activité pratique de la Misguéret a commencé. Des jeunes volontaires locaux ont été recrutés, au départ essenciellement parmi les membres des mouvements de jeunesse sionistes.

Des cadres ont été désignés et envoyés suivre des cours, au début en France, puis en Israël, en profitant des vacances d'été. L'accent était mis sur la clandestinité et la jeunesse locale devait faire preuve d'une maturité et d'une discipline exemplaires. En Israël les recrues ont subi un entraînement intensif – dans le cadre du Mossad et de Tsahal – incluant une préparation militaire et l'usage des armes, le travail dans la clandestinité, parallèlement à des activités éducatives et idéologiques. Tous les instructeurs ont été impressionnés par la qualité et le niveau des volontaires. A ma demande, le chef du gouvernement David Ben-Gourion, devait accepter de venir parler devant eux, ce qui devait leur causer une grande émotion. Ben-Gourion de son côté, devait être impressionné du projet et de ce qu'il avait vu. A leur retour dans leurs villes, ils devaient insuffler leur enthousiasme à leurs camarades. Malgré la clandestinité, la création de la Misguéret ne devait pas rester un secret parmi les communautés juives, ce qui devait accroître leur sentiment de sécurité et de fierté. Ainsi était atteint, déjà à ce stade, l'objectif de base pour lequel avait été créée l'organisation d'autodéfense.

Début 1956, les Français quittaient le Maroc, et au milieu de l'année, les autorités marocaines donnèrent l'ordre de faire cesser la Alyah officielle. Les juifs du Maroc se trouvaient d'un coup coupés de l'Etat d'Israël. Dans le monde juif, et plus particulièrement en Israël, ce fut une grande inquiétude quant à leur sort. La décision de faire sortir les juifs du Maroc par tous les moyens possibles fut donc prise en Israël. La responsabilité de l'application de cette décision fut confiée au Département de la Alyah de l'Agence Juive et à celui qui était à sa tête, Zalman Shragaï.

Après maintes recherches et bien des hésitations,

Zalman Shragaï s'est adressé à moi et a proposé que le Mossad se charge de cette mission. Je n'ai pas hésité à lui répondre positivement et avec enthousiasme. Nous avons conclu entre nous que le Département de la Alyah sera l'instance suprême et exclusive sur le plan politique, et le Mossad le responsable exclusif de l'application sur le terrain.

Il devait s'avérer que c'était le meilleur arrangement possible entre deux organismes partageant le même objectif sacré: tout faire pour sauver les juifs du Maroc et les faire monter en Israël.

En Shragaï j'ai trouvé le partenaire idéal sur tous les plans: il était passionné pour

la Alyah, il aimait les olim, dévoué à la cause et de plus un homme fidèle et loyal. Un lien aussi rare devait beaucoup contribuer au succès de toute l'opération.

Les hommes de la Misguéret au Maroc accueillirent avec enthousiasme la nouvelle mission. L'heure était arrivée pour eux de mettre en pratique ce qu'ils avaient appris à faire en cas de danger. Cela devait être le début de l'une des opérations les plus extraordinaires et les plus passionnantes, une opération qui devait durer neuf ans et produire des fruits incomparables: la sortie de plus de 100,000 juifs – hommes, femmes et enfants – et leur arrivée au pays de leur rêve et de leur choix: Israël. Au départ, on se servit de passeports déjà utilisés et adaptés par nous aux nouveaux besoins et aux nouveaux candidats. Cette méthode était par nature limitée à quelques individus et il fallait trouver les voies pour la sortie de milliers de juifs. La solution fut trouvée dans la ville de Tanger qui avait encore un statut international – et dans les deux présides espagnoles de Ceuta et Mélilia. Alors commença le passage clandestin d'immigrants vers ces villes, par voie de terre et de mer, et on y établit des centres de transit temporaires dans lesquels ils furent logés jusqu'à leur départ vers la colonie britannique de Gibraltar ou l'Espagne. Les autorités anglaises et espagnoles étaient disposées à apporter leur aide à cette opération secrète, malgré les protestations des autorités marocaines. Aussi bien à Gibraltar qu'en Espagne, les autorités devaient faire preuve d'un grand humanisme, sans obstacles bureaucratiques, permettant ensuite aux olim de partir pour Marseille et de là vers Israël, par voie aérienne ou maritime.

Une des missions principales de la Misguéret était d'établir le contact avec les candidats au départ, de les préparer, d'assurer leur transport et de les infiltrer dans les enclaves. Il n'y avait aucune difficulté à recruter ces candidats. Au contraire; l'aspiration au départ pour Israël était supérieure aux possibilités de la Misguéret de la mettre en pratique. C'était une sorte de mouvement messianique, sans calculs, sans conditions, sans exiger de préavis plausible pour liquider les affaires. Et il faut se souvenir qu'il ne s'agissait pas d'individus isolés, mais de familles entières avec leurs personnes âgées et leurs enfants.

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo La création de la MisguéretIsser Harel-page 98

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo- La création de la Misguéret-Isser Harel

Au début, on se préoccupa en priorité de l'évacuation des villages isolés du sud. y compris dans les montagnes de l'Atlas. Leurs habitants étaient transportés par camions, véhicules commerciaux et taxis, vers les enclaves, à des centaines de kilomètres de distance, dans les conditions les plus difficiles. Les véhicules vidaier.: leur cargaison humaine à l'approche de la frontière, et de nuit, ils traversaient la frontière, avec l'aide de nos passeurs, par voie terrienne ou maritime. Au débu: les opérations se faisaient lentement et prudemment, mais une fois l'expérience acquise, le rythme des convois s'est accru. Et avec la montée du flot arrivent aussi .es échecs et les coups durs.

Des convois ont été interceptés par les services de sécurité marocains, leurs membres arrêtés et durement torturés – mais malgré cela, les convois au lieu de cesser n'ont fait qu'augmenter.

les véritables héros de cette épopée, de ce drame émouvant, c'était les olim eux-mêmes. Bien sûr ils ne pouvaient le faire seuls. Il fallait quelqu'un pour les encadrer, organiser leur transport, leur préparer des gîtes et leur faire traverser la frontière vers les enclaves espagnoles.

Je me suis rendu en visite à quatre reprises dans les pays du Maghreb. J'ai parcouru tous les grands centres juifs: Casablanca, Rabat, Marrakech, Fès et Meknès. En visitant les quartiers juifs, les mellahs, j'ai rencontré des juifs qui se sont assemblés autour de nous pour nous serrer la main. J'ai vu dans leurs yeux que nul ne nous dénoncerait aux autorités qui étaient pourtant en permanence à nos trousses.

Il n'y a presque pas d'agglomération juive à laquelle je ne suis pas arrivé, jusque dans les montagnes de l'Atlas. Dans l'un de ces petits villages il m'est arrivé quelque chose d'émouvant. Le village comptait une quarantaine de familles juives. Le rabbin local, qui était en même temps le chef de cette petite communauté, n'était pas sur les lieux. Au moment où nous allions repartir, est apparu un homme jeune et il s'avéra que c'était l'homme que nous cherchions. Nous nous sommes présentés comme un groupe de juifs "intéressés au sort de ses frères", mais il a souri et nous a répondu en excellent hébreu, qu'il était vain de faire semblant, car il savait bien que nous étions les Israéliens responsables de l'organisation de la Alyah et il ajouta: "j'ai entendu parler de vous et c'est pour vous rencontrer que je me suis rendu à Marrakech".

Puis il nous a demandé, quand arriverait leur tour à la délivrance, car ils attendaient avec impatience depuis trop longtemps. En quittant les lieux, j'ai donné consigne à mes hommes d'évacuer sans délais la communauté de ce petit village. Et c'est ce qui devait arriver. Au bout d'un court laps de temps, ils étaient tous en Israël, hommes, femmes et enfants.

Il y avait en Israël deux camps quant à la question de principe de la Alyah des juifs du Maroc. La première, celle de Nahoum Goldman, prônait une approche diplomatique discrète auprès des autorités marocaines. Il accordait une importance minime à l'action spéciale de sortie des juifs du Maroc et était favorable à une politique de sélection sévère des candidats à la Alyah et à la limitation de leur nombre. A la tête de l'autre camp, le chef du gouvernement David Ben-Gourion, la ministre des Affaires Etrangères Golda Méir et Zalman Shragaï. Les trois étaient de tout cœur pour une grande Alyah du Maroc, tout en menant parallèlement un combat public contre les autorités de ce pays, et favorables à une politique libérale en matière de sélection des olim.

En 1958, sous la pression de l'Egypte et des nationalistes locaux, le roi Mohammed V devait décider d'adhérer à la Ligue Arabe, et dans ce cadre fut ordonné l'arrêt des relations postales, télégraphiques et téléphoniques entre le Maroc et Israël. Notre réponse devait être claire et ferme: la mise sur pied d'un service postal clandestin indépendant alternatif qui devait se révéler comme un immense succès. L'intention de couper les juifs du Maroc d'Israël avait totalement échoué. Les autorités marocaines devaient essuyer un autre échec en essayant de stopper la sortie et la Alyah des juifs vers Israël.

Parmi les nouvelles initiatives de la Misguéret, l'acquisition en 1960 d'un petit bateau qui naviguait en Méditerranée. Adapté à sa nouvelle fonction par les spécialistes de la Marine, doté de l'équipement de sauvetage nécessaire, il fut rebaptisé Egoz. Jusqu'à fin 1960, il devait effectuer avec succès 12 traversées avec une quarantaine de passagers à chaque fois.

La catastrophe survint à la 13ème traversée: l’embarcation coula au cours d'une violente tempête, avec ses 44 passagers dont le radio israélien, agent du Mossad, Haïm Serfaty. Ce fut une terrible tragédie qui nous a tous boulversés, la Misguéret, le judaïsme marocain, l'Etat d'Israël et l'ensemble du monde juif.

A la suite de ce drame, les journaux marocains ont lancé une campagne venimeuse contre le sionisme et l'Etat d'Israël, accusant les juifs marocains de trahison. La Misguéret devait décréter l'état d'urgence et prendre toutes les mesures pour l'auto défense. Mais elle ne s'est pas contentée de rester sur la défensive et est passée à une contre-offensive virulente et courageuse contre les autorités marocaines, visant également à encourager et à relever le moral de la communauté juive. Début février, la Misguéret diffusa dans tout le Maroc dix mille tracts en français, lançant un véritable défi aux autorités qui réagirent avec une extrême vigueur.

Nombre de militants de la Misguéret furent arrêtés et cruellement torturés. Mais cette fois encore les autorités devaient subir un cuisant échec. Ils ne devaient pas réussir à briser la Misguéret, ni réussir à mettre fin à la sortie des juifs vers Israël.

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo La création de la MisguéretIsser Harel-page 101

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo- L'operation Yakhine -Isser Harel

L'operation Yakhine

Malgré les succès sur le terrain, j'étais parfaitement conscient que par ces seules voies on n'arriverait pas à résoudre le problème des juifs du Maroc. Début 1961. le roi Mohammed V disparut soudainement et son fils Hassan monta sur le trône. Après une période de tâtonnement, le nouveau souverain essaya de se forger une nouvelle ligne politique indépendante. Il devait essayer, avec prudence, de se détacher des liens trop étroits avec Nasser et sa politique violemment anti­occidentale. Il avait besoin du soutien économique de l'Occident et était arrivé à la conclusion qu'il lui fallait améliorer l'image de son pays aux Etats-Unis et en Europe – mais sa politique envers Israël et la Alyah ne subit aucun changement à ce stade. C'est pourquoi nous avons poursuivi notre double pression sur le jeune roi: en continuant la Alyah clandestine et en faisant appel à l'opinion internationale.

Je pensais que notre activité clandestine et les persécutions contre les juifs finiraient par devenir un fardeau insupportable pour le nouveau régime. Il était indispensable de briser le cercle vicieux et d'arriver à un arrangement quelconque avec le gouvernement du nouveau roi.

Par l'intermédiaire de personnes juives et de personnes de bonne volonté non- juives, nous avons établi des liens avec des personnalités hauts-placées de l'entourage du souverain. Ce fut le début de négociations secrètes harassantes, au cours desquelles nous devions en permanence être sur le qui-vive de crainte qu’on n'essaye de nous mener en bateau.

Nos interlocuteurs marocains nous avaient posé quatre conditions:

La sortie des juifs serait officiellement dirigée vers un autre pays, autre qu'Israël.

La sortie doit se faire le plus possible dans le secret.

Paiement d'un dédommagement financier important.

Cessation des activités clandestines jusqu'à l'accord.

Les trois premières conditions ne nous posaient pas de problème. Par contre la quatrième nous mettait face à un grave dilemme – de crainte qu'on ne s'en serve uniquement pour nous tromper – mais nous avons fini par l'accepter, le coeur lourd, afin de ne pas manquer cette occasion historique.

Les négociations prirent ensuite un cours pratique. Il fut conclu que la réalisation de la Alyah du Maroc sera confiée à l'organisation juive américaine, la HIAS. Les hommes de la Misguéret devaient occuper en fait les postes de commandement. Il fut aussi conclu que les départs se feraient avec des passeports collectifs, chose qui était en notre faveur. Puis ce fut l'heure de la première épreuve. Les Marocains avaient exigé un premier versement important sur le compte des opérations futures. Je me suis adressé au ministre des Finances Levy Eshkol qui m'a dit simplement: "d'abord je ne dispose pas d'une telle somme, et second, qui me garantit qu'on ne va pas nous mener en bateau?"

J'ai demandé alors l'aide de Ben-Gourion qui m'a posé la question: "quelle preuve as-tu que ce n'était pas une tromperie?"

Je lui ai répondu qu'il n'y avait aucune garantie mais que cela valait la peine de ne pas rater une occasion aussi historique. Sur le champ, Ben-Gourion a appelé Eshkol et lui a intimé l'ordre devant moi de trouver la somme nécessaire. L'opération " Yakhine" pouvait commencer.

Malgré nos doutes, les Marocains ont tenu parole et respecté leurs engagements et au bout d'un certain temps la merveilleuse opération prit son envol. Alors des milliers de olim ont entamé leur sortie du Maroc par avions par bateaux, et après un court transit en Europe, arrivaient en Israël.

Sous la pression de l'opposition marocaine et de la propagande de la Ligue Arabe, il y eut des périodes d'arrêt et de suspension; des périodes de grande tension, mais après chaque interruption l'opération devait reprendre jusqu'au départ du dernier juif qui le désirait. Quant à ceux qui restaient, ils pouvaient également être sûrs de pouvoir partir quand ils le voudraient; l'obtention de passeports ne posait plus de problème.

Au cours de l'opération Yakhine quelques 85,000 juifs marocains sont montés en Israël et dans le cadre de la Alyah clandestine, quelques 25,000 juifs avaient quitté le Maroc; soit au total 110,000 depuis l'indépendance marocaine. Il est difficile de décrire la coopération et l'atmosphère de délivrance qui emporta le judaïsme marocain – des juifs qui étaient disposés dans toutes les circonstances et dans toutes les conditions de répondre à l'appel de Sion.

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo L'operation YakhineIsser Harel-page 103

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo- Gonen – Les Unités Spéciales de l'Autodéfense des Juifs en Afrique du Nord.

 

 

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Gonen – Les Unités Spéciales de l'Autodéfense des Juifs en Afrique du Nord

"Je fais serment d'être prêt à tout moment d'exécuter les ordres de 1'organisation, dans le cadre De ma fonction, qui me seront transmis par mon Commandant. De même, je suis prêt à sacrifier mon temps, mes biens et même ma vie pour sauvegarder l'honneur de mon peuple, ses biens et son existence".

Introduction

Il est possible que l'histoire ne soit pas condamnée à revenir sur elle-même, et qu'arrivera un jour le temps de la paix absolue, mais c'est encore loin d'être le cas aujourd'hui. Bien au contraire, les périls sont partout dans le monde et tout caprice des autorités peut avoir des conséquences qu'il est difficile de prévoir. L'adage "Malheur aux faibles", non seulement n'a rien perdu de son actualité, mais est encore peut-être plus grave que par le passé. Rien dans le monde n'est définitivement stable: ce qui existe aujourd'hui peut être demain emporté par le vent.

L'expérience du passé – et plus particulièrement la catastrophe qui s'est abattue sur les communautés juives en Europe nazie – est la meilleure illustration que des modes de vie forgés à grande peine pendant des siècles, peuvent être emportés jusqu'à la racine par une mauvaise vague irrésistible. En ce sens, la situation des communautés juives depuis le début de l'exil et de la diaspora n'a jamais fondamentalement changé. La création de l'Etat d'Israël a certes provoqué un changement dans le sentiment, la sensation des juifs – mais la diaspora reste la diaspora, la minorité reste la minorité et la haine de l'étranger, en particulier du juif, demeure une haine. La logique de la renaissance de l'Etat d'Israël est avant tout d'avoir tiré la leçon de la réalité qui n'a pas changé depuis les débuts de l'histoire humaine.

Ces remarques ont été placées au début de ce chapitre pour éviter d'avoir à

expliquer et à justifier à nouveau par la suite pourquoi l'Etat d'Israël a éprouvé le besoin d'envoyer ses émissaires pour éveiller les juifs du Maroc à la nécessité d'organiser leur autodéfense.

Et encore quelques mots sur la discussion étemelle entre deux conceptions du monde. Pour les uns, l'autodéfense d'une minorité est impossible face à l'effondrement de régimes établis et à des spoliations arbitraires. Et au fond, de quelle force peut disposer une minorité face au déchaînement de forces de destruction infiniment plus puissantes – et plus particulièrement quand il s'agit du déchaînement ravageur de masses fanatisées, lancées dans le pillage et la tuerie?

Il est même possible que la petite minorité qui se lève pour se défendre éveille par son action les plus bas instincts de l'homme. Cette conception, défendue par beaucoup, est teintée d'une grande dose de fatalisme et ne mérite pas d'être discutée sérieusement.

Pour d'autres par contre, il est préférable de résister, de tomber les armes à la main. Et encore plus en temps normal – ou ce qu'on définit ainsi – qui lui – même n'est pas dépourvu de malheurs plus ou moins grands. Dans une telle situation les armes entre les mains des défenseurs sont déterminantes le juif doit s'y préparer à temps pour ne pas être l'éternel victime expiatoire. Avec les armes à la main et de la détermination, même une minorité peut imposer son désir de vivre. Une telle conception rejette toute forme de fatalisme. Bien au contraire, elle invite l'homme à prendre en mains son destin. C'est une telle conception de vie qui est à la base de l'existence de l'Etat d'Israël et son devoir est de la répandre dans les communautés de la diaspora.

La guerre d'indépendance des pays d'Afrique du Nord et les tensions internes dans ces pays annonçaient l'arrivée de changements décisifs. Ceux qui refusaient la politique de l'autruche pouvaient aisément prévoir la fin prochaine de la domination française.

Que ces pays obtiendraient l'indépendance pour laquelle ils se battaient, et qu'auparavant les désordres se multiplieraient, le sang coulerait et que les juifs se trouveraient comme toujours pris entre les deux feux. Si on veut porter contre l'Etat d'Israël des accusations sur ce qu'il fait ou sur ce qu'il ne fait pas, celle d'être intervenu avant qu'il ne soit trop tard dans ce pays, l'Etat d'Israël l'assumera avec joie. Plus encore, cette intervention préventive est une justification supplémentaire de son existence. La responsabilité pour le sort des juifs du monde, Israël l'assume – et continuera à l'assumer, tant que ces juifs le lui demandent publiquement ou discrètement – et elle ne peut être sujet à discussion. Les habitants de l'Etat d'Israël,

eux-mêmes en majorité des immigrants, n'ont aucune difficulté à comprendre le sens et la portée de cette responsabilité, incluant le devoir de rassemblement de dispersés et la responsabilité pour le sort des juifs où qu'ils se trouvent- les deux éléments qui ont permis la réalisation du rêve des générations. Et s'ils ne le comprenaient pas ce serait désespérer de leur bon sens. Quant aux citoyens nés et éduqués dans le pays, il leur suffit de réfléchir un peu pour comprendre aussi que sans cette responsabilité pour le sort des juifs du monde, Israël perdrait sa raison d'être.

 L'envoi d'émissaires israéliens en Afrique du Nord pour mettre sur pied des cellules d'autodéfense à l'heure de la montée menaçante des périls, était donc un geste naturel qui allait de soi. De même que l'envoi d'émissaires en Egypte, Syrie, Irak et même au Maroc au cours de la seconde guerre mondiale et à la suite. Ainsi que l'envoi de parachutistes dans les pays d’Europe occupés par les nazis. Le sens de la responsabilité qui avait animé les dirigeants du Yichouv a été hérité par les dirigeants de l'Etat d'Israël souverain – et de même que la récompense de celui qui remplit sa mission est le fait même de la remplir, l'Etat d'Israël aussi en est sorti récompensé.

Au milieu de l'année 1955, les premiers émissaires arrivèrent au Maroc (le lecteur doit avoir à l'esprit que ce livre ne traite que de l'époque 1955-1964 et non des époques précédentes). Bien que le Maroc fût encore sous protectorat français et espagnol, ces émissaires devaient travailler dans la clandestinité. Les autorités françaises n'ont pas été consultées quant à l'action d'agents israéliens sur le territoire marocain, ni demandé leur avis – qui sans aucun doute aurait été refusé de toute façon.

Il n'y a pas de statistiques précises sur le nombre de juifs au Maroc à l'époque, estimé à 230,000, la majorité habitant dans les grandes villes: Casablanca, Marrakech, Fès, Meknès, Tanger, Tétouan, dont entre 70,000 et 80,000 dans les villages et les petites villes. La question de la défense des juifs des grandes villes se posait en d'autres termes que celle des habitants des villages. Il est rapidement apparu que s'il était possible de trouver des solutions pour les grandes villes, il n'y avait pas de réponse satisfaisante pour les villages dispersés dans tout le pays et éloignés des grands centres.

Même en sachant d'avance que les possibilités d'autodéfense étaient de toute façon relativement limitées, il n'y avait aucune possibilité de l'organiser dans les villages reculés, souvent inconnus des juifs du reste du pays eux-mêmes. Sans la solution radicale donnée avec les années, la Alyah en Israël, ils seraient restés encore aujourd'hui à la merci du destin.

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo

Gonen – Les Unités Spéciales de l'Autodéfense des Juifs en Afrique du Nord.

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo- Les moyens de securite dans la Misgueret.

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Les moyens de securite dans la Misgueret

Bien que tout le complexe de la "preparation a la clandestinite" prodiguee aux

recrues de la Misgueret, ne devait etre que l'introduction a leur principale mission, il convient de s'y attarder quelque peu pour les raisons suivantes:

 

Pendant son service au sein de la Misgueret dans la clandestinite. le volontaire etait tenu de changer d'identite et d'adopter un mode de vie et des habitudes compatibles avec sa nouvelle identite. Plus ce nouveau mode de vie devenait une routine, mieux il pouvait remplir sa fonction. II ne fallait donc pas qu'il y ait de hiatus entre l'activite et la nouvelle identite adoptee.

II etait habituel que l'activiste de la Misgueret se serve de sumoms differents selon les periodes pour ne pas trahir sa veritable identite et ne pas faciliter ainsi la tache a la police qui cherchait a retrouver ses traces. II disposait d'un passeport de securite pour le cas de la decouverte de son activite par les services de securite et a partir de ce moment il ne pouvait plus utiliser son ancien passeport. Il etait comme l'acteur qui, plut-il s'identifie a son role au fur et a mesure de la multiplication des representations, plus la representation n'est meilleure. Il est souvent arrive que meme apres avoir retrouve sa veritable identite civile, il continue a porter son sumom de clandestinite – et s'en trouvait bien.

 

Le temps reserve au sujet de la securite, etait relativement large. Tout activiste doit y penser en permanence, consciemment ou inconsciemment. Cela dependait aussi de l'attitude du partenaire d'en face: les services de securite marocains, l'etat d'esprit politique dans les hautes spheres, l'atmosphere generate dans la population musulmane et la necessite de rester actif dans les coulisses de la rue juive.

 

Agents, ou emissaries d'Israel?  Il y avait un conflit permanent entre le souci de securite, la voix de la conscience et les ordres venant d'Israel ou de Paris exigeant de veiller inconditionnellement a la vie de chaque juif. dans toutes les circonstances. Il arrivait a l'activiste d'etre pris entre deux exigences: celle de veiller a la securite des olim et celle de s'occuper de la securite de la Misgueret. La corde etait souvent tres tendue.

 

Si en matiere de surete, il n'y avait pas besoin d'etudes poussees chacun comptant sur ses instincts naturels – en matiere de securite il fallait apprendre sans cesse sans jamais atteindre la perfection. C'est le metier des agents secrets travaillant dans la clandestinite dans tous les pays, bien que le terme "d'agents" ne convienne pas exactement aux emissaires israeliens et aux activistes de la Misgueret au Maroc. Les candidats a une mission au Maroc recevaient une formation preliminaire en Israel avant leur depart. Cette preparation incluait une introduction au pays de mission et a la communaute juive avec laquelle il devait travailler, ainsi que les rudiments de l'activite clandestine. II est douteux que cette preparation soit suffisante et la rencontre avec la realite devait toujours leur reserver bien des surprises.

 

Des recits des emissaires dans ce bapteme de feu, nous apprenons a quel point cette preparation etait insuffisante et ne leur inculquait pas plus que quelques generalites qu'il etait necessaire de completer par l'experience personnelle sur le terrain.

Un des emissaires – sous un nom d’emprunt comme ses collegues – raconte que lorsque le policier charge du controle des passeports l'appela par son nouveau nom, il le corrigea en declinant sa veritable identite. Pour sa chance, la stupefaction du fonctionnaire fut assez longue pour lui permettre de se "racheter" (il s'agit de Moshe Amon). Les emissaires et les activistes locaux, quand leur mission se prolongeait, changeaient de temps a autre de nom. Il en etait de meme des noms de code donnes aux villes et aux lieux de rencontre. Certains, comme nous l'avons dit, devaient garder leur sumom jusqu'a ce jour.

 

Avec le temps, des regies furent fixees en cette matiere de changement d'identite. La routine etait qu'avant d'arriver au Maroc, les emissaires passent par Paris ou se trouvait l'etat-major de la Misgueret pour les trois pays d'Afrique du Nord – et la-bas on revisait avec lui sa nouvelle identite et sa couverture professionnelle. Il devait les connaitre en details avant de partir pour sa mission comme s'il venait de naitre a nouveau.

Nombre d’emissaires ont decrit leur nervosite dans leurs premiers pas au Maroc dans l'attente de leur premiere rencontre avec l'homme de liaison – dont l'identite israelienne avait ete effacee totalement – en un lieu convenu: hall d'hotel ou cafe. C'est seulement par un signal convenu que tombaient les barrieres entre les interlocuteurs qui souvent se voyaient pour la premiere fois. En cas de retard, pour une raison quelconque, les moments d'attente nerveuse paraissaient comm eternite.

En conclusion de cette epoque, on peut dire qu'il n'y a pas eu de bavures dans ce  domaine, les anciens comme les nouveaux venus ont reussi a se reconnaitre soit  parce que les rencontres avaient ete organises comme il se doit, soit en raison du haut sens de responsabilite des anciens, ou grace a l'instinct de conservation qui est ancre en chacun de nous.

Le changement d'identite de l’emissaire n'etait pas un evenement unique, mais une realite de tous les instants, depuis l'adresse de son domicile, aux relations avec les voisins, en passant par l'epicier et le coiffeur, … S'il a pris l'identite d'un homme jeune, il devait se conduire en consequence en matiere de ses relations avec les femmes et de boisson par exemple. S'il se presente comme un commerqant ou comme representant d'une grande societe, il faut savoir etre large en matiere de depenses.

 

Il s'ensuit que l’emissaire ne pouvait tout accepter. Il ne pouvait accepter de vivre dans n'importe quelles conditions, ni se livrer a une metamorphose trop poussee. L'ordre du jour des hommes de la Misgueret incluait un grand souci des conditions de securite en matiere de logement, de lieux de rencontre. Savoir ou et quand fallait- il se taire et ou il etait permis de parler; comment etablir une liaison; comment transferer des documents secrets. Il fallait choisir avec grand soin des cachettes pour les armes, les postes de transmission et les documents. Il y eut des echecs – du le plus souvent a l'intensite du travail. Une telle mission, quand elle se prolonge pendant des annees, inclut des convocations frequentes aux services de securite qui cherchent a mettre la main sur des suspects – et quand le travail se transforme en routine la tendance va vers la negligence par manque d'attention.

 

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Les premiers Agents du Mossad au Maroc

Shlomo Yehzquieli

J'ai ete nomme premier commandant de la Misgueret au Maroc au mois d'octobre 1955. Auparavant, j'avais suivi avec d'autres candidats a une mission en Afrique du Nord, un cours preparatoire. Nous y avons appris le francais et suivi un entrainement dans le maniement des armes et les methodes de filature. Au mois d'aout les equipes pour les differents pays ont ete formees.

En septembre, j'ai quitte Israel en route pour le Maroc en meme temps que Moche Kadoch.

J'ai trouve le pays tres ressemblant au notre par ses paysages, son clirnat et sa population.

Peu de temps apres, sont arrives Itsik Beer, ancien de la Hagana et officier de sabotage a Jerusalem pendant la guerre d'independance; Hagai Lev, un ancien de l'lrgoun Tzvai Leumi; Yona Zabin, entraineur en arts martiaux a Tsahal; Carmela Zabin, radio, ancienne du kibboutz Guezer assiege pendant la guerre d'independance; Shlomo Almog et Hasdai Doron.

 

Moche Kadoch

Moshe Kadoch fut envoye a Marrakech, Shlomo Almog a Oujda, et Hasdai Doron a Tanger et au Maroc espagnol, avec deux jeunes emissaires qui devaient etre repatries peu de temps apres leur arrivee.

Nous ne savions pas grand chose sur ce qui nous attendait.

Nous savions que nous etions les emissaires de l'Etat d'Israel et non de l'Agence Juive, mais que nous agirons sous son couvert. La consigne etait de coordonner notre action avec celle des emissaires de l'Agence Juive – sans pour autant dependre d'eux.

Il convient de rappeler qu'a l'epoque, l'Agence Juive oeuvrait encore ouvertement au Maroc ou elle etait representee par un grand nombre d’emissaires. Les Francais et les Espagnols dominaient encore le pays, meme s'il etait clair qu'a plus ou moins long terme, le Maroc recouvrerait son independance. Notre mission au Maroc etait differente de celle des emissaires israeliens dans le passe. Notre mission etait de mettre sur pied, le plus rapidement possible, des groupes d'auto defense pour la population juive marocaine. II nous fallait nous adapter rapidement a la situation sur le terrain, etablir des liens et commencer a agir. Au depart, nous avons cru qu'il serait possible de profiter de l'aide des emissaires de l'Agence Juive pour etablir les premiers liens avec les juifs locaux, mais il devait vite s'averer que e'etait une erreur. Non seulement nous n'avons recu aucune aide d'eux, mais ils nous consideraient comme des indesirables, nous manifestant une certaine opposition – l'opposition instinctive de tout corps a tout ce qui est nouveau.

 

La realite etait donc differente de celle que nous avions imaginee avant notre arrivee au Maroc. Nous avons donc ete contraints d'avancer et de "nager" de maniere independante. Nous avons commence a etablir des liens directs avec les juifs locaux, ce qui devait exiger du temps et une accumulation d'experience. Avec le temps, une cooperation s'est etablie avec un petit nombre d’emissaires israeliens de l'Agence Juive, en general des representants du Departement de la Jeunesse et du Hehaloutz, qui avaient compris plus tot l'utilite de notre mission.

 

II convient de souligner en particulier l'aide d'Abraham Cohen du kibboutz Houlda. Le soutien des emissaires religieux fut egalement tres important; comme le judaisme marocain est traditionaliste, leurs relations avec lui etaient plus naturelles. II convient de souligner que les juifs du Maroc ne voyaient pas d'un bon oeil les querelles entre les mouvements sionistes. Au bout de six mois, le Maroc acceda a l'independance et les emissaires de l'Agence Juive furent contraints de cesser leur activite et de quitter le pays.

 

Nous avons designe les premiers candidats aux stages de preparation et les premiers commandants locaux ont ete choisis parmi les meilleurs stagiaires. Deux mois apres mon arrivee, nous etions deja sept emissaires du Mossad. J'avais decide que trois d'entre eux seraient postes dans les villes de province, et les autres a Casablanca. Il etait urgent de leur trouver des couvertures adequates (identite et emploi). Au debut, nous n'avons pas trouve les methodes appropriees, et nos hommes attiraient trop l'attention ce qui mettait en peril leur mission. Inutile d'ajouter que le manque de couverture adequate devait entrainer apres lui la condamnation a l'inaction et au manque de discipline. Nous n'avons eu d'autre alternative que de renvoyer en Israel deux emissaires avec leurs families, ce qui devait contribuer a ameliorer la situation.

De meme nos relations avec les forces d'occupation francaises n'allaient pas pour le mieux, les services de securite franqais nous mettaient des batons dans les roues – dans la crainte de faction subversive de facteurs etrangers en ces heures d'ebullition politique.

Nous avons naturellement cherche a rapprocher la jeunesse locale de nos idees. Au depart nous avions craint que le contact avec les juifs – et une crainte au bavardage – ne donnent une publicity inopportune a notre action, mais nous nous sommes rapidement rendu compte que notre action n'etait pas le sujet de discussions publiques et que les juifs contactes savaient se taire et garder le secret. Cette description vise a expliquer pourquoi le resultat de notre travail etait limite au depart et le nombre de recrues etait de quelques dizaines seulement. En verite, il n'y avait a l'epoque aucune intention de former un mouvement de masse, et notre mission se limitait a la formation de cellules d'auto defense dans la clandestinite et au choix des commandants parmi ces recrues.

 

En novembre 1955, nous avons cree les premieres cellules de Gonen a Casablanca. Deux des cellules furent recrutees parmi les ex-membres des mouvements de jeunesse sionistes, et une troisieme par des instituteurs, des employes de bureau, et des membres dissociations sportives. Les membres des mouvements de jeunesse constituaient une unite en soi. Leur mission principale etait le recrutement et etaient toujours prets a l'Auto Defense en cas d'urgence.

Un des premiers commandants de cellules de Gonen recrute fut Meir Knafo dont le sumom de clandestinite etait "Ramon".

Meir ne en 1935 avait termine l'ecole de 1'Alliance a Casablanca et etait depuis 1948, membre du mouvement de jeunesse Habonim. A l'epoque, il dirigeait un hotel a Casablanca. Cet hotel, appartenant a un juif, avait cinquante chambres, logeant en permanence des officiers de police, des collaborateurs avec les autorites franpaises, et des membres des mouvements nationalistes. Apres l'accession du Maroc a l'independance, en mars 1956, devaient y arriver des dizaines d'officiers de la nouvelle police marocaine, mutes de province a Casablanca.

Cette conjoncture en faisait un objectif de renseignement tres interessant pour la Misgueret, d'ou l'importance du recrutement de Meir Knafo; en plus de son importance pour le renseignement, l'etablissement pouvait servir de cache d'armes. La presence permanente d'officiers de police en faisait un sanctuaire au-dessus de tout soupcon.

 

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Les premiers Agents du Mossad au Maroc

Meir Knafo ajoute: "J'ai ete charge de recruter d'autres membres pour les cellules de Gonen. Je me suis lance immediatement et de maniere intensive dans la recherche d'amis qui pourraient y convenir, transmettant leurs noms pour verification de leur credibilite Au bout d'un an, j'etais a la tete d'une unite de 5 cellules, chacune comptant cinq a six membres. Le cloisonnement etait tres strict, me permettant de rester inconnu des membres des autres cellules, n'ayant de contacts qu'avec leurs responsables.

J'ai ete charge d'une lourde mission: la defense des juifs habitant le Mellah, ou co-habitaient juifs et musulmans, et de ceux de l'Habitat Israelite, face a la piscine municipale de Casablanca.

Dans ces deux quartiers, la densite etait tres grande, au voisinage de musulmans. Apres avoir choisi des maisons "strategiques" pour servir de base d'action aux cellules en cas de danger, nous avons egalement recrute des habitants disposant d'appareils telephoniques – en general des coiffeurs ou des tailleurs, proprietaries de magasins au mellah. Ces juifs devaient nous servir d'yeux et d'oreilles. Un hommage particulier a Albert le coiffeur, qui mit a notre disposition son salon et son telephone. Les va-et-vient de nos gens au salon pouvaient facilement passer inaperqus, sans soulever de soupcons dans la population arabe.

Nous avons appris a connaitre le terrain, repere les sites sensibles et commence a planifier et organiser la defense de la population, des synagogues, des lieux de reunion etc… Quand les armes ont ete introduites au Maroc, nous avons entrepris l'entrainement au tir reel de revolver, mitraillettes et grenades. Je reste convaincu qu'en cas de necessite ces cellules auraient rempli au mieux leur role.

Avant meme mon recrutement, j'avais secretement acquis, en novembre 1954, un fusil de calibre 9 mm d'un Franqais qui quittait le Maroc, et un revolver d'un autre francais; tout cela sans savoir qu'un jour la Misgueret serait creee et disposerait d'armes. Une discipline militaire stricte etait de rigueur dans mes cellules. Chaque recrue devait preter serment dans une chambre obscure a la lumiere de deux bougies. Apres cette ceremonie, il etait baptise d'un sumom qu'il devait utiliser cxclusivement a partir de ce jour.

Le recrutement a Gonen repondait a plusieurs criteres; etre juif, majeur, age de 21 ans au moins (plus tard l'age devait etre abaisse a 18 ans), etre sain de corps et d'esprit, ne pas avoir de easier judiciaire et avoir une bonne moralite.

Le reglement de l'organisation etait copie sur celui de Tsahal, clair et precis. Les membres de la Misgueret avaient les memes droits et les memes obligations que les soldats de Tsahal. En operation, il est interdit de discuter les ordres, il faut les executer immediatement et sans discussion. On ne peut faire appel qu'apres execution. Obligation de respecter les regies de securite de la clandestine, obligation de se conformer a la "legalite" de l'activite et de se conformer aux lois marocaines. Les membres de l'organisation devaient se montrer prudents dans leurs conversations, n'utiliser pour designer les lieux de rencontre que des noms de codes. Des noms de code etaient egalement donnes aux appartements, et des mots de passe prevus pour les situations d'urgence.

Gonen disposait d'un arsenal varie, allant de revolvers F.N. aux Mauser, Colt P38 en passant par les fusils et les mitraillettes Sten, Tomigan, Bereta, Chmeisser… Seuls les membres de Gonen etaient autorises a porter des armes en operation, mais il leur etait interdit d'en faire usage contre les forces de police marocaines. L'autre commandant de cellule, mon parallele, etait Habib Abitbol.

Habib est ne a Marrakech en 1925, vit depuis l'age d'un an a Casablanca; il fut membre du mouvement de jeunesse Gordonia.

En 1945, il fut recrute dans Magen, une organisation d'auto defense des juifs du Maroc, et dans son cadre il avait suivi un cours de moniteur de sports et arts martiaux.

A la fin de 1955, l’emissaire du Mossad, Moshe Kadoch, qui avait besoin d'une salle d'entrainement pour les recrues, devait faire appel au mouvement de jeunesse "Charles Netter". Le responsable de l'entrainement au sport et aux arts martiaux n'etait autre que Habib qui fut ainsi recrute et recut pour mission la formation d'une cellule de Gonen.

Habib fit appel a son epouse Anita, a Marie et Raphy Vaknine, a son frere Albert Abitbol, a Yehouda Attias (aujourd'hui Doron) a son epouse Elise, a sa sceur, a Haim Hamou et a son epouse Jeanette pour former cette cellule. Deux ans plus tard, Yehouda Doron, Raphy Vaknine et Haim Hamou fonderent leur propre cellule. Sur ces premiers jours d'activite, son epouse Anita Abitbol-Lasri, raconte: "Je suis nee a Marrakech en 1933. J'ai epouse Habib en 1952 a Casablanca. J'etais infirmiere chez le docteur Brami. A la fin de 1955, j'avais senti un changement dans la conduite de Habib. J'etais intriguee par ses absences de plus en plus frequentes et mysterieuses, au point de le soupponner d'avoir une maitresse. Dans une explication, il devait me reveler la verite, a savoir son recrutement par un emissaire du Mossad, Moche Kadoch, et sa mission de former une cellule. C'est ainsi que j'ai ete a mon tour recrutee par la Misgueret, qui avait pour mission l'entrainement de jeunes a l'auto defense des communautes juives.

J'ai prete avec emotion le serment de fidelite a la Misgueret. A partir de ce jour, c'est dans notre appartement que devaient se derouler les activites de la cellule de Habib, y compris les prestations de serment, dans toutes les regies de la ceremonie. En sortant de la chambre, les nouvelles recrues avaient des larmes d’emotion et de fierte pour la confiance qu'on leur accordait. Habib leur donnait des cours sur le montage et le demontage des revolvers et grenades.

Pour que notre servante arabe ne se doute de rien, nous commencions par jouer aux cartes, notre petite fille d'un an, Guili, assise avec nous autour de la table.

A la fin de 1956, et avec les debuts de la Alyah clandestine, nous avons passe des fins de semaine a la reconnaissance des lieux de plages choisies au depar clandestin des Juifs du Maroc.

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Au cours de l'operation "Klou", j'ai requ chaque semaine de Habib, des dizaines de faux passeports. Mon role etait de me presenter au consulat espagnol, de donner le mot de passe a un certain fonctionnaire et de recevoir les visas.

A un certain stade, il fut decide de mettre sur pied une equipe d'infirmieres dans le cadre de la Misgueret pour les cas d'urgence. Le but etait les exercices de premiers secours des blesses – pour le cas ou il s'en produirait parmi les membres de l'organisation ou de la communaute juive. L'equipe fut formee d'infirmieres et de volontaires.

J'ai participe une fois avec Habib au transfert d'armes dans une cachette. J'avais emmene avec nous notre petite fille Guili, pour donner l'impression d'une promenade familiale innocente. Dans le bagage arriere de la voiture, il y avait des revolvers, des mitraillettes et des munitions. Nous nous sommes soudain trouves face a un barrage de police. Nous avons rapidement decide de ne pas faire demi-tour, ce qui n'aurait pas manque d'eveiller des soupcons, et de continuer sans hesiter vers le barrage. J'ai mis une cassette de chants arabes joyeux et j'ai commence a chanter a haute voix. Le policier s'est approche de la voiture et s'est exclame: "quelle voiture joyeuse!" et nous a fait signe de continuer. J'etais soulagee, mais je continuai a trembler de peur en pensant au malheur s'ils avaient decouvert un tel arsenal! Ama grande joie tout s'est passe sans accros et les armes sont arrivees a bon port." 

Habib ajoute: "Les cachettes avaient ete amenagees dans des maisons ou des ateliers appartenant a des juifs. Par exemple les cachettes de la "petite menuiserie" et la cachette de la "grande menuiserie" de plusieurs etages appartenant a deux associes. Ils avaient mis a notre disposition une chambre au dernier etage. A cote de cette chambre, se trouvait le domicile de l'un d'eux. Tres peu connaissaient l'existence de cette cachette. Emile Darmon avait construit un mur dans la chambre et derriere furent entreposees les armes et les munitions. Dans le mur, il avait perce une petite porte qu'il avait masque du meme enduit que le reste du mur. Une fois tous les mois ou deux mois, nous cassions l'enduit pour sortir les armes et les nettoyer.

Un samedi soir, nous sommes arrives, Menahem Rak-Oz, Raphy Vaknine et moi- meme dans la "petite menuiserie" dont les proprietaries etaient membres de la Misgueret. Nous avons sorti les armes de la cachette et commence a les nettoyer et a les graisser. Soudain, je vois dans la fenetre qui permettait l'entree de lumiere dans la salle, un musulman qui nous observait. J'ai garde mon sang froid et j'ai demande a mes amis de continuer leur travail. Je me suis leve, me suis dirige vers le tableau d'instruments de la menuiserie, que j'ai retire de leur place et les ai pose sur les armes, et nous avons commence a les nettoyer. Nous ne savions pas si cet homme avait fait attention aux armes, mais pour plus de precaution nous avons termine vite leur nettoyage et nous les avons remis a leur place. Menahem et Raphy ont quitte l'atelier pour m'attendre dans la voiture. Quant a moi, je me suis cache dans la menuiserie dans une position d'observation, face a la cachette, pour voir si l'homme avait alerte la police. Au bout d'une heure, la police n'arrivant pas, je partais a mon tour. II est possible meme que cet homme ait vu les armes, et a decide de ne pas prevenir la police pour ne pas s'attirer des ennuis, croyant peut- etre qu'il s'agissait de militants de l'opposition marocaine. II est egalement probable qu'il n'avait rien vu. Quoi qu'il en soit, nous avons decide de ne pas transferer la cachette. L'incident s'etait bien termine et le proprietaire de la menuiserie n'a jamais ete questionne a ce sujet."

Shlomo Yehzquieli reprend: "Au debut du printemps 1956, nous avons entrepris de mettre sur pied des cellules dans les villes de provinces. Itsik Beer fut envoye a Fes et a Meknes. Nous avons etabli des liens, restes vagues, avec Marrakech. De meme, nous nous sommes lances dans le recueil de renseignements dans le domaine juif. A ce stade nous n'etions pas encore arrives a celui des non juifs.

Nous avons etabli les premiers liens avec des personnalites juives, dont Alphonso Sabah, banquier et assureur, et Calamero, qui etait le president de la Federation Sioniste."

Un Specialiste du sabotage recrute des Agents au Maroc

Itshak (Itsik) Beer

Itshak Beer est ne a Jerusalem en 1926, quatrieme generation par sa mere dans le pays. A16 ans il s'engageait dans la Hagana et dans ses rangs, il participa a la Guerre d'Independance. Il fit ensuite une carriere militaire.

Dans le cours de preparation d'Agents Candidats a la mission en Afrique du Nord, Itsik fut, a la fois eleve et instructeur en matiere de sabotage – sa specialite a la Hagana et a Tsahal. Apres le cours qui dura plusieurs mois, il subit avec Yehouda Grinberg, un entrainement supplemental de deux mois dans la construction de cachettes fixes – pour les armes – et mobiles – pour les transferts de fonds, documents, passeports et armes legeres. Les portes de ces cachettes devaient etre si bien maquillees quelles devaient resister a toutes les recherches, y compris les detecteurs de metaux. Itshak est arrive a Casablanca en octobre 1955.

Mon premier contact fut avec le commandant de la Misgueret au Maroc, Shlomo Yehezquieli, qui me trouva un logement dans la maison d'une vieille juive, originaire de Russie, installee au Maroc depuis de nombreuses annees. A mon arrivee au Maroc, l'Agence Juive appliquait la politique de selection des olim. Pour la contoumer, les candidats a la Alyah tentaient "d'adapter" leurs documents a ces criteres stricts et severes. De ce fait, l'ambiance etait malsaine, malgre la bonne volonte des emissaries de la Alyah, qui tentaient de trouver des breches dans la procedure qui leur etait imposee. De Casablanca, les olim etaient diriges sur Marseille, au camp du Grand Arenas. Ce camp avait tres mauvaise reputation chez tous les olim d'Afrique du Nord. Il suffisait d'y passer 48 heures pour se rendre compte a quel point cette reputation etait justifiee. Apres l'independance, le dictateur egyptien le colonel Abdoul Nasser est arrive au Maroc. Je me souviens, comment mon ami Shlomo Menuhin et moi etions presents devant la grande Poste parmi des milliers de musulmans impatients de voir de pres le heros de la revolution egyptienne. J'etais comme dans un reve. C'est ainsi que j'ai commence ma mission dans le pays du Maghreb.

Ma premiere mission a mon arrivee fut de m'installer a Fes et de commencer a y recruter des jeunes pour la Misgueret. On m'avait dit que le plus important reservoir se trouvait parmi les membres du D.E.J.J.. Je me suis installe dans les bureaux du departement de la Alyah, au mellah de Fes, qui etait dirige par M. Ilouz, un juif de nationalite francaise qui auparavant etait dans le negoce des huiles. Ilouz etait un sioniste fervent et devoue qui avait aide les jeunes, avant la creation de l'Etat d'Israel a passer clandestinement la frontiere algerienne pour se rendre en Palestine.

Un soir, je me suis rendu au local du DEJJ et j'ai discute avec les jeunes. L'un d'eux, Jacques Hamou, fut particulierement attentif a mes paroles et devait etre le premier a se declarer pret a faire tout ce qu'on lui demanderait. Jacques Hamou, recrute par la Misgueret, etait membre d'une grande famille respectee. Son oncle Albert (qui vit aujourd'hui a Paris) etait juriste et faisait partie de la delegation marocaine qui avait negocie avec les autorites francaises le retour du roi Mohammed V. Eminent juriste, il devait etre le redacteur de l'accord de separation entre la France et le Maroc et servir pendant des annees de conseiller juridique du gouvernement marocain. Mon plan etait de mettre sur pied trois cellules, et pour cela j'ai demande le soutien du chef du DEJJ a Fes qui nous l'a accorde et a agi de son mieux. Peu a peu le nombre de candidats a se joindre a nos rangs grandit ce qui permit l'implantation de la Misgueret dans la ville. Malheureusement je n'ai pas reussi a en faire de meme dans la ville voisine de Meknes, faute d'avoir etabli comme a Fes un premier contact fructueux.

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Michel Pariente (parmi les premiers recrues) raconte: J'ai ete recrute dans la branche Gonen de la Misgueret en 1956. On m'avait dit que notre objectif etait double: assurer la security de la communaute juive et recueillir les informations pour la garantir. J'ai mis sur pied une cellule composee du meilleur element de la jeunesse juive de Fes. Nous avons loue une chambre pour nos activites ou nous nous sommes familiarises avec le maniement d'armes. Nous avons discute des methodes d'evacuation des juifs en cas de necessity.

Le jour de Kippour, nous avons etabli notre premiere cache d'armes. C'etait dans un fut bien ferine, cache sous l'escalier de la maison d'un des membres de la cellule.

 

L emplacement avait été choisi de manière à nous issurer le contrôle complet de son environnement. Au commencement de l'opération "Klou", j'ai organisé ma cellule pour nous rendre à Meknès. Les faux passeports avaient été cachés dans un grand paquet de savon Tide". En route pour Meknès, nous avons été arrêtés par des gendarmes. Je me suis présenté comme l'agent des produits "Tide", expliquant que je me rendais pour affaires à Meknès. Un des gendarmes avait lorgné le grand paquet de savon et me demanda de le lui donner. Je lui ai gentiment expliqué que c'était impossible, s'agissant d'un échantillon de travail, lui promettant toutefois à mon prochain passage de lui donner un carton entier. Et j'ai tenu parole.

 

Au prochain voyage, je cachais à nouveau les faux passeports dans la même boîte, et je remettais au commandant du barrage le carton promis.

Les hommes de Fès ont également apporté leur soutien à la Makéla. Ils transportaient les olim dans leurs véhicules privés vers Nador et Ouad-Lo, et de là ces olim passèrent de nuit la frontière vers les enclaves espagnoles. Je me souviens particulièrement de l'un d'eux, Salomon Serfaty, une des premières recrues. Il ne devait jamais refuser de participer à une opération et sa voiture était toujours la première à notre disposition. Salomon était bijoutier et avait un magasin à Fès fait il avait donc beaucoup à perdre en cas d'arrestation, et pourtant il ne devait jamais refuser de participer à une opération.

Le groupe de Fès était composé de recrues de qualité, animées d'une profonde motivation. Salomon était le commandant de la cellule des "infirmières" qui aurait servi en cas d'urgence et était composée de Suzanne Chécoury, Doly Serfaty (Boros) et d'autres filles de grande qualité.

 

Shlomo Yehzquiéli reprend: Au printemps 1956, nous sommes passés au stade de l'action pratique. Nous avons acquis des outils pour la formation et chargé Yona Zabin de faire passer un entraînement sportif à plusieurs groupes, le tout sous le couvert du Département de la Jeunesse et du Héhaloutz. Yona est passé de ville en ville et a entraîné des groupes sionistes et non-sionistes. Cette action a enrichi la liste de nos connaissances, le cours étant ouvert à tous les candidats qui devaient se compter par dizaines.

Dès les débuts de notre action au Maroc, nous avons rencontré les missionnaires de Hassidim Loubavitch envoyés par la direction du Rabi à New-York. Ils s'étaient lancés dans une action éducative de grande envergure dans les mellahs et les villages du sud. Ils se consacraient à leur tâche avec un dévouement sans bornes, avec pour mission la préservation de la braise du judaïsme. Nous nous trouvions ainsi avoir le même objectif – même si c'était en partant de points de vue différents.

Au cours de l'hiver 1955-56, nous avons établi notre première station de communication par radio au domicile de Carméla Zabin, qui fut aussi la première à en assurer la marche. Il va sans dire que nous étions confrontés à de délicats problèmes de couvertures.

 

L'appareil fut baptisé du nom de code "Het" (qui devait changer par la suite). Ce code devait figurer dans les comptes-rendus, lettres et télégrammes. Nous devions entre autres, veiller à la sécurité de la délégation israélienne et de ses bureaux – ce qui devait entraîner la création d'un réseau de transmissions et d'alerte entre les émissaires et les cellules de Gonen ; monter la garde jour et nuit au camp de transit pour les olim; assurer la garde discrète des groupes de olim, des synagogues, etc… Cette description exige à ce stade une précision: ma responsabilité ne s'étendait que sur la zone du protectorat français, le Maroc espagnol et Tanger, dépendant d'un autre groupe. Cette division s'imposait en raison des différences de la situation politique dans les deux zones. Tanger bénéficiait d'un statut international particulier. Il convient de se souvenir qu'à cette époque nous n'avions pas de représentation à Gibraltar.

Je me souviens de certains évènements émouvants de l'époque et de nos doutes sur la solution à donner à certains problèmes auxquels nous étions confrontés. C'est ainsi qu'en matière de défense de nos différentes sections locales, nous étions arrivés à un stade qui exigeait l'organisation d'exercices de tir. Il fallait d'abord repérer l’emplacement adéquat. Un endroit désert et éloigné ne convenait pas, pour la raison qu'il fallait éviter un long voyage avec des armes; ni trop proche du centre ville pour des raisons évidentes. Notre choix devait se porter sur une grande forêt qui était aussi une réserve de chasse, à proximité d'un camp militaire où l'on tirait de temps à autre. Notre premier exercice de tir fut pour nous l'égal d'un événement historique, car notre travail, si discret pendant des mois, devenait d'un coup plus visible, plus concret.

 

De tout ce qui précède, on aura compris dès le départ que nous avons été confrontés à des questions fondamentales, certaines de principe. Avec le temps, nous avons certes accumulé de l'expérience, mais il nous fallait trouver toujours des réponses aux nouveaux défis créés par l'accroissement du niveau des activités des autorités marocaines.

Il nous est assez rapidement apparu, que dans la création d'une organisation d'auto défense – la mission essentielle de la Misguéret – le plus important était d'éduquer les jeunes à prendre leur responsabilité, et par la même occasion, de former des cadres pour l'avenir. Suite au premier cours de préparation de l'été 1956, nous avons désigné parmi les chefs de section et les sous-commandants des villes, ceux qui devaient au bout d'un certain temps, remplacer les Agents israéliens à la tête de ces villes. Tous, à l'exception d'un seul, devaient monter en Israël, après avoir rempli des fonctions centrales dans la "Alyah Bet" et dans leurs villes.

La base de tout le plan était la défense des quartiers juifs homogènes, les mellahs, contre l'attaque éventuelle d'émeutiers. C'est sur cette base que nous avons déterminé les effectifs, les moyens de défense et la préparation des commandants et des hommes des différentes cellules. Nous avions aussi, naturellement, une vision plus large, à savoir, inculquer à la jeunesse juive la disponibilité de servir et la fierté de le faire. Comme la majorité des recrues n'habitaient pas le mellah, nous devions en permanence prendre en considération la nécessité du transfert rapide des hommes, avec leur équipement, vers les lieux sensibles. L'entraînement des hommes du rang se limitait au maniement d'armes légères – revolvers, mitraillettes, grenade et couteaux.

Nous avions également en permanence un autre souci: s'assurer de la qualité humaine des recrues, de leur niveau intellectuel, leur capacité physique et surtout de leur niveau moral. Nous étions vite arrivés à la conclusion que de toute façon un recrutement de masses ne pouvait être envisagé, et que nous resterions toujours une organisation compacte. De cette manière, nous avons créé une avant-garde qui avait la possibilité de se mettre en tête du "gros de la troupe", en cas de nécessité. Conformément aux règles élémentaires de la clandestinité, j'ai évité le contact avec les hommes du rang. Je ne connaissais que les commandants, les sous- commandants des villes et presque tous les commandants de sections. C'était le minimum indispensable pour maintenir la tension nécessaire et pour inciter les jeunes commandants à progresser et s'imbiber de l'esprit israélien. Avec le temps, nous nous sommes rendu compte que la confiance investie en eux était bien placée et ils ont fait preuve de plus en plus d'esprit de responsabilité.

 

J'ai rappelé la nécessité du maintien d'une tension positive. Cette nécessité s'était imposée à nous dès les premiers jours de la Misguéret et je crois qu'elle ne devait jamais disparaître tout au long des années d'activité. Il faut souligner que les relations des autorités avec les citoyens juifs, de même que les relations avec les voisins musulmans, devaient connaître des hauts et des bas, selon les périodes. Il y eut des jours de tension et de peur, et des jours de calme et d'insouciance. Cela nous imposait de rester en permanence sur le qui-vive et de maintenir la tension dans les rangs, en imposant des missions fictives, en multipliant les entraînements et les exercices.

Il faut comprendre que le travail de la Alyah exigeait la participation des hommes de Gonen : soit pour le repérage des lieux, soit pour assurer les itinéraires empruntés par les olim, soit pour les aider de nuit à embarquer sur les canots qui devaient les mener au large vers leur bateau.

La Makhéla (branche de la Alyah clandestine) avait un besoin vital de l'aide des hommes de Gonen qui de leur côté tiraient de cette participation une "grandeur d'âme" et un nouveau "goût" à la vie clandestine

 

La formation des cadres de commandement était permanente. Au cours des années, ont été formés des dizaines de chefs de sections et des commandants de ville dans des stages organisés en France et en Israël. Les cours de formation sur place visaient à donner des rudiments de principes de commandement aux rangs inférieurs et servaient de filtre grâce auquel les meilleurs furent choisis. Ces derniers, après un certain temps dans l'organisation, étaient envoyés – pendant leurs périodes de congé – en France, et les plus distingués étaient envoyés se perfectionner en Israël. Les stages en Israël, comme en France, devaient devenir une tradition, accueillant des recrues de Tunisie, d'Algérie et du Maroc – les originaires du Maroc étant toujours majoritaires. Les moniteurs dans ces cours étaient des officiers de Tsahal, soit des étudiants israéliens en Europe, soit des hommes du Mossad. Ils transmettaient aux recrues les rudiments de la science des combats sous ses divers aspects. Les programmes étaient naturellement adoptés aux conditions dans lesquelles ils devaient travailler à leur retour dans leurs pays et au niveau des recrues. Parallèlement à ce programme, ils recevaient des conférences sur l'histoire juive, le sionisme et la guerre de l'indépendance. En Israël, s'y ajoutaient les visites dans différentes villes et villages et l'exposition à "l'ambiance israélienne".

Dans ce melting-pot ont été formés les commandants de l'organisation, originaires de trois pays, qui devaient porter le fardeau des opérations, avec le petit nombre d'émissaires israéliens qui se trouvaient eux aux hauts postes de commandement. Ils devaient également s'occuper de la création de caches d'armes et des divers instruments de transmission et du maquillage des lieux de rencontre et d'entraînement. Le travail de recueil des renseignements, lui aussi du domaine de la Misguéret, devait également être en grande partie assuré par ses membres, de même que la participation aux opérations de la Alyah. Il n'était que naturel que la Alyah des juifs vers Israël – contre les édits des autorités marocaines – soit la chose la plus importante pour les unités de Gonen, de même que pour les mouvements de jeunesse pionnière.

 

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo– Les premiers Agents du Mossad au Maroc

  Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo- Les premiers Agents du Mossad au Maroc

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Les Cellules en Action

Que cela soit grâce à une propagande adéquate ou au bon sens sain des hommes de la Misguéret, on est vite arrivé à la conclusion que l'élimination de la diaspora juive au Maroc était la seule solution aux douloureux problèmes des communautés juives. Tout autre solution serait vaine, et tout celui qui voulait contribuer à la solution des problèmes de ses frères juifs au Maroc, et était associé à l'œuvre de la Alyah, s'est aperçu plus tard qu'il n'avait pas œuvré en vain. Si on est d'accord avec cette solution, on comprendra aisément les difficultés qu'aura la Misguéret à continuer à maintenir l'état d'alerte de l'auto défense parmi ses membres quand les autorités devaient, des années plus tard, autoriser presque totalement la Alyah, dans le cadre de l'opération Yakhine.

Nous avons déjà dit quelques mots sur l'âge minimal des membres de la Misguéret qui a d'ailleurs commis des dommages quant au nombre de recrues, les commandants préférant ceux qui étaient plus âgées, plus mûres et plus pondérées. Il semble inutile de préciser que tout le travail se faisait sur la base du bénévolat. Il faut aussi se souvenir qu'en cas d'arrestation, les membres de Gonen risquaient des peines plus lourdes que ceux des activistes de la Alyah clandestine, celle-ci ne constituant pas une infraction à la constitution au Maroc indépendant – en dépit des difficultés politiques qu'elle pouvait créer aux dirigeants – alors que la participation à une organisation clandestine armée constitue une atteinte à la sécurité du pays et une infraction grave à ses lois. De ce fait la participation des hommes de Gonen à la Alyah réduit au strict minimum nécessaire.

Quand l'organisation était au sommet de sa force, elle comptait des centaines de volontaires dans ses rangs, dont des dizaines de commandants. Des chiffres relativement modestes si on tient compte de la grande dimension du pays et de l'extrême dispersion des communautés juives. Certes cette force, avec le peu d'armes dont elle disposait, n'aurait pas été capable de repousser de nombreuses attaques armées aux heures de troubles, mais elle était suffisante pour arriver le cas échéant aux lieux de péril et entraîner derrière elle un plus grand nombre de juifs qui sans avoir subi de préparation militaire étaient disposés à se mobiliser en cas de nécessité. Par exemple quand le général De Gaule proclama en France le 16 septembre 1958 son intention au référendum sur l'avenir politique des colonies françaises d'Afrique du Nord, des informations furent recueillies sur l'intention des militants du FLN algérien d'assassiner des juifs à Casablanca pour attirer l'attention des médias sur la lutte pour l'indépendance de leur pays. La police marocaine prit aussitôt des mesures de précaution, mais la Misguéret n'y comptait pas beaucoup et mobilisa les sections de Gonen pour protéger les juifs du mellah de Casablanca.

Méir Knafo ajoute: "Dès que nous avons reçu les informations sur les plans des Algériens d'assassiner des juifs à Casablanca, nous avons été convoqués d'urgence par Ménahem Rak-Oz, alors commandant de Gonen. Il nous dit qu'on ne pouvait compter sur la police marocaine et que les membres de Gonen devaient patrouiller armés dans les rues du mellah et du quartier de la piscine municipale peuplé en grande majorité de juifs. J'étais responsable de la sécurité et de la défense des juifs dans ces deux quartiers.

Notre section comptait un certain nombre de membres dont, Jo Waknine, Raphy Vaknine et Yéhouda Attias-Doron. Nous avons sorti les armes de la cache – des revolvers, mitraillettes et grenades – et sur les instructions de Ménahem, nous avons préparé des dizaines de cocktails Molotov. Nous avons commencé à patrouiller dans les rues du mellah à bord des voitures de la Misguéret. J'avais fixé le poste de commandement dans le salon d'Albert le coiffeur, rue de la Croix Rouge, au cœur du mellah. Heureusement, il ne s'est rien passé – mais si les Algériens avaient essayé d'appliquer leur plan, nous aurions été en mesure de les repousser.

La même nuit, nous avons Jo, Raphy et moi, déposé les armes au poste de commandement de Gonen, Yéhouda se chargeant de les remettre le lendemain dans la cache. Le lendemain matin, Yéhouda en arrivant dans l'appartement, ne devait pas parvenir à en ouvrir la porte. Il en avertit immédiatement l'état-major. Vers huit heures du matin, arrive chez moi sans prévenir, David Bensoussan pour me demander de me rendre dans l'appartement pour vérifier pourquoi Yéhouda n'avait pas réussi à en ouvrir la porte, et si tout allait bien de ramener les armes dans la cache. David devait ajouter que l'on craignait que la police ne soit dans l'appartement et qu'il y avait une probabilité dans ce cas d'être arrêté et c'est pour cela qu'on m'avait choisi pour cette mission périlleuse. Ce choix devait théoriquement me flatter, mais de l'autre côté il pouvait tout aussi bien signer ma fin – il y avait en effet dans l'appartement des mitraillettes, des grenades, et un grand nombre de cocktail- Molotov.

 

Avant de dire au revoir à mon épouse, qui était enceinte de six mois de notre fils aîné Raphy, je détruisis toute preuve compromettante chez moi, y compris un revolver chargé. David m'a déposé devant l'immeuble où se trouvait l'appartement, et est reparti en toute vitesse en motocyclette. Je restai seul pour résoudre le problème. En entrant dans l'immeuble, il m'est arrivé quelque chose "d'amusant", le concierge qui était musulman m'a interpellé en me disant " il y a une heure, ton copain était là, il a essayé d'entrer dans votre appartement et n'a pas réussi à ouvrir la porte. Je lui ai proposé mon aide et il a refusé, je sais bien ce que vous faites dans cet appartement!"

En entendant cela, mon sang se glaça.

Et qu'est-ce que nous y faisons? lui ai-je demandé, reprenant mon sang-froid. Il m'a alors chuchoté à l'oreille: "la prochaine fois invite-moi à y participer !"

J'étais soulagé. J'ai supposé qu'il était sans doute homosexuel. En ne voyant entrer dans l'appartement que des hommes, jamais de femmes – et c'est une erreur dans le travail clandestin – il était convaincu qu'on y organisait des orgies.

 

Mais cela ne devait pas pour autant être la fin du cauchemar avec ce gardien trop curieux. Il a proposé de m'aider à ouvrir la porte et j'ai accepté. Il l'a ouverte d'un seul coup et rentra. L'appartement était vide, aucune trace de policiers. Mais mon sang se glaça à nouveau: en face de l'entrée se trouvait la cuisine et sur le marbre trônaient les 32 cocktails molotov que ont pris entre temps couleur de vin rouge. Ne perdant pas mon sang-froid, j'ai demandé au concierge s'il ne voulait pas prendre un bon verre de vin. Il m'a répondu effrayé – "que Dieu m'en préserve ! Tu sais bien que le vin est interdit aux musulmans!" et il est vite ressorti.

Je soupirai de soulagement alors que mon cœur continuait à battre très fort. Quand j'ai repris mes esprits, j'ai téléphoné à Jo Waknine pour venir m'aider. Nous avons ensuite descendu les valises dans l'ascenseur. Alors que nous attendions le taxi, le gardien nous a proposé, de nouveau, son aide. Il a essayé de lever une des valises et l'a vite reposée, car elle était trop lourde, nous demandant "mais qu'est-ce que vous transportez là?"

Je lui ai expliqué que c'était une machine à coudre électrique de marque italienne dont mon ami Jo était le représentant au Maroc, ajoutant: "Tu ne veux pas en acheter une?"

– Non, je ne ferais jamais entrer chez moi une machine électrique, une machine manuelle me suffit largement! La chance avait été une nouvelle fois de notre côté et nous avons déguerpi au plus vite. La première chose après avoir tout remis en place, fut de prendre un verre de cognac pour nous remettre de nos émotions.

 

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Emissaires sous "couverture"

Shlomo Yehzquiéli

Les nouveaux agents, en nombre grandissant avec la diversification des activités, ne devaient plus arriver au Maroc comme Israéliens, mais naturellement comme des étrangers d'une autre nationalité, munis de différents passeports, selon leur connaissance des langues notamment. La moitié d'entre eux était originaire des kibboutzim. De la première délégation de 1955, nous sommes restés deux à la fin. Vous vous demandez comment il est possible de rester Israélien dans ces conditions au Maroc?

Tout celui qui connaît de près le travail clandestin sait combien il est difficile pour un agent secret agissant dans un cadre limité, de changer d'un seul coup de passeport et de personnalité et d'en adopter une nouvelle – alors que sa photographie se trouve dans les fichiers de police des étrangers. La raison pour laquelle j'ai voulu rester, organiser l'action de la Misguéret et ne pas repartir au bout de quelques mois seulement, est que je m'étais attaché aux juifs du pays, aux hommes de la Misguéret, à ma fonction – au point de ne pas pouvoir imaginer de repartir si vite. Mes supérieurs en Israël avaient aussi un problème: ils n'avaient pas encore trouvé de candidat pour me remplacer. J'ai pu ainsi les convaincre sans difficultés, que dans les conditions particulières de l'organisation de la police marocaine, prenant la relève des Français dans les services de sécurité, je ne courais pas de grand risque. A la suite d'une rencontre à Gibraltar, il a été décidé que je devais quitter le pays pour adopter une nouvelle identité, et qu'à mon retour au Maroc je prendrai des mesures de sécurité particulières jusqu'à l'arrivée de mon remplaçant, quatre mois plus tard.

C'était à la veille de la Campagne du Sinaï, mais naturellement nous n'en savions rien – et rien non plus des relations étroites nouées entre Israël et la France, plus particulièrement entre les armées et les Services Secrets de ces deux pays. Ce n'est que quelques semaines plus tard, après l'éclatement des combats, que nous avons compris le sens des instructions strictes que nous avions reçues sur les contacts avec les services secrets français à Casablanca. Les rencontres étaient entourées de mesures de précaution exceptionnelles, de vérifications poussées, au point que mon représentant, pourtant un agent très expérimenté, avait failli ne pas arriver à toutes les rencontres prévues. Cette idylle ne devait pas durer longtemps. S'il y eut des contacts opérationnels fructueux avec des agents français, cela devait être sur une base personnelle, non institutionnelle. Les Français sont distants par nature et ne s'intéressent pas aux affaires des autres – contrairement aux gens du Sud, comme les Italiens et les Espagnols, qui sont plus ouverts et plus curieux.

Si mon C.V. était plausible, il n'en était pas de même de ma couverture professionnelle. Je ne m'étais jamais occupé de commerce et j'avais peu de connaissances sur le travail d'un agent commercial et sur la correspondance dans ce domaine. J'étais encore moins familier des appareils ménagers et industriels que j'étais censé commercialiser au Maroc. La société pour laquelle j'étais censé travailler m'avait appris beaucoup de choses, mais ce n'était pas suffisant. J'aurais pu théoriquement me perfectionner auprès des membres locaux de l'organisation, mais le temps manquait et je n'avais pas la tête à cela. Il ne me restait donc plus qu'à compter sur mes précautions et la situation peu reluisante des services de sécurité marocains.

Tout cela ne devait pas éviter des situations embarrassantes. Un jour que je déambulai dans une rue très fréquentée de Casablanca, un jeune juif devait me saluer de l'autre trottoir par un retentissant "Shalom, M. Yéhzquiéli, comment allez-vous?" Ce n'était pas très plaisant, mais pas catastrophique. A mon aide étaient venue la foule dense et le fait que peu de gens pouvait savoir que c'était de l'hébreu.

Je partais donc pour l'Europe pour me familiariser avec ma nouvelle identité, mes nouveaux papiers, mon nouveau C.V., ma nouvelle profession, les évènements marquants de mon "passé" et mes déplacements du temps de mon "enfance". J'ai étudié avec mes supérieurs de nouvelles méthodes d'action et j'ai rencontré le responsable de la Alyah, Ephraïm Shilo, un homme de grande expérience du temps de la Alyah clandestine d'Europe. J'ai de même rencontré Hasdaï Doron, le responsable de la Misguéret à Tanger, et Hertzel Sher, le commandant de la Misguéret à Gibraltar, qui tous deux étaient indépendants de l'organisation au Maroc. Nous avons pu ainsi analyser ensemble les avantages et les inconvénients des différentes voies de sortie possibles du Maroc. A ma sortie d'un petit aéroport européen, on m'a pris mon passeport et demandé poliment d'attendre. Tous les passagers devaient passer les formalités et je restais en arrière, pas très rassuré, préparant ce que devrait être ma réaction. Après dix longues minutes, on me rendit mon passeport avec un grand sourire. A ce jour je ne sais de quoi on m'avait soupçonné.

A mon retour au Maroc, je me sentais plus sûr qu'auparavant comme Israélien. Cette fois je n'avais pas besoin de m'inscrire dans les services de police, et de ce fait ils n'avaient plus ma photographie dans leurs archives. Pour plus de précaution, j'ai débarqué à l'aéroport de Rabat et pas à celui de Casablanca. Je me suis installé dans l'appartement que l'on m'avait préparé. J'ai essayé de ne pas demeurer longtemps dans le même lieu, pour ne pas me faire trop de connaissances. J'habitais quelques jours par semaine à Rabat, le reste du temps à Casablanca. Je voyageais également dans d'autres villes et régions. Je choisissais toujours ma résidence dans les quartiers européens. Ma couverture professionnelle était satisfaisante et j'ai même réussi à l'améliorer d'une manière imprévue, avec l'aide de l'une de nos premières recrues dans la ville portuaire d'Agadir, un membre qui dénotait dans l'organisation.

Dans cette station estivale à 500 kilomètres au sud de Casablanca, vivait un jeune juif français – petit-fils d'un rabbin hollandais – du nom de Jacques Wajnaar. Après son service militaire dans la Légion Etrangère, il s'était installé dans son ancienne région de service – comme l'avaient fait d'autres légionnaires au sud du Maroc et à la lisière du Sahara. Quelques mots sur la Légion Etrangère pour mieux comprendre la suite: c'est une unité de l'armée française qui recrute des étrangers et est considérée comme une unité d'élite, qui attire des aventuriers au passé douteux ou ceux qui veulent acquérir ainsi la nationalité française.

La Légion Etrangère était surtout active dans les colonies françaises d'Afrique et de l'Extrême Orient. Les anciens de la légion restaient à jamais liés entre eux et s'entraidaient même après leur libération. Ils étaient le plus souvent adhérents de l'Amicale des Anciens de la Légion qui organisait des rencontres sociales, veillait aux droits de ses membres et à l'aide mutuelle. La loi non écrite était d'aider son prochain sans poser de question. Notre ami d'Agadir était actif dans l'Amicale et m'a procuré une carte de membre officielle en bon et dû forme et l'insigne de la Légion, il m'a donné tous les détails sur l'unité dans laquelle "j'étais censé avoir servi", des photos de groupe, des insignes et les grades que chacun est censé conserver pour ses petits-enfants (je les ai encore). Ces documents et ces insignes équivalaient à une assurance-vie – du moins en Afrique du Nord où étaient nombreux les anciens de la Légion et cela a contribué à renforcer mon assurance et ma tranquillité.

 

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Arrestation par les gardes-frontière marocains avant le franchissement de la frontière

Elie Peretz

Arrestation par les gardes-frontière marocains avant le franchissement de la frontière

Elie Peretz

Témoignage d'Eli Peretz, né en 1916, tel qu'il a été recueilli par Meir Knafo. Eli a été reconnu Prisonnier de Sion.

Début 1961, avec toute ma famille et des dizaines d'autres Juifs, j'ai été transporté par les "Sionistes" dans une camionnette fermée, en direction de la frontière nord du Maroc, afin de nous faire franchir les frontières du pays. A un point situé avant la frontière, ces 51 Juifs – dont moi – furent interceptés par la police. Nous fûmes amenés au poste de police de Nador.

J'y fus longuement interrogé par les hommes de la police secrète. Tout l'argent que j'avais sur moi, provenant de la vente de mon camion, me fut enlevé sans m'être jamais rendu. Je fus emprisonné un mois environ et cruellement torturé. Sur l'intervention du président de la communauté, je fus libéré avec ma famille et demeurai provisoirement à Casablanca. Au bout d'un certain temps, des militants clandestins vinrent une fois de plus nous voir et nous firent sortir du Maroc vers Ceuta, puis vers Gibraltar et la liberté. J'arrivai en Israël au mois d'Eloul 1961. Depuis, je me suis adressé à de nombreuses reprises au Premier ministre, au président de la république et au président de l'Agence juive en leur demandant, mais en vain, de m'aider. Personne ne m'a répondu à ce jour. Les deux seules lettres reçues émanaient de madame Yaffa Hatina, du département des Prisonniers ce Sion. Depuis mon arrestation, je souffre de diverses douleurs et maladies et récemment, ma main droite s'est retrouvée paralysée.

Meir Knafo: "Ici se termine le résumé du récit de monsieur Elie Peretz. Après avoir posé à monsieur Peretz de très nombreuses questions, j'ai tendance à croire en sa version. En effet, début 1961, nous avons connu une période difficile, et nous fûmes contraints d'utiliser également des camions conduits par des passeurs espagnols et parfois arabes, afin d'évacuer les immigrants par la frontière septentrionale vers les enclaves espagnoles. Plus d'une fois, ces véhicules furent interceptés et les Juifs qui se trouvaient à bord furent arrêtés et cruellement torturés.

Je demande à la commission de reconnaître monsieur Elie Peretz comme Prisonnier de Sion. C'est là ma recommandation." En effet, Elie a été reconnu par la commission deux mois plus tard.

Arrestation par les gardes-frontière marocains avant le franchissement de la frontière

Elie Peretz

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