Mon passe marocain-Aida Pinto
C’est a Paris, en 1977, dix ans apres le depart du Maroc, que, Maman, Aida Pinto, ecrit ses memoires pour retrouver le temps perdu – son passe marocain – mais surtout celui d’ une petite communaute heureuse et protegee. Elle sait qu’ elle fait partie integrante d’ une Histoire universelle qui a bouleverse son histoire personnelle sans en detruire les fondements. Elle sait que sa famille a choisi d’ emigrer en France, terre de sa culture et de ses ideaux. Elle sait que ses racines juives lui donnent des ailes pour vivre dans ce monde nouveau qu’ elle ne decouvre plus en touriste, mais en residante. Elle sait ce qu’ elle a perdu mais elle garde precieusement le livre de ce passe dont elle tourne les pages nouvelles chaque jour. En 1977-1978, date de la redaction du livre, ses trois enfants ont quitte la maison et leur terre d’accueil, la France, pour d’autres horizons, encore provisoires: les Etats-Unis, pour Jimmy; l' Espagne, pour moi; les etudes a 1’ etranger pour Sarny. Les petits-enfants ne sont pas encore nes: «Mami Alda» n’ est pas encore nee. Elle n’ est plus la fille de Pinhas et de Luna Toledano qui sont decedes, mais elle est toujours epouse, mere, soeur, tante, amie de tous ceux qu’ elle aime. En fait, elle se situe dans un tournant de son histoire personnelle: elle a cinquante-quatre ans, c’ est 1’ heure des bilans, mais son optimisme naturel la
pousse à regarder en avant l’inconnu et l’avenir. C’est pourquoi, lorsqu’en 1987, elle revient au Maroc pour vider la maison de la mère de son mari Jacques, Esther Pinto, elle peut écrire, le cœur lourd et léger à la fois :
« Ce passé est dépassé ».
C’ est une grande force que de pouvoir aller de l' avant, chargée de tout ce que le passé lui a donné. Cette charge semble invisible, mais elle est là, en elle. Aida est habitée par ce passé qu’elle a transformé tous les jours de sa vie en lui donnant les couleurs du temps : elle a conservé le goût de l’union familiale, le goût des plaisirs de se retrouver entre proches ou amis, le goût du soleil, des bains de mer, des parties de bridge, le goût de la lecture, de la culture. Avec le temps, s’est affermie en elle la sagesse de vie que lui ont transmise ses parents : une droiture morale, côté père, un appétit de vivre, côté mère. Sa vie conjugale l’a épanouie : elle ne sera plus jamais la petite fille réservée de son enfance, elle est devenue la jeune femme, passionnément aimée, qui vit son mariage « comme une aventure », pas comme une solution ; puis, la mère de famille comblée par ses enfants. À Paris, sa curiosité naturelle est toujours en éveil : elle n’ arrête pas de lire, d’apprendre, de se cultiver. Toutes les techniques de la modernité l’intéressent: le cinéma, la télévision, les ordinateurs, plus tard. Mais, sa grande passion est la lecture où elle découvre la vie des autres, la vie des écrivains, l' univers de la littérature, que ce soit en français, en espagnol, en anglais ou en… hébreu, langue qu’elle adore lire.
Ce récit évoque un demi-siècle de la vie des Juifs du Maroc avant leur départ, dans les années cinquante ou soixante, essentiellement à Tanger et à Casablanca, deux pôles sociaux différents. Tanger est successivement la ville natale, la ville de refuge de 1939 à 1949, pendant la guerre, puis devient la ville de villégiature estivale. Tanger est le berceau des deux familles Toledano et Bénassayag et des deux familles Pinto et Serfaty. On y parle, entre Juifs, l’espagnol teinté de Haketia, mais on apprend à l' école d’autres langues européennes : l’italien, le français, l’anglais. Les Juifs ont des nationalités multiples et variées : espagnole, italienne, hollandaise, britannique, marocaine. Les Tangérois sont entièrement ouverts sur le monde extérieur mais vivent à la mode espagnole : promenades sur le boulevard, thés dans les maisons ou les salons de thé, bains de mer, promenades à la montagne… La vie communautaire est très riche: synagogues, œuvres de bienfaisance, visites aux parents et amis pour les fêtes. La vie publique est, elle aussi, très variée : les Juifs tangérois vivent aux côtés des légations étrangères, des réfugiés ashkénazes, des Espagnols chassés par la Guerre civile ou la misère.
Casablanca est une grande ville fondee et
développée par les Français. C’ est une capitale économique et commerciale qui attire des habitants de tout le Maroc. Nombreux sont les Juifs qui viennent s’y installer et qui y prospèrent en marge de ceux du Mellah. Les Juifs fondent une classe moyenne dynamique et moderne, influencée par la culture française, formée en France ou par ses écoles. Ils sont commerçants, employés, médecins, avocats, industriels. Cette jeune bourgeoisie juive vit bien ses loisirs sont les clubs de tennis ou de bridge, les piscines en été, les excursions dans les belles plages aux alentours ou à la campagne. Les Juifs casablancais restent entre eux, ils développent une organisation communautaire intense. Ils partiront vers les années cinquante et soixante en Israël, en France ou au Canada. Aïda et Jacques se meuvent entre ces deux villes qui représentent deux cultures, l' une espagnole et L' autre française et ils vivent dans un monde arabe en respectant des traditions juives, le regard tourné vers l' étranger. Complexité et diversité qui sont bien vécues. Cosmopolitisme qui deviendra, par la suite, presque une identité de substitution.
Dans ces pages, Aïda cherche à se comprendre elle-même et à comprendre les siens qui l' entourent. Elle évoque des disparus qui l' ont façonnée : la présence tutélaire et apaisante du père, Pinhas, la figure rayonnante et solaire de sa mère, Luna, ses frères, Samy, mort prématurément, Maurice, le complice, et Alegria, sa sœur, la compagne inséparable de son enfance. Elle retrace aussi la vie quotidienne d’une grande famille où les oncles, les tantes, les cousins sont étroitement liés par des liens d’affection et d’amour. Elle fait le portrait de ses amies, de ses cousines et de ses camarades de classe. Elle raconte les grands repas de famille, les merveilleux séjours de ses neveux dans la villa de Casablanca, les thés de dames qui réunissaient les amis de sa mère dans le jardin, les promenades sur la côte à Casablanca, les folles sorties avec les amis de toujours. Elle raconte F histoire d’une belle vie où tous les moments ont été vécus pleinement. Elle n’ occulte pas les peines et les malheurs, la faillite de sa famille, les deuils, le déclin de sa mère. Il lui semble qu’ils sont, en quelque sorte, la rançon du bonheur. Elle n’ arrête pas de remercier les siens de lui avoir donné une vie protégée, préservée. La découverte de l' Holocauste est un choc fondateur : elle comprend la chance d’avoir été préservée. Elle comprend aussi la fragilité du destin historique de son peuple. Elle possède une force étonnante de vie et d’intelligence qui lui permettent de se tourner vers l' avenir. Elle décide d’être le témoin de son passé, mais si on lit les petits carnets qu’elle écrit quotidiennement pendant toute sa vie, on s’aperçoit qu’ elle est surtout l' actrice infatigable d’un présent vécu intensément. Elle ne consacre pas beaucoup de son temps à l’introspection, elle se donne plutôt à tout ce que la vie lui présente, jour après jour, avec le même appétit de connaître et de jouir du moment présent.
Mon passe marocain-Aida Pinto
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