Une qasida historique sur l'expulsion des Juifs d'Oran en 1669-PAUL B. FENTON -2/4

 

Le Manuscrit

La qasida anonyme est conservee dans le manuscrit Opp. Add. 4to 85 (Neubauer 1191), un recueil de poemes liturgiques datant vraisemblablement du XVIII• siecle. Selon Neubauer, celui-ci serait le deuxieme volume du ms. Opp. Add. 4t0, 87 (Neubauer, 1089), un mahazor de rite oranais'. Redige par plusieurs mains en diverses cursives nord-africaines, le manuscript contient 141 feuillets mesurant 17.5 x 12.5 ems (texte 15 x 9.5 ems). A partir du feuillet 102 figurent de nombreuses poesies en arabe dans !es genres zagal, berw{J/, !Jarga, don! notre complainte forme la piece finale. Celle-cl se presente en fait en deux versions successives qui comportent respectivement dix-sept

et dix-huit strophes. Vraisemblablement le scribe disposa de deux sources qu'il decida de copier bien qu'a quelques details pres elles soient d'une concordance parfaite. La premiere version couvre Jes feuillets 135a a 137b, tandis que la deuxieme version s'etend entre Jes folios 137b et 140a. Un entete indique qu' elle devait etre chantee dans le style du zagal, ayant comme !Jarga le modele du chant arabe populaire man runi gismi. Le texte est depare par un certain nombre de fautes qui laissent croire que le scribe n'etait plus familier avec le chant et son langage. Suite a l' effacement de l' encre, certains passages sont mal conserves, et leur intelligence nous a echappe.

En depit de son interet historique, cette qasida, qui appartient a un certain genre evenementiel atteste dans la poesie juive nord-africaine, n'a pas encore donne lieu a une elude approfondie. l' emotion saisissante qu' elle degage, suggere qu' elle fut ecrite, soit en Afrique du Nord, soit en exil, par une des victimes meme de cette tragedie. En effet, certains versets, exprimant le drame intense provoque par la soudainete de I' expulsion, sont formules  a la premiere personne. II est aussi vraisemblable qu'elle_ fut compose comme quinah pour etre chantee parmi les lamentations commemorant la destruction du Temple le neuf Ab. Du reste, ce jour funeste du calendrier juif est rappele dans le corps de la qasida. Celle-ci est precedee au Feuillet 134b, d'une introduction poetique dont voici la traduction:

Au mois de Nissan eut lieu l' expulsion.

Ce desastre survint un jour de dimanche, ·

acculant les Juifs a quitter Oran.

La reine donna I' ordre au nom du souverain

de nous embarquer dans le navire,

dans lequel nous fumes emportes.

Je supplie le Seigneur, qui nous prend en pitie,

[ … ] de pardonner nos peches.

 

Si ce recit poetique concorde dans ses grandes lignes avec les autres versions, il comporte neanmoins certains details qui ne sont point enregistres par ailleurs.

Sur la demande du marquis de Los Velez, des navires arriverent de Carthagene, transportant les troupes chargees d' effectuer I' expulsion. L'infanterie occupa, a grand bruit militaire, la place principale de la ville le 31 mars 1669. Au son des trompettes, des fifres et des tambours, le gouvemeur general, le marquis de Los Velez, fit son entree sur la place, decoree pour la circonstances de bannieres et d' etendards. Le premier

greffier de l'hotel de ville fit lecture de l' edit d' expulsion qui ordonnait que «tous Jes Juifs qui habitent cette citee avec leur famille, enfants et epouses, dans les huit jours qui suivront cette proclamation, c' est-a-dire jusqu' au lundi du mois prochain, doivent la quitter et entreprendre le voyage sur Jes embarcations». Alors que la population chretienne se congratulait, les Juifs furent plonges dans un profond desarroi. Ne disposant pas du temps necessaire pour vendre leurs biens a juste valeur, ils furent mines. Le mardi 16 avril au matin, brandissant l'etendard de l'Inquisition et accompagnee d'une fanfare de trompettes et de tambours, la troupe se mit en marche en direction de la plage. Precedee par la cavalerie, l' arriere fut fermee par le marquis Los Velez et la noblesse de la ville. Arrivee a I' entree de 1a juiverie, elle intima aux Juifs l' ordre d' en sortir. Rassembles entre les fantassins et la cavalerie, les malheureux furent honteusement conduits sous les railleries de la population maure jusqu'a la plage, ou une  douzaine de barques les attendaient. Famille par famille, les Cansino en tete, ils monterent dans les vaisseaux.

L' embarquement des 466 Juifs, dont la plupart etaient des femmes et des enfants, dura la plus grande partie de la joumee. Au cours du transfert a bord, les biens des expulses furent partiellement subtilises. Enfin, les navires prirent le large, acclames par la joie populaire, les salves des canons de laforteresse, les detonations des arquebuses et les accents du choeur et du clerge, revetu de leurs habits sacerdotaux. Une fois sur le navire, les expulses decouvrivent qu ils devraient payer eux-memes un prix exorbitant pour le fret..Leur navire etait pourtant sans defense, et en mer il faillit etre aborde par une fregate turque qui les prit en chasse jusqu'a ce qu'ils fussent en vue de la cote espagnole. Interdits de debarquer dans un port hispanique, ils durent accoster a Villefranche [Nice], car ils n'avaient aucune licence pour entrer dans les ports de Genes ni de Livoume, destinations qu'ils auraient preferees.

Ainsi Oran fut vide de ses Juifs. Leur quartier fut transforme en demeures chretiennes et leur synagogue consacree au culte catholique.

Une qasida historique sur l'expulsion des Juifs d'Oran en 1669

PAUL B. FENTON -2/4

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