Il etait une fois le Maroc-D. B.


Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010-. Il n'y avait pas de respect pour les souverains marocains?

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Pierre Loti, auteur de magnifiques descriptions du Maroc dans son ouvrage Au Maroc publié en 1890, en avait pourtant une vision d'ensemble plutôt négative : « Sitôt que l'on a franchi le fleuve Sebou, on a l'impression d'être séparé davantage du monde contemporain et d'être enfoncé plus avant dans le sombre Maghreb… Sur ces lointains si sombres, comme nos tentes sont blanches !»

Dans l'essai Histoire de l'Afrique septentrionale publié en 1888, Ernest Mercier conclut : « Ce vaste empire n'a aucune cohésion; les prétendants sont prets a surgir de tous les cotes et les luttes intestines peuvent recommencer a toute heure… Et cependant, toute nation europeenne qui voudrait en entreprendre la conquete se heurterait a de bien grandes difficulties en raison du caractere independant des populations et de l'aprete des montagnes qui couvrent le pays comme d'un reseau. Combien de dechirements interieurs seront-ils encore necessaires pour que la civilisation puisse y penetrer et transformer cette riche et belle contree, reservee indubitablement a un grand avenir? »

Dans son ouvrage El Moghreb Al Aksa paru en 1989, le Beige Edmond Picard se revolta contre l'exotisme de convention, notanunent de la part des ambassades qui aimaient relater la presentation de leurs lettres de creance a la Cour du Royaume du Maroc. C'etait un esthete raciste qui deplora la syphilis architecturale marocaine, les maisons semitiques sans fenetre contrastant avec les maisons aryennes (sic) dont les fenetres sont percees aux quatre points cardinaux. Les ruelles labyrinthiques etaient a ses yeux des fistules malpropres. Les marabouts etaient des niches a chien ou on allait parfois dormir dans une auge betonnee et les minarets etaient des naifs hommages dresses sur l'autel grossier des primitifs. Fes? Un madrepore immense. La Kasbah de Meknes? Elle exhalait une symphonie de pestilence. Le marche de Tanger? Fienteux. Le Marocain? II a la boue pour parure, les pestilences pour parfum et les djellabas couvrent les epaules de spectres en linceuls jaunatres. Les femmes juives? Elles ont la physionomie placide de genisses douces. Les vieillards juifs? Des chassieux a massif busc nasal degageant une odeur fauve. Le mellah? II represente le cauchemar d'un batisseur hallucine petrissant le bizarre et l'immonde. Enfin, le chaotisme berbere etait mis en opposition a l'admiration sans borne devant les ruines romaines qui symbolisaient une grande civilisation.

Les initiatives privees et pour le moins singulieres de l'attache consulaire de France a Tanger Ladislas-Symphorien-Joseph Ordega meritent d'etre mentionnees. Dans plus d'un sens, il mit la charrue avant les boeufs en appelant tres tot a l'occupation du Maroc. Il parla des «germes de dissolution et de mort qui menacent le Maroc… une monstrueuse anomalie aux portes de l'Europe » et proposait de se mefier de l'Espagne et surtout de la perfide Albion pour garantir la securite de 1'Algerie. «Entre les resistances inertes de l'Espagne et les menees envahissantes de l'Angleterre… il faut faire accepter au souverain de ce pays le protectorat de la France.» Ce consul impetueux alia meme jusqu'a envisager la revolte du cherif de Ouezzane contre le sultan Historiquement et notamment sous le regne de Moulay Isma'i1 au XVII; siecle, les prestigieux cherifs de la confrerie idrisside de Ouezzane chercherent a affirmer leur independance, mais ils finirent toujours par se plier devant le sultan. Les conseils du Consul Ordega furent ignores u le Ministere des Affaires etrangeres frangais.

L'Anglaise Frances Macnab visita le Maroc et rapporta ses — pressions dans Fouvrage A ride in Morocco. Entre autres remarques, elle avanca : « Le concept de pillage et de piraterie comme des moyens de commerce legitimes est ancre dans toutes leurs affaires (des Maures), et j'ai entendu des marchands maures grassouillets et paisibles nentionner avec suffisance la loi mahometane en vertu de laquelle toutes les nations qui n’embrassent pas l'islam devaient leur payer un tribut… La corruption est dans le sang et les os des Maures… Les caids ont eu l'exemple de nombreux saints dont les tombes sont eparpillees dans le pays et dont la vie sert d'excuse, ou plutot sert d'argument en faveur du vol et de la violence en tous genres… » Elle deplorait le statu quo preche par certains diplomates, car il signifiait pour elle « 1'existence d'une bande d'officiels rapaces et cruels appelee la Cour cherifienne, qui volent et oppriment les pauvres, trichent les marchands etrangers quand ils le peuvent, et fraudent le sultan. » Cela dit, elle souhaitait une plus grande presence de la Grande-Bretagne et s'inquietait de la presence grandissante de 1'Allemagne et de la France au Maroc. Elle raillait la propagande de la France et de la presse en general dont les descriptions recurrentes d'attaques a la frontiere algerienne du Maroc et l'exageration de la portee de certains incidents diplomatiques visaient a rendre inevitable l’emprise francaise sur ce pays :«En depit des grandes declarations sur le maintien du statu quo, la France sape 1'autorite du sultan par tous les moyens possibles, depuis les colporteurs juifs jusqu'au stupide cherif de Ouezzane et aux Algeriens – en tant que proteges francais – soudoyes au service des Frangais. Tous peuvent etre utilises comme instruments pour decontenancer les autorites maures et nuire au prestige du sultan.»

Par ailleurs, le temoignage quelque peu divergent de l'Anglaise Emily Keene qui epousa le cherif d'Ouezzane et qui connut le Maroc de tres pres – elle y vecut plus de quarante ans – est des plus interessants. Elle ecrivit dans ses memoires My life story, Emily Shareefa of Wazan publiees en 1912 : « La corruption est la malediction des tribunaux, et contamine le pays d'une extremite a l'autre.» En ce qui concerne les femmes, elle dit:«L'ignorance, specialement chez les femmes, est deplorable. Elles suivent la routine religieuse de facon automatique, mais 99% d'entre elles n'ont aucune connaissance theologique. » Elle ajoutait: « Beaucoup de preceptes (de l'islam) sont les meilleurs. Le monde serait combien plus heureux s'ils etaient suivis. Mais helas ! L'islam en theorie et l'islam en pratique different grandement. Le conservatisme de la foi islamique interdit tout progres et est responsable de la stagnation seculaire.»

II y eut egalement un courant catholique qui s'inspirait des ecrits des Peres de 1'eglise tel Saint-Augustin et des martyrs d'Afrique tels Saint- Cyprien, esperant que les Berberes retoumassent a la foi catholique. En 1875, le cardinal de Lavigerie, archeveque d'Alger exhorta les croyants a batir un sanctuaire sur le tombeau du pieux roi St-Louis a Tunis et de graver en lettres d'or ses demieres paroles : « Oh, et qui nous donnera de voir la foi chretienne prechee a Tunis?» II fonda la societe des missionnaires des Peres blancs en 1868, pousses a se meler a la population locale et a oeuvrer dans les domaines des services sociaux, des dispensaires des ecoles et le developpement rural. Le Comte de Lambel ecrivit en 1876 : « La civilisation du pays (1'Algerie) sera la consequence de sa conversion au catholicisme.»

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Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010 -C'est sous la Troisieme Republique que l'expansion coloniale prit son essor

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C'est sous la Troisieme Republique que l'expansion coloniale prit son essor

Sous la Troisieme Republique, Gambetta crea en 1881 un sous- secretariat aux colonies. Pour lui, l'expansion outre-mer signifiait le rayonnement dans la vie du dehors, car si cette vie s'arretait, c'en serait fait de la France. Pour  le depute Jules Ferry, les races superieures avaient le droit et le devoir de civiliser les races inferieures. Pour lui, le monde etait ouvert a la concurrence coloniale : « Un mouvement irresistible emporte les grandes nations europeennes a la conquete de terres nouvelles. Aujourd'hui, ce sont des continents que l'on annexe. La politique coloniale est une manifestation internationale des lois eternelles de la concurrence.״ A 1'argument economique s'ajoutaient des considerations d'ordre politique : « Rayonner sans agir, sans se meler aux affaires du monde, (…) c'est abdiquer, et, dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c'est descendre du premier rang au troisieme et au quatrieme… » Georges Clemenceau se revolta contre cette vision, soulignant l'hypocrisie visant a justifier la violence au nom de la civilisation et a bafouer le Droit: « Ne parlons pas de droit, de devoir. La conquete que vous preconisez, c'est l'abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s'approprier 1'homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du pretendu civilisateur. Ce n'est pas le droit, c'en est la negation. Parler a ce propos de civilisation, c'est joindre a la violence l'hypocrisie.״

Le Groupe colonial de la Chambre fut cree en 1892 et, un an plus tard, l'Union coloniale frangaise etat formee, regroupant les maisons frangaises ayant des interets aux colonies. L'Ecole coloniale fut fondee en 1896 pom y former des administrateurs et des magistrats de la France d'outre-mer. On y vantait la grandeur de la France, sa mission humanitaire et les debouches economiques. Seul Clemenceau s'opposa au colonialisme, car dit-il, « Gambetta avait fait… de la colonie pour detourner 1'elite de notre armee sur le Rhin.» Mais il resta minoritaire et l'on vit de plus en plus la possession d'un empire colonial comme un element supplemental de puissance plutot qu'un facteur d'affaiblissement du fait qu'il aurait conduit a negliger l'adversaire principal qu'etait l'Allemagne. Vers la fin du siecle, le Parti colonial previt qu'il fallait se preparer sans delai a profiter de la desagregation du Maroc.

Rene Millet, qui fut Resident general en Tunisie ecrivit en 1913 : « Le Maroc, comme la ville de Tanger, croupit dans l'ordure. Casablanca est une ville infecte et les routes du pays sont insecurisees. De son temps, on se targue de ce que le mouvement civilisateur de la France reforme autour de la Mediterranee, l'anneau brise de l'Empire romain et qu'il est juste que la France ait droit a l'honneur et au profit. S'ils ne sont pas encadres, guides et instruits par les colons, les indigenes retomberont bientot dans l'ancienne barbarie, !'oppression seculaire et systematique en plus d'etre ranges par les plus affreuses maladies, le legs des tares paternelles, les ophtalmies, les petites veroles et le reste, cette absence complete de la plus elementaire des hygienes. Ce pays? Rapine en haut et brigandage en bas ont opere pendant quatorze siecles une destruction methodique de ce qui fut a 1'epoque romaine le plus admirable jardin du monde. Quatorze cents ans de sauvagerie sur un sol jadis ensemence par l'Europe et presque autant d'annees d'un gouvernement qui prenait tout et ne rendait jamais rien, vingt ou trente invasions, des guerres continuelles entre voisins, entre freres et puis, quand la terre fut a peu pres epuisee, le brigandage porte sur la mer et jusque sur les cotes d'Europe.»

Pour l'arabisant Auguste Moulieras, les Arabes etaient inassimilables, mais il desira les faire rentrer dans la sphere d'influence de la France. Il proposa de laisser la population a ses lois, ses coutumes et ses juges, mais d'en faire une armee de 300 000 epees qui feront de la Patrie (La France) la maitresse du monde ! « Et ce, bien que le Marocain oppose a 1'activite febrile de l'Occident et a son ideal moral et social 1'entetement formidable et calcule de son aveuglement religieux, sa volonte bien arretee de ne subir aucune nouvelle evolution, aucune lumiere venue du dehors, continuant son sommeil commence il y a bientot treize cents ans, sommeil qui fut interrompu seulement par la demi-nuit, ou plutot par le clair de lime de la demi-civilisation arabe.» Nous retrouvons le regard denigrant envers les indigenes dans 1'ouvrage de Leon Souguenet Le dernier chameau- Voyage au Sahara edite en 1927: « L'Arabe, comme le Turc, a sterilise la terre partout ou il a passe.»

Dans son livre critique Le Maroc sans masque publie en 1933, Gustave Babin mit a jour un grand nombre d'injustices au sujet desquelles le Protectorat fermait les yeux, et notamment les tres serieux abus du Pacha de Marrakech Thami el Glaoui qui collabora ouvertement avec l'armee franchise.

En 1935, le Marquis de Segonzac decrivit en ces termes le Maroc precolonial: « Le Maghzen, ce sont les vizirs ou ministres, les pachas, gouverneurs des villes, les cai'ds, gouverneurs des tribus, et tout le personnel qui les assiste. Tous ont achete leurs charges, et n'ont d'autre souci que d'en recuperer le prix, d'amasser une fortune et de l'enfuir dans quelque discrete cachette. De temps en temps le peuple exaspere se revolte et massacre ses maitres, D'autres, pis encore, leur succedent… La venalite regne partout. Tous les caids, pachas, cadis qui ont mission de rendre la justice, sont prevaricateurs et concussionnaires. Leur cruaute est feroce; les murs des villes sont pavoises de tetes coupees. On rencontre sur les marches de lamentables theories de mutiles, d'aveugles, de prisonniers charges de lourdes chaines. Toutes ces horreurs constituent, le plus souvent, le procede d'extorsion a l'aide duquel le puissant «tond» le faible.» Pour repondre aux belles ames de la Metropole qui preconisaient de faire elire des representants maghrebins au Parlement (certains allaient jusqu'a dire : « Comment aller vers ces etres sauvages et leur donner notre ame?»), tout retard au traite de Protectorat avec le Maroc ne ferait que donner aux fonctionnaires du Makhzen l'entiere licence de continuer leur brigandage seculaire. Le corps d'occupation protegerait les colons mais aussi les indigenes contre eux-memes. Pour lui, les Nord-Africains n'etaient pas murs pour la democratic, car ils ne respectaient que la main forte. « Ainsi, au moindre signe de faiblesse donne par le gouvemement cherifien, le scenario suivant se constitue : les Berberes tombent sur Fes la capitale et, quand ils ne parviennent pas a s'en emparer, ils l'affament en coupant les routes et en faisant le vide autour d'elle. De plus, les pretendants poussent partout, aussi drus que l'herbe au printemps. De toute fagon, en Perse, en Espagne ou ailleurs, l'lslam n'a donne jadis ses beaux fruits qu'en acceptant la greffe d'une race et d'une civilisation differente.»

Une etude particulierement fouillee du Maroc a 1'ere precoloniale pourra etre trouvee dans les ouvrages Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain, 1830-1912 d'Abdallah Laroui et The Origins of the Morocco Question 1880-1900 de Frederick Parsons.

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Il était une fois le Maroc-David Bensoussan-2010- Les contacts entre le Maroc et les pays europeens au XIX e siècle

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II y eut donc des personnes qui se demarquerent de la ligne officielle

II se trouva meme des personnes courageuses tout comme Paul Soleillet qui proposa de mettre fin au douloureux probleme de l'esclavage en Afrique occidentale. Pour cela, il proposait aux philanthropes et aux antiesclavagistes d'acheter les esclaves, de les faire travailler un certain temps avant de les liberer, afin de transformer et de peupler le Sahara et d'abolir ainsi l'esclavage…

Comment la France envisagea-t-elle l'occupation du Maroc?

La politique francaise au Maroc se dessina donc en tenant compte des elements suivants: chercher les avantages economiques pour la France, contenir les ambitions espagnoles et les visees de 1'Allemagne sans porter atteinte aux interets essentiels de l'Angleterre. Pour cela, la formule (creuse) de preservation de l'integrite territoriale du Maroc permit d'eluder une certaine mefiance des puissances quant aux ultimes visees de la France et de l'Espagne qui allaient en bout de ligne se partager le Protectorat du territoire marocain.

Quelle fut la reaction des autochtones?

Les colonises n'etaient pas dupes. Ils savaient que, suite a l'accord signe avec les Allemands en 1911, les Frangais n'allaient pas tarder a demanteler le pays en faveur de l'Espagne. L'administration francaise decouvrit rapidement que les Maghrebins eduques a 1'ecole francaise pretendaient faire la lecon a la France et allaient jusqu'a manipuler le double langage. Selon Rene Millet, alors que la culture scientifique devrait les degouter de 1'islam, leur premier geste etait la formation d'une ligue pour la defense des institutions musulmanes. L'administration frangaise decouvrait que l'Europe pouvait etre combattue et meme vaincue avec … ses propres armes. On pourrait voir dans les mots que prononca en 1950 le general Juin, Resident general du Maroc une certaine mefiance des intellectuels lorsqu'il refusa de creer une universite au Maroc: « Le Maroc n'est pas encore apte a vivre intellectuellement de sa propre substance.״

Les opinions exprimees par la majorite des Europeens furent influencees par l'ideologie coloniale. Leur lecture etait-elle proche de la realite?

Pour comprendre le Maroc, il faudrait pouvoir en saisir la complexite des liens qui unissent pouvoir et societe. Ce ne fut pas le cas de la majorite des voyageurs. Pour se faire une idee plus precise de la realite, il faut se pencher sur la myriade de sources juives et musulmanes et les etudier de pres. Les recherches qui se font en Israel a l'institut Yad Ben Zvi de Jerusalem et dans les universites constituent une source d'informations abondante. La bibliographic des Juifs d'Afrique du Nord de Robert Attal de l'lnstitut Yad Ben Zvi ou celle d'Arrik Delouya sont des sources historiques importantes. Quant aux archives marocaines, une grande partie d'entre elles n'a pas ete cataloguee ou encore etudiees en profondeur. Les sources historiques mentionnees dans le chapitre d'introduction de l'ouvrage de Labri Kninah: L'evolution des structures economiques et sociales et politiques du Maroc au XIXe siecle (Fes : 1820-1912) ou celles qui sont repertories dans Les bibliotheques au Maroc de Latifa Benjelloun-Laroui donnent un apergu de rimmense travail de compilation et de synthese qu'il nous reste a accomplir en vue de mieux cemer la realite historique dans toute sa complexite. Aujourd'hui, la Bibliotheque nationale du Royaume du Maroc a Rabat est engagee dans le travail de collection et de conservation d'archives.

Par ailleurs, depuis 1921, les etudes savantes en histoire et en ethnographie furent assurees par L'lnstitut des Hautes etudes marocaines a Rabat. Dote d'une revue savante, Hesperis, cet institut remplaca l'Ecole superieure franco-berbere fondee en 1914; les recherches en sciences naturelles relatives au Maroc furent assurees par L'lnstitut scientifique cherifien; le comte Henry de Castries publia Les sources inedites de I'histoire du Maroc en 24 volumes dans lesquels il recueillit un nombre considerable de sources historiques couvrant la periode de 1530 a 1845. Les centres d'archives des ministeres des Affaires etrangeres en Europe et en Amerique du Nord constituent egalement des sources d'information de grande valeur, en particulier celles du Quai d'Orsay au ministere des Affaires etrangeres francais a Paris ainsi que les archives diplomatiques nationales de France a Nantes.

Pour revenir aux Europeens qui visaient l'expansion coloniale, leur lecture du Maroc ne faisait souvent que renforcer leur parti pris. Ce qui frappe dans les perceptions que les Europeens ont rendues par les ecrits est le manque de nuance qui, dans certains contextes, peut faire toute la difference. Le petit peuple etait ecrase par les exigences des autorites, tout comme les serfs en Europe furent a la merci totale des seigneurs au Moyen Age. Il arriva que l'islam fut instrumentalise a des fins politiques ou meme economiques et le petit peuple se laissa berner tout comme ce fut le cas de rinstrumentation de l'eglise par le pouvoir en Europe. Pour ce qui est des ecrits de l'epoque precoloniale, les Europeens qui n'eurent pas une image statique du Maroc furent peu nombreux. Si la colonisation francaise avait ete faite dans un esprit egalitaire et que l'on avait accepte l'indigene comme un egal en droit, peut-etre que les choses auraient evolue differemment, meme dans le cas de l'Algerie. Les benefices immediats de l'exploitation economique des masses indigenes firent eteindre bien des velleites egalitaristes et estomper les grands principes qni devinrent le motenr de la Revolution francaise.

INSTABILITE AU MAROC

Pourquoi tant d'instabilite dans le Maroc du XIXe siecle?

II est vrai qu'a la lecture des recits des voyageurs et des diplomates europeens, le Maroc semble etre dans la meme situation que l'Empire ottoman, « l'homme malade de l'Europe » et qu'il suffisait donc de peu pour le demanteler ou l'occuper. Qu'en etait-il vraiment?

L' ombre de la Conquete d'Algerie en 1930 et de la bataille d'Isly en 1844 aura plane sur le reste du siecle, car elle aura mis en evidence l'inferiorite militaire du Maroc. La guerre contre l'Espagne en 1860 et son humiliante conclusion n'auront fait que renforcer le sentiment que la monarchie n'etait pas capable de tenir tete aux puissances europeennes.

Lorsque 1'autorite du sultan faiblit, des groupements tenterent de s'approprier le pouvoir: les militaires boukharis jouerent un role determinant dans l'armee reguliere, et constituerent un facteur essentiel a la stabilite du regime. Beaucoup de postes dont celui de vizir, furent occupes par des Boukharis ou par des membres du Jaish de Fes dans la seconde moitie du XIXe siecle.

Certains personnages puissants tenterent la sedition. En 1859, Salam Al-Wazzani obtint du sultan Abderrahmane le droit d'administrer des provinces du Nord et la region du Touat. II s'y comporta comme un vice- roi et, suite a la guerre desastreuse contre l'Espagne en 1860 dont il fut le plus grand incitateur, il devint protege francais, se mit sous la protection de la France et ceci couta probablement au Maroc la perte du Touat rattache depuis lors a l'Algerie. Les velleites d'independance du Sous furent reprimees par le sultan Hassan Ie.

Il y eut des thaumaturges qui se rebellerent contre 1'autorite royale tout comme Bou Hmara qui, au debut du XXe siecle, fit faire la priere a son nom et ne fut defait qu'apres plusieurs batailles. Le brigand Raissouli n'en fit qu'a sa tete dans le Nord du Maroc. Bou Hmara et Rai'ssouli ne sont que des exemples – celebres – parmi tant d'autres.

Il y a egalement eu des revoltes rurales qui s'appuyerent parfois sur la solidarite tribale contre les representants du Makhzen. De plus, les crises de secheresse et de famine ainsi que des epidemies toucherent en premier les populations rurales qui se revolterent contre les representants du Makhzen. Il se trouva des personnes qui interpreterent la famine en 1857 comme un chatiment divin merite du fait que le sultan ait permis 1'annee d'avant d'exporter des grains a un pays non musulman: l'Angleterre. Ces revoltes furent durement reprimees. Suite a la guerre contre 1'Espagne, le Maroc dut payer une indemnite exorbitante. Cette lourde indemnite resulta en des taxes plus lourdes : un impot en argent fut leve qui n'etait pas assujetti au revenu de la recolte. Meme les citadins durent payer un impot indirect, le meks, destine a reorganiser l'armee. II y eut des emeutes a Fes en 1868, pour demander au sultan Hassan Ie 1'annulation de l'impot leve par son pere Mohamed IV. Devant ces reticences, l'historiographe 'Ali Al-Susi remarquait: « Quelle sottise de declarer illegale une contribution de defense alors que nous vivons dans une situation humiliante qu'aucun homme vraiment digne de ce nom ne devrait supporter ! » En 1873, les tanneurs de Fes initierent une revolte soutenue par les autorites religieuses et conditionnerent leur serment d'allegeance a l'abolition du meks. La residence du Ministre des Finances Mohamed Al-Madani Bannis fut pillee.

La balance commerciale connut un desequilibre plus important. Bien que les exportations de cuirs, d'huiles, de bestiaux, d'amandes et de dattes aient continue, le commerce caravanier transsaharien autrefois si prospere commenga a chuter rapidement, car les puissances coloniales pouvaient avoir directement acces aux produits de l'Afrique noire. Parallelement, !'importation de produits europeens augmenta sensiblement. A titre d'exemple, !'importation du the passa de 75 tonnes en 1874 a 275 tonnes dix ans plus tard. Celle des cotonnades augmenta de 9 a 15 millions de francs entre 1878 et 1884. Celles de sucre, de cotonnades et de bougies augmenterent sensiblement. Les depenses du Tresor s'elevaient a six millions en 1882. Elies passerent a vingt millions dix ans plus tard et a quarante millions en 1900. Qui plus est, les operations militaires exigeaient des fonds importants et le mecontentement des troupes en raison de la solde reduite n'etait pas sain. II devint imperatif d’emprunter a l'etranger. En 1907, la dette du makhzen s'eleva a trente-trois millions de francs. D'ou la dependance grandissante des sources de capital etrangeres.

De plus, les exigences de reparations aux proteges consulaires occupaient grandement le Makhzen. Parmi les Europeens qui venaient chercher fortune au Maroc se trouvait un nombre non negligeable d'aventuriers malhonnetes prets a abuser des privileges conferes par la protection consulaire. Mohamed IV se plaignait de ce que les marchands n'obeissaient qu'aux consuls et 1'historiographe Al-Nagiri remarqua : « Les representants des puissances ne cessaient d'importuner Hasan Ie avec toutes sortes de propositions: conseils futiles, requites deraisonnables, diminution des droits de douane… Face a l'Europe, nous sommes comme un oiseau sans ailes sur qui fond l'epervier.» Par ailleurs, les campagnes que fit Hassan Ie pour retablir l'ordre dans son pays alourdirent encore plus le fardeau des charges pesant sur les masses marocaines.

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II semble bien que le regne d'Hassan Ie se deroula dans une conjoncture cruciale. Quel homme etait-il?

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II semble bien que le regne d'Hassan Ie se deroula dans une conjoncture cruciale. Quel homme etait-il?

Hassan Ie etait dans sa trentaine lorsqu'il devint sultan. Ce fut un monarque pieux et bien intentionne ainsi qu'un erudit litteraire. Dans ses palais de Fes, de Meknes ou de Marrakech, des copistes s'affairaient a recopier d'anciens ouvrages. Lors de ses voyages, des copistes l'accompagnaient au cas ou un manuscrit rare tomberait entre leur main. Un harem considerable l'accompagnait egalement durant ses deplacements. Bien que 1'autorite du Makhzen ne s'etendit pas sur 1'ensemble du territoire, les recours au monarque trouvaient bonne oreille aupres du sultan Hassan Ie. Les visiteurs etrangers s’emerveillaient devant sa courtoisie et son affabilite extremes.

Hassan Ie tint a se montrer equitable envers ses sujets Juifs. II admonesta le gouvemeur de Tetouan pour 1'inciter a agir mieux envers les Juifs : « Observe une bonne conduite envers les Israelites. Conduis-toi a leur egard de la meme facon qu'avec tes administres musulmans. » Les Juifs etaient convaincus que le sultan etait anime d'un grand esprit de justice envers les demandes qui lui etaient adressees. On rapporte qu'un des fils du sultan s'etait endette outre mesure aupres de negociants juifs. Lorsque ces derniers le firent savoir au sultan, ce dernier demanda a ce qu'ils affirment sous serment a la synagogue qu'ils disaient la verite. Ce dont. II paya la dette de son fils rubis sur ongle. Dans un pays regi par la dhimma, ou le temoignage d'un Juif n'est pas considere valide, un tel comportement ne manqua pas de laisser un souvenir emu chez les Juifs du Maroc.

Hassan Ie fut un sultan actif qui realisa d’emblee que son autorite etait faible. On lui attribua la declaration: « Je serai empereur, meme si je regne sur des cadavres et des mines en flamme. » Son regne ne fut pas de tout repos. II sillonna le pays pour contenir des revoltes. D'abord dans le Rif, puis a Marrakech, puis a Oujda ou son harem fut capture. En 1878, la combinaison de la secheresse, de la famine et de l'epidemie du cholera contribua a la sedition. Dans les annees qui suivirent, le pays etait a bout de ressources. Bien que la convention de Madrid ait tente de mettre un terme aux abus de la protection consulaire, elle ne fut pas respectee. Ladite protection octroyee a un nombre croissant de personnes relativement nanties donnait droit a une exemption d'impots. Cela contribua a degamir encore plus le tresor public. L'anarchie et la peur des agents du Makhzen pousserent bien plus de citoyens a rechercher la protection consulaire. Par la suite, Hassan Ie reprima une revolte dans le Haut-Atlas, dans le Rif, puis dans diverses regions du pays. II fit deux expéditions militaires au Sous en 1882 et en 1883 afin d'y mater les rébellions sécessionnistes avec des résultats qui n'eurent pas d'effets durables. Il fonda la ville de Tiznit afin de faire concurrence à la ville dissidente d'Illigh par laquelle transitaient les caravanes commerçant avec l'Afrique noire. Puis ce fut au tour de la région du Tadla de se soulever. Sa dernière expédition dans le Tafilalet fut un désastre. L'armée souffrit de pertes énormes en raison de la chaleur torride et du manque d'eau. Plus des deux tiers du corps expéditionnaire de 40 000 hommes périrent. À son retour en 1894, il dut verser une indemnité de 650 000 livres sterling, réclamée par l'Espagne, à la suite d'incidents impliquant des Rifains.

Hassan Ie tenta, autant qu'il le put, d'éviter la modernisation du Maroc et n'accepta franchement la collaboration des Européens que lorsque celle-ci fut d'ordre militaire. Une mission militaire française fut invitée pour former des troupes aux frais du sultan. Ceci fut plus ou moins respecté en ayant recours à des équipements militaires dépassés. Cette mission militaire passa la majorité de son temps à faire des relevés topographiques et à recueillir des informations qui allaient servir à l'invasion du pays.

Hassan Ie dut maintenir l'équilibre entre les tendances à la révolte en pays berbère et celles de la pénétration des Européens. A la recherche d'appuis diplomatiques, il envoya une première délégation à Berlin en 1878 et une seconde en 1889. Il dépêcha une délégation marocaine au Saint-Siège en 1888 à l'occasion du jubilé sacerdotal du pape Léon XIII. En posant ce geste diplomatique, il pourrait avoir surestimé l'importance politique du Saint-Siège sur les pays d'Europe. Ses efforts ne parvinrent qu'à retarder la mainmise des Européens sur son pays et tant lui que son entourage demeurèrent impuissants face à cette adversité sur laquelle il n'avait que très peu d’emprise.

Il décéda en 1894. On cacha sa mort de façon à faire accepter l'héritier Abdelaziz aux notables réunis sans connaître l'objet de la rencontre. Le grand vizir Ba Ahmed agit comme régent. À sa mort en 1900, le jeune sultan Abdelaziz, alors âgé vingt ans, prit les commandes du pays.

En regard de l'instabilité au Maroc, l'historien Henri Terrasse écrivait en 1950 dans l'ouvrage Histoire du Maroc : « Le Maroc chérifien, prisonnier de son passé, ne faisait que prolonger ses traditions séculaires – sans excepter les plus nocives – et restait incapable de les dépasser. Dans ce pays divisé contre lui-même, la politique extrêmement conservatrice du Makhzen et la xénophobie des masses ne s'accordaient qu'en une volonté obstinée d'isolement. Le renouvellement ne pouvait venir que d'une force et d'une volonté étrangères au pays.»

II semble bien que le regne d'Hassan Ie se deroula dans une conjoncture cruciale. Quel homme etait-il?

Les contacts entre le Maroc et les pays europeens au XIXe siecle-Ambitions de l'Espagne.

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LES CONTACTS ENTRE LE MAROC ET LES PAYS EUROPÉENS AU XIXe SIÈCLE

AMBITIONS DE L'ESPAGNE

Les relations maroco-espagnoles s'envenimèrent au milieu du XIXe siècle

Avant d'aborder ce sujet, il faut mettre en perspective le fait que, suite à l'expulsion des Maures d'Espagne en 1502, l'Espagne tenta d'occuper des ports marocains de la Méditerranée : la presqu'île connue sous le nom de Penôn de Velez fut occupée en 1508 et en 1522 avant de devenir une possession espagnole en 1564. Les Marocains tentèrent de reprendre Melilla en 1565 et en 1774, mais sans succès. Les Espagnols occupèrent également Ceuta en 1640, cette enclave ayant été préalablement occupée par les Portugais depuis 1415. Enfin, la ville de Larache fut donnée en gage à l'Espagne en 1610 pour cautionner un prêt fait au sultan saadien, mais elle redevint une ville marocaine à la fin du XVIe siècle.

Revenons à notre sujet : en 1856, le Maroc refusa de dédommager l'arraisonnement d'un navire espagnol qui s'était soldé par plusieurs morts et blessés. Sept Espagnols étaient maintenus en otage. La presse madrilène rappela l'exécution par les autorités marocaines de Hayim Victor Darmon agent consulaire d'Espagne à Mazagan en 1844. A cela s'ajouta l'envie de ne pas laisser la France conquérir pour elle seule les pays du Maghreb. L'influence de l'Espagne au Maroc fut toutefois limitée, car l'Angleterre et la France développèrent d'importants marchés commerciaux avec ce pays. Mais l'Espagne du XIXe siècle, essentiellement rurale, accusait un retard industriel important et ne pouvait faire concurrence aux autres puissances de l'Europe de l'Ouest. De plus, le Makhzen décourageait les échanges avec les enclaves espagnoles du Maroc et les escarmouches avec les tribus rifaines étaient fréquentes. Dans un environnement aussi hostile, les présides de Ceuta et de Melilla ne devinrent jamais des ports du commerce marocain. Elles furent ravitaillées à partir de Malaga et servirent plutôt de pénitenciers.

Les présides de Ceuta et de Melilla furent à l'origine de nombreux accrochages

En effet. Ces enclaves furent au cœur des problèmes qui surgirent entre le Maroc et l'Espagne. En 1859, cédant à la pression de l'Espagne, le sultan permit d'agrandir les limites de la juridiction de Melilla. Par ailleurs, les redoutes bâties par les Espagnols hors de l'enceinte de Ceuta furent attaquées par la tribu limitrophe des Anjera. D'âpres négociations furent entreprises. Elles visaient à définir une nouvelle modification de la limite de la juridiction de Ceuta, mais elles n'aboutirent pas. L'Espagne déclara la guerre au Maroc. En décembre 1859, 50 000 soldats espagnols débarquèrent à Ceuta. L'écrivain Prosper Mérimée qui se trouvait alors à Madrid, décrivit la liesse des foules scandant : « Al Moro ! » et ajouta-t- il, on se serait cru au temps des Croisades. L'armée espagnole marcha de Ceuta à Tétouan qui fut prise après de six mois de combats. L'épidémie du choléra augmenta considérablement les pertes des deux parties. La transformation de la principale mosquée de Tétouan en église catholique enragea les Marocains pour qui la prise de la ville devint impérative.

Pour pouvoir récupérer la ville de Tétouan, le sultan accepta de verser 20 millions de douros (environ 5 millions de livres sterling), ce qui représentait deux années de revenus gouvernementaux. La moitié dut être versée de suite et l'autre moitié fut étalée sur 25 ans, par un prélèvement de 50% des droits de douane perçus dans les ports marocains. De plus, l'Espagne et le Maroc ratifièrent en 1961 un traité commercial sensiblement semblable à celui que l'Angleterre et le Maroc avaient entériné en 1856.

Or, le Maroc n'installa pas de service de douanes, rendant ainsi illicite toute transaction. Les affaires traînèrent d'autant que la tribu des Guélaïa refusait d'évacuer les territoires jouxtant Melilla, territoires qui avaient été concédés à l'Espagne. Le sultan dut finalement intervenir pour faire évacuer de force les Guélaïa de leur territoire et, par la suite, permettre le détournement d'un cours d'eau vers Melilla. Toutefois, cette enclave ne parvint pas à se doter d'un port commercial car les tribus environnantes empêchèrent toute tentative d'approvisionnement de la ville par voie de terre. Une nouvelle convention à propos de la frontière de Melilla fut signée en 1891. De leur côté, la tribu des Anjera rendit la vie difficile aux Espagnols de Ceuta. Ainsi, durant toutes les années qui suivirent la guerre de 1860 entre le Maroc et l'Espagne, la diplomatie marocaine ne fit que temporiser au maximum en vue de retarder l'expansion espagnole autour des enclaves de Ceuta et de Melilla.

En 1893, la garnison espagnole de Melilla subit une attaque de la part des Rifains. Aux termes du traité de Marrakech ratifié l'année suivante, le sultan s'engagea à verser une indemnité de vingt millions de francs, dont un quart comptant. Se plaignant d'un certain retard dans les paiements, l'Espagne occupa Dakhla dans le Sahara occidental.

La France songea alors à se partager avec l'Espagne le territoire marocain

En 1902, la France envisagea de partager le Maroc avec l'Espagne, la ville impériale de Fès échouant à l'Espagne. Or, les Espagnols n'étaient pas trop chauds, car ils connaissaient la difficulté de se mesurer aux Marocains au combat. La campagne de 1860 pour occuper Tétouan avait été particulièrement difficile et un écrivain espagnol déclara : « Il fait être fou pour songer au Maroc.» Il ne faut pas oublier qu'en 1904, l'Espagne avait subi une défaite cuisante contre les États-Unis à Cuba. Mais petit à petit, les Espagnols se firent à l'idée d'un Protectorat partagé avec la France au Maroc. De fait, ils allèrent jusqu'à avancer qu'une partie de la côte algérienne incluant Oran devrait être sous contrôle espagnol du fait que l'Espagne y fut maîtresse de 1535 à 1792.

Les tractations secrètes – mais vite éventées – entre Français et Espagnols aboutirent en 1904 à un partage du Maroc en zones d'influence : l'Espagne se réservait la zone du Rif délimitée par les rivières de la Moulouya à l'Est et le Loukos au Sud. L'Espagne recevait deux zones dans le Sud du Maroc dont l'enclave d'Ifni. Cet arrangement contrevenait cependant à l'unité du Maroc et à l'autorité du sultan bien que consacrées par d'autres traités antérieurs – notamment la souscription de l'Espagne à la déclaration franco-britannique du respect de l'intégralité de l'Empire du Maroc et de l'autorité de son sultan -que l'on ne désavouait toujours pas ! L'Angleterre était rassurée du fait que l'on se promettait de ne pas élever de fortifications sur la côte marocaine de façon à ne pas entraver le libre passage du détroit de Gibraltar, le Rocher demeurant le seul point stratégique fortifié. Quant à la ville de Tanger qui fait face à Gibraltar, son statut international la rendait neutre et, bien sûr, démilitarisée.

Mais ce ne fut pas partie facile pour les Espagnols…

En effet. En 1909, 220 soldats espagnols périrent dans une embuscade à Barranco del Lobo dans les environs de Melilla. On réalisa alors combien le contingent espagnol était démotivé et désorganisé. Tétouan fut occupée en 1913 avec l'accord tacite du gouvernement madrilène sans même que le consul espagnol à Tanger n'en soit informé.

Bien que l'Espagne fut officiellement neutre durant la Première Guerre mondiale, les autorités espagnoles au Maroc ne firent rien pour empêcher des agents allemands de se lancer dans des activités de subversion contre la France, en armant les tribus marocaines et en les incitant à prendre les armes contre la France. Ceci contribua à affaiblir l'Espagne, mais on ne le réalisa pas immédiatement. En 1921, des milliers de militaires espagnols périrent à Annual sous les coups des tribus rifaines. Le contingent de 70 000 soldats n'arriva pas à contenir les Rifains. La débâcle espagnole au Maroc fut une des raisons invoquées pour justifier le coup d'état du Général Primo de Rivera.

C'est alors que le Rifain Abd El-Krim déclara l'indépendance du Rif.

Les contacts entre le Maroc et les pays europeens au XIXe siecleAmbitions de l'Espagne.

Les contacts entre le Maroc et les pays europeens au XIXe siecle-Ambitions de l'Espagne.

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Y eut-il une immigration d'Espagnols au Maroc?

Si l'on met de côté les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, il n'est pas possible d'affirmer qu'il y eut une émigration massive des Espagnols de la Péninsule. Les Espagnols au Maroc comprenaient les militaires qui formaient une caste à part, les fonctionnaires civils et les autres résidents qui étaient venus s'installer au Maroc après présentation d'un contrat de travail ou de preuves de subsistance. Mais il faut se rappeler que la principale colonie espagnole était installée dans l'Oranais. De fait, la majorité des habitants européens de l'Algérie (près de 300 000 personnes) étaient originaires de l'Espagne. Au Maroc, il y avait toujours eu des commerçants espagnols dans les villes portuaires. Leur nombre baissa après la guerre hispano-marocaine de 1860, puis augmenta graduellement par la suite. Après le Protectorat proclamé en 1912, l'émigration fut plus importante. En 1918, il y eut un peu moins de 70 000 Espagnols dont 60 000 résidaient dans les enclaves de Ceuta et de Melilla. Une fois la guerre du Rit finie en 1927, l'émigration reprit avec toutefois un certain ralentissement durant la guerre d'Espagne entre 1936 et 1939. Au début des années cinquante, il y eut près de 80 000 personnes dans le Rif, 20 000 personnes à Tanger, 50 000 personnes dans la zone du Protectorat français et 130 000 personnes à Ceuta et Melilla. A l'exception de ces deux dernières villes, la présence des Espagnols au Maroc diminua substantiellement après l'indépendance marocaine en 1956.

Coups de poing diplomatiques de l'Allemagne

Quand les relations germano-marocaines débutèrent-elles?

L'architecte de l'Empire allemand Bismarck ne voulait pas disperser les forces de l'Allemagne dans les colonies. Il préconisait de laisser les entreprises coloniales à des initiatives privées. Il privilégiait des relations directes avec le sultan du Maroc. Le sultan Hassan Ie fut intrigué par l'Allemagne suite à la défaite de la France à Sedan en 1871. Une ambassade marocaine conduite par le Gouverneur de Safi Taïbi Benhima fut dépêchée à Berlin en 1878. Ce dernier avait déclaré que le sultan « avait plus confiance dans l'Allemagne que dans aucune autre puissance » et cette déclaration de statut spécial de l'Allemagne au Maroc alerta les Français et Britanniques. À cette époque, Hassan Ie souhaitait réformer ce système de protection. Plus précisément, il cherchait à annuler l'article 11 du traité de 1767 lequel stipulait que la France pouvait établir au Maroc autant de Consuls qu'elle voudrait et ceux qui sont au service des Consuls, secrétaire, interprète, courtier ou autres, seraient libres de toute imposition et charge personnelle. Ce voyage à Berlin contribua peut-être à la tenue de la Conférence internationale de Madrid de 1880 qui réforma le système de protection. Une seconde délégation conduite par le gouverneur de la Chaouia Ben Rechid se rendit en Allemagne en 1889 et un an plus tard, une délégation allemande d'une vingtaine de personnes se rendit à Fès et l' ambassadeur Tattenbach conclut un traité de commerce germano- marocain.

Bismarck fut écarté des affaires par Guillaume II en 1890. Son successeur Caprivi partageait les mêmes opinions : en matière de colonisation, « il est urgent d'attendre.» Ce fut Hohenlohe- Schillingsfürst, qui remplaça Caprivi en 1894 qui tenta d'engager Allemagne dans une véritable politique coloniale à la fin du XXe siècle. Bien que l'Allemagne désirât nouer des relations étroites avec le Maroc, elle n'hésita pas, à la manière des autres puissances navales, à user de la manière forte. Lorsque le premier Allemand établi à Casablanca Franz Neuman fut tué en 1894, l'Allemagne dépêcha un croiseur au large de Tanger. Lorsqu'un autre voyageur de commerce du nom de Rockstroh perdit la vie en 1895, des navires furent dépêchés à Tanger, Safi, Rabat et Casablanca. L'Allemagne qui représentait alors la Hollande au Maroc, exigea des indemnités pour l'attaque du brick hollandais Anna par les Rifains. Le Makhzen s'inclina et indemnisa l'Allemagne.

L'Allemagne tenta sa chance aux colonies malgré l'opposition de la France et de l'Angleterre

La visite surprise de l'Empereur Guillaume II à Tanger en mars 1905 et la présence de la canonnière allemande Panther à Agadir en avril 1911 faisaient partie de la volonté allemande de se faire une place dans les colonies. Or les puissances européennes ne voyaient pas d'un bon œil ces ambitions allemandes, non seulement parce qu'elles ne voulaient pas partager la domination des colonies, mais aussi car elles craignaient que la puissance militaire allemande, déjà dominante sur le continent européen, ne puisse disposer d'atouts stratégiques en dehors de ce continent. La France en particulier, vaincue lors de la guerre de 1870 au terme de laquelle elle perdit l'Alsace et la Lorraine, entretenait une sensibilité épidermique en ce qui concernait les rapports avec l'Allemagne. L'Angleterre visait à conserver sa suprématie de sa marine des mers et à contenir l'Allemagne.

La visite de Guillaume II à Tanger eut un grand retentissement

La visite surprise de l'Empereur Guillaume II à Tanger en mars 1905 qui mit en exergue l'indépendance du Maroc, pays libre, fut un coup de poing diplomatique de l'Allemagne délaissée. À Tanger, Guillaume II déclara à Moulay Arafa, oncle du sultan Abdelaziz : « C'est au sultan du Maroc, Souverain indépendant, que je fais ma visite et j'espère que, sous sa haute souveraineté, un Maroc libre sera ouvert à la concurrence pacifique de toutes les nations, sans monopole et sans annexion, sur le pied de l'égalité absolue.» L'Allemagne proposa alors la tenue d'une conférence internationale à Algésiras en 1906. Dans cette conférence de treize pays, l'Allemagne ne fut soutenue que par l'Autriche-Hongrie. Les États-Unis s'en tinrent seulement aux clauses garantissant la liberté de commerce. La France et l'Espagne s'attribuèrent de façon implicite des droits particuliers sur la police des ports marocains et un Français fut chargé de présider la Banque du Maroc. Ces dispositions étaient liées au fait que l'état marocain avait contracté à la France un prêt substantiel en 1904, pour financer la répression militaire contre le rebelle Bou Hmara. Il y avait en outre une vague promesse de liberté économique au Maroc qui n'engageait en rien les puissances. Dans les faits, le Maroc s'engageait à protéger des intérêts européens, chose qu'il ne pouvait assurer, ouvrant la voie à des actions de représailles ou de domination du Maroc par les Européens.

Le mécontentement allemand s'exprima tout d'abord de façon sourde. En 1908, les agents consulaires allemands au Maroc encouragèrent les soldats de la Légion étrangère à déserter, ce qui résulta en menaces de part et d'autre. C'est alors que l'Allemagne demanda et obtint le 9 février 1909 le principe de l'égalité économique au Maroc puis la formation d'un consortium pour l'exécution de grands travaux au Maroc. C'était une façon indirecte d'admettre un contrôle politique limité de la France tout en garantissant la liberté économique. Mais dans la pratique, il n'en résulta rien. De fait, le monopole du commerce fut réservé à la France. Dans l'esprit des négociateurs allemands, il s'agissait de se partager un certain nombre de monopoles alors que pour les négociateurs français, il s'agissait de garantir un libre marché. Dans les faits, 72% du commerce marocain se faisait avec la France et le Maroc et seulement 13% se faisait avec l'Allemagne. Les diplomates allemands réalisèrent qu'ils s'étaient fait leurrer et qu'ils ne pouvaient compter sur le principe de l'égalité économique sans implication politique sérieuse.

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Le légendaire Raïssouli y avait été enfermé..David Bensoussan.

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Puis ce fut le coup d'Agadir

La présence de la canonnière allemande Panther à Agadir en avril 1911 fut le second coup de poing diplomatique de l'Allemagne frustrée. En effet, l'armée française ne s'était plus cantonnée aux ports marocains pour en gérer les douanes, mais avait pénétré dans Fès la capitale et l'armée espagnole étendait son emprise sur Larache et Ksar El-Kebir. Français et Espagnols déclarèrent vouloir quitter les zones occupées par leurs troupes respectives si des unités militaires chérifiennes formées par leur soin prendraient la relève. De fait, les navires de guerre allemands Le Berlin, le Panther puis YEber patrouillaient au large d'Agadir. En outre, depuis plusieurs années, l'Allemagne tentait de rallier à son côté le caïd Mohamed Anflous, le Khalifa d'Agadir, le caïd Gellouli ainsi qu'Al- Hiba.

C'est alors que l'Allemagne accepta la prépondérance française au Maroc en échange d'un contrôle sur le Congo en Afrique-Équatoriale française. Paris valait bien une messe et un protectorat au Maroc valait bien une partie du Congo. Pour reprendre les mots du diplomate Henri Millet, le Congo était le « Sésame ouvre-toi ! » du Maroc. Le sultan Abdelhafid était désormais diplomatiquement isolé.

Mais la France finit par avoir le quasi monopole de l'occupation du Maroc.

René Millet qui militait pour agrandir l'Empire français, avait déclaré suite à la visite du kaiser à Tanger : « L'Allemagne nous a rendu le plus grand service en faisant du Maroc une question nationale au premier chef.» De fait, la compétition avec l'Allemagne explique peut-être la formation de la Ligue coloniale française en 1907 dont la mission était de faire l'éducation coloniale des Français. Cette ligue n'eut pas le succès espéré. D'autres formations étaient déjà en place : le Parti colonial regroupait des membres des professions libérales avait formé un Groupe colonial de la Chambre en 1892 et Groupe colonial du Sénat en 1898. À ces groupes s'ajoutaient ceux de Déjeuner au Maroc et de Déjeuner du Siam qui fusionnèrent pour former le Déjeuner Étienne, du nom d'Eugène Étienne qui était le moteur des organisations coloniales. Le Comité du Maroc sécurisa des prêts pour le gouvernement marocain. L'Union coloniale française fondée en 1893 regroupa ceux qui avaient des intérêts aux colonies. Cette dernière formation eut son périodique, la Quinzaine coloniale et subventionna le journal Politique coloniale. Par ailleurs, le Comité de l'Afrique française fondé en 1890 était motivé par la défense des intérêts nationaux contre la compétition des autres puissances européennes. Le débat sur la séparation de l'Église et de l'État qui secoua la France déborda dans le parti colonial dont la branche laïque se sépara pour former le Comité d'action républicaine aux colonies. Au Maroc même, trois organismes furent fondés pour affermir la protection française au Maroc : la Société marocaine des Travaux publics, la Société internationale du tabac et l'Union des Mines. Parallèlement, le Ministre des Colonies Eugène Étienne assurait le kaiser que la France ne recherchait pas un Protectorat tout comme en Tunisie, mais voulait plutôt s'accorder une « prépondérance morale. » Cependant, la Ligue pangermanique ne cessa de critiquer les progrès de la pénétration française au Maroc et d'en saisir l'opinion publique.

Les évènements se chargèrent de hâter les choses. En 1912, le sultan Abdelhafid demanda la protection de la France pour se protéger des soulèvements berbères. Le général Moinier se mit en marche pour Fès avec 30 000 soldats. La France officialisa dans la Convention de Fès un traité de protectorat sur l'Empire chérifien et le général Hubert Lyautey fut nommé Résident général. Deux ans plus tard, des troupes marocaines s’embarquèrent pour combattre aux côtés de la France durant la Première Guerre mondiale… Plus de 40 000 hommes s'engagèrent dont les deux tiers combattirent en France. 11 000 y moururent au combat.

Lors de la Première Guerre mondiale, les consulats allemand et autrichien au Maroc sont fermés et les résidents allemands furent arrêtés ou rapatriés. Suite à l'entrée en guerre de l'Empire ottoman aux côtés de l'Allemagne durant la Première Guerre mondiale, la propagande allemande appela à « la solidarité islamique contre les envahisseurs chrétiens. » Le sultan ottoman Mehmet V proclama la Guerre sainte et une fatwa en ce sens fut émise. L'Allemagne joua la carte panislamique en remettant les prisonniers de guerre musulmans, algériens pour la plupart, aux Ottomans : « Sa Majesté l’empereur d'Allemagne déclare ne faire aucune guerre contre le monde musulman et ordonne que les prisonniers de guerre musulmans des troupes françaises soient mis immédiatement en liberté et envoyés au sultan de Constantinople en qualité de Calife du Monde musulman. » Une propagande soutenue fut orchestrée par les frères Mannesman en Espagne; des liens spéciaux furent tissés avec le rebelle Raïssouli dans le Nord du Maroc et la désertion des légionnaires français fut encouragée. Forte de l'appui du sultan et des caïds, la France encouragea l'expression des institutions islamiques propres au Maroc.

Fait intéressant : en 1915, une mosquée fut construite à Zossen près de Berlin et une autre bâtie dans le jardin colonial de Nogent-sur-Marne. On émit des cartes postales de cette dernière, qui furent diffusées dans les colonies…

RAÏSSOULI

Beaucoup de ceux qui revenaient autrefois d'une visite de l'île de Mogador revenaient avec des récits et des descriptions emplis de mystère. De quoi en retournait-il?

Les visiteurs décrivaient l'île, ses murailles et ses canons, ses nombreux lapins, mais surtout des tessons de cruches et de restes de squelettes de ce qui fut autrefois une prison. Beaucoup de personnalités célèbres y passèrent. Mais rien ne donnait autant de frissons que l'évocation du célèbre Raïssouli.

Le légendaire Raïssouli y avait été enfermé…

À la fin du XIXe siècle, le rebelle Bou Hmara n'était pas la seule cause de souci au pouvoir du sultan : les Berbères rifains du Nord marocain ne connaissaient souvent d'autre loi que celle de leur long fusil. Ces montagnards rebelles faisaient fi de l'autorité du sultan, de ses caïds et des canons des vaisseaux européens. Parmi eux s'était démarqué un chef indomptable, entré dans la légende de son vivant : Moulay Ahmed Er Raïssouli qui se prétendait être le descendant véridique de l'ancienne dynastie royale des Idrissides, et de ce fait, de la lignée du prophète Mahomet. Sa spécialité : le rapt d'étrangers dans le Nord du Maroc. Il fut à la source d'incidents multiples sur la scène internationale. Prétendant agir pour libérer le Maroc de la tutelle des étrangers, si ce n'est pas de l'abus des troupes du sultan, ce personnage jouissant de l'aura de chérif fut tout à la fois un mélange de révolutionnaire, de brigand des grands chemins, de despote, d'escroc et de hors-la-loi. Pendant quelques années, soit de 1889 à 1894, il fut incarcéré dans la prison de la Kasbah de Mogador et on dit qu'il y resta enchaîné à la muraille sans pouvoir se coucher. Il s'en sauva, fut capturé, rossé, et emprisonné à nouveau, mais dans la prison de l'île de Mogador cette fois-ci, avant d'être gracié par le sultan Abdel'aziz. Il se construisit un palais dans le style maroco-andalou à Arzila.

Il s'assagit alors?

Que non ! Incurable et récidiviste, il reprit ses activités lucratives de rapts, dont Walter Harris, correspondant du Times londonien. Lorsque le beau-frère de Raïssouli décida de prendre une seconde épouse, il trouva sa seconde épouse et sa mère égorgées la veille de la nuit de noces. Un rival avait capturé un cheikh opposé à Raïssouli. Celui-ci le racheta pour 1500 $ pour le décapiter devant le seuil même de sa maison.

Le légendaire Raïssouli y avait été enfermé..David Bensoussan.

Le légendaire Raïssouli y avait été enfermé..David Bensoussan.

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RAÏSSOULI

Beaucoup de ceux qui revenaient autrefois d'une visite de l'île de Mogador revenaient avec des récits et des descriptions emplis de mystère. De quoi en retournait-il?

Les visiteurs décrivaient l'île, ses murailles et ses canons, ses nombreux lapins, mais surtout des tessons de cruches et de restes de squelettes de ce qui fut autrefois une prison. Beaucoup de personnalités célèbres y passèrent. Mais rien ne donnait autant de frissons que l'évocation du célèbre Raïssouli.

Le légendaire Raïssouli y avait été enfermé…

À la fin du XIXe siècle, le rebelle Bou Hmara n'était pas la seule cause de souci au pouvoir du sultan : les Berbères rifains du Nord marocain ne connaissaient souvent d'autre loi que celle de leur long fusil. Ces montagnards rebelles faisaient fi de l'autorité du sultan, de ses caïds et des canons des vaisseaux européens. Parmi eux s'était démarqué un chef indomptable, entré dans la légende de son vivant : Moulay Ahmed Er Raïssouli qui se prétendait être le descendant véridique de l'ancienne dynastie royale des Idrissides, et de ce fait, de la lignée du prophète Mahomet. Sa spécialité : le rapt d'étrangers dans le Nord du Maroc. Il fut à la source d'incidents multiples sur la scène internationale. Prétendant agir pour libérer le Maroc de la tutelle des étrangers, si ce n'est pas de l'abus des troupes du sultan, ce personnage jouissant de l'aura de chérif fut tout à la fois un mélange de révolutionnaire, de brigand des grands chemins, de despote, d'escroc et de hors-la-loi. Pendant quelques années, soit de 1889 à 1894, il fut incarcéré dans la prison de la Kasbah de Mogador et on dit qu'il y resta enchaîné à la muraille sans pouvoir se coucher. Il s'en sauva, fut capturé, rossé, et emprisonné à nouveau, mais dans la prison de l'île de Mogador cette fois-ci, avant d'être gracié par le sultan Abdel'aziz. Il se construisit un palais dans le style maroco-andalou à Arzila.

Il s'assagit alors?

Que non ! Incurable et récidiviste, il reprit ses activités lucratives de rapts, dont Walter Harris, correspondant du Times londonien. Lorsque le beau-frère de Raïssouli décida de prendre une seconde épouse, il trouva sa seconde épouse et sa mère égorgées la veille de la nuit de noces. Un rival avait capturé un cheikh opposé à Raïssouli. Celui-ci le racheta pour 1500 $ pour le décapiter devant le seuil même de sa maison.

La troupe eut raison de lui?

Raïssouli fut le plus redouté de tous les brigands du début du XXe siècle. Plusieurs expéditions militaires furent dirigées contre lui. Il réussit presque à chaque fois à s'échapper de façon surprenante. Quand des émissaires se rendaient pour négocier la libération d'otages, Raïssouli les en faisait captifs. Cela ne faisait qu'augmenter les rançons exigées. En 1906, les États-Unis envoyèrent un navire de guerre à Tanger, pour libérer un otage naturalisé américain du nom de Perdicaris. La même année, à la convention républicaine à Chicago, des membres du parti républicain affichaient le slogan : « Perdicaris vivant ou Raïssouli mort.» Raïssouli consentit à libérer son otage américain Perdicaris aux mains du gouvernement marocain qui lui versa une rançon exorbitante (70 000 dollars) et qui de surcroît lui donna le titre de Caïd de la région de Tanger. Méfiant, Raïssouli dépêcha un suppléant qui agit comme bon lui semblait. Puis Raïssouli encouragea un de ses acolytes du nom d'Ould Barian à prendre par surprise la ville d'Arzila. Ces agissements de Raïssouli firent l'objet de menaces de débarquement des Français et des Espagnols et Raïssouli ne fut que trop heureux de reprendre la ville à la demande d'Abdelaziz, d'autant plus que son ancien protégé avait développé des goûts d'indépendance. Il prit toutefois la précaution de forcer ses habitants à exprimer officiellement le vœu de le voir être nommé leur pacha !

Il ne craignait personne?

Non, et il n'en faisait qu'à sa tête. Il apparut à la fête donnée par le caïd de Bakhrein (non loin de Tanger) en l'honneur du mariage de son fils et lui trancha la tête pour le punir d'avoir été rendre hommage au nouveau pacha de Tanger. Le journaliste anglais John Stick du Light, servait parfois d'intermédiaire à Raïssouli. Il négocia la libération du journaliste anglais Perry du Daily Dispatch, contre mille livres. Il fut lui- même enlevé et libéré contre sept mille livres sterling. Or, ce joueur invétéré qui avait perdu des sommes énormes au jeu, sembla baigner subitement dans la prospérité une fois libéré de sa condition d'otage. Les Tangérois commencèrent à se méfier de lui et de l'authenticité de son enlèvement. John Stick fut de nouveau à sec et de nouveau pris en otage. La rançon exigée de dix mille livres sterling ne vint jamais. Raïssouli relâcha John Smith après lui avoir coupé les oreilles.

En 1906, le corps diplomatique entreprit une démarche collective pour protester contre la tyrannie de Raïssouli. Le sultan Abdelaziz destitua Raïssouli de ses fonctions de pacha d'Arzila et envoya ses troupes brûler son village Zanut situé à une vingtaine de kilomètres de la ville Tanger. Raïssouli s'en prit à un autre otage et ami intime du souverain Abdelaziz, MacLean, anglais celui-là, qui fut libéré par en échange de 20 000 Livres anglaises en 1908. Raïssouli avait également exigé et obtenu de devenir protégé anglais pour échapper à la juridiction du Makhzen. Il se présenta à la capitale Fès, rendit les 20 000 livres au nouveau souverain Moulay Hafid et devint le pacha d'Arzila.

Les choses changèrent-elles quand le Nord du Maroc fit partie du Protectorat espagnol?

Loin de là. Durant le protectorat espagnol, Raïssouli fut décoré. Mais il se retourna contre les Espagnols lorsque ces derniers offrirent la fonction de pacha d'Arzila à une autre personne. Près de 40 000 hommes de troupe furent réunis pour le capturer, mais en vain. Raïssouli entra en contact avec les Allemands en 1914. Selon Walter Harris, auteur de Morroco that was, Raïssouli se serait proclamé sultan durant la Première Guerre mondiale. Une autre attaque frontale des Espagnols échoua lamentablement en 1919 et il fut déclaré hors-la-loi par les Espagnols en 1922. Cette résistance encouragea certainement les Rifains qui, sous la direction d'Abd El-Krim, se soulevèrent massivement contre les Espagnols. Mais Raïssouli ne reconnut jamais l'autorité d'Abd El-Krim qu'il considérait comme un rival. Il mourut en 1925, peu de temps après son arrestation ordonnée par Abd El-Krim.

Ce « sultan des montagnes » n'en aura fait qu'à sa tête. On lui attribue la citation suivante : « Les Berbères sont mes serviteurs, les Espagnols sont mes esclaves. Les Français sont mes ennemis, et les Allemands sont mes alliés.» Ce personnage a marqué son époque au point où, dans son ouvrage Le Maroc inconnu, Auguste Mouliera écrivit : « A-t-on jamais vu un Rifain mourir de mort naturelle? Tous périssent par le fer ou les balles. » Le Marquis de Segonzac, auteur de l'ouvrage Voyages au Maroc disait de Raïssouli : « C'est le plus redoutable rafleur de troupeaux et massacreur de bergers. Il acquiert ainsi, de bonne heure, un renom d'audace, de cruauté et de richesse, qui est l'auréole des grands aventuriers.»

Le film Le lion et le vent datant de 1975 retrace les grands moments de Raïssouli dont le rôle est joué par l'acteur Britannique Sean Connery.

Le légendaire Raïssouli y avait été enfermé..David Bensoussan.

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Il était une fois le Maroc…David Bensoussan.BOU HMARA

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BOU HMARA

Le roi Abdel'aziz fut contesté par Bou Hmara…

En effet, le jeune sultan Abdel'aziz eut à mener une lutte difficile contre Djilali ben Driss Zerhouni el Youssefi surnommé Bou Hmara (le père de l'ânesse), un ancien intriguant à la cour qui devint marabout s'assurant une réputation de thaumaturge et de saint. Il revendiqua la couronne. Il prétendit être Mhamed, le frère aîné du sultan et faisait réciter en son nom la prière dans la petite ville de Taza au Nord du Maroc. Il occupa la ville d'Oujda l'été 2003, leva des impôts et chargea des frais de douane sur les marchandises transitant via Melilla. La tête de Bou Hmara fut mise à prix.

Dirigeait-il une révolte tribale?

De fait, l'évènement qui déclencha la révolte de Bou Hmara fut la mise à mort de l'assassin d'un missionnaire britannique qui était rentré dans le sanctuaire à Moulay Idriss après avoir été averti de ne pas y rentrer. Le sultan fut accusé d'être une marionnette aux mains des Chrétiens. Les disciples de Bou Hmara appartenaient au clan des Ghiyatta. Ils reprochaient au sultan Abdel'aziz d'avoir souscrit au traité d'Algésiras en 1906, aux termes duquel le Maroc cédait le contrôle de la police, de la banque, des travaux publics, des douanes et du recouvrement des impôts aux puissances étrangères.

Plus d'une expédition militaire fut montée contre lui…

Il fallut dépêcher contre Bou Hmara quatre corps expéditionnaires, les mehallas totalisant près de 15 000 hommes. La discorde régna dans les différents corps militaires et, malgré les interventions des chérifs en charge des négociations intertribales fut-ce en temps de guerre, l'armée fut mise en déroute et la panique s'installa à Fès alors capitale du Nord. Tout ce que les mehallas avaient réussi à faire était des sougas, ou interventions de reconnaissance d'où ils ramenaient quelques têtes en guise de trophée. Cela avait poussé d'autres tribus à se rallier à Bou Hmara, d'autant plus qu'il prétendait être sur le point d'expulser les Espagnols de Melilla. Il fit des concessions minières à des Européens et acheta des armes au marché noir sur la côte méditerranéenne, voire même auprès de certains Français d'Algérie ou de soldats du Makhzen. Il se comporta comme un roi, eut son propre Makhzen, épousa la fille d'un chérif alaouite et exigea le paiement de la taxe de la jiziya des Juifs de Debdou. Il tenta aussi de nouer des relations diplomatiques avec le sultan ottoman. Le sultan marocain fit circuler dans le royaume une fatwa contre Bou Hmara signée par les principaux oulémas de Fès et mit sa tête à prix, d'abord à 10 000 francs, puis à 250 000 francs. Mais l'étoile de Bou Hmara pâlit parce que d'une part, le nouveau sultan Abdelhafid avait mis de l'avant le rejet de toute collaboration avec les Européens pour détrôner son frère Abdelaziz et de l'autre, Bou Hmara avait fait lui- même des concessions aux Européens. En outre, les taxes qu'il avait imposées le rendirent aussi impopulaire que le Makhzen. Bou Hmara alla jusqu'à proposer au nouveau sultan Abdelhafid de partager le royaume. Mais au fil du temps, l'appui envers Bou Hmara finit par s'estomper. Pourtant, au tout début il avait joui d'un appui remarquable. Des témoignages attestent que, lorsque Taza tomba aux mains des troupes du Makhzen, des jeunes filles se jetèrent dans les puits par peur du déshonneur des mains de la soldatesque.

Ce n'est qu'en raison d'une assurance démesurée que les hommes de Bou Hmara tombèrent dans un piège aux mains d'une nouvelle mehalla tout récemment formée et Bou Hmara dut se réfugier au sein de la tribu de sa femme, bénéficiant ainsi du mezrag, c'est-à-dire que l'honneur de la tribu interdit de livrer tout homme qui s'est uni à l'une des leurs par les voies de mariage. La ville de Fès passa à un cheveu de la catastrophe.

Était-ce la norme à l'époque?

Lorsqu'elles n'aboutissaient pas à une autonomie relative, les rébellions contre l'autorité par des caïds régionaux qui survenaient lors des changements de règne se terminaient souvent ainsi : des têtes tranchées qui étaient exposées sur les murailles de la ville aux yeux du public, des prisonniers qui pourrissaient dans des cachots ou encore des prisonniers enchaînés sur la place publique. Ces derniers étaient à la merci du public duquel ils dépendaient pour l'octroi de nourriture. Ils étaient continuellement exposés aux quolibets, aux remontrances ou à la compassion selon le cas.

Quelle fut l'issue de sa révolte?

Le rogui (rebelle) Bou Hmara fut capturé le 22 août 1909, mis en cage sept jours durant dans la ville de Fès, jeté dans la cage aux lions qui lui arrachèrent un bras. 160 prisonniers enchaînés par le cou défilèrent portant la tête d'un de leurs camarades sous le bras. Les têtes coupées des rebelles furent accrochées au fronton de Bab Mahrouk à Fès et on fit amputer le bras gauche et le pied droit des prisonniers chaque jour. On appliqua également la torture du sel consistant à faire une grande entaille dans la paume de la main et à y replier les doigts dans la plaie occasionnée avant de ligoter le poing dans des lanières de cuir de façon à en faire un moignon inutilisable. Le corps diplomatique intervint auprès du sultan pour demander de faire cesser ces exécutions par humanité, mais sans succès apparent. Le rogui fut fusillé – certains disent par le sultan Abdelhafid lui-même – et sa dépouille finit sur le bûcher. Mais tout cela ne permit pas de stabiliser la situation.

Dans The Conquest of Morocco, Douglas Porch rapporta un dialogue qui se serait tenu entre Abdelhafid et le rogui. Abdelhafid lui aurait demandé pourquoi il avait déclenché la rébellion et reçut pour toute réponse : « J'ai fait ce que tu as fait. Tu as réussi, j'ai échoué. » Menacé de mort, il aurait répondu : « Cela ne me préoccupe guère… Chacun meurt à son tour. Mais n'oublie jamais que c'est grâce à moi que tu es sultan. J'ai réussi à ébranler le trône d'Abdelaziz après sept armées de combat et c'est toi qui en as profité.» Abdelhafid était convaincu que le rogui conservait de l'argent dans une banque espagnole, mais n'avait réussi à obtenir de lui que des réponses le narguant.

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Il était une fois le Maroc…David Bensoussan.BOU HMARA

Il était une fois le Maroc…David Bensoussan- Quelle était la situation au Maroc peu avant le Protectorat?

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AL-WAZZANI

La confrérie des Wazzaniya était l'une des plus prestigieuses.

L'illustre confrérie de la Wazzaniya fut fondée à la même époque de l'instauration de la dynastie alaouite. On prétend que des millier de personnes visitaient chaque jour le fondateur de la confrérie 'Abdallah Ben Ibrahim (décédé en 1679). Cette confrérie se rattachait à la descendance des Idrissides qui constituèrent la première dynastie chérifienne au Maroc. Elle a toujours entretenu de bons rapports avec les souverains alaouites. Lors de la cérémonie d'allégeance, la Bay'a, la signature du chérif de Ouezzane était apposée en premier. Les chérifs d'Ouezzane jouèrent parfois un rôle d'arbitre ou d'intermédiaire avec la Cour. La renommée de Moulay Al-Tuhami (mort en 1721) dépassa les frontières du royaume. On dit même que le sultan Moulay Ismaïl craignit qu'il n'ambitionnât la royauté et la tension fut latente entre la Cour et la Confrérie. Al-'Arbi Al־Wazzani fut très proche des sultans Slimane et Abderrahmane et des jaloux tentèrent de l'assassiner.

Son fils Abdeslam fut un européanisant

Son fils 'Abdeslam Ben Al-'Arbi Al-Wazzani obtint du sultan Abderrahmane en 1859 le droit d'administrer des provinces du Nord et la région du Touat. Sa popularité fut immense. Il était reçu dans ces régions en grande pompe, recevait des cadeaux somptueux et ses ouailles en larmes mendiaient un morceau d'étoffe de son vêtement. Il s'y comporta comme un vice-roi. Il fut réputé pour son goût immodéré pour la gent féminine et pour le champagne. 'Abdeslam était l'une des plus grandes fortunes du royaume et sa largesse était légendaire. Il fut le plus grand incitateur à la guerre désastreuse contre l'Espagne en 1860, mais fut relevé de son commandement durant le siège de Tétouan car six mois de siège n'avaient pas abouti. En 1876, il fut sollicité pour établir la paix avec le chef algérien Sidi Slimane Ben Kaddour de la tribu des Oulad Sidi Sheik qui reconnaissait l'autorité spirituelle de 'Abdeslam. Un arrangement fut négocié avec Slimane Ben Kadour, lui offrant des terres au Maroc et une rente de 15 pesetas par jour, mais Sidi Slimane quitta le Maroc après cinq ans d'exil volontaire et les incursions frontalières n'en continuèrent pas moins. Il fut capturé par les troupes marocaines et sa tête – mise à prix – et celle de ses douze proches fut rapportée au sultan Hassan Ie Depuis, les relations d'Abdeslam avec la Cour furent tendues, d'autant plus que son désir de moderniser le Maroc le rendait suspect de capitulation aux Européens. Il fut soupçonné d'avoir fomenté des révoltes. Craignant pour sa vie, 'Abdeslam chercha et obtint la protection française en 1884. Il vendit ses propriétés à un syndicat parisien en échange d'une rente de cinq mille livres. Par ailleurs, les adeptes de la confrérie d'Algérie ne s'opposèrent pas à la présence française.

Il eut une épouse anglaise

'Abdeslam avait épousé la gouvernante anglaise Emily Keene. Les mémoires de cette dernière, My life story, Emily Shareefa of Wazan, sont édifiantes en regard des mœurs de l'époque, et on y trouve en annexe une compilation de superstitions qui ne le sont pas moins. Leur fils aîné Ali eut une gouvernante française et fut éduqué au lycée d'Alger. Il suivit un stage de cavalerie à Saumur et s'engagea dans le deuxième bataillon d'Afrique. Leur second fils Ahmed servit d'intermédiaire pour libérer Harris, le correspondant du Times prisonnier de Raïssouli, puis de deux marins britanniques otages de Mohamed El-Boulais alias le Valiente qui faisait la loi dans la région de Ceuta. Ali et Ahmed intervinrent tous deux en faveur de Perdicaris et son gendre M. Varley, pris en otage par Raïssouli. Ce fut le fils d'un premier mariage d'Abdeslam, Al'Arbi, qui succéda à son père.

Il existe également une confrérie des Taïebiya, du nom du premier successeur au fondateur de la confrérie des Wazzaniya, présente tant au Maroc que dans la région d'Oran et du Touat en Algérie et une autre des Touhamiyine du nom d'un autre membre de cette dynastie chérifienne, présente essentiellement dans la région de Ouezzane au Maroc. Mais la popularité et le prestige de la confrérie n'étaient plus ce qu'ils avaient été autrefois.

DES REGNES D'ABDELAZIZ ET D'ABDELHAFID AU PROTECTORAT

La transition au Protectorat fit suite à de nombreuses initiatives des puissances coloniales qui intervenaient au Maroc, entre autres raisons, pour défendre leurs protégés consulaires. Obéré par la dette contractée envers l'Espagne après la guerre de 1860 – remboursée en 1885 – et rendu vulnérable par son armée relativement désuète, le Maroc ne put conserver son indépendance face aux ambitions coloniales.

Quelle était la situation au Maroc peu avant le Protectorat?

Cela faisait des années que l'anarchie durait. En 1895, à l’âge de 14 ans, le sultan Moulay Abdel'aziz fut désigné par son père Moulay Hassan pour lui succéder. C'était le fils cadet de Moulay Hassan et de Lala Reqia, une esclave circassienne ramenée de Constantinople. Ce fut l'époque de la régence du très habile et populaire Ba Hmad, fils d'une esclave noire du palais. Grand vizir, ce dernier avait arrêté le prince Mohamed, fils aîné du sultan Hassan Ie ainsi que tous ses partisans potentiels et s'était déclaré Régent. Dans la région du sud de Mogador, des années d'anarchie allaient semer la confusion des années durant. Non seulement les années suivantes verront-elles les partisans de deux frères Abdel'aziz et Abdelhafid prétendants à la couronne chérifienne s'affronter, mais en plus, les tribus Haha au sud de Mogador se soulevèrent contre l'autorité centrale, n'en faisant qu'à leur guise. On pourrait penser qu'il s'agit d'un simple récit en abyme, l'un de haute politique des prétendants à la couronne et l'autre local des rebelles Haha. Mais cela n'est pas aussi simple que cela peut en avoir l'air car, en des époques de troubles, les alliances ont souvent changé et on peut encore aujourd'hui y perdre son latin.

Comment le souverain Abdel'aziz a-t-il régné?

Après les six années de régence de Ba Hmad (Ba Ahmed), la perception qui prévalait au Maroc était que le jeune souverain Abdel'aziz, porté au pouvoir au printemps de l'an 1902, avait lancé des projets de réforme dits tertib, fort mal reçus car contraires à la tradition. Il avait proposé l'impôt universel mesuré à l'étendue des terres arables et à l'importance des arbres fruitiers et du cheptel. Il reviendrait à des personnes spécialement désignées d'évaluer et de prélever les impôts. Les caïds seraient dorénavant des salariés du gouvernement et ne seraient pas en droit de prélever fut-ce une "rognure" d'ongle de leurs administrés. De plus, l'impôt coranique était aboli et les chérifs (qui se réclamaient de la descendance du prophète par sa fille Fatima) eux- mêmes seraient désormais soumis à l'impôt. La baraka ou bénédiction était considérée être innée chez les chérifs et il y avait une quantité considérable de personnes qui s'intitulaient chérifs au Maroc et qui bénéficiaient des dons du petit peuple. En réaction à ce projet de réforme, toute une classe de privilégiés mit de la mauvaise volonté pour collaborer et le mécontentement alla croissant.

Abdelaziz souhaitait donc des réformes auxquelles son pays n'était pas prêt. À en croire sa déclaration faite beaucoup plus tard, en 1924, Abdelaziz manifesta son admiration pour Mustafa Kemal qu'il qualifia de « vrai croyant, que son but était d'alléger la religion de toutes les pratiques illogiques dont les successeurs du prophète l'avaient chargée et de ramener l'islam à son état de pureté primitif.» Il ne s'offusqua pas non plus de l'abolition de l'institution du califat par les Turcs qui « ont vraisemblablement agi ainsi parce qu'ils estimaient que le califat était devenu une institution arriérée qui faisait obstacle au développement de la communauté musulmane… il est légalement et religieusement possible que la société des fidèles vive sans cette institution.»

Le goût immodéré du souverain pour les feux d'artifice, le polo à bicyclette, les automobiles, les jeux de billard et les appareils photographiques, l'importation des robes de soie et de chapeaux à plumes pour les femmes du harem, de même que des heures de détente quotidiennes en compagnie d'Européens, cela en faisait trop pour l'opinion publique ! Car Abdelaziz fut un passionné de la «petite reine» de l'époque, la bicyclette, et des courses à obstacles en bicyclette. Il posséda également des tricycles à moteur et des automobiles. Son palais subissait des transformations en permanence. Il y fit installer, une écurie, un trapèze, une salle de billard, un atelier de photographie, un chemin de fer privé et une ménagerie. Il manifesta une grande curiosité envers tout ce qui fut technologies nouvelles tout comme l'éclairage électrique, la téléphonie, la télégraphie, les montgolfières et les feux d'artifice. Il s'essaya aussi en peinture. Il possédait une collection de montres que l'on a évaluée à près de 3 000 montres. Par ailleurs, ses ministres menaient un grand train de vie versant dans l'opulence. Le photographe Gabriel Veyre qui fit partie de l'entourage du sultan Abdelaziz le décrivit comme n'étant pas préparé à assumer les responsabilités de sa fonction dans son ouvrage Au MarocDans l'intimité du sultan.

Quant aux oulémas, aux marabouts dévots ainsi qu'aux privilégiés de naissance qu'étaient les chérifs, ils percevaient un trop grand écart de conduite par rapport à une certaine rigidité islamique de rigueur. Il s'ensuivit que l'autorité chérifienne s'affaiblit, ce qui laissa les mains libres aux caïds, notamment en régions éloignées.

La rébellion était dans l'air et les Français n'attendaient que l'occasion pour s'imposer. La révolte du prétendant au trône Bou Hmara et le brigandage déclaré de Raïssouli accaparaient l'attention du pouvoir, certes, mais d'autres foyers de mécontentement se déclaraient. Cela donnait aux Français le prétexte de s'immiscer plus dans les affaires internes marocaines et d'y faire la pluie et le beau temps sous le couvert pudique de la pacification. En 1903, le chef de la délégation française à Tanger Saint-René Taillandier convainquit le Makhzen d'interdire aux résidents étrangers de demeurer à Fès, tout en y laissant l'homme à tout faire de la France, le vice-consul musulman Kaddour Benghabrit. En 1905, le sujet algérien Bouzian Al-Meliani fut arrêté et brutalisé. La France exigea sa libération accompagnée d'une indemnisation ainsi que des excuses officielles. Le caïd en charge fut révoqué et de la sorte, la France affirma que ses sujets, furent-ils Musulmans, échappaient à l'autorité du Makhzen. En 1905, lorsque Saint-René Taillandier rencontra le sultan Abdelaziz pour lui proposer des réformes sur le plan militaire, ce dernier exigea que des notables soient présents durant la formulation de sa proposition. C'est probablement suite à cette réunion qu'il opta pour une garantie internationale qui se concrétisera par le traité d'Algésiras.

Il était une fois le Maroc…David Bensoussan Quelle était la situation au Maroc peu avant le Protectorat?

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Il était une fois le Maroc…David Bensoussan- le bombardement de Casablanca

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C'est en 1907 qu'eut lieu le bombardement de Casablanca et l'occupation d'Oujda…

En effet. Du temps du règne d'Abdelaziz, il y avait eu un certain mécontentement dans le pays suite au traité d'Algésiras. Le chef du dispensaire médical français à Marrakech, le Dr Émile Mauchamp fut assassiné de plusieurs coups de couteau et en riposte, le général Lyautey occupa Oujda et une partie du Maroc oriental. Neuf ouvriers européens travaillant dans le chantier du chemin de fer près du port de Casablanca furent assassinés. La fureur populaire aurait été déclenchée par le fait que le chemin du rail avait traversé un ancien cimetière musulman. Le gouvernement français dépêcha le navire de guerre Le Galilée (66 soldats) qui devait attendre l'arrivée des croiseurs Du Cheyla (75 soldats) et Le Forbin (44 soldats) prévue pour le 5 août et L'Escadre du Nord par la suite. On pensait alors qu'il fallait 1000 soldats pour occuper Casablanca. Il semblerait que le capitaine du Galilée n'ait pas attendu de renforts et, contre l'avis du corps consulaire, dépêcha ses 66 soldats le 5 août même et la ville fut bombardée. L'incendie s'y déclara. Les canons du croiseur Du Cheyla bombardèrent les alentours. L'estimation du nombre de victimes du bombardement varie entre 600 et 2000. Les troubles dans la ville furent tels que les Juifs s'échappèrent dans des barques pour se protéger contre les attaques de pillards. Par la suite, le contingent français compta près de 6300 hommes, dont 2000 tirailleurs sénégalais et soldats de la Légion étrangère auxquels s'ajoutèrent 500 fusiliers marins espagnols de la canonnière Don Alvar de Bazan. Le Maroc était impuissant devant la force militaire française à laquelle se joignait celle de l'Espagne. Les mousquets marocains datant de 1800 ne pouvaient se mesurer aux fusils Lebel à tir rapide et aux canons de 75 mm des Français. Le corps consulaire à Casablanca fut fort mécontent de l'intervention prématurée de la marine. Mais les politiques en France assumèrent l'initiative du capitaine du Galilée. Quant à la presse socialiste française, elle critiqua violemment le bombardement de Casablanca et l'occupation d'Oujda.

Georges Bourdon fit une description bouleversante des évènements de Casablanca dans son ouvrage Ce que j’ai vu au Maroc – Les journées de Casablanca. Il décrit ainsi la ville après le bombardement, le pillage et l'incendie : « Aspirez l'âcre et tiède odeur de pourriture, de charogne et de cendre, qui enveloppe cette ville de trente mille habitants dans une atmosphère de sang et de mort… Errez à travers Casablanca, ouvrez vos yeux et vos oreilles : vous n'y verrez que des tableaux de meurtre et de sang, vous n'y trouverez que des plaintes d'agonie… La corvée des cadavres ensevelit immédiatement ceux qu'elle ramasse, et ne compte pas.»

Le Dr Mauchamp fut décoré de la Légion d'honneur à titre posthume et eut droit à des funérailles nationales dans sa ville natale de Chalon- sur-Saône. Un monument y perpétue son souvenir. Son père compila un ouvrage posthume, La sorcellerie au Maroc à partir des notes de son fils.

Le directeur de l'Alliance Israélite Universelle décrivit ainsi les évènements de 1907 : « Le 3 août, les soldats du Makhzen se précipitent sur le Mellah, suivis de toute la populace, et commencent le pillage. Les 5 ou 6 000 hommes qui attendaient aux portes pénètrent en ville, se répandent tant au Mellah qu'à la médina, volent, pillent, violent, tuent et, pendant trois jours, répandent en ville la terreur, jusqu'à l'arrivée des troupes françaises. Il n'y a pas une maison, pas une famille, pas une personne qui ait été épargnée… La Kaiseria, où il y avait plus de cinq cents magasins israélites, n'était plus que ruines après les incendies. Le Mellah est saccagé d'un bout à l'autre, portes et fenêtres brisées, meubles et effets dispersés, tout est détruit, nos écoles sont mises en pièces, les bancs et les pupitres cassés, le matériel, l'argent, enlevé. Toutes les synagogues sont mises à sac… Partout c'est la désolation, la dévastation. On ne dirait pas que des hommes ont pu faire tant de dégâts, on croirait plutôt qu'un cataclysme s'est abattu sur la ville… Des scènes terribles se produisent, il faut entendre le récit de la bouche des victimes et des rabbins de nos écoles… Un des rabbins avait une fille unique, il avait refusé de s’embarquer. Des Kabyles (Berbères) pénètrent chez lui, il offre tout son avoir, ses économies, ses meubles, on les lui prend et sa fille aussi. Il court après elle, on lui assène un coup de poignard sur la tête, il tombe, quand il se relève, sa fille a disparu. Une jeune femme mariée depuis quinze jours est enlevée. Elle résiste, on la tue. Je vous raconte des scènes entre mille, impossible de tout dire…» Le Mellah de Settat où s'étaient réfugiés près de 800 Juifs de Casablanca fut également pillé. À Mzab, Ouezzane, Alcazar, Demnat et Fès, les exactions et les vexations se produisirent également.

Le rabbin et poète David Elkaïm de Mogador lança un appel dans la revue londonienne de langue hébraïque Hayéhoudi, adressé à toutes les organisations de philanthropie juive afin qu'elles fassent parvenir des armes aux Juifs du Maroc afin qu'ils puissent se protéger des attaques et des razzias de leurs voisins musulmans.

Le mois de mars de l'année suivante, les troupes du général d'Amade défirent les combattants de la tribu des Mdakra, l'artillerie faisant près de 1500 morts. Des centaines de tentes furent brûlées. Les pertes de l'armée française durant l'occupation de la Chaouia s'élevèrent à une centaine de tués et près de 400 blessés. Plusieurs milliers de Marocains perdirent la vie.

Il était une fois le Maroc…David Bensoussan le bombardement de Casablanca

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