Il etait une fois le Maroc Temoignage du passe judeo-marocain David Bensoussan
Il etait une fois le Maroc
Temoignage du passe judeo-marocain
David Bensoussan
LES VOYAGEURS MAROCAINS EN EUROPE
Quelle image les voyageurs marocains avaient-ils de l'Europe?
Les ambassadeurs marocains en Europe notaient la nette difference entre les sols cultives en Europe et ceux du Maroc. En voyant les vergers qui entourent la capitale londonienne, le secretaire d'ambassade Tahir Al-Fassi nota que « le monde d'ici-bas est une prison pour le croyant et un paradis pour l'infidele. » En 1860, alors qu'il voyageait en train, faisant le trajet Marseille-Paris, le diplomate Idriss Ibn Idriss s'etonna de ce que « toutes les terres soient cultivees.» En route pour La Mecque en 1849, un secretaire du sultan s'etonna de ce que des Musulmans de Malte ou d'Egypte portassent le costume europeen, ce qui etait a ses yeux « une marque d'apostasie.»
Le monde europeen etait associe a la chretiente et les voyageurs s'etonnaient parfois de voir que les Libanais Chretiens puissent avoir une excellente maitrise de la langue arabe. Les Marocains eux-memes s'identifiaient comme Musulmans. Rappelons que le sultan Slimane decida que les Juifs devaient habiter dans un quartier propre, le Mellah, car il les trouvait trop ouverts a l׳Occident et craignait de ce fait que les Musulmans n'en subissent de ce fait l'influence. En 1807, les Juifs durent regagner les Mellahs a Mogador, a Tetouan, a Rabat et a Sale. D'autres Mellahs bien plus anciens existaient a Fes, a Marrakech et a Meknes. En 1888, lorsque les Europeens proposerent de construire un chemin de fer, le sultan Hassan Ie consulta les 'alims (oulemas) qui s'opposerent a un tel projet. Neanmoins en 1892, il mit sur pied un service de poste reliant huit grandes villes, a l'image du service postal qui existait entre les consuls europeens.
Dans les milieux traditionnels, ce qui provenait des pays Chretiens etait souvent suspect et certaines innovations firent l'objet d'edits religieux. Pendant longtemps, on se demanda si on pouvait se fier au telegraphe pour transmettre l'information relative a l'apparition de la nouvelle June. Des mises en garde furent emises en regard du phonographe destine au jeu et au divertissement et l'ecoute du Coran sur phonographe aurait ete blamable.
Certains lancerent des campagnes contre le tabac, les instruments de musique, le vin et le negoce avec les mecreants (i.e. les non-Musulmans). D'autres soutinrent que 1'imprimerie mettait l'enseignement oral en danger. Un magistrat de Fes refusa le temoignage d'une personne ayant consomme du sucre blanc. Un autre s'opposa au savon de toilette, a l'eclairage a la bougie ou meme au port durant la priere de vetements confectionnes par des mecreants. II se trouva un clerc qui annonca que la voiture etait la bete de somme qui augurait la fin du monde, bete qui detiendrait le secret de la bague magique de Salomon et de la canne de Moise. On alia meme jusqu'a edicter une fatwa qui rendit licite l'usage du canon meme si cette arme n'existait pas du temps du prophete.
Qu'en etait-il de 1'idee que l'on se faisait du role de la femme dans la societe?
La relation de voyage du diplomate Idriss Ibn Idriss Al-'Amraoui, charge de mission aupres de Napoleon III en 1861 est relevatrice
« Qui possede une once d'esprit et la moindre parcelle de discernement ne peut que refuser de vivre comme eux et de se laisser prendre a leurs mirages. Qu'il suffise, pour improuver leurs facons de faire et fletrir leurs manieres, de voir comme les femmes les dominent, comment elles courent effrenees dans les lieux de debauche sans que personne ne puisse les empecher de poursuivre ce qu'elles veulent ni n'ose user de force a leur egard. L'obeissance des chretiens vis-a-vis de leurs femmes et leur docilite a suivre tous leurs desirs sont assez connues pour ne pas devoir etre ici rappelees; la femme est ici la veritable maitresse de la maison et l'homme est son sujet, si bien que lorsqu'on entre chez quelqu'un il faut saluer l'epouse avant son mari; c'est elle d'ailleurs qui recoit les invites et leur souhaite la bienvenue, aux hommes comme aux femmes; l'homme lui obeit et attend ses ordres, il se comporte avec elle de la maniere la plus polie en prenant soin de ne la contredire en rien; ceux qui en agissent autrement sont consideres comme des hommes grossiers et insolents.» II concluait ainsi sur la ville en reprenant l'expression
le paradis des femmes et l'enfer des chevaux
consacree par le voyageur egyptien Rifa'at Al-Tahtawi
«II est desagreable assurement d'apprendre la maniere de vivre des Chretiens dans ce domaine, et il ne convient pas a un homme cultive de parler de cela, en prive ni publiquement; si nous avons mentionne ces quelques exemples, c'est uniquement pour qu'ils puissent servir d'avertissement et de blame aux ignorants.»
En regard de la condition matrimoniale, les references etaient compilees dans des 'Amal synthetisant la juridiction maghrebine d'obedience malekite de Sijilmasi: Lamiyah, Al-'Amal Al-Fasi et Amal Al- Mutlacj. Ce dernier compendium fit egalement etat de decisions juridiques qui n'avaient pas fait l'unanimite. Rappelons que selon la tradition malekite, il incombe au pere de l'epouse de consentir au mariage et il n'y a pas d'age minimum pour une union maritale; de plus, la polygamie est permise. Le mari peut divorcer en tout temps sans que la femme ne puisse legalement s'y opposer. Par contre, la demande de divorce de l'epouse n'est pas automatique. La part d'heritage d'une femme s'eleve a la moitie de celle de l'homme. Le vecu qui transparait dans les lignes precedentes d'Idriss Ibn Idriss en dit plus long sur la condition de la femme marocaine.