Juifs du Maroc a travers le monde Robert Assaraf

Dans ce contexte, la question juive, objet au départ d’une unanimité sur la nécessité : d'intégrer sans réserve à la nation la communauté juive, en respectant ses libertés et ses droits, devint avec le temps un des enjeux de la vie politique, un des moyens préférés de l'opposition pour attaquer indirectement le pouvoir en place quand elle ne pouvait le faire face  avec les inévitables conséquences de telles enchères.

Au début, l’euphorie l’emporta. Le report – à la suite de désordres provoqués par des jeunes au mellah de Marrakech – des élections des comités des communautés des grandes villes, prévues pour décembre 1955, n’ayant pas permis l’accession à leur tête d’hommes nouveaux, le sultan désigna de nouveaux membres acquis au nationalisme au comité de Casablanca, et mit à sa tête l’homme d’affaires David Benazeraf, qui en remercia ainsi le souverain, le 13 septembre 1956 :

La sollicitude de Votre Majesté s’est toujours étendue à Ses sujets israélites. Après s׳être formellement opposée à l'application au Maroc des lois du régime de Vichy en 1941, Votre Majesté a heureusement proclamé dans son discours du Trône du 18 novembre 1955 que les Israélites avaient les mêmes droits.

Fidèle à sa promesse de faire participer ses sujets juifs aux affaires du pays, le Sultan avait nommé cinq personnalités juives parmi les 76 membres de l’Assemblée consultative selon un judicieux dosage : un avocat, Me Jacques Elkaïm de Rabat ; un rabbin, rabbi Bensabat de Larache, de l’ancienne zone espagnole ; un indépendant, Lucien Bensimon de Casablanca ; et deux hommes d’affaires de la grande métropole, Jo Ohana et David Benazeraf.

Parlant sur ce point le même langage, les deux grands partis rivalisèrent de zèle sur la nécessité de traduire dans les faits les déclarations du sultan sur l’égalité des droits. Le PDI, qui dans le lointain passé ne s’était pas distingué – loin de là – dans la recherche du rapprochement avec l’élément israélite, se découvrit une vocation juive et réussit effective­ment à enrôler dans ses rangs nombre de personnalités israélites attirées par son laïcisme proclamé.

Dans une interview au Jewish Chronicle de Londres, parue au cours de l’automne 1955, son secrétaire général adjoint, Me Benjelloun rappela que son parti avait été « le premier à souhaiter la participation d’un Marocain de confession israélite au gouverne­ment de négociation. Il entend habituer ainsi les citoyens de notre pays à l’idée qu’aucune distinction fondée sur des considérations religieuses ne doit exister entre nous ». L’Istiqlal s’en tint aux résolutions intégrationnistes adoptées au Congrès extraordinaire du parti en décembre 1955 :

Considérant que les Israelites marocains sont des nationaux du pays dans toute l’acceptation historique et juridique du terme qu’il importe qu ’ils aient la jouissance et l’exercice des droits et des libertés reconnus à leurs concitoyens musulmans, dans l’égalité la plus complète ;

Considérant que cette intégration ne doit nullement porter atteinte à l’exercice de leur culte, ni à leur statut personnel ;

Demande que l’égalité de tous les citoyens marocains, sans distinction de classe ou de religion, soit hautement proclamée et consacrée dans les textes de lois ;

Suggère au comité exécutif du Parti d'encourager les contacts entre musulmans et Israélites, d’organiser et de promouvoir des activités communes dans différents domaines afin de vaincre les préjugés absurdes et de favoriser au maximum un rapprochement réel et fraternel.

Joignant les actes à la parole, l’Istiqlal créa en février 1956 une organisation pour le rapprochement judéo-musulman, le Wifaq (« l’Entente »), destinée à « encourager l’esprit de coopération dans l’intérêt national ». Un tract en arabe, judéo-arabe en lettres hébraïques et en français fut largement diffusé et proclama :

Notre vœu le plus cher est de bâtir dans la joie et la concorde un Maroc nouveau, uni, libre et indépendant. Ensemble, unis de cœur et d'esprit, musulmans et Israélites, nous mènerons notre pays vers le progrès, la prospérité et le bonheur. Ensemble, nous ferons de notre chère patrie une nation moderne et respectée, où régneront la concorde, la tolérance et la liberté. Notre Association entend mener

la lutte contre l’ignorance, la division et le racisme sous toutes ses formes. Le but d’El Wifaq est de développer les contacts entre Israélites et musulmans, en resserrant leurs liens dans tous les domaines, et notamment dans les domaines culturel, sportif, artistique, professionnel et social. El Wifaq fait appel à tous les Marocains pour qu 'ils viennent grossir ses rangs, lui apporter leur concours afin de mener à bien sa tâche, pour la grandeur et le bonheur de notre patrie.

Témoin privilégié, le journaliste Victor Malka décrit en ternies enthousiastes cette lune de miel » qui poussa de nombreux Juifs marocains à envisager de rester dans leur patrie d’origine :

La torpeur, l’expectative et l'inquiétude se dissipèrent momentanément. On ne voulut plus croire aux orages. On paria sur le printemps. Et l’enthousiasme vint. Les juifs marocains commencèrent à croire que l'indépendance nationale ne signifiait pas nécessairement le saut dans le vide et l’engagement dans l’in­connu. .. Au rendez-vous de la renaissance nationale, les Juifs marocains ne tenaient pas à être en retard comme ils l’avaient été à celui de l'indépendance… Pour une fois, l’avenir enfin signifiait l’espérance. Il s’agissait ni plus ni moins de recréer la symbiose andalouse…

Derrière cette sincère euphorie, il y avait une non moins profonde perplexité devant cette avalanche de bonnes intentions et de décisions spectaculaires. Il était difficile pour les Juifs de s’habituer à être, pour la première fois, non seulement acceptés comme citoyens à part entière, mais en plus courtisés. La réaction ne fut pas homogène. Disposée à jouer le jeu, la grande masse ne pouvait cependant s’empêcher de s’interroger sur l’éventuel prix à payer pour cette soudaine émancipation. Faudrait-il pour la mériter renoncer à sa spécificité, renoncer à une partie de sa personnalité pour se couler dans le moule musulman majoritaire ? Cesser de regarder vers Israël et de se référer à la culture française ?

Le prince hériter Moulay Hassan se montra rassurant en déclarant, devant un grand rassemblement juif à Casablanca, qu’il savait que les regards étaient tournés vers Jérusalem mais que les pieds étaient bien plantés sur la terre marocaine. Cette compréhension n’était pas du goût d’une petite minorité de gauchistes juifs, plus nationalistes que les nationalistes qui condamnaient avec véhémence le sionisme, prônant la disparition pure et simple des institutions communautaires accusées de cultiver le « séparatisme ». La petite minorité des élites – ingénieurs, économistes, médecins, avocats, hommes d’affaires – se montrait plus modérée. Elle croyait à l’avènement d’une « nouvelle Andalousie », avènement très rite contrarié par l’évolution de la situation au Proche-Orient.

Juifs du Maroc a travers le monde –Robert Assaraf-page 53-55

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