La voie sinueuse du judaïsme nord-africain vers le sionisme
L'obstacle de la langue devait aussi être un frein au développement de l'activité sioniste au Maroc. Tout le matériel d'information était en effet rédigé en yiddish et en allemand, alors que les juifs du Maroc souhaitaient recevoir ce matériel en hébreu, et à la rigueur en ladino ou en français.
C'est ainsi que dans une lettre du 24.4.1913 à l'Exécutif Sioniste, le secrétaire de l'association "Bné Sion" de Casablanca se plaignait que leur missive était restée pour lui une énigme. "En mon nom et au nom de notre association, je vous prierai de ne plus nous écrire désormais en langue étrangère mais seulement dans la langue sacrée qui nous est plus précieuse que l'or et les diamants. Qu'avons-nous à faire des langues étrangères qui peuvent nous conduire à l'assimilation? Ecrivez nous donc en hébreu sans faire appel à d'autres langues". Mais aucun matériel, ni en hébreu ni en français ne devait leur parvenir.
La Grande Guerre devait amener la rupture totale des relations entre le judaïsme marocain et la direction sioniste. Et jusqu'au début des années vingt, aucun émissaire digne de ce nom n'était dépêché en Afrique du Nord. La Déclaration Balfour et le Mandat Britannique sur la Palestine ont soulevé un immense enthousiasme dans toute l'Afrique du Nord. Des actions de grâces furent récitées dans les synagogues. Le réveil religieux messianique entraine la fondation de nouvelles cellules sionistes au Maroc, avec pour objectif l'encouragement de la Alyah vers Eretz-Israël. C'est ainsi que furent fondées à Meknès l'association "Etz Haïm"; à Tanger "Magen David"; à Larache, "Boné Yérouchalayim". Ces trois associations collectèrent le shékel et ouvrirent des cours d'hébreu pour les futurs immigrants. Un groupe réussit même à partir pour la Palestine, mais les autorités britanniques leur refusèrent le droit de débarquer à Jaffa et ils furent refoulés vers Casablanca.
A partir de 1921, les juifs du Maroc ont commencé à participer régulièrement aux Congrès Sionistes, une participation passive, car les langues officielles y étaient le yiddish et l'allemand, et nul ne s'est soucié de traduction pour les congressistes venant d'Afrique du Nord.
L'administration française non plus ne devait pas encourager l'activité sioniste, au contraire. C'est ainsi qu'en 1919, le Résident général Lyautey devait interdire la formation d'une association sioniste à Casablanca, ainsi que la diffusion de l'organe sioniste "Haolam" en hébreu. En 1923, la cellule sioniste de Fès fut interdite et une année plus tard l'activité sioniste fut interdite dans tout le Maroc. Ces limitations ne furent pas levées même quand les sionistes marocains furent autorisés individuellement à adhérer à la Fédération Sioniste de France. Les dirigeants de cette Fédération firent appel à Léon Blum et au grand juriste René Cassin qui furent reçus par le ministre des Affaires Etrangères français qui leur promit l'abrogation de ces entraves.
Dans la pratique, ces limitations ne devaient être levées qu'en partie: en 1925 fut fondée à Casablanca une association de diffusion de la langue hébraïque; le Keren Kayemet Leisrael fut autorisé à recueillir des dons; un journal illustré en français fut autorisé ainsi que les activités sportives du Maccabi – mais l'encouragement de l'Alyah fut prohibé. C'était donc un sionisme sans obligation de réalisation et de ce fait son influence sur la vie juive au Maroc était limitée.
La Seconde Guerre Mondiale devait entrainer une nouvelle rupture des relations entre le judaïsme marocain et le mouvement sioniste et le Yichouv en Eretz-Israël. Elles ne devaient être renouvelées qu'après le débarquement américain en 1942. Les relations établies avec les officiers juifs de l'armée américaine et plus tard avec les émissaires d'Israël, ne devaient plus être jamais interrompues et devaient aboutir à la Alyah par étapes progressives des juifs du Maroc en Israël.