Il etait une fois le Maroc Temoignage du passe judeo-marocain David Bensoussan
Il etait une fois le Maroc
Temoignage du passe judeo-marocain
David Bensoussan
AVANT-PROPOS
Un adage bien connu veut que l'histoire soit de la polémique, mais que l'inverse ne soit pas fondé. Cela s'applique tout particulièrement à l'historiographie marocaine qui est, le plus clair du temps, teintée d'idéologie : une pléthore d'essais datant de l'ère coloniale, essais dans lesquels, le plus souvent, les simplifications, les réductions des données en matière d'information et le ton condescendant ne font que corroborer les préjugés
La negociation pour la liberation des captifs Chretiens n'etait donc pas une sinecure
Loin de la. Un autre negociateur francais Pierre Mazet fut emprisonne a Marrakech en 1634 II ne put resister aux mauvais traitements et perdit la raison dans la geole. En 1635 Priam-Pierre du Chalard revint en force et negocia le rachat de trois cent quarante-quatre esclaves frangais qu'il paya au prix de 133715 livres, mais fut emprisonne a la Bastille pour avoir paye un prix aussi eleve. Pendant plusieurs decennies, la marine francaise continua a poursuivre les pirates de Sale et de Larache. Le nombre de captifs de toutes les nationalites passa de plusieurs milliers an au debut du XVIIe siecle a plusieurs centaines au debut du XVIIIe siecle.
En 1634 le vice-consul de France Gaspard de Rastin s'engagea a payer 5503 ducats pour le rachat de 40 des 373 captifs frangais a Sale. II se porta garant de ces 40 personnes dont certaines s'evaderent avant la recette de la rancon. II fut 1'objet de maintes vexations et mourut en 1643 sans pouvoir conclure sa mission.
Longtemps, les pirates avaient verse un pourcentage de leur butin au sultan. Mais avec le temps, certains sultans eux-memes s'etaient accapare les prises des pirates et il fallut parfois aller jusqu'a negocier directement avec eux la liberte des captifs.
Dans la metropole, les ordres religieux de la Trinite et de la Merci se disputaient le monopole de la redemption des captifs Chretiens en Barbarie. Les queteurs se disputaient la destination des heritages determines et la couronne tenta de partager les zones de quete en France en 1638 Les quelques dizaines de captifs auxquels on avait interdit de se raser furent ramenes par les Trinitaires et conduits en procession de Marseille a Paris en guise de mise en spectacle de propagande. La rhetorique de l'opposition au musulman et l'ideal christologique de transfert de souffrance des esclaves vers les religieux se refleterent dans les estampes du fondateur de l'ordre au XIIe siecle St- Jean de Matha que les Trinitaires faisaient circuler en France.
En 1670 un vaisseau dieppois fut piege par des pirates qui avaient demande a verifier que l'equipage ne comprenait pas de ressortissants d'autres pays que la France. L'equipage fut immediatement mene au marche des esclaves a Sale. Les narrateurs rapporterent que les acheteurs axaminaient les mains des prisonriiers, pour savoir si ces derniers etaient des manuels ou des aristocrates et payaient en consequence en vue de pouvoir exiger des rangons par la suite. Normand Germain Moiiette fut captif a Meknes pendant dix ans. Dans l'ouvrage Relation de la Captivite du Sr. Mouette dans les Royaumes de Fez et du Maroc publie en 1683 on y apprend qu'un de ses deux maitres le mit a la corvee de maconnerie le jour et le placa le soir dans un cachot souterrain auquel on accedait par une corde. L'humidite et l'extreme promiscuite etaient intolerables. Tout prisonnier qui se plaignait de douleurs etait marque au fer rouge sur la partie malade. Son maitre ayant participe a une revolte contre le sultan Moulay Slimane, ses esclaves devinrent propriete du sultan et furent conduits a Meknes ou les geoliers excederent de zele pour les bastonner. Seule l'epidemie de peste leur donna un certain repit jusqu'a ce qu'ils furent rachetes par les missionnaires des Peres de la Merci.