Agadir-Joseph Dadia

Agadir-Joseph-Dadia

Quand je raconte cette histoire d’œufs de poisson à mon épouse Martine, elle s’en pourléche les babines en répétant avec gourmandise « miam, miam », tel un fin gourmet.

Tout dans mon oncle Shim’on respirait l’enfant de bonne famille. Ne disait-on pas de ma famille maternelle « Dar Ben Tuizer», c'est-à-dire «La Maison Tuizer ». Ce qui dénote une considération certaine, mais surtout l’aisance matérielle dans laquelle la famille a toujours vécu. Le grand-père Hanania a laissé un bon renom. Ses enfants, deux filles et six garçons, ont suivi la voie tracée par lui. A quelle époque la famille Tuizer a quitté Demnate, son berceau d’origine, pour venir à Marrakech ? Probablement au cours du 18ème siècle. Personne ne disait à Marrakech que les Tuizer étaient de Demnate. Pour tout le monde, ce sont des Marrakchis. Il était habituel au mellah de Marrakech de dire que telle famille est de tel village ou de telle ville. Ce n’était pas le cas pour la famille Tuizer. Ils étaient des Marrakchis de souche, après quasiment trois siècles dans Marrakech. Maman me disait qu’elle était capable de dire qu’un tel est de Marrakech et que tel autre n’est pas de Marrakech, à sa façon de parler et à son accent. J’ai rencontré à Paris des membres de familles aisées, et de souche marrakchie, qui ont vécu avec la famille Tuizer. Ils ont toujours considéré maman marrakchie comme eux. J’ai eu l’occasion de le voir par la suite de par le contact chaleureux qu’elle avait avec eux. Cette grande dame a bercé mon berceau, et cette autre a aidé maman à résoudre tel problème.

L’oncle Shim’on s’habillait d’une façon simple, toujours en blanc, et sa skara bourrée d’argent, pièces de monnaie et billets de banque, toujours suspendue en bandoulière au niveau de son bras droit, prêt à sortir la pièce pour le mendiant qui passe. Il aimait la bonne chère et le bon vin. Sur la Place Centrale du Mellah, Rehba d’Es-Souq, il s’allongeait sur une natte sur le côté gauche et discutait paisiblement avec ses amis, tout en grignotant des fruits secs et des sauterelles, ou du maïs en épis bouilli, suivant la saison, et sirotant à l’envi quelques verres avant de regagner son domicile. Fiby née Elfassy, son épouse, avait des doigts de fée. Femme pondérée et d’une grande patience, elle ne prononçait jamais des mots déplacés. Je la trouvais chaleureuse, très proche de notre famille et animée de bons sentiments. J’aimais beaucoup les chemises qu’elle créait et qu’elle cousait pour m’habiller à la demande de ma mère. Maman achetait les tissus et la couleur qui correspondait à mon goût pour chaque chemise, et elle en remettait le coupon à Fiby. C’était des chemises sur mesure à manches courtes ou longues selon l’époque. A chaque fête juive, une ou deux chemises neuves. C’était économique pour maman et à la mesure de son porte- monnaie. Elle n’achetait que le tissu. La confection de la chemise était gratuite bien entendu. Fiby, je pense, ne faisait des chemises que pour ses enfants et les membres proches de la famille. Une fois, j’ai dit à maman que je souhaitais pour la prochaine fête juive une chemise de couleur noire. Cette couleur de chemise était à la mode et je voyais plusieurs personnes plus âgées que moi qui la portaient. Même aujourd’hui je garde le goût pour des chemises noires et j’en ai. Mes chaussures, mes gilets ou pulls, mes manteaux ou pantalons sont noirs. De même mes chapeaux. Tout en trouvant cela austère et d’un mauvais présage. Fiby était aussi une bonne cuisinière et j’ai toujours aimé ses petits plats à Marrakech et, plus tard, à Kfar Atta en Israël.

La joie s’empara de mama Messaouda à l’approche des fiançailles de mon oncle Mardochée. La future belle-famille habitait au mellah vers le fond de Derb Es- Souq, dont le début de la rue, légèrement en pente, commençait à Rehba d’Es-Souq, là où il y avait une petite boutique d’un marchand d’olives noires, et, à peu de mètres de la pente, à droite, un four à pains. En fait cette rue, par une traboule, débouchait sur une placette qui reliait Derb Tabac à A’fir. Je me souviens bien de marna Stwar, la mère de la fiancée, d’Elie et d’Ihya, ses frères, et de sa jeune sœur Madeleine. J’ai oublié le nom des autres sœurs, dont l’une d’entre elles habitait Mazagan. Je me souviens bien de leur accueil chaleureux. De leur sourire. De leur gentillesse. Je me sentais aussi heureux que maman et mon oncle Mardochée. Ce fut la seule et unique fois dans ma vie que j’assistais à des fiançailles. Cette famille, qui allait arriver dans la mienne par le mariage de mon oncle Mardochée et de ma future tante Marie, apportera parmi nous plein d’enthousiasme et de gaieté. Notre famille s’agrandira par l’arrivée de nouveaux membres sympathiques, agréables, serviables, à l’esprit large et ouvert. Orphelins de père, ils vont trouver en mon oncle un nouveau père et une grand-mère, d’autres tantes et

oncles. Un sang nouveau, un air frais, arrivait chez nous. L’amour d’une femme discrète, amour pour son mari et amour pour sa famille. Cet amour de Marie pour son mari, ses garçons et ses filles, pour les membres de la famille Tuizer et de la famille Dadia, était là durant toute sa vie. Ma tante Marie, femme d’intérieur exemplaire et hors pair, nous a toujours gâtés par ses plats et ses gâteaux. Petits plats aux mets variés, riches et sapides. En un mot, succulents. Maman aimait beaucoup Marie et dès les fiançailles. Une tendre et constante amitié les a liées tout au long de la vie. Affection et estime pour la vie.

Elie et Ihya avaient une petite échoppe au cœur du mellah. Une échoppe minuscule. Mais leur cœur et leur goût pour l’ouvrage étaient grands. Ils étaient des artisans cordonniers de premier plan. Chaque veille des fêtes, je me présentais à leur atelier. J’enlevais la chaussure que je portais et je posais mon pied droit sur un morceau de carton qu’Ihya me présentait. D’un coup de crayon habile, il dessinait sur le carton le pourtour de ma plante de pied. Peu de jours après, je revenais à l’atelier et Ihya me remettait une paire de chaussures cousues mains en chevreau souple. J’enfilais les nouvelles chaussures et j’avais la sensation de flotter et de ne pas marcher sur la terre ferme. Je revenais souvent pour de nouvelles chaussures, car celles que je portais, pratiquement neuves, je les donnais aux enfants de Fouifo, principal ouvrier/fournier de mon père, chargé d’enfourner et de défoumer les nombreuses miches de pain, que les ménagères apportaient chaque jour. C’était pratiquement un travail d’artiste qui requérait intelligence, dextérité et un savoir-faire professionnel pour l’exécuter.

Je l’ai écrit dans d’autres textes, et je le redis ici afin de rendre un hommage solennel aux nombreux volontaires qui venaient, été comme hiver, au four le shabbat, pour défourner les nombreuses marmites contenant la délicieuse et traditionnelle skhina.

Chez nous, dans la famille, une bonne entente dans une ambiance sereine régnait toujours. Cette amitié se prolongea en Israël en se maintenant entre nous. Nous, notre génération qui a repris le flambeau de la relève, sans nous en apercevoir à quel moment nous sommes devenus nous-mêmes des pères et des mères de familles avec des enfants à charge. Il y a eu des deuils, nombreux, et nous les avons traversés avec dignité, retenue et abnégation. La douleur brûle toujours au fond de nous-mêmes. Nous savons aussi saisir les occasions des fêtes de famille pour nous retrouver. Le message doit rester intact, vivant et fort, pour ne pas rompre et interrompre le lien ancestral. A chaque génération, nous perdons un peu de nos traditions familiales, et plus particulièrement dans le domaine culinaire. L’essentiel est de maintenir la flamme ardente, enthousiaste et fervente. Cette flamme de la famille brillera à jamais, animera nos contacts et consolidera nos liens fraternels, solidaires et affectueux. Le feu brûlera toujours en souvenir de nos parents et de nos aïeux. Nous leur devons cela, c’est la moindre des choses, par respect de leur mémoire, et, en reconnaissance étemelle, pour ce qu’ils ont fait pour nous. De ce que nous sommes devenus aujourd’hui. Leur sacrifice pour nous a été immense. C’est surtout une manière de les maintenir vivants toujours parmi nous. Certains d’entre eux sont partis avant l’âge, d’autres ont subi une mort violente, inattendue.

Agadir-Joseph Dadia

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