L'esprit du Mellah-J.Toledano
TRADUCTION = TRAHISON
Le caractere immuable des textes sacres a fini par deteindre meme sur leur traduction. D'abord parce que la traduction suit le rythme de la phrase hebrai'que et en est un veritable decalque, exactement comme si on collait un mot sur un mot. Le plus amusant est que quand on arrivait a un mot qui n'a pas d'equivalent en arabe (comme par exemple ett qui n'a d'equivalent dans aucune langue) on disait bla sarah, sans traduction. Le sarah n'etait pas recite, mais cantille sur le meme air que le texte hebreu. La traduction qui etait encore enseignee au vingtieme siecle, datait du treizieme siecle., mais comme il etait interdit d'y toucher, elle avait fini par etre parfois encore plus obscure et plus incomprehensible que l'original!
Adopte, l'arabe a ete aussi adapte, se moulant aux besoins specifiques de la communaute. II en sortait a la fois appauvri et enrichi au point de devenir meconnaissable pour nos voisins musulmans.
Appauvri par le manque de contacts avec l'environnement. Enrichi par des neologismes, des tournures, des interpretations empruntees a l'hebreu et a l'espagnol. Paradoxalement c'est son anemie qui en faisait la vigueur: aucun moule grammatical n'entravant sa vitalite, ni aucune des contraintes d'une langue ecrite, il a pu ainsi integrer et digerer les emprunts etrangers au point de les rendre meconnaissables, les locuteurs passant d'une langue a l'autre sans se douter qu'ils passaient une frontiere — les mots on le sait ne payant pas de douane!
"L'arabe integre en son sein I'hebreu-arameen et les autres apports etrangers qui n'alterent pas la structure fondamentale du parler, s'adaptant assez parfaitement a la langue vivante-mere et n'etaient sentis comme des corps etrangers que dans des contextes particuliers" (Haim Zafrani). Meme apres la francisation on aimait retrouver le climat de cette langue, sa saveur, sa malice, la tournure de ses injures et la nostalgie de son humour auquel s'ajoutaient les jeux de mots entre les deux langues
LE LIVRE IMAGINAIRE
Les proverbes sont le domaine privilege pour voir a l'oeuvre cette co-habitation entre les deux communautes, cette symbiose feconde, cette installation dans la meme langue, chacun y apportant son supplement d'ame. Dans une civilisation essentiellement orale, les proverbes constituent comme le livre de reference imaginaire — dans le meme sens que Malraux parle du musee imaginaire de l'art. C'est le grand livre de la sagesse populaire, la cristallisation sous une forme lapidaire et elegante de la lecon des siecles: "Misericorde a nos ancetres: aucun de leurs proverbes n'a ete dementi" dit justement un proverbe — ce qui est en soi un manque de modestie, mais qui peut oser le conredire?
Cet amour des proverbes est profondement ancre dans la tradition juive, ayant recu ses lettres de noblesse du Roi Salomon: "Grace a eux on apprend a connaftre la sagesse et la morale, a gouter le langage de la raison, a accueillir les legons du bon sens, la vertu, la justice et la droiture. Ils donnent de la sagacite aux simples, au jeune homme de l'experience et de la reflexion . . " (Les Proverbes). Cet amour des belles formules resumant la sagesse populaire, est commun aux Juifs et aux Musulmans et dans leurs bouches jaillissent. spontanement les proverbes. La majorite des proverbes etaient communs au Mellah et ala Medina, meme si leur interpretation etait parfois differente, mais nombreux etaient ceux qui n'avaient droit de cite qu'au Mellah et etaient peu cites, sinon inconnus en Medina.
Jaillissement spontane, les proverbes se pretent mal a la classification et a la systematisation. Les etudes les plus fouillees en ont recense au Maroc dans les deux mille, mais pour fuir cette inflation nous n'en avons retenu que quelques quatre cents, les plus populaires au classement imaginaire des best-sellers, avec naturellement une predilection pour les dictons specifiques au Mellah, car quand un proverbe est bien adapte — il est adopte!