Meknes-portrait d'une communaute juive marocaine-Joseph Toledano-ed Ramtol 2017-Tremblement de terre

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TREMBLEMENT DE TERRE

Comme pour achever le tableau de ces trois décades de malheurs vécus comme une sorte de punition divine, devait survenir en 1755, le plus terrible tremblement de terre de l'histoire du Maroc qui fit tomber en ruines les vestiges romains de Volubilis et provoqua entre autres l'effondrement de la grande mosquée Hassan de Rabat. C'était le contre -choc du terrible séisme suivi d'un tsunami qui détruisit de fond en comble la ville de Lisbonne, fai­sant des dizaines de miniers de victimes. Malgré l'isolement, de vagues échos de l'épicentre de ce cataclysme étaient parvenus jusqu'à Meknès; comme le relate le même chroniqueur de l'époque, rabbi Moshé Tolédano :

" Je voudrais rappeler les mi­racles faits en notre faveur par l'Eternel. Le 20 du mois de Hechban 5515 après la col­lation du matin, il y eut un grand tremblement, ébran­lant les montagnes et fracas­sant les pierres. Des murs tombèrent et tous se fissu­rèrent. Cela dura près d'une demi -heure, la terre montait et descendait et nous ne com­prenions pas ce que cela si­gnifiait et ce qu'il fallait faire. Puis le 15 du mois de Kislev, il y eut un nouveau tremble­ment de terre venu du nord, comme il n'y en eut jamais. Toutes les maisons et mêmes les tours hautes comme les cèdres du Liban se sont écrou­lées et par nos péchés il n'y avait pas de foyer où on ne déplore pas au moins un mort. Au mellah, il y eut deux cents victimes et un chiffre innombrable parmi les Gentils. Nous nous sommes réfugiés dans des tentes comme des bé­douins et nous y sommes restés jusqu'à la fin de cette année, et pendant tout ce temps, il ne se passa pas de mois sans de nouvelles secousses, mais jamais aussi fortes que les premières. Cela se passa avec une telle intensité unique­ment dans notre ville, alors que dans les autres contrées du Maroc la secousse ne fut que peu ressentie sans causer de dégâts. Par contre, la rumeur nous est parvenue que dans les villes d'Europe, le jour de la première secousse le feu est tombé du ciel et s'est propagé cinq jours durant et la mer est montée et a inondé nombre de villes…"

La destruction d'un grand nombre de bâtiments du mellah suite au tremble­ment de terre, et la grave pénurie de numéraires amenèrent l'adoption d'une taqana fixant à 2,5% au maximum le taux d'intérêt pour les prêts hypothé­caires. Pour protéger les petits propriétaires qui hypothéquaient leur maison pour survivre, la taqana prévoyait que dans le cas où la maison hypothéquée tombait en ruines, la dette serait éteinte, alors que jusque là elle était divisée à égalité entre les deux parties. Le créancier n'aura d'autre recours que de récupérer les poutres et les pierres de la maison effondrée. Premier signataire de la taqana, rabbi Haïm Tolédano suivi de son frère rabbi Yaacob et de rabbi Mordekhay Berdugo avec l'approbation de rabbi Raphaël Berdugo.

Deux ans plus tard, en 1757, la situation économique restait encore si précaire qu'une taqana fut adoptée pour réfréner la générosité des membres de la communauté, limitant le montant des dons aux quémandeurs étrangers de passage dans la ville :

" Avec l'accord des membres du tribunal, et des membres de la sainte com­munauté, il a été décidé qu'à compter de ce jour, aucun talmid hakham de pas­sage, quelle que soit sa contrée d'origine, ne pourra recueillir plus de 35 onces d'argent pur, et dans le cas de grande personnalité, la somme pourra s'élever jusqu'à 75 onces.. .A l'exception des émissaires de la Terre Sainte – que l'Eternel la reconstruise rapidement de nos jours"

Signataires; les rabbins Yaacob Tolédano, Mordekhay Berdugo, Shélomo Cohen, Moshé Tolédano et les notables : Shemtob Toby, Saud Benlahdeb, Moshé Tolédano, Abraham Monsonégo, Daniel Ben Tolila, Lévy Benlahdeb. Mais même dans cette période de troubles, la diplomatie et le négoce interna­tional ne perdirent pas leurs droits et les Juifs de Cour restaient toujours les intermédiaires incontournables.

LES AVATARS DES JUIFS DE COUR

Malgré les bouleversements, la rupture n'est pas brutale, les commis du règne précédent sont au départ appelés à la rescousse. Dernier rescapé de la période de Moulay Ismaël, Eliezer Ben Kiki, reprit du service. Il fut envoyé par le sultan Mohammed Edehbi (1727 -1729) renouer les négociations avec la Hollande. Arrivé à Gibraltar en compagnie de deux prisonniers hollandais libérés par le souverain en signe de bonne volonté, il apprenait la mort de son mandant et projeta de revenir sur ses pas à Meknès, mais son influent frère Réouben – qui on s'en souvient avait été l'associé de Moshé Benattar – avait réussi entre temps à gagner la confiance du nouveau sultan Moulay Abdallah qui confirma son frère dans sa mission. Mais, signe de ces temps troubles d'anarchie, en arrivant à la Haye, il se trouva face à ….trois autres ambassadeurs marocains chargés de la même mission ! N'arrivant pas à re­cevoir du sultan, qui avait d'autres soucis, de nouvelles lettres de créance, il s’embarqua pour Londres où il sollicita l'aide des autorités britanniques pour revenir au Maroc : Elles la lui accordèrent en tenant compte de la position de son frère, en contrepartie de l'engagement de servir sur place leurs intérêts – ce qu'il n'aura pas l'occasion de faire.

Les familles des grands commis de l'époque de Moulay Ismaël, les Tolédano; Maimran et Benattar définitivement écartées, c'est une autre famille qui prit la relève dans les conditions périlleuses de cette époque troublée. Son repré­sentant le plus illustre, Shmouel Lévy Ben Yuly, fils de Moshé était à la tête d'une grande maison de commerce international en association avec son frère Yéhouda, gérant de l'agence de Rabat. Le sultan Moulay Abdallah l'avait nommé Naguid de la communauté de Meknès en 1730, fonction qu'il remplit avec autorité et équité, s'attirant l'amour du peuple comme en témoigne un rabbin contemporain :

" En cette année 5492,1732, nous avons été saisis d'une grande frayeur en ap­prenant que les ministres et les conseillers du roi projetaient de nous dépouil­ler et de nous laisser nus, mais grâce à Dieu le pieux Naguid rabbi Shmouel Ben Yuli a pris des risques énormes et par sa diligence et son intelligence a déjoué leurs mauvaises pensées, gloire soit rendue à l'Eternel !"

Il devait laisser le souvenir d'un dirigeant courageux, d'une grande fermeté, dévoué au bien public, d'une piété intransigeante qui lui valut la dévotion des rabbins. Avec une audace sans précédent, il stigmatisa le relâchement des mœurs des nouveaux riches surgis en cette période de troubles politiques et de disette économique. Avec l'accord des rabbins de Fès et de Meknès, il fit adopter une taqana applicable dans les deux villes, prévoyant la désignation d'un comité de six membres pour veiller à la moralité et à la bonne conduite des habitants du mellah dans les domaines suivants :

interdiction du mélange hommes et femmes dans les fêtes familiales

interdiction aux femmes de sortir du mellah ou de se rendre seules au four public

interdiction des jeux de hasard comme les dés

interdiction de vente d'eau de vie le jour du shabbat

fermeture des magasins avant l'entrée du shabbat

vérification des poids des marchands de farine et d'huile pour éviter les fraudes

Tel Pinhas dans la Bible, il alla jusqu'à se faire justice. Ayant appris avec cer­titude qu'un riche négociait commettait l'adultère avec une femme mariée, il lui fit administrer par ses serviteurs la bastonnade et le malheureux en mou­rut. Dénoncé, il fut condamné à être brûlé vif dans le four à chaux, puis gracié à la dernière minute. Selon une autre version, "convoqué au Palais par le sultan, il prononça cette phrase qui fut retenue par la postérité : "Si mon pantalon est propre, mon âme est propre." Le sultan le renvoya chez lui en le comblant de cadeaux."

Arrête de nouveau en 1742 pour dettes envers le sultan, il fut relâché quelques mois plus tard et rétabli dans ses fonctions de Naguid qu'il assumera jusqu'à sa mort en 1750. (Un descendant de la branche de la famille installée à Mogador, David Lévy Yulee (1810 -1883) sera le premier sénateur juif de l'histoire des Etats -Unis.)

Si la tradition des Juifs de Cour avait péniblement survécu à ces années de troubles et d'instabilité, elle devait connaître ses plus beaux jours sous le règne suivant, mais Meknès n'y jouera plus qu'un rôle marginal, cédant la primau­té aux villes du littoral. L'année de la mort du souverain Moulay Abdallah, 1757, fut marquée par une nouvelle attaque et pillage du mellah de Meknès qui devait rester assiégé six mois.

Meknes-portrait d'une communaute juive marocaine-Joseph Toledano-ed Ramtol 2017Tremblement de terre-page 82

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