Elie Cohen—Hadria-Les Juifs francophones dans la vie intellectuelle et politique de la Tunisie entre les deux guerres

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Beaucoup d’entre eux s’engageront davantage. Il donneront des conférences eux-mêmes; ils écriront dans des journaux; ils publieront des livres; ils participeront à la vie politique et sociale. Dans le milieu juif d’abord sans doute, mais également en se mêlant directement à la vie de la cité, dans laquelle ils finiront par occuper une place considérable. Ce sont ces activités diverses qu’on se propose d’examiner maintenant.

Et d’abord celles qui restent rattachées aux divers aspects du judaïsme.

La création de la section de Tunisie de l’U.U.J. J. (Union Universelle de la Jeunesse Juive) sera un événement important. Ce sera pendant quelques années une association très vivante. Elle donnera de multiples conférences, dont je ne veux retenir ici que celles de son original président général Aimé Pallière sur le ‘sanctuaire inconnu’ et la série du Docteur Maurice Uzan, publiée ensuite dans un recueil sous le titre ‘Origines et tendances du judaïsme’. A l’actif également de l’U.U.J.J. une manifestation — oecuménique, dirons-nous aujourd’hui— où, en janvier 1927, des orateurs de diverses tendances politiques sont venus, dans un important meeting et devant un public considérable, apporter leur appui à une action menée contre le ‘numerus clausus’ dans les universités de Roumanie, de Hongrie et de Pologne.

D’autres groupements juifs ont cherché par des conférences, avec un succès relatif, à perpétuer le style des universités populaires du début du siècle. Citons pour mémoire—et pour ne pas être trop incomplets — l’Association des Anciens Elèves de l’Alliance, et un groupement sioniste, Yochebet Sion.

Un autre mode d’expression, volontiers choisi par les Juifs, sera la presse écrite, dont le foisonnement sera considérable. Nous ne retiendrons ici que les trois journaux les plus importants, représentatifs chacun d’une tendance de l’opinion juive.

La Justice, quoiqu’à vrai dire la parution de ce journal dans l’entre deux guerres ait été fort irrégulière. Une explication à ce phénomène de lent dépérissement: les ‘assimilationnistes’, comme on disait alors, préférèrent souvent écrire dans des journaux non exclusivement juifs, d’autant que, par le jeu de la loi de 1923, la plupart d’entre eux étaient devenus français.

L’Egalité, de Joseph Cohen-Ganouna, qui avait déjà commencé à paraître avant la guerre, était le porte parole des traditionnalistes et des conservateurs.

Quant aux sionistes, ils disposaient d’un excellent hebdomadaire, Le Réveil Juif, dont les tendances étaient proches du révisionnisme de Vladimir Jabotinski: Félix Allouche, Henry Maarek, Elie Louzoun, doivent être cités comme ses principaux animateurs.

Le journal est un moyen d’expression rapide, et sa vie est éphémère. Quelques juifs tentèrent de faire oeuvre plus durable et écrivirent des livres: romans ou nouvelles, directement inspirés du folklore ou de la vie quotidienne des juifs de Tunisie, qu’ils faisaient ainsi connaître en dehors du cercle étroit de la Communauté. Ce n’est pas un hasard si ces écrivains ont été dans leur majorité de purs produits de l’Alliance Israélite: J. Véhel, Ryvel, Vitalis Danon, les deux derniers y ayant même occupé d’importantes fonctions d’enseignement et de direction. Il était tout naturel en effet qu’ils essaient, dans des ouvrages de fiction, et souvent avec bonheur, de dépeindre les joies et les peines de la population qu’ils côtoyaient quotidiennement.

Là encore, on est entre juifs, même si on écrit aussi pour des non- juifs. Le fait nouveau, et éclatant, c’est l’entrée de nombreux juifs de Tunisie dans la vie publique, en dehors du monde strictement juif.

Mais quelle vie publique? La Tunisie est en effet un protectorat français, mais son gouvernement est tunisien. Des structures — qui sont au demeurant un trompe-l’oeil — maintiennent une certaine identité tunisienne. Il y a même une Assemblée représentative, le Grand Conseil, composée de deux sections: une française et l’autre tunisienne, et dans cette dernière, une place de droit est réservée à quelques représentants de la Communauté juive. De surcroît il existe, depuis 1919, un mouvement nationaliste tunisien, le Destour, qui se divisera en 1933 en deux branches par la sécession de ce qui devait communément être appelé le Néo-Destour. Enfin, malgré les nombreuses naturalisations françaises, les juifs restent dans leur majorité de nationalité tunisienne. Mais que va-t-il se passer en réalité?

Sans doute quelques notables juifs participeront, certains fort efficacement, aux délibérations de la section tunisienne du Grand Conseil. Ils s’y exprimeront d’ailleurs en français. Ils y défendront certes les intérêts de leur communauté, mais ils seront curieusement aussi, en vertu d’une loi non écrite mais constamment observée, les conciliateurs quasi naturels entre le gouvernement tunisien, c’est-à- dire l’autorité française — et les élus musulmans.

Quant aux Destours, dans l’entre deux guerres, ni l’un ni l’autre ne chercheront à attirer les juifs, et les juifs ne seront pas non plus attirés par eux; ils resteront des mouvements essentiellement musulmans. Une exception toutefois, mais de très courte durée, tout à fait au début. La première délégation destourienne à Paris, celle de 1919, comprendra un avocat juif bon arabisant, Elie Zérah, qui disparaîtra discrètement du mouvement au bout d’un temps fort bref.

Les Juifs, qu’ils soient tunisiens ou français, apprécieront donc le mouvement destourien de l’extérieur. Les uns lui seront hostiles, par méfiance surtout envers le fanatisme musulman. D’autres seront plus compréhensifs à l’égard de ses revendications de justice politique et sociale. Mais, encore une fois, ce sera du dehors, car, pour l’immense majorité des Juifs, le maintien de la France en Tunisie ne pose pas de problème. Il est assuré pour très longtemps, sinon pour toujours, et, de cette situation, tous s’accommoderont en fait, même ceux qui souhaitent une plus grande liberté pour les tunisiens musulmans ou juifs et qui combattent pour l’obtenir. C’est donc sur le plan français que devra être menée l’action politique, et c’est sur ce terrain que s’engageront nombre de naturalisés.

Et d’abord par le journalisme. Mais lequel?

Il y a dans les années 20 quatre quotidiens de langue française en Tunisie: deux du matin: la Dépêche Tunisienne et le Petit Matin; deux du soir, la Tunisie Française et Tunis Socialiste.

Les deux du matin se veulent d’information, et apolitiques. De la Dépêche Tunisienne, nous ne dirons rien. Quoique non hostile aux juifs, (sauf, nous le verrons, dans la courte période de 36 à 39), il n’y a jamais eu un seul juif dans sa rédaction, et ce n’est pas absolument le fait du hasard.

Elie Cohen—Hadria-Les Juifs francophones dans la vie intellectuelle et politique de la Tunisie entre les deux guerres page 57

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