Juifs du Maroc a travers le monde –Robert Assaraf- De la tragédie du Pisces à la reprise de l'émigration

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La reaction officielle ne fut pas moins digne. La plus haute instance religieuse, le Grand Rabbin, president du haut tribunal rabbinique, Saul Aben Danan, publia un emouvant message de condoleances:

Dieu Tout-Puissant, Clement et Misericordieux, au nom du Grand Rabbinat de la Communaute israelite et m mon nom personnel, j’exprime avec une profonde histesse, a mes chers compatriotes musulmans I ’affliclion douloureuse dans laquelle nous a plonges ce deuil cruel et inattendu. En ce jour funeste, nous awns subi une perte irreparable: la lumiere de nos yeux s’est obscurcie et nous avons perdu le diademe precieux, objet de notre fierte et de notre orgueil. Notre cher souverain Mohamed V, notre Bien-Aime, est monte au ciel par la volonte du Maitre de I’Univers. Puisse son denouement inlassable au service du peuple marocain, ses immenses bienfaits et ses multiples sacrifices l’accompagner dam le royaume celeste, oiu il residera parmi les Justes.

Prions le Tout-Puissant de bien vouloir prodiguer sa consolation a l’Auguste Famille Royale et a nous tous. Rendons-lui grace d’avoir heureusement permis a notre Souverain de laisser un heritier pour Lui succeder et suivre Sa voie :je veux nommer son fils bien-aime, Hassan II, Dieu lui accorde gloire et lui prete assi tance. Note voeu le plus cher est que Sa Majeste Hassan II soit une benediction du Ciel pour notre chere patrie et pour tout le peuple marocain. Nous Lui souhaitons du plus profound  de notre ame, bonheur, prosperite et longue vie. Amen.

De son cote, le secretaire general du Conseil des communautes israelites, David Amar, publia un communique dont les termes grandiloquents temoignaient cette fois d’une totale sincerite qui ne devait rien aux necessites du protocole. Le message fut integratement repris en premiere page de l’organe des communautes, la Voix des communautes, dans sa livraison du 6 mars 1961:

La population marocaine tout entiere a ete ebranlee au plus profond d’elle- meme a l’annonce du desastre national. Le roi Mohamed V n’est plus. Notre

cœur saigne et nos âmes se lamentent à l’évocation de la perte cruelle de notre Souverain Bien-Aimé. La louange recule d’impuissance, car Sa Majesté était au-dessus de toute louange. Les mots sont vains et les formules vides pour exprimer Sa grandeur et Sa magnanimité, Sa paternelle autorité, la finesse de Son esprit ouvert à toutes les disciplines, l’admirable constance de Son caractère, quelles que fussent les épreuves qui jalonnèrent sa trop brève existence. Rare­ment règne fut plus auréolé par l’amour et l’affection d’un peuple reconnaissant. Mohamed V, que Dieu L'accueille en son sein, L’assoie à Sa droite parmi les justes, restera le Libérateur et le père de la Renaissance nationale. Aussi haut que l’on puisse remonter dam l’histoire de Son règne, on retrouve avec émotion les preuves incessantes de l’affection pleine de ferveur que Lui rendait Son peuple, et plus particulièrement le judaïsme marocain.

Nous nous remémorons avec gratitude ta lutte vigoureuse et sans ambiguité qu’il opposa à 1'application au Maroc des lois d’exception. Nous n’oublierons jamais que c’est Lui qui, dès l’aube de l'Indépendance, a proclamé la pleine citoyenneté des juifs marocains sur un plan d’égalité complète avec nos compatriotes musulmans. Il y a seulement dix jours, Il nous affirmait avec vigueur que c’était me constante de la politique marocaine. Il nous parlait de la nécessité de l'unité et de la cohésion de la Nation, dont nous formons partie intégrante. Sa voix s’est éteinte à jamais, mais, dans le cœur de Ses sujets, Son glorieux souvenir reste impérissable, et l’écho de Ses paroles retentira à jamais.

Au nom du Conseil des communautés et du judaïsme marocain tout entier, nous élevons nos prières pour le repos de Son âme, et, avec la même ferveur, nous prions le Seigneur d’accorder longue vie et long règne à S. M. Hassan IL Puisse Son règne être aussi glorieux que celui de Son Auguste et Illustre Père.

À peine disparu, Mohammed V entrait dans la légende, et la communauté juive ne fut pas la dernière à porter crédit à certaines rumeurs selon lesquelles le défunt souverain était apparu en rêve à son fils pour lui faire une dernière recommandation : « Garde bien les Juifs, ils sont sous ta protection ! »*

Le prince héritier Moulay Hassan, vice-président du Conseil des ministres, monta sur le trône le 26 février 1961. Le nouveau monarque, qui prit le nom de Hassan II, entama alors un règne qui devait durer trente-huit ans et quatre mois, jusqu’à sa disparition, le 23 juillet 1999.

L’arrivée sur le trône du nouveau souverain inaugura une période de répit pour le judaïsme marocain, traumatisé par l’affaire du Pisces. En politique étrangère, Hassan II, poursuivant au début l’orientation tiers-mondiste adoptée à la fin du règne de son père, puis infléchit celle-ci petit à petit afin de ne pas provoquer de remous inutiles. Ainsi, il remit diplomatiquement à plus tard, sans fixer de date, la visite de courtoisie à Moscou à laquelle s’était engagé Mohammed V après la visite de Leonid Brejnev à Rabat. De même, il demanda au président Gamal Abdel Nasser de reporter le voyage qu’il devait effectuer au Maroc en mars 1961.

Le même mois, cependant, le secrétaire général de la Ligue arabe, Abdelkader Hassouna, se rendit à Rabat pour s’assurer qu’aucun changement n’interviendrait dans la position marocaine sur l’émigration juive et à l’égard d’Israël. Il repartit rassuré, en apparence. Pourtant, dès le mois de mai 1961, sans promulguer une amnistie officielle, Hassan II fit libérer sous caution les jeunes militants sionistes emprisonnés qui s’empressèrent de quitter le pays sans que la police n’intervînt pour les en empêcher.

Un plus grand libéralisme présida à la délivrance des passeports, à tel point qu’à Casablanca les services concernés furent débordés par les demandes. Peut-être pour tenter d’enrayer cet exode, le comité de la communauté locale fit lire, en août 1961, dans toutes les synagogues, un message affirmant que la délivrance des passeports se poursuivrait sans entrave, et demandant à ceux qui n’avaient pas besoin, dans l’immédiat, de ce document, de ne pas assiéger les bureaux de l’administration afin de permettre aux personnes qui devaient impérativement voyager d’être servies les premières.

En fait, les candidats au départ ignoraient tout des discrètes tractations entamées par le Mossad avec Hassan II, en vue de parvenir à un accord relatif à l’émigration des Juifs marocains vers Israël, un accord négocié par Alex Gatmon, le nouveau chef de la Misguéret (« le Cadre »), l’organisation clandestine fondée par le Mossad pour assurer l’autodéfense de la communauté juive et l’immigration clandestine.

Alex Gatmon était vite arrivé à la conclusion que, si rien ne changeait, les résultats, obtenus à un prix très coûteux, resteraient limités. Cela avait toujours été la position du Congrès juif mondial, opposé à l’organisation d’une immigration clandestine vers Israël. Le CJM préférait, par principe, la voie de la diplomatie discrète, en définitive plus promet­teuse et efficace. La politique plus libérale d’octroi des passeports renforça la position de Nahum Goldman, qui estimait que, en l’absence de tout danger réel pour la communauté juive marocaine, mieux valait mettre un terme aux départs clandestins et, éventuelle­ment, engager le dialogue avec les autorités de Rabat. Le chef du Mossad, Isser Harel, était arrivé à des conclusions similaires. Cependant, méfiant, il voulait garder deux fers au feu. Parallèlement à la recherche du dialogue, il ne fallait pas, selon lui, renoncer à l’aiguillon de l’immigration clandestine qui gênait le gouvernement marocain sur lequel on devait continuer à exercer une pression. Après le naufrage du Pisces, il donna l’ordre de reprendre à tout prix les départs clandestins pour remonter le moral des militants et démontrer aux candidats à l’émigration que celle-ci se poursuivait malgré tout, voire se faisait plus audacieuse.

À la place de la frêle embarcation qu 'était le Pisces, un bateau italien de 500 tonneaux, rebaptisé Cocus, fut affrété. Il était capable de transporter jusqu’à deux cents passagers par traversée et avait Cadix pour port d’attache. Au lieu de la côte méditerranéenne, trop éloignée des centres juifs, l’embarquement se faisait désormais sur la côte atlantique, près de Fédala.

Au cours des six premières traversées, le Cocus transporta près de 900 émigrants clandestins. Parallèlement, une opération, trompant la vigilance des autorités marocaines, permit le départ de 500 jeunes juifs âgés de 7 à 17 ans, officiellement pour rejoindre une colonie de vacances en Suisse, en fait pour un aller sans retour. Ces départs, à cause des multiples arrestations aux frontières espagnoles, étaient loin de passer inaperçus. La presse nationaliste ne manquait pas d’en faire souvent état. Le 10 mai 1961, l’organe en langue arabe de l’Istiqlal, ElAlam, allait jusqu’à demander la peine de mort pour les émigrants clandestins : « L’immigration des Juifs marocains vers Israël devrait être punie de mort, car elle équivaut à un acte de haute trahison. La peine de trois ans de prison qui a frappé les 11 juifs arrêtés, alors qu’ils tentaient de quitter illégalement le pays, est insuffisante… »

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