Les veilleurs de l'aube-V.Malka

LES VEILLEURS DE L'AUBE – VICTOR MALKA

Chapitre V « Des anges chantaient par sa voix »

Il serait plutôt grand comparé aux hommes de son pays et de sa communauté. Les juifs des anciennes générations, ici, ne se sont jamais fait remarquer par leur taille : ils sont généralement de petite corpulence (moyenne dans le meilleur des cas) et relativement fragiles ou chétifs. Mau­vaise hygiène de vie ? Diététique insuffisante ? Alimenta­tion non équilibrée ? Manque total d'activités sportives ou simplement physiques ? Sans doute y a-t-il surtout une simple question d'héritage génétique. On est ainsi de père en fils. Et d'ailleurs, les juifs, ici ou ailleurs, n'ont jamais été des hommes grands de taille. Samson, à supposer qu'il ait été, comme on le dit, fort comme un gladiateur, est à n'en pas douter une relative exception dans le panorama du peuple juif. Albert Cohen a raison : ce n'est pas à leur taille qu'on juge les hommes, pardi ! Et nul parmi ces juifs n'a jamais pensé qu'il pouvait, un jour, à cet égard, en aller autrement.

David Bouzaglo naît dans une des lointaines banlieues de Marrakech, dans le village nommé Zaouiya, au tour­nant du siècle : trois ans à peine que l'on a quitté le xixe pour passer au xxe. Le Maroc ne deviendra protectorat français que dans neuf ans et, pour l'heure, les juifs sont encore considérés, du nord au sud du pays, comme des .dhimmis (des protégés). Ils sont soumis à un statut spécia lplus ou moins supportable ; dégradant et humiliant selon les événements, les volontés et les humeurs successives des monarques ou des dictateurs régionaux en place. Un statut juridique en tout cas relativement libéral en compa­raison avec la condition des juifs en Europe. Ici, on ne parle pas encore des juifs comme de véritables citoyens.

Casablanca n'est pas encore un grand port industriel. C'est une ville comme une autre. Mais elle va vite le deve­nir à la veille de la Première Guerre mondiale. La cité considérée depuis lors comme la capitale économique attire peu à peu des milliers d'Européens et des dizaines de milliers de juifs venus des quatre coins du pays pour trouver du travail – inexistant ailleurs – et d'abord pour échapper à la misère. Sans doute aussi pour se sentir appartenir à une collectivité et en être à l'occasion – on ne sait jamais – protégé. La famille de David Bouzaglo fait partie de ces immigrés de l'intérieur.

David va au Talmud Torah, l'école traditionnelle, la seule à l'époque à accueillir les enfants de la communauté juive. Les études sont celles que suivent alors tous les enfants juifs : d'abord la Bible avec éventuellement – quand les enfants sont capables et en âge de suivre – les commentaires et les interprétations de Rachi. Puis il arrive qu'on aborde les traités les plus simples du Talmud, celui de Brakhot (les Bénédictions) en particulier. On dit de David – c'est en tout cas l'impression générale de ses différents maîtres – qu'il est doué pour la dialectique. Il sait (ce qui, dans l'étude du Talmud, est indispensable) interroger, poser de vraies questions. Il est vif. Tranchant. L'esprit constamment en éveil. Il sait analyser un texte. Il aime tourner et retourner des raisonnements. Contester des interprétations. Chercher par-delà les mots la signification profonde des versets. Il se prend d'amour manifestement pour les charmes et la musicalité de la langue hébraïque. Que fort peu de gens ici – même les plus lettrés d'entre eux – parlent alors couramment. Comme dans toutes les  diasporas, l'hébreu est réservé uniquement à la prière, au rituel sacré et à l'étude. C'est l'arabe, ou plutôt le judéo- arabe, qui est la langue de tous les jours, celle de la rue, du jeu, du commerce et des relations familiales. David lit notamment le grand poète national juif Haïm Nahman Byalik, ainsi que les œuvres d'Ahad Haam. Des témoins le décrivent comme passionné par les œuvres du philo­sophe Maïmonide.

J'avais dix ans – dit Haïm Louk, un de ses disciples – quand je venais lui rendre visite, parce que j'habitais au 10 de la rue Lusitania, à Casablanca, alors que son domi­cile se trouvait au numéro 8. Il était souvent occupé à réfléchir à des lectures de Maïmonide qu'on venait de lui faire. Inutile d'ajouter qu'il avait également tout lu des œuvres des poètes de l'âge d'or espagnol "

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