Les evenements de Demnat
Il etait une fois le Maroc
Temoignage du passe judeo-marocain
David Bensoussan
Et pourtant : dans son ouvrage Reconnaissance au Maroc publié en 1883, le Vicomte Charles de Foucauld affirmait : « Demnat et Sefrou sont les deux endroits du Maroc où les Juifs sont les plus heureux…» Un lettré de la ville Mohamed Al-Ghujdami affirmait : « Les Juifs étaient, avant les bouleversements de la deuxième moitié du XXe siècle, mêlés aux Musulmans comme l'eau est mêlée au vin. » Que s'était-il donc passé?
Du temps du caïd Ali Demnati, les relations étaient excellentes. Son fils Jilali qui hérita de sa fonction était le plus gros commerçant de la région abusa de ses prérogatives, comme le montre la succession des événements suivants : En 1864, les notables de la ville demandèrent au sultan que les maisons des Juifs soient éloignées du cours d'eau alimentant la mosquée. L'année suivante, l'entrepôt de marchandise d'un commerçant juif de Mogador fut mis à feu. Les cordonniers juifs se plaignirent au sultan de ce que les cordonniers musulmans les boycottaient. A son retour d'audience, la délégation juive ne put revenir dans la ville dont l'entrée avait été bloquée par le frère de Jilali, ce qui contraignit la délégation à aller retrouver le sultan. En 1879, les Juifs de Demnat demandèrent au sultan d'instituer un tour de garde pour les protéger. La méfiance s'installa entre les communautés jusqu'à ce qu'il soit jugé nécessaire de déménager les Juifs au Mellah. Le caïd Jilali finit assassiné par un religieux musulman qui avait été emprisonné et bastonné et auquel il avait confisqué son lopin de terre. Selon Al- Ghujdami, le nouveau cheikh se tint personnellement devant la porte du Mellah pour empêcher les pillards d'y pénétrer.
On pourrait conclure de cet épisode que des mesures répressives envers les non-Musulmans pouvaient être invoquées au nom de l'islam pour pratiquer l'injustice et semer la discorde. Le bouc émissaire était tout désigné.
TÉMOIGNAGES DE L'ALLIANCE ISRAÉLITE UNIVERSELLE
Historiquement, l'Alliance intervint pour défendre les abus contre les Juifs
L'implication des écoles de l'Alliance confronta ses dirigeants à la dure réalité des injustices subies par les Juifs et l'Alliance. Ces derniers se portèrent à la défense des droits des minorités juives brimées bien avant l'avènement du Protectorat en 1912. Dans les faits, la présence de l'Alliance au Maroc remonte à 1862, date d'ouverture d'une première école à Tétouan. La mission éducatrice de l'Alliance visait à faire accéder à la culture française et à la modernité les communautés juives tout en combattant pour l'égalité des droits des minorités. Le réseau scolaire rayonna graduellement sur la quasi totalité du territoire marocain, en commençant par les grandes localités telles Tanger (1864), Mogador et Safi (1866), Larache (1873), Elksar (1879), Fès (1883), Casablanca (1897), Rabat, Mazagan, Meknès, Marrakech, Azemmour et Salé (de 1901 à 1912), puis dans des plus petites localités telles Ouezzane (1926), Ber- Rechid, Settat, Beni Mellal, Boujad (1927), Midelt (1928), Ben-Ahmed, Taroudant (1929), Demnat (1932), Kasba-Tadla (1933), Tiznit (1934), Oued-Zem, Agadir (1935), Taourirt etc. Le réseau qui comptait 5 240 étudiants en 1912, finira par en atteindre 32 000 étudiants en 1959.
L'Alliance intervint plusieurs fois en faveur des Juifs du Maroc. Dans son ouvrage L'Alliance Israélite Universelle et la renaissance juive contemporaine, André Chouraqui écrivit : « Année après année, Paris écoutait les douloureux échos des actes de cruauté qui se commettaient dans l'Empire du sultan : captifs torturés, jeunes filles enlevées, jeunes gens convertis de force, mellahs pillés, Juifs condamnés à abandonner leur résidence. » Les puissances européennes furent saisies de la nature de ces sévices afin qu'elles entreprennent des démarches diplomatiques nécessaires auprès du sultan. Ainsi, la communauté internationale qui s'émut de la situation des Juifs de Tétouan du temps de la guerre maroco-espagnole, manifesta ses préoccupations dans une note intitulée : Opinion collective des représentants des puissances étrangères au Maroc sur une mesure adoptée par le gouverneur de Tétouan vis-à- vis de certaines notabilités israélites de la ville. Conseils et vœux communiqués à ce sujet à Sidi Barguash, Ministre des Affaires étrangères du sultan.» De même, l'Alliance révéla au grand jour les injustices subies par les minorités juives du Maroc, tout comme dans le cas de Demnat.