Michel Knafo-Le département d'immigration, le Mossad et autres organismes

Le département d'immigration, le Mossad et autres organismes

Depuis que Kadima, l'organe du département d'immigration, avait été dissous sur ordre des autorités du Maroc indépendant, l'émigration des Juifs vers Israël s'est poursuivie sous diverses formes. Ils quittaient le pays de manière légale ou illégale, avec l'accord des autorités ou malgré leur interdiction, par la négociation ou l'activité clandestine. Des caravanes plus ou moins grandes d'émigrants étaient organisées – recevaient des instructions nécessaires et on les transportait, clandestinement, au-delà des frontières. Derrière toutes ces activités la main directrice de l'Etat d'Israël.

La participation du département de la Alyah dans l'organisation de la sortie clandestine des Juifs du Maroc n'a pas été le fruit du hasard. Elle est née, et ensuite poursuivie, de manière toute naturelle, étant l'émanation de l'essence même du mouvement sioniste œuvrant en faveur de Sion, quant à l'autre partenaire il représentait la ligne officielle de l'Etat d'Israël qui agissait en faveur du rassemblement des exilés. On le sait, le département d'immigration était chargé de l'Alyah des Juifs déjà avant que naisse l'Etat d'Israël, et c'est encore sa fonction aujourd'hui. Ce sont là des considérations d'ordre général, mais dans le cas de la Alyah du Maroc, les choses ne pouvaient être si simples en raison naturellement de l'interdiction de sortie imposée aux Juifs.

Rappelons qu'un an avant la fermeture des bureaux de Kadima, des agents de l'Etat d'Israël oeuvraient déjà, au Maroc, avec la collaboration de l'élite de la jeunesse juive, à l'organisation de l'autodéfense. La fermeture des bureaux de Kadima a joué certes un rôle prépondérant dans l'interruption de l'activité sioniste. Les délégués de l'Agence juive ont donc dû quitter le Maroc lorsque la validité de leurs visas est arrivée à terme, mais en revanche, les autorités marocaines ont été dans l'impossibilité de mettre la main sur les agents de l'Etat d'Israël restés dans le pays.

Telle était la situation, et il était donc naturel que ces agents et les activistes de la Misguéret investissent leurs efforts, aient pris le relais de l'organisation de la Alyah clandestine à ses débuts. La volonté des Juifs de partir était plus forte que jamais, surtout à la suite des événements de cette période.

On comprend donc comment se sont associés ceux qui, depuis des années, l'Agence juive avait chargé de s'occuper de l'immigration, et les agents d'Israël venus enseigner aux Juifs du Maroc la fierté israélienne d'être indépendants. La collaboration du département d'immigration avec le Mossad fut donc la conséquence directe des événements. Le département d'immigration apporta à cette association sa longue et riche expérience dans l'organisation de l'immigration des Juifs vers Israël, ses relations avec les autorités portuaires et les compagnies navales et aériennes, et ses possibilités financières; le Mossad apportait son expérience du travail clandestin et ses hommes, recrutés essentiellement dans les rangs de Tsahal, dans les colonies agricoles et parmi les originaires d'Afrique du Nord.

A partir de 1956, la collaboration entre les deux équipes a été entière. Si au depart cette coopération fondée encore sur la négociation des droits et compétence  réciproques très vite devait régner une harmonie totale, grâce à la sagesse des dirigeants et au dévouement commun à la même cause.

La question toutefois peut se poser pourquoi un organisme de l'Etat d'Israël qui, par sa nature devait s'occuper de sujets tout différents, a été chargé de l'émigration des Juifs du Maroc. En approfondissant la question, à la lumière de l'expérience marocaine, on comprendra la différence entre l'immigration illégale en Erets- Israël à l'époque du mandat britannique, et l'immigration après la création de l'Etat d'Israël. En effet, dans le premier cas, l'entrée était interdite, mais les Juifs étaient libres de quitter leurs pays d'origine, alors que dans le deuxième cas, après la création de l'Etat d'Israël, avec l'accession à l'indépendance de différents pays arabes, les choses avaient changé. L'entrée en Israël était absolument libre, mais plusieurs pays fermaient petit à petit aux Juifs leurs frontières.

L'organisation devait subir des changements stratégiques mais fondamentalement le travail restait identique; aussi bien avant la naissance de l'Etat d'Israël qu'après, on ne pouvait renoncer au travail clandestin. Le front n'était plus le même, mais la clandestinité n'avait pas changé. Sur le nouveau front, la terre du Maroc, il était nécessaire de trouver les hommes adéquats de cristalliser de nouvelles méthodes et de faire appel à l'expérience. Les personnes qui semblaient aptes à préparer les Juifs du Maroc à l'autodéfense semblaient capables aussi d'organiser leur émigration vers Israël

C'est donc ainsi que se sont déroulés les événements. Le Mossad a été jugé apte à ce travail de par son expérience de la vie clandestine et anonyme qui est en fait son mode de vie.

Dans les conditions particulières qui régnaient au Maroc, il était nécessaire d'utiliser une méthode de travail fondée sur la notion de commandement et non pas sur une hiérarchie administrative, ce qui est la spécialité du Mossad.

Il fallait aussi trouver les instruments nécessaires. L'Etat major de la Misguéret à Paris a pris la direction du travail des nouvelles antennes: l'Alyah Beth – l'immigration illégale, et les mouvements de jeunesse pionnières – et à partir de fin 1961, aussi l'antenne de l'Alyah Guimel qui a succédé à la Alyah Beth.

Au cours des premières années de la collaboration, la répartition du travail entre le département d'immigration et le Mossad était la suivante: les aspects politiques, les négociations apparentes avec les différents organismes pouvant avoir de l'influence sur les questions d'émigration du Maroc étaient du ressort du département de la Alyah alors que l'aspect opérationnel et organisationnel de l'émigration des Juifs du territoire marocain relevait de la compétence de la Misguéret, c'est-à-dire du Mossad.

Globalement, on peut dire que la Misguéret était chargée de faire sortir les émigrants du sol marocain et de les mener à un des camps de transit à Marseille, Naples ou Gibraltar. A partir de là, et jusqu'à leur arrivée en Israël, ils étaient sous la responsabilité du département de la Alyah. Il est évident que toutes les dépenses de la Misguéret liées aux opérations étaient couvertes par le département d'immigration de l'Agence Juive.

Telle était, en ligne générale, la répartition du travail qui a été décidée en son temps et qui a effectivement fonctionné pendant des années. Inutile d'ajouter que la coopération exigeait souvent des consultations réciproques.

Il y avait aussi des camps de transit à Marseille, Gibraltar et à Naples, dirigés par des délégués du département d'immigration et de la Misguéret.

L'étroite coopération entre le département d'immigration et le Mossad s'est poursuivie même à la période de l'Alyah Guimel (opération Yakhine), mais la répartition du travail a subi des changements. Si on avait eu la certitude que les portes du Maroc resteraient ouvertes jusqu'à la fin des opérations, et que la sécurité des Juifs ne risquait plus d'être remise en question, le Mossad aurait pu se dégager de ses responsabilités et laisser toute l'activité sous la responsabilité du département d'immigration. Malheureusement, ce n'était pas évident, et la collaboration a continué plus ou moins dans les mêmes schémas

Le Mossad et le département d'immigration étaient les principaux protagonistes, presque exclusifs, dans l'organisation et dans la mise en pratique de l'émigration des Juifs du Maroc, mais il ne faut pas pour autant oublier la contribution des autres organismes: le Congrès juif mondial, en collaboration étroite avec l'Agence juive, et le ministère des Affaires étrangères d'Israël qui était en permanence lié aux consultations et aux décisions, et dont les fonctionnaires suivaient les événements du Maroc. Il y avait aussi HIAS (Hebrew Immigrant Aid Society) dont les dirigeants, aussi bien aux Etats-Unis qu'en France ont contribué à la promotion des négociations avec les proches du Palais royal avant le début de l'opération Yakhine, et ensuite pour l'application des accords.

Le Mossad et les secrets du reseau juif au Maroc 1955-1964 – Michel Knafo Juillet 2007-page 76-79

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