Juifs du Maroc a travers le monde –Robert Assaraf

La question des passeports et de l’émigration juive fut, en effet, un des moyens utilisés par l’opposition de gauche dirigée par Mehdi ben Barka pour critiquer le gouvernement marocain.

Pour frapper les esprits et décourager les vocations sionistes, un grand procès fut orga­nisé à l’automne, à Tanger, contre un groupe de malheureux immigrants clandestins, arrêtés alors qu’ils s’apprêtaient à franchir la frontière près de Ceuta. Le verdict fut, au bout du compte, relativement clément, mais les dommages psychologiques causés par ce procès furent énormes.

La Voix des communauté ayant disparu, ce fut l’Information juive d’Alger qui s’occupa avec le plus d’intensité des problèmes des Juifs du Maroc. Dans son numéro de novembre 1958, le journal mit en garde contre « la psychose de peur, sans doute irraisonnée, à coup sûr exagérée, qui règne actuellement dans les milieux juifs marocains », en ouvrant ses colonnes à Carlos de Nesry.

Dans un très long article consacré à ce procès, après s’être demandé « s’il ne s’était pas trompé en conseillant à ses frères de parier sur le Maroc », Carlos de Nesry concluait sur une note malgré tout optimiste, en faisant l’éloge du défenseur des accusés :

En Me Benjeloun parlent à la fois l’avocat et le leader démocrate. Il plaide parallèlement la cause des Juifs emprisonnés et la cause de la liberté… Le débat s’élève. Le vrai problème est posé dans toute sa netteté, sans ambiguïté et sans artifice de style : la liberté de circulation des Juifs marocaim. Il démontre qu 'aucune loi n ’interdit aux Juifs de quitter le pays, et partant tout ce qu 'il y avait d’arbitraire dans les pratiques administratives qui multiplient les entraves aux départs et, surtout, tout ce qu’il y a de profondément injuste à arrêter les partants et à vouloir les condamner en vertu de textes qui n 'existent pas. Il rappelle la politique libérale suivie devant ce problème par le premier gouvernement marocain – dont il était membre au titre de ministre des Finances -, politique mise en application lorsqu’on laissa partir tous les occupants du camp d'Azemmour, et reproche aux gouvernements ultérieurs de ne pas avoir persévéré dans une aussi belle voie. Il invoque les déclarations égalitaires du souverain… Tout, donc, n ’est pas perdu pour nous, pour tous. Et dans la salle en tension où se pressent les familles, les amis, les observateurs, où les derniers fidèles de ta justice sont venus savoir ce qu ’il en est de la justice marocaine, passe alors comme un souffle d’espoir.

Cet espoir ne se matérialisa pas. Le gouvernement Balafredj démissionna le 25 novembre 1958 et, le 24 décembre 1958, Mohammed V chargea le leader syndicaliste Abdallah Ibrahim, appartenant à l’aile gauche de l’Istiqlal, de former le quatrième gouvernement de l’indépendance en deux ans.

Chef de file des syndicalistes qui avaient mené la vue si dure à leur compagnon de parti Ahmed Balafrej, le nouveau président du Conseil Abdallah Ibrahim était tout désigné pour assurer l’alternance. Sur presque tous les plans, il prit le contre-pied de son prédécesseur conservateur, cherchant à engager le Maroc, aussi bien sur le plan économique et social

que sur celui de la diplomatie, dans l’orbite arabe, tiers-mondiste, neutraliste et non-alignée. Interventionniste volontariste, plus attiré par les exemples chinois et yougoslave que par le modèle occidental, il tenta de se libérer de la dépendance trop exclusive de la France, d’accélérer la récupération des terres de colonisation, de promouvoir la réforme agraire, les nationalisations des secteurs clés et de sortir du modèle du sous-développement en mettant au point un ambitieux plan quinquennal visant à modifier structurellement le modèle de développement hérité du Protectorat.

Suivant sa pente naturelle, l’anti-impérialisme d’Abdallah Ibrahim glissa vers une franche xénophobie. La haine de l’étranger, de 1’« Occidental » n’avait pas peur du ridicule. C’est ainsi, par exemple, qu’il interdit sur le territoire marocain deux organisa­tions charitables françaises qui n’avaient rien de bien redoutable, l’Association des veuves de guerre et l’Association des aveugles, uniquement parce qu’elles étaient françaises !

Sur le plan arabe, le gouvernement Abdallah Ibrahim établit des relations privilégiées avec l’Égypte, et demanda enfin son adhésion officielle à la Ligue arabe, qui fut entérinée à l’unanimité le 1er octobre 1958. Corollaire immédiat de cette décision, le Maroc adhéra aux organisations qui dépendaient de la Ligue arabe et, en premier lieu, à l’Union postale arabe et au Bureau du boycott arabe contre Israël, dont le siège était basé à Damas.

Pour donner plus de poids à la nouvelle orientation, Mohamed V effectua une très longue visite d’un mois, en janvier et février 1959, au Moyen-Orient. Sa première visite fut naturellement pour F Égypte, où il participa aux côtés de son président du Conseil, Abdallah Ibrahim, à la cérémonie d’inauguration du barrage d’Assouan, l’œuvre pharaonique de Nasser. Il se rendit ensuite dans l’autre province de la République arabe unie, la Syrie, puis en Jordanie et en Arabie Saoudite, au Liban, au Koweït et en Irak. Au cours de sa visite en Jordanie se plaça un épisode qui relève plus de la légende que de la vérité historique, mais qui révèle que, même après avoir quitté le Maroc, les Juifs originaires de ce pays conser­vaient la même ferveur pour le souverain, malgré les aléas de la politique du moment. Un mur séparait alors les deux parties de Jérusalem, la partie Est, annexée par la Jordanie, et la partie Ouest, capitale de l’État d’Israël. La tension était forte, et les incidents le long de la ligne de démarcation coupant en deux les rues et même parfois des maisons, presque quotidiens. Pour contempler la Vieille Ville et tenter d’apercevoir ne serait-ce que l’ombre du Mur occidental, leur lieu le plus saint dont, malgré les conventions d’armistice, l’accès leur était interdit, les Israéliens – et les juifs – ne disposaient que d’un observatoire exposé aux tirs des Légionnaires sur le mont Sion.

Les originaires du Maroc, qui avaient reporté sur la tombe du Roi David au mont Sion leur ferveur légendaire pour le pèlerinage des Tombeaux des saints, étaient, comme à l’accoutumée, particulièrement nombreux ce jour-là sur l’observatoire. Soudain, un pèlerin se mit à hurler en pointant le doigt sur la muraille de la Vieille Ville : « Je l’ai vu, c'est bien lui, c’est Sidna, le sultan du Maroc ! »

Aussitôt, tous ses compagnons grimpèrent au haut de l’observatoire, sans craindre les balles, d’habitude si redoutées, des soldats de la Légion arabe, et se mirent à saluer joyeu­sement Mohamed V, qui, de l’autre côté de la frontière, les avaient reconnus à leur ferveur et leur rendait leurs saluts en les bénissant comme ses propres enfants. Dans le labyrinthe des barbelés qui divisait alors la Ville sainte, une telle scène était topographiquement

impossible, mais les légendes se moquent des faits, et ce pieux récit, garanti authentique, ne tarda pas à faire rapidement le tour des agglomérations des originaires du Maroc en Israël et réapparaître mystérieusement, malgré la coupure des relations postales, dans les mellahs marocains !

Légende d’autant plus incroyable qu’elle coïncidait avec la contagion de l’opinion marocaine par la propagande anti-israélienne la plus virulente, à la suite du rapprochement avec Le Caire, et avec l’écoute assidue par les masses de « La voix des Arabes ».

Juifs du Maroc a travers le monde –Robert Assaraf – page 66

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