La Torah et son etude dans le Hessed le-Abraham de Abraham Azulai- Roland Goetschel."recherches sur la culture des juifs d'afrique du nord –Issachar Ben-Ami

  1. AZULAI COMME PRECURSEUR DU HASSIDISME D EUROPE ORIENTALE

Si l’on compare la littérature des premières générations de la hassidût d’Europe Orientale et la thématique mise en oeuvre par A. Azulaï dans son Hesed le-Abraham on ne peut manquer d’être frappé par la proximité qui se révèle pour certains enseignements entre le kabbaliste de Hébron et certains élèves du Becht. On se limitera ici à deux exemples.

Le premier concerne le problème de la kawwanah dans l’étude et la prière. Comme on l’a déjà noté, la langue hébraïque n’a pour lui rien d’une langue conventionnelle mais il existe dans les let­tres de la langue sainte une spiritualité, une intrinscécité et une vitalité qui procède du monde des sefirôt que le souffle de l’homme est suscepti­ble d’éveiller au moment adéquat. Le souffle de la bouche amène à l’être les saintes formes lesquelles s’élèvent et se lient à leurs racines qui sont au principe de l’émanation. Lorsque l’homme évoque un mot, il meut la puissance des lettres qui sont susceptibles de permuter en lui. Et en raison du mouvement de ces puissances et de leur entre­choquement de par le truchement de l’âme, en dehors de l’éveil qu’elles provoquent au niveau de leurs principes d’en-haut pour y produire cette effectivité, elles suscitent encore une réalité nou­velle, de nature spirituelle comme celle de l’ange, qui s’élève et se lie à sa racine et qui fait diligence pour réaliser son opération.

A cela vient s’ajouter la correspondance entre le microcosme et le macrocosme. Ainsi que l’écrit A. Azulaï: Ha-’adam hu’ ha-‘ôlam we-ha-‘ôlam hu ha-’adam. Il s’agit, ajoute-t-il, de l’homme dont parle le Sefer Yeîsirah. Et l’on peut apprendre ce qui est caché de ce qui est manifeste. De la même manière que l’homme se maintient dans son existence par l’inspiration et l’expiration de son souffle, de même le monde. Il existe par le mystère du souffle spirituel subtil qui réside en lui, qui lui accorde sa vie et son maintien dans la vie, il s’agit du prolongement de la Shekhinah en bas, de la divinité telle qu’elle est présente parmi les êtres inférieurs. Ainsi retrouve-t-on dans le monde, dans le mystère de sa vitalité, celle de la spiritualité d’en-haut, le rythme de l’inspiration et de l’expiration présent chez l’homme. A cela, l’Ecclésiaste a fait allusion par son Habel habalîm ha-kôl habel. L’explication en est: un souffle de ces souffles d’en haut qui procurent la vitalité au monde qui se maintient dans le souffle des souf­fles, dans un souffle qui descend et procède de ces souffles d’en-haut. Par l’étincelle de l’âme qui par­court les quatre mondes de ‘ABa Y’A, l’existence s’unit à l’existence et illumine son modèle au milieu de l’émanation. Par le souffle de cette étin­celle là qui jaillit, la voix de la Torah s’élève et perce avec force les firmaments car il vient à l’être par le moyen des mots, lettres et voix. Alors les accusateurs n’ont plus de pouvoir pour saisir ou empêcher mais lorsqu’il y a des embarras dans la Torah alors les lettres demeurent en l’air car elles sont affaiblies.

La raison en est, et Azulaï reprend ici un pas­sage ’Or Yaqar de Cordovero sur les Heykhalôt de la péricope Peqûdey, que le monde a été créé par les vingt-deux lettres de l’alphabet. Et l’énergie de ces lettres s’affaiblit et s’amoindrit en raison de l’action des êtres d’en-bas et c’est pourquoi il con­vient de les fortifier et de les régénérer. Par là on entend ce que signifie l’énoncé talmudique: “le monde ne subsiste que par le souffle des écoliers” en effet le souffle de ces écoliers qui est gros des lettres de la Torah s’élève et engendre la spiritua­lité résultant de la combinaison des lettres, les anges la prennent et l’élèvent par quoi se réalise le mystère de l’union d’en-haut. Et même si les let­tres ne sont pas combinées comme lorsque les enfants lisent aleph, beyt, gimmel, dalet un élé­ment spirituel authentique est produit, une lettre réellement sort de la bouche et cet élément spirituell s’élève en-haut.

On aperçoit dans ce beau texte que le souffle des jeunes enfants est littéralement une re­création du monde, un rite de renouvellement pour parler le language de Mircea Eliade. Mais au-delà de cette remarque et pour en revenir à l’ensemble du passage précédent, on voit que le thème fondamental en est l’action théurgique exercée par la prière et l’étude de la Torah.

L’énonciation des lettres engendre un élément spi­rituel porteur de l’intention de celui qui prie ou étudie qui va permettre à ces lettres de s’élever à travers la hiérarchie des mondes pour y rejoindre leur principe par quoi le fidèle parviendra à l’adhé­sion au divin qui en retour le gratifiera d’un épan­chement qui répondra à l’intentionnalité de sa prière ou de son étude. On retrouve globalement ce même schéma dans la conception de l’étude et de la prière qui furent instaurées dans le mouve­ment hassidique. Or l’on sait que c’est une des caractéristiques du mouvement hassidique d’a­voir placé au centre de sa dévotion l’idéal de la debeqût entendue comme prière mystique et de la torah lishmah c’est à dire d’une étude ayant elle- même comme finalité la debeqût. Cette révolution spirituelle a conduit très tôt les maîtres de la has- sidût à écarter l’usage dans la prière des kawwanôt de la kabbale lourianique. Par là s’explique un retour à un type de kawwanôt fondé sur la médita­tion des lettres de l’alphabet qui signifie nolens volens en deçà de Luria à une téurgie des lettres théorisée par M. Cordovero et diffusée par le truchement de A. Azulaï et d’autres.

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